Sept

1911-1991… Quelques visages de femmes

Deux dates sur une tombe: 1911-1991. Elle est née dans une famille qui comptera six enfants, quatre garçons et deux filles. A la maison, on parle patois, français, et un suisse allemand familial où s’intègrent aux parlers lacois et singinois le patois et le français. Patois et français intégrant eux aussi le suisse allemand. L’année de sa naissance, on chante (on le chantera encore dans mon enfance): «Cœur de Jésus, notre espoir, notre amour / (…) /Garde à jamais le pays de Fribourg / Car nous jurons d’être à toi sans retour.» Elle se souvenait des dragons, ces soldats à cheval si prestigieux, cantonnés dans la grange durant la guerre. Une année avant sa naissance, Ramuz faisait peindre l’un de ces dragons par son double romanesque, Aimé Pache peintre vaudois . En 1918, elle commence l’école. Dans la classe, un petit blondinet aux cheveux ras, qui déménagera bientôt, mais qui réapparaîtra plus tard dans sa vie. Bonne élève, elle est choisie par les enseignantes et les enseignants comme «monitrice» pour les élèves en difficulté ou plus jeunes. Une vieille dame m’a dit un jour qu’elle avait appris à lire grâce à elle. A-telle rêvé de faire des études? Est-ce que cela pouvait même être un rêve pour une fille d’ouvrier-paysan au début des années folles qui ont vu ailleurs tant de femmes de la bourgeoisie aisée s’émanciper? Elle a rêvé que ses enfants feraient un apprentissage ou, rêve des rêves, qu’ils étudieraient.

Dans la cuisine au sol de terre battue – on faisait entrer les poules pour picorer et on balayait tous les jours – à peine adolescente, elle a vu mourir dans ses bras, d’une pneumonie, un petit frère encore bébé. On mourait, dans ce temps passé dont les souvenirs sont si doux, d’un refroidissement, d’une appendicite, d’une petite blessure infectée, de la tuberculose. Après l’émancipation (ce mot n’avait qu’un seul sens pour une jeune fille comme elle: c’était la fin de la scolarité) et l’école ménagère, elle est allée «en

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