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Contes des peuples de la Chine
Contes des peuples de la Chine
Contes des peuples de la Chine
Livre électronique358 pages3 heures

Contes des peuples de la Chine

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À propos de ce livre électronique

Un florilège de mythes, de contes et de légendes permet de pénétrer dans l'imaginaire de Chine

Jadis vivait un khan que tout le monde appelait le khan volant. Durant sa jeunesse, il s'était enamouré d'une jeune fille très belle, une fée, ressemblant à la lune. Ses yeux brillaient comme l'or. Le khan la chercha dans le monde entier sans parvenir à la trouver. D'un magicien, il apprit de voler en l'air. Il chercha sa beauté dans le ciel durant trente ans, en vain. En désespoir de cause, il la fit dessiner et peindre selon ses indications. Il cacha le tableau dans une salle du trésor de son palais. Il se dit : "Pour moi, cela suffit. Me voilà d'âge mûr. Il est temps que je fonde un foyer". Il épousa une autre femme, qui lui donna un enfant du nom de Jiangde Bator ("le preux"). Ayant atteint quinze-seize ans, ce garçon devint un hardi gars. Sans pareil ! Un jour, il eut un éclair. S'il fouillait les salles du trésor de son père ? Il se mit à examiner les quarante salles. Il en fouilla trente-neuf. Mais pour la quarantième, pas de clef. Il fouilla, tortura la serrure en vain. Il appela sa mère, la supplia de lui trouver la clef.

À PROPOS DE LA COLLECTION

« Aux origines du monde » (à partir de 12 ans) permet de découvrir des contes et légendes variés qui permettent de comprendre comment chaque culture explique la création du monde et les phénomènes les plus quotidiens. L’objectif de cette collection est de faire découvrir au plus grand nombre des contes traditionnels du monde entier, inédits ou peu connus en France. Et par le biais du conte, s’amuser, frissonner, s’évader… mais aussi apprendre, approcher de nouvelles cultures, s’émerveiller de la sagesse (ou de la malice !) populaire.

DANS LA MÊME COLLECTION

• Contes et légendes de France
• Contes et légendes de Laponie
• Contes et légendes du Japon
• Contes et légendes d'Allemagne, de Suisse et d'Autriche
• Contes et récits des Mayas
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2015
ISBN9782373800012
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    Aperçu du livre

    Contes des peuples de la Chine - Susanne Strassmann

    Avant-propos

    Sources

    La plupart des contes traduits ici proviennent d’une revue intitulée Minjian wenxue ( Littérature (orale) populaire) publiée à Pékin à partir des années 1970. La plupart des contes étiologiques concernant les animaux ont été regroupés dans une publication intitulée : Zhongguo dongwu gushi ji, Shanghai, 1980.

    Les contes étiologiques spécifiquement chinois (de l’ethnie han, majoritaire en Chine, 92 % de la population totale) sont relativement rares. Depuis toujours, les Han sont friands d’histoires de fantômes, ou relatant des phénomènes extraordinaires, chuanqi, que nous évoquerons en annexe. Les contes oraux racontés encore actuellement sont surtout trouvés parmi les minorités ethniques (plus de cent millions de citoyens chinois) du sud et de l’ouest du pays. Tous les textes ont été traduits du chinois, sauf quelques contes que j’ai traduits du paiwan (ethnie de Formose, n° 44, 52, 53, 56, 61, 62, 63, 93) et du mongol (n° 64, 65, 66). Les contes xasak(e), sont traduits du chinois : c’est donc une double traduction. La graphie du mot khazak peut intriguer. Nous utilisons khazak pour le peuple, xazak (transcription partielle du pinyin : ce devrait être en fait hasake) pour les contes traduits du chinois. Il existe encore les graphies kazakh (du Larousse) et qazaq (Dor, Rémy, Manuel de qazaq, Paris, Inalco, 1997), que nous écartons ici.

    Principes de traduction

    Les onomatopées, intraduisibles, sont conservées dans la transcription pinyin. Elles émaillent les récits oraux, et ce serait dénaturer les contes que de les omettre. La traduction est un compromis entre le style familier, et le style académique. Le contraste entre les deux styles peut provoquer des moments de jouissance comique. Les contes paiwan sont traduits très près du texte, ce qui peut donner une impression bizarre au lecteur. Nous avons voulu ainsi préserver leur authenticité. Les autres contes, traduits du chinois, à part les contes han, sont en réalité une seconde traduction (car ils ont été dits à l’origine dans les langues des minorités ethniques). La traduction en est d’autant plus éloignée de l’original. Si l’on considère le texte chinois, il est pauvre lexicalement, et ne recule jamais devant les répétitions. Ces traits ne peuvent pas être conservés en français, où l’on évite les répétitions, quitte à puiser dans un réservoir de synonymes. J’ai donc eu l’impression, en traduisant, de passer mon temps à ajouter des couleurs à un film en blanc et noir. Je me suis amusé… J’espère que le lecteur ne s’ennuiera pas.

    Contes étiologiques

    Astres

    1.

    Origine du soleil et de la lune

    Cette histoire s’est passée il y a très longtemps, après que soleil et lune eurent été dévorés par une ogresse. Sur une très haute montagne vivaient une mère et ses deux filles. La mère, âgée d’une trentaine d’années, avait très bon cœur. La fille aînée, nommée Apei, avait douze ans. La cadette, nommée Aniu, avait six ans. Chaque jour, la mère disait à ses filles :

    — Jadis, il y avait un soleil et une lune. C’était le bon temps. Le jour, soleil brillait ; la nuit, lune ronde luisait. Chaque jour, soleil et lune prodiguaient chaleur et clarté aux humains. Ceux-ci les vénéraient, mais une ogresse aux mille métamorphoses et dix mille avatars avala lune et soleil. Dès lors, le ciel s’obscurcit. Tout devint sombre : on ne distinguait plus les humains des ombres. Les esprits de toutes sortes étaient virulents, faisaient des vagues, apparaissant afin de nuire aux humains, et de leur infliger toutes sortes de blessures. La vie devint amère. On ne trouvait plus de méthode pour gagner sa vie. On semait en tâtonnant dans le noir. Les cultures ne poussaient pas bien.

    La mère, poussant de longs soupirs, ajoutait :

    — Si quelqu’un pouvait aller tuer cette ogresse, afin de ressusciter soleil et lune, comme ce serait chouette !

    La mère racontait souvent ce conte, et les filles l’aimaient beaucoup. C’était leur favori. Elles appréciaient le travail de soleil et de lune, qui jadis, offraient chaque jour lumière et chaleur aux humains ; elles détestaient l’ogresse, se juraient de devenir à leur tour soleil et lune, afin de rendre aux humains chaleur et lumière.

    Dès lors, les deux sœurs aidèrent encore davantage leur mère et plus joyeusement. Malgré son jeune âge, la cadette aimait imiter son aînée, apprenant à balayer, faire le feu, nourrir les poulets, garder les canards. La mère les félicitait :

    — Si vous travaillez ainsi chaque jour, pour sûr que vous pourrez devenir soleil et lune !

    Mais un soir que la mère était allée chercher de l’eau dans un seau qu’elle portait sur son dos, elle fut dévorée par Milaominao, une ogresse fort rusée, qui voulait aussi dévorer les deux filles. Elle prit la forme de leur mère, et se pointa à leur maison, portant le seau d’eau sur son dos. Arrivée à la porte, l’ogresse, avec une drôle de voix, demanda l’accès :

    — Mili mili, « petites ! », votre maman est revenue.

    Impatiente de revoir sa mère, la cadette allait ouvrir la porte, mais l’aînée sentit que cette voix ne ressemblait pas à la voix maternelle. Elle retint la cadette, et dit vers la porte :

    — Vous n’êtes pas notre maman. Montrez d’abord votre patte par la fente.

    L’ogresse passa sa main, qui parut toute noire et rugueuse. Les filles la tâtèrent : la main était glacée. Elle comprirent que ce ne n’était pas la main de leur maman : les doigts semblaient griffés et brisés ; le sang coulait à terre.

    — Sur les mains de maman, il n’y a pas de sang ! s’exclamèrent-elles.

    L’ogresse, se voyant démasquée, étendit les doigts, les frotta dans le tas de cendres plusieurs fois, les montra à nouveau, disant :

    — Regardez ! il n’y a pas de sang sur mes doigts.

    Mais les filles s’écrièrent aussitôt :

    — Il n’y a pas de cendre sur les doigts de maman.

    L’ogresse était perplexe : comment entrer dans la chambre avec ou sans tromperie ? Elle réfléchissait, quand elle entendit la cadette dire imprudemment :

    — Si c’était maman, elle serait entrée par le trou du mur.

    A ces mots, l’ogresse, ravie, leva la tête, jeta un coup d’œil à droite. Sous l’auvent, il y avait en effet un trou dans le mur. Elle s’y glissa, appela les filles :

    — Fifilles ! celle d’entre vous à qui c’est le tour ce soir de dormir avec maman, qu’elle se lave vite les pieds !

    L’aînée avait des doutes. Mais la cadette, cette naïve, comment pouvait-elle savoir que dans la chambre se trouvait une ogresse ? Alors, elle cria :

    — C’est mon tour ! et elle dit à l’aînée de l’aider à se laver les pieds. L’aînée, oyant la différence entre la voix de sa mère et cette voix-là, avait des soupçons. Mais elle ne trouvait pas le moyen de persuader sa cadette de ne pas croire l’être qui se cachait dans la chambre. Elle lui lavait les pieds, et, en même temps, elle les oignait de crottes de poulet (que les ogresses abhorrent). Exprès, elle faisait traîner en longueur les opérations. Mais la naïve cadette cria :

    — Maman ! grande sœur ne me lave pas bien les pieds ! Elle les enduit de crottes de poulet ! Cela pue !

    L’ogresse vit bien qu’Apei était très intelligente, et l’avait devinée. Elle se domina pourtant, persuada Apei de ne pas jouer de farces à Aniu, et de se hâter de lui laver les panards. Apei, à bout de ressources, termina vite sa tâche. L’ogresse dit à Apei, d’un ton comminatoire :

    — Demain, tu devras aller couper du bois, alors, couche-toi tôt !

    En réalité, l’ogresse avait dans son cœur un plan bien enfoui. C’était d’attendre minuit, que les deux mômes soient bien endormies. D’abord, dévorer Aniu ; et plus tard Apei.

    Et en effet, Aniu sombra dans le sommeil, tout d’une masse. Afin de duper Apei, l’ogresse feignit un sommeil de mort, et poussait de longs ronflements.

    Mais Apei n’osait pas du tout se livrer au sommeil. Elle dressait l’oreille, aux aguets, essayant de savoir ce qui se passait à l’étage. Mais c’était quand même un enfant : après une journée entière à garder le bétail, elle était bien lasse. La nuit s’était approfondie. Apei ferma involontairement les yeux et se mit à rêver qu’elle était dans la montagne, en train de fendre du bois. Son cœur battait : poupou ! Elle suait à grosses gouttes. Elle se retourna : un vieillard haut et maigre, au large visage rose, la barbe tombant jusqu’à terre, lui apparut. Il avait sur le dos un manteau de paille ; dans les mains, une canne tordue. Il dit :

    — N’as-tu pas peur, de couper le bois, toute seule dans la montagne ?

    — Je n’ai pas peur ! répondit Apei d’un ton résolu.

    — Dans cette montagne, rôdent souvent des tigres !

    — J’ai un coutelas, interrompit Apei, sans attendre que le vieux termine sa phrase.

    — Ma fille, tu es courageuse. Avec ton intelligence et ta hardiesse, pour sûr que tu pourras te rendre maîtresse de l’ogresse qui a gobé soleil et lune.

    Entendant ces deux syllabes : ogresse, Apei fit un bond de frayeur. Elle voulut encore demander quelque chose. Mais elle sentit soudain une bouffée de vent bleu-noir, et le vieillard devint invisible. A son réveil, Apei était couverte de sueur, et son cœur battait fort : poupou !

    — Est-ce encore un rêve ? se demanda-t-elle Non ! c’est bien ce que le vieux m’a dit. Il est venu nous porter secours. Ce n’est pas une tigresse qui dort avec Aniu. Mais il est fort possible que ce soit une ogresse.

    Tandis qu’elle réfléchissait, elle entendit soudain des bruits : kabakaba, provenant de l’étage. Elle cria :

    — Maman ! que manges-tu ?

    — Rien, ton oncle m’a donné quelques pois grillés. Je grignote, voilà tout !

    Apei se mit à réfléchir : « De coutume, maman ne se met pas à grignoter à la minuit ! » Soudain elle sentit quelque chose qui tombait sur le dos de son nez. Quelque chose de frais et humide. Elle tâta : c’était du sang ! Apei alla jeter encore un coup d’œil vers l’étage. Horrible vision : le visage de sa « mère », telle une laie, en train de croquer les doigts et les orteils de la petite Aniu ! Alors, pour Apei, tout s’éclaira : sa maman avait été positivement dévorée par la croquemitaine.

    C’est sûr qu’Apei voulait maintenant venger sa mère et sa sœur cadette, donc, tuer cette ogresse au plus vite. Soudain, les viscères d’Aniu dégoulinèrent, gulugulu, tout près d’Apei. Avalant ses larmes, Apei enveloppa soigneusement les entrailles fumantes et sanglantes de sa sœur ; puis, elle voulut ouvrir la porte pour sortir. Mais ouvrir la porte, c’était se faire découvrir par l’ogresse. Il fallait trouver un prétexte :

    — Maman, je vais faire pipi !

    Entendant ces mots, la croquemitaine se hâta. Elle n’avait pas fini de dévorer la cadette. Elle voulait l’empêcher de sortir, mais craignit de laisser révéler sa vraie forme. Alors, l’ogresse voulut gourmander Apei par de simples paroles. Elle répondit comme si de rien n’était :

    — Fais donc pipi au pied du lit !

    — Maman, au pied du lit réside le dieu du lit !

    — Eh bien ! fais pipi derrière le foyer !

    — Derrière le foyer réside le dieu du foyer.

    — Alors, fais pipi derrière la porte !

    — Mais derrière la porte habite le dieu des portes. Maman, ne l’as-tu pas dit déjà ? Là où résident les dieux, interdit de pisser !

    L’ogresse est à bout d’arguments. Elle se dit, avec indulgence, que la petite ne pourra pas échapper à ses monstrueuses pattes. Alors, d’une voix dolente, elle acquiesce en ces termes :

    — Eh bien ! reviens vite ! et prends garde d’attraper froid !

    Apei ouvrit la porte et s’enfuit bien loin. Jusqu’où s’enfuir ? Elle hésitait, quand le vieillard chenu au visage rose apparut devant elle, comme pour lui montrer la voie. Apei le suivit en hâte jusqu’à une fontaine. Là poussait un poirier sauvage, sur lequel Apei grimpa aussitôt. Elle sentit une bouffée d’air bleu-noir : le vieillard avait disparu.

    Le lendemain matin, l’ogresse arriva près de la fontaine, lava le crâne d’Aniu. Sans le faire exprès, Apei laissa tomber de la salive, et l’ogresse l’aperçut :

    — Enfant, où es-tu ? dit l’ogresse, observant Apei, la tête dressée, et laissant pendre une longue langue rouge sombre.

    — Je cueille des fruits ! répondit Apei d’une voix soumise.

    — Ah ! des fruits sûrement délicieux ! Donnes-en d’abord à goûter à maman, dit l’ogresse, extraordinairement alléchée.

    — Maman ! attrape avec ta gueule !

    Apei grimpa encore plus haut, cueillit une grosse poire toute rouge. La goule, l’ogresse goulue bava trois pieds de long de bave. Apei visa la gueule sanglante et grand ouverte de l’ogresse, et, de toutes ses forces, y lança le fruit. Sous le choc, l’ogresse eut les yeux qui lui sortirent de la tête, et resta sans réaction. Cette fois-ci, Apei enfonça une branche au fond de la gorge de l’ogresse, qui en creva.

    Une fois morte, l’ogresse se transforma en un épais buisson d’épineux, xunma, très piquants, qui entoura entièrement l’arbre où Apei était juchée. Elle voulait faire mourir Apei sur son arbre. Tandis qu’Apei se trouvait dans cette situation critique, arriva un vieillard qui venait puiser de l’eau. Ce vieux n’avait pas la face rose, ni la longue barbe blanche qu’avait l’autre. Mais il portait un manteau de paille et s’appuyait sur un bâton tordu. Toute joyeuse, Apei lui dit :

    — Vieux pépé, prête-moi ton manteau de paille. Je l’étalerai par terre. Alors, je me prosternerai devant toi, pour être ta petite-fille ! Tu m’adopteras.

    — J’ai déjà une petite-fille, dit le vieux.

    — Eh bien, je deviendrai ta seconde petite-fille.

    — J’en ai une seconde aussi.

    — Eh bien, je serai la troisième.

    Et ainsi de suite jusqu’à dix.

    — Eh bien, je serai la dixième.

    Apei s’était juré de se faire adopter par le vieux. Celui-ci, voyant qu’elle avait le cœur sincère, étendit tout souriant son manteau de paille à terre.

    Apei sauta. Considérant le vieux de près, elle vit qu’il avait autant de compassion que celui qu’elle avait vu en rêve. Elle avait confiancè en sa bonté. Elle lui raconta ses malheurs. Le vieux dit qu’il savait tout. Apei demanda :

    — Pépé ! de ma cadette dévorée par l’ogresse, il ne me reste que le cœur. As-tu le moyen de la ressusciter ?

    — Oui-da, dit le vieux, lissant sa barbe.

    Un moment après, Apei s’adressa encore au vieux :

    — Pépé, ma cadette, est-elle vivante ?

    Le vieux lui répond d’un air majestueux et ému :

    — Enfant, celle qui a essayé de te tuer, c’est justement l’ogresse qui a avalé soleil et lune. Mais ta cadette vit. Vois si tu peux la retrouver. Si tu la retrouves, toutes deux, vous pourrez devenir soleil et lune.

    — Mais où est ma cadette ?

    Apei, en Imagination, se représentait sa cadette, et, d’émotion, versait des cascades de larmes.

    — Suis donc le bouvier ! dit le vieux calmement.

    Apei avait encore envie de lui demander des explications, mais le vieillard puiseur d’eau avait disparu, sans laisser l’ombre d’une trace.

    Alors Apei partit vers le bouvier, à la recherche d’Aniu. Le bouvier lui dit :

    — Je n’ai pas vu ta cadette. Mais il vient juste de venir quelqu’un. Nous lui avons sacrifié un bœuf. Mais il ne mange pas de viande de bœuf. Il ne boit pas de bouillon de bœuf. Pipe (en crâne de bœuf) au bec, s’appuyant sur un bâton recourbé en corne de buffle, balayant l’air avec une queue de vache, il est parti avec le gamin qui garde les canards.

    Alors, Apei partit en quête du gardien des canards.

    — Avez-vous vu ma cadette ?

    — Pas vu ! Seulement, tout à l’heure, quelqu’un est venu : nous lui avons sacrifié un canard, mais il n’absorbait ni la viande ni le bouillon de canard. Pipe (en tête de canard) au bec, s’appuyant sur un bâton torve en patte de canard, balayant l’air d’une queue de canard, il s’en est allé, suivant les gardiens des poulets.

    Alors, Apei alla trouver les gardiens des poulets :

    — Avez-vous vu ma cadette ?

    — Pas vu. Seulement, il est venu tout à l’heure quelqu’un. Nous lui avons sacrifié un poulet. Mais il ne mangeait pas de viande de poulet, ne buvait pas de bouillon de poulet. Pipe (en tête de poulet) au bec, s’appuyant sur un bâton tordu en patte de poulet, balayant l’air ou le sol d’une queue de poulet, il est parti vers la mer.

    Apei avait déjà traversé neuf montagnes et neuf fleuves. Sa robe était en lambeaux, ses pieds couverts d’ampoules. Mais pour retrouver sa sœur du côté de la mer lointaine, il fallait passer soixante-dix-sept monts, grands monts, et traverser soixante-dix-sept grands fleuves.

    Apei était épuisée. Elle suspendit ses pas. Elle s’assit, et aussitôt s’endormit. « Continue à chercher ! » se disait-elle. « Ne dors pas ! » Elle rêvait à cet amour de sœur cadette, à leur serment commun : devenir soleil et lune. Afin de rendre lumière et chaleur à l’humanité ! Ne pas trahir l’espoir de leur mère. Alors, son corps s’emplit d’une ardeur, d’une énergie incroyable. Elle pensa que si elle allait jusqu’à l’horizon, là où la mer et le ciel se rejoignent, elle retrouverait nécessairement sa cadette.

    Apei, assoupie un instant sur un rocher, s’éveilla, se sentit plus légère qu’une plume. Alors, elle ne distingua plus le jour de la nuit, elle marcha sans arrêt soixante-dix-sept jours, passa soixante-dix-sept monts, traversa soixante-dix-sept rivières, et enfin, atteignit le rivage marin.

    Arrivée là, elle rencontra un très gros crapaud, et lui demanda :

    — As-tu vu ma cadette ?

    Le grand crapaud lui dit :

    — Chut ! ne ris pas ! Laisse-moi boire la mer, cul sec ! et tu verras ta sœur !

    Le crapaud rampa jusqu’au bord de la mer, pencha sa tête dans l’eau. En un rien de temps, il but, assécha la mer. Merveille ! la tête d’Aniu surgit, petit à petit. Puis ses hanches, ses pieds apparurent.

    Apei la tira vers la rive et l’étreignit très fort :

    — Sœurette ! que faisais-tu là ? J’ai eu bien du mal à te retrouver.

    Aniu, essuyant ses larmes, dit à Apei :

    — Grande sœur ! je te croyais morte. Je ne sais comment, plus je marchais, plus j’allais loin.

    Voyant les yeux gonflés, rougis de son aînée, son visage tout griffu, elle enlaça fort le corps d’Apei :

    — Grande sœur, devenons pour de bon soleil et lune ! je ne veux plus être loin de toi.

    Apei essuya les larmes d’Aniu et dit :

    — Sœurette, je resterai éternellement avec toi.

    — Aînée, à ton avis, quel sera mon rôle ?

    — Fais la lune ! La lune est comme ton cœur : pure comme perle.

    — Faire la lune ? marcher de nuit ? cela m’effraye ! dit Aniu.

    — Eh bien ! fais le soleil !

    — Non ! grande sœur ! tu en es plus capable que moi. Fais le soleil, toi ! Moi, je ne ferai pas le soleil. Si je marche en plein jour, les hommes me verront, j’aurai honte.

    Mais Apei connaissait bien la timidité de sa cadette : elle avait peur du noir. Eclairer en pleine nuit, cela demandait de la personnalité. Elle incita Aniu à devenir soleil :

    — Tu donneras chaleur et lumière aux hommes. Ils t’en respecteront davantage. Je vais t’accrocher des aiguilles d’or qui leur piqueront les yeux s’ils veulent te dévisager.

    Voilà l’origine de la lune et du soleil.

    2.

    Le mariage du bouvier céleste

    Jadis vivaient deux frères. L’aîné était marié. Le cadet, célibataire, travaillait toute la journée. Au petit déjeuner, il mangeait une soupe aigre. A midi, du riz fermenté. Quand le cadet était absent, l’aîné et sa femme se régalaient de plats savoureux.

    Un jour, aux champs, le cadet avait labouré jusqu’à la mi-journée. La vache lui dit ces mots :

    — Bouvier ! tu ne rentres pas manger ?

    — Hélas, si je rentre tôt comme ça, ils vont m’injurier.

    — Ha ! mais si tu as envie de rentrer, rentre donc !

    — Comment cela ?

    — Ne t’en fais pas. Au sud du champ, il y a un gros rocher. Labourons jusque-là. Casse le soc sur le roc. Alors, rentre à la maison !

    Aussitôt dit, aussitôt fait. Peng ! voilà le soc en pièces, ayant donné sur le roc ! Et le bouvier de rentrer au logis.

    Sa belle-sœur était en train de mitonner une galette. Le voyant rappliquer, elle s’écrie :

    — Eh cadet, viens vite manger ! j’avais justement l’intention d’envoyer t’appeler.

    Mais son frère aîné dit :

    — Comment ! tu rentres

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