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Robert Gaborieau: La Raclure
Robert Gaborieau: La Raclure
Robert Gaborieau: La Raclure
Livre électronique406 pages6 heures

Robert Gaborieau: La Raclure

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À propos de ce livre électronique

Robert Gaborieau devint Ingénieur, puis manager, alors que rien ne l’y prédisposait particulièrement. Etant l’aîné d’une famille croisée après la seconde guerre mondiale, d’une paysannerie limousine pauvre et d’une bourgeoisie vendéenne ruinée, enfant de la banlieue, livré à lui-même, il avait tout dans la vie pour mal finir.
Se hisser au niveau qu’il avait pu atteindre, avait demandé de la volonté et beaucoup de sacrifices. Dès son plus jeune âge, alors qu’il était doué pour les arts et la communication, au lieu de développer ces qualités, il les enfouit au plus profond de lui même. Il lutta toute sa vie contre sa nature, pour obtenir quelques réussites sociales durement acquises et il eut de nombreux échecs qui le précipitèrent à chaque fois dans la fosse. Mais il en accepta le prix, remontant sans cesse des abysses, pour se hisser à nouveau en haut de la pyramide, et il sacrifia tout à l’argent, à la reconnaissance sociale et au pouvoir.
Dès les premières années où il commença à pratiquer son métier, j’ai immédiatement pensé à ce conte d’Alphonse Daudet: L’homme à la cervelle d’or , des lettres de mon Moulin. Non pas qu’il fut plus intelligent que la moyenne, ni qu’il fut victime d’une épouse, il n’avait pas ces excuses. Je crois qu’il s’est inconsciemment auto infligé les souffrances de ce type d'homme toute sa vie, tant il est vrai qu’il fut moulé par le creuset de son enfance.
Robert Gaborieau perdit tout, puis il eut la chance, de pouvoir tout reconstruire encore une fois : autre vie, autre couple, autres enfants, autre lieu. Même si il tenta jusqu’au bout de garder un amour de ses premiers enfants, réciproque sinon intact, même si il prit du recul avec le mirage social, il resta toujours incorrigiblement en panique d’argent. C’est son histoire, que spectateur de sa vie, j’ai tenté de raconter au travers de ce livre.
LangueFrançais
Date de sortie29 déc. 2016
ISBN9782312049748
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    Aperçu du livre

    Robert Gaborieau - Paul Dézors

    livre.

    Le temps de l’innocence

    Aussi loin qu’il se souvienne, la première conscience de l’actualité et du monde extérieur, qui apparut à Robert GABORIEAU, fut par le biais d’un gros poste de radio jaune, qui parlait, perché sur une étagère inaccessible. C’était la guerre des six jours, il avait six ans. On y parlait d’un pays inconnu, d’hommes qui se battaient et de chars. On y transmettait la peur. Bien que ça l’ait marqué, tout ceci n’avait pas encore de sens pour sa jeune tête, et le mystère qui restait le plus entier pour lui, était le « qui parlait à l’intérieur du poste », sûrement un lutin caché à l’intérieur. Toutefois, c’est à partir de ce moment qu’il sut qu’il était différent des autres enfants, doté d’un Q.I de 135, ce qu’il ignorait encore. Prématurément curieux et responsable, il avait une ambition déjà bien affirmée.

    Comme bien souvent, il ne pouvait pas encore se faire comprendre, ni assouvir ses ambitions, il piquait régulièrement de violentes crises de nerfs qui lui généraient des malaises allant jusqu’à la syncope. J’ai souvenir qu’il est parti ainsi un jour, la tête en arrière, sonné sur le carrelage, au pied du réfrigérateur qui lui paraissait devenir immense. Le noir le happait vertigineux. Ils vivaient pourtant heureux ses deux frères et lui, dans un petit pavillon de banlieue familial qui appartenait à leurs grand parents paternels. Cette vie insouciante se déroulait sous la surveillance de leur mère qui avait pris un congé parental pour les élever. Leur père, quant à lui, travaillait comme représentant chez une vieille maison parisienne qui fabriquait et vendait du papier carbone et des rubans de machines à écrire. Cette maison avait un double avantage, elle payait correctement ses employés et leur père y semblait bien. Mais surtout les cadeaux de noël de l’entreprise, leur apparaissaient somptueux. Malgré tout cela leur mère achetait parfois un steak pour eux trois, plus régulièrement des œufs et quant à elle, elle se contentait souvent de saucer le fond de la poêle avec son pain. Il faut dire que bien avant, cela, leurs parents en avaient bavé, jeunes mariés, amoureux, sans un sou, sans même une cocotte minute, avec un simple réchaud de camping à gaz, et maîtrisant sûrement très mal la contraception. Ceci a fait qu’ils furent successivement, à un an d’intervalle, trois enfants de l’amour certes, mais assurément accidentels, excepté pour le dernier qui avait été planifié.

    C’est ainsi que leurs parents totalement démunis, à tous les sens du terme, le confièrent, lui, l’aîné, à leur grand-mère maternelle, sa Mémé, en Corrèze, durant les dix huit premiers mois de sa vie.

    J’ai de vagues souvenirs d’une ferme avec une grande cuisine au sol en terre battue, équipée d’une grande cheminée, le « cantou » qui servait à faire chauffer la soupe dans un chaudron noir suspendu après une crémaillère. De chaque coté de l’âtre, devant de minuscules fenêtres, les « fenestrous », des bancs en bois pourvus de coffres, les « masillous », y étaient disposés, où se réchauffaient les anciens. Un râtelier à pain et une unique ampoule électrique sur une lampe à contrepoids trônaient au dessus de la longue table à manger. La cuisine avait une porte à deux battants, l’un en haut pour l’hiver, et l’autre en bas qui étaient censé éviter que les poules et les chiens n’entrent dans la maison. Dans les faits, sa grand-mère courait souvent après les poules autour de la table avec un balai. Sa Mémé le prenait souvent dans ses bras pour lui faire faire le tour des étables, en espérant le faire manger. Elle lui montrait ainsi tous les animaux de la ferme, alors qu’il transportait une casserole et une cuillère en bois pour jouer du tambour.

    Aussi, ce fut un déchirement lorsque celle ci l’abandonna à ces étrangers, ses parents qui voulurent le récupérer à l’issue fatidique de ces dix huit mois. Il lui en resta un amour indéfectible de sa Mémé qui resta sa première mère, jusqu’à son décès, cinquante ans plus tard, et cela bien avant sa mère biologique.

    Beaucoup plus tard, il est allé à l’école maternelle tout d’abords, d’où j’ai des souvenirs précis. J’ai celui de son plus jeune frère Fifi qui pleurait durant une matinée entière au carreau de sa classe des plus grands, jusqu’à ce que la maîtresse d’école, de guerre lasse, ne l’installe entre son autre frère et lui-même, pour avoir enfin la paix. Inversement Robert découvrit assez vite que la classe de Fifi était plus intéressante que la sienne où il fallait commencer à apprendre et que l’on jouait plus dans celle de son frère. Aussi à la fin d’une récréation, il se glissait quelque fois dans les rangs des petits et passait une heure dans leur classe, à empiler des cubes, jusqu’à ce qu’il soit repéré et renvoyé dans la sienne. J’ai aussi le souvenir que Robert ait mangé tous les goûters des autres enfants qui avaient été disposés sur un banc. Tout comme, il avait volé un petit sifflet en forme d’oiseau sur le sapin de noël, uniquement parce que la maîtresse d’école avait attiré son attention en leur demandant de ne surtout pas y toucher. Sifflet que sa Maman l’a obligé à rapporter à l’école : sa première honte.

    J’ai également la mémoire d’un petit cirque qui passait d’écoles en écoles et qui montrait des animaux. Comme Robert était déjà un gars de la campagne, il voulut escalader le poney qu’on nous présentait pour s’y asseoir à califourchon. Il sauta sur son dos comme il avait vu faire dans les films de cow-boys, pour s’étaler en glissant aussitôt à terre de l’autre coté du quadrupède, devant toute sa classe réunie : sa deuxième honte et sa première désillusion. Ca lui avait paru tellement facile.

    Bien avant l’école primaire, il découvrit qu’il fallait travailler. Sa Maman lui faisait apprendre à lire et à compter, ce qui n’alla pas sans mal. Il lui en est toutefois très reconnaissant encore aujourd’hui. Cette assiduité lui permit d’éviter le cours préparatoire de l’école primaire, pour passer directement en cours élémentaire de première année où il lisait et il comptait déjà couramment. Durant ces deux premières années d’école primaire, il fut premier de sa classe, puis second, quelque fois troisième. Il faisait cela sans effort particulier et son père lui disait qu’il n’avait aucun mérite, étant « premier sur une bande d’ânes ». J’ignore si la formule avait un fondement, mais de l’école, il a gardé encore aujourd’hui, un réel goût de la lecture.

    Le jeudi, ses frères et lui menaient de grands chantiers dans le tas de sable de leur père, où ils traçaient des autoroutes et des châteaux forts. La notion de territoire et de propriété était déjà très ancrée en eux et j’ai le souvenir de son frère qu’ils avaient surnommé Bud qui refusant de payer le droit de passage de Fifi se vit assener par ce dernier, un coup d’une petite pelle miniature de chantier sur le crâne. La pelle était miniature, mais en acier, et Bud partit en braillant à la maison, le crâne ouvert et pissant le sang. La plaie heureusement n’était pas très grave mais bien spectaculaire. Pourtant, à plus de cinquante ans, Bud en porte encore aujourd’hui la cicatrice. Quant à Robert, il développait ses relations sociales en accueillant la future femme de son parrain au moyen d’une bonne paire de claques. Je ne sais plus pourquoi il avait fait cela. Peut être voulut elle intervenir dans leurs affaires de fratrie, alors que Robert la considérait comme une étrangère. Toujours est il que celle-ci le lui rappela des années durant, tant cette toute jeune femme avait du se sentir humiliée par le morveux qu’il était déjà.

    Le temps passait jusqu’à l’âge de huit ans où ils partaient à chaque vacance chez sa Mémé en Corrèze. Celle ci leur a donné à tous les trois, le goût de la ferme et des animaux et surtout ce sens terrien, les pieds bien ancrés sur terre, ce qui les protégea toute leur vie. Plus tard, leur père fut victime d’une terrible maladie qui le fit passer très près de la mort, ce dont ils ne se rendirent absolument pas compte à l’époque. Celui-ci était de la génération des enfants de la seconde guerre mondiale et les privations endurées au cours de celle-ci avaient laissé de sérieuses séquelles sur son organisme. Il dut la vie à une délicate opération chirurgicale pratiquée à l’hôpital d’Argenteuil. A la suite de quoi, les médecins lui conseillèrent de partir s’installer à la campagne respirer un air meilleur que celui de la région parisienne. Aussi durent-ils déménager pour s’établir à Montoire sur Loire et pour loger dans une petite cité HLM de province. Leur Maman mit fin à son congé parental pour reprendre du service dans un bureau de poste et leur père trouva difficilement, un travail de représentant de commerce qui l’obligeait à être sur les routes toute la semaine pour vendre des petits pots d’aliments pour bébés. Ils se retrouvaient ainsi livrés à eux même et à force de traîner, ils prirent très rapidement la mesure de leur territoire dans un périmètre de cinq kilomètres aux alentours de leur cité. Lequel comprenait d’anciennes carrières à ciel ouvert, dangereuses et partiellement remplies d’eau, une ligne de chemin de fer de marchandises, des champs à perte de vue, et surtout un château féodal. Ses oubliettes et ses souterrains de plusieurs kilomètres, n’avaient aucun secret pour eux. Ils escaladaient son donjon par des pieux plantés en colimaçon, jusqu’à cinquante mètres de haut, autour de la muraille. L’ascension était au combien dangereuse mais la vue y était magnifique, dominant toute la vallée du Loir à vingt kilomètres à la ronde.

    Leur école était à proximité immédiate de leur logement où leur institutrice avait eu l’intelligence de les accueillir le premier jour en les présentant comme des « petits parisiens », ce qui leur permit de découvrir rapidement que ceux ci n’y étaient pas les bienvenus en Loir et Cher. Ils n’avaient aucun ami à l’école, excepté dans leur cité où quelques déracinés comme eux tentaient de s’implanter. Les bagarres y étaient quotidiennes, où eux, parisiens, vendaient chèrement leur peau dans la cour de récréation, trois frères dos à dos, contre les autochtones en cercle autour d’eux.

    Heureusement, il y avait toujours la soupape des vacances en Corrèze, où chez leur Mémé, ils faisaient les foins l’été entre leur grand père François, leur Mémé, et le fils cadet, leur oncle Doudou. J’y ais des souvenirs durant les foins, de petites bouteilles de sirop qu’après avoir bien lavé, ils remplissaient de vin avec de l’eau et qu’ils emmenaient avec eux pour les faire tremper au frais dans les rigoles. Ils courraient dans les prés, pour attraper les grillons, ils allaient partout, enfants rois et les adultes occupés à leurs travaux, leur laissaient une liberté totale et une paix royale. J’y ais le souvenir d’Isabelle, une petite cousine plus jeune que lui et avec laquelle Robert jouait déjà au docteur.

    C’était le temps du bonheur et de la famille. Mais la roue du temps tournait inexorablement et déjà la cuisine de la ferme, à l’ancienne avait laissé la place au formica ultra moderne pour l’époque. Cette roue l’emmena jusqu’au collège, en sixième, puis en cinquième où à treize ans, il n’était toujours ni intégré ni aimé. Il rentrait régulièrement de l’école le soir avec la tête au carré, pleine de bleus, et sa blouse déchirée et couverte de crachats, à force de s’être battu. Rétrospectivement, je pense que cela tenait à son caractère déjà revendicateur et dirigiste. Ses frères l’avaient d’ailleurs surnommé le « commandant ». Depuis il a appris à nuancer ses propos et à ne plus assener toutes ses vérités à qui ne veut pas les entendre. Mais à cette époque, déjà tête de bois, il n’avait pas souvent le dessus dans les bagarres, mais il aurait préféré mourir plutôt que de capituler.

    C’est à cette période que sa Maman tomba malade d’une pneumonie tout d’abords, puis de la tuberculose. C’était grave, mais ils n’en n’avaient pas plus conscience que pour leur père et ils faisaient de la patinette autour de son lit. Elle finit par être transférée à l’hôpital de Corbeil Essonne en région parisienne où leur père avait pu trouver un travail. Ses frères furent placés à la campagne, en Vendée, chez leurs grands-parents paternels où ils ne furent pas malheureux du tout. Quant à Robert, il fut confié, en Ile de France, à des cousins qu’il n’avait jamais vus auparavant, mais qui acceptèrent en bons catholiques pratiquants de le prendre en charge. Ceux ci avaient deux filles. Et les parents pleins de bonne intention, l’installèrent dans la chambre de l’aînée et c’est là que les ennuis commencèrent. Cette chambre comportait une odeur douçâtre d’urine qui le fit longtemps culpabiliser, pensant à tort, qu’elle provenait de lui-même Les deux filles durent partager une seule et même chambre, et elles n’avaient aucune expérience d’un frère, ni même d’un cousin. Elles vécurent aussi mal que Robert cette promiscuité. La cadette s’avéra vite être une petite peste, habile à semer la discorde et à manipuler sa sœur.

    Rapidement la situation devint ingérable et les conflits permanents. Leur mère pris fait et cause pour ses enfants et seul le père tentait maladroitement de lui faire faire ses devoirs scolaires et de le sermonner. Il devint vite un problème dont ces gens se seraient bien passés. Tous les week-ends, son père, qui logeait chez son frère, tentait de le prendre avec lui. Son parrain et sa femme, essayaient d’être gentils avec lui, mais le dimanche soir, il devait revenir chez ses cousins qui n’étaient pas pressés de le revoir. Dans ce contexte, il se sentait très mal, totalement déraciné. Leur famille resta éclatée ainsi, durant six mois, jusqu’à la guérison complète de leur mère.

    A sa sortie de l’hôpital, ils retournèrent à Montoire, sa Maman et lui, juste le temps de mettre leurs affaires en ordre et de préparer leur déménagement. Il retrouva pour un court instant son collège qu’il quitta sans aucun regret. Totalement déboussolé, il faisait des crises de nerfs, croyant entendre ses frères dans l’appartement. C’est ainsi qu’un jour, sa Maman ne sachant plus quoi faire, le maintint la tête sous l’eau dans le lavabo pour le calmer. Hélas, elle se trompa de robinet et ouvrit l’eau chaude. Plus il gigotait, plus elle le maintenait ainsi, au risque de l’ébouillanter tel le Isangrin du roman médiéval de Renard, jusqu’à ce qu’elle s’aperçoive de sa méprise. Six mois plus tard, ils finirent par emménager en HLM dans une cité de banlieue cosmopolite, à proximité de la forêt de Sénart, où ses frères finirent progressivement par être rapatriés. Les retrouvailles ne furent pas faciles. A leur âge, un an de vie leur paraissait interminable et chacun avait été modelé par son parcours. Sans compter qu’il allait leur falloir apprendre la vie dans une région parisienne qu’ils réintégraient, mais dont ils ne savaient rien.

    Pour Robert ça démarrait fort. Ayant changé cinq fois d’école durant cette année scolaire, il s’intéressait d’avantage à la mode des shorts et des cuissardes que portaient les copines de sa classe, qu’à ses résultats scolaires tombés en chute libre.

    Le temps des chevaliers

    A 13 ans, Robert traînait au Collège d’une cité de banlieue pauvre peuplée d’ouvriers et d’enfants d’émigrés. Comme tous les autres enfants, ses résultats scolaires étaient médiocres et il excellait d’avantage dans l’apprentissage de la rue. Bien qu’il soit par nature un garçon plutôt pacifique, étant l’aîné de ses deux frères, il se sentait un devoir de les protéger des luttes de territoire pour lesquelles s’affrontaient les différents groupes de jeunes constituées en bandes et qui représentaient l’essentiel de leur milieu social.

    Ils habitaient au troisième étage d’un HLM et leurs parents tentaient tant bien que mal de les éduquer malgré leurs contraintes professionnelles. Leur mère travaillait en services de 3/8, à Paris dans un central téléphonique de la poste et leur père livrait et montait des cheminées préfabriquées en Île de France. Il n’est rien de dire qu’ils étaient livrés à eux même toute la semaine. Leur père avait bien tenté de leur inculquer trois principes chevaleresques dont Robert réussit tant bien que mal à faire une ligne de conduite qui a régi toute sa vie. En résumé, c’était : « Conduits toi bien, marches la tête haute et fais respecter ton nom quoiqu’il t’en coûte ». Mais, à 14 ans, il dut adapter les principes paternels à la rue et s’infliger des règles que je déconseille formellement d’appliquer à tout jeune qui ne baignerait pas dans ce contexte :

    1 – On ne peut pas rester seul. L’intégration d’un groupe social est obligatoire, sous peine d’issue dramatique à court terme.

    2 – Il faut soigneusement choisir la bande à laquelle on veut appartenir. Dans ce contexte, aucun d’entre eux n’ayant d’argent de poche, tout ce qu’ils voulaient acquérir, ils devaient le voler. Quand le pas est franchi, les agissements de la bande ne connaissent plus de limite. Il devient donc évident que toute erreur d’appartenance à une meute mène tout droit devant le Juge pour enfants, sans compter que les loups se mangent bien volontiers entre eux quand tout va mal.

    3-Il ne faut jamais hésiter, en cas d’agression subie, à frapper le premier. Si l’adversaire a une supériorité en physique ou en nombre, il faut s’outiller pour rétablir la supériorité à son avantage. Seul le résultat compte. Ça doit être très rapide, violent et décisif. Pas de palabres, pas de négociation. L’issue est à ce prix, sachant qu’un perdant restera continuellement frappé, harcelé, voire racketté.

    C’est, fort de ces principes, qu’à 15 ans, ses deux frères et lui avaient constitué leur meute composée de jeunes plus appropriés à leur image, moins voleurs, plus pacifistes, mais aussi beaucoup plus efficaces en riposte. Robert connaissait déjà parfaitement l’art de repérer en trois secondes une agression de groupe et son meneur. Trois secondes plus tard, le meneur était au tapis.

    Il avançait dans la vie, enfermé dans son armure féodale et il envisageait son avenir immédiat en tant que manœuvre sur un chantier du BTP et il rêvait d’être artisan maçon, chef d’entreprise, ou quelque chose de ce genre, le but étant de gagner sa vie à court terme et de sortir de cette dépendance de la meute. Ses projets de chevalier professionnel furent contrariés, par l’action de son oncle, mais surtout de sa tante qui le fit entrer à 15 ans à l’école de la RATP qui formait des ouvriers qualifiés. Ses parents étaient doublement heureux d’être débarrassé d’un problème « épineux » et de le voir intégrer une prestigieuse entreprise paternaliste et protectrice où il allait pouvoir embrasser « la carrière ». Par la suite, sa tante y fit entrer son plus jeune frère. Plus tard, le cadet après avoir fait une école hôtelière, allait intégrer directement l’entreprise.

    Quand j’y repense, il n’aurait pas assez de sa vie pour remercier sa tante : De tous les jeunes de sa cité, environ une centaine, seuls quatre d’entre eux s’en sont sortis. Un garçon au nom alsacien, ceinture noire de karaté, et qui faisait partie de leur bande, est devenu plus tard professeur de gymnastique. Ses deux frères et lui-même, sont entrés à la RATP. Tous les autres ont fini prématurément morts ou incarcérés.

    Dans cette école de la RATP, Robert du tout réapprendre : d’abords que ses principes de la rue n’y avaient pas court. Étant le plus jeune de sa promotion, il y avait dès le début subi quelques bizutages, qui se sont soldèrent par un nez fracturé et une semaine d’hospitalisation pour le bizuteur, mais aussi par un renvoi immédiat de l’école, quinze jours après la rentrée. Renvoi rattrapé in extremis par son oncle qui a négocié avec le directeur de l’école avec lequel il jouait au football. Je me souviens que son oncle lui dit en présence du directeur : « quand on cogne ça ne doit pas se voir ». La dessus le directeur a ajouté « si tu ne comprends pas ça c’est que tu es un imbécile et si tu es un imbécile tu seras puni. ». Son renvoi se vit donc commué en blâme avec une retenue sur le petit salaire qu’il percevait. Les conséquences immédiates furent l’admiration de tous les costauds de l’école qui le surnommé « frappe qu’un coup » jusqu’à la fin de sa scolarité et qui le prirent en amitié. Il va sans dire que fort de cette réputation, il n’eut plus jamais besoin de frapper quiconque.

    Mais c’est surtout en sport qu’il apprit les fondamentaux de la vie :

    – Le respect de l’autre

    – La discipline

    – Le goût de l’effort et du dépassement de soit même.

    Sa croissance n’étant pas terminée, il faisait beaucoup rire ses professeurs qui le surnommaient « Chamallow », tant il manquait de puissance mais pas d’élasticité. « Chamallow » fit donc de l’athlétisme, mais aussi de la gymnastique, barre fixe, barres parallèles, cheval de saut, cheval d’arçons, mais pas d’anneaux pour les raisons de puissance exposées ci-dessus. Son professeur de gymnastique disait au début « Chamallow tu vas t’étoffer et tu devras faire élargir les portes de chez toi ». Hélas trois ans après il ne le disait plus. A dix huit ans Chamallow ne s’était toujours pas élargi. Ce qui ne l’a pas empêché de se présenter aux championnats de Paris où il fut classé avant-dernier.

    Tous les hivers, ils partaient deux semaines durant au ski avec les professeurs de sport qui tentaient de leur inculquer les rudiments de la glisse. Pour sa part, Robert y apprit surtout la vie en collectivité, en dehors de l’école. Bien des années après, et même s’il n’avait plus sa condition physique d’adolescent, il pouvait encore faire quelques belles descentes et il leur fut sincèrement reconnaissant de lui avoir appris les techniques de base qu’il n’aurait jamais imaginé pouvoir appréhender.

    Pour ce qui est des matières théoriques, dire qu’il était nul en maths est peu de l’affirmer tant les profondeurs du gouffre de ses lacunes étaient abyssales. Il était incapable d’effectuer une division avec une virgule, sa moyenne annuelle au collège ne dépassant pas le zéro et non l’infini. Il dut réapprendre les mathématiques, arithmétique, algèbre et géométrie depuis le programme de sixième. A cette tache titanesque s’était attelé un professeur de maths exemplaire qui avait deux règles auxquelles il ne dérogeait jamais :

    1 – ne pas accepter un quelconque sourire, sous peine d’exclusion du cours.

    2 – ne pas donner de devoirs sur table, après le repas de midi.

    Il faut dire que s’il était un excellent pédagogue, il était également alcoolique et gros buveur de vin. Les exposés magistraux partaient souvent en vrille et fort de son pied chaussé taille 46 qu’il posait avec fracas sur leurs pupitres, il les excluait de la salle, avec non moins de fracas pour une esquisse de sourire. « Vous avez ri ! » disait-il, et il ajoutait « Dehors ! ». Comme ils avaient l’insouciance de la jeunesse, les cours finissaient souvent avec un auditoire réduit à peau de chagrin, la majeure partie des élèves de la classe étant assise, hilare sur un banc à l’extérieur. Il dut également apprendre péniblement, l’électricité, la mécanique, l’électromécanique et l’électronique pour lesquels il n’avait aucun goût. Il compensait ses lacunes, en caricaturant ses professeurs pendant les cours et en apprenant par cœur les différentes technologies des matériaux utilisés en électricité ce qui lui permettait de maintenir sa moyenne scolaire. Cet apprentissage « par cœur » lui permit de développer une bonne mémoire visuelle, mais aussi de débiter aux contrôles oraux du CAP des pages entières de cahier de technos devant l’examinateur médusé. Au final, il n’eut jamais à utiliser ces disciplines professionnellement. Mais elles lui restèrent à jamais inculquées et il apprécia plus tard, de pouvoir les utiliser pour prouver sa connaissance du terrain aux équipes d’ouvriers qu’il dirigeait sur les chantiers ou tout simplement pour bricoler les week-ends.

    A 18 ans il sortit de l’école de la RATP, fier de ses deux Certificats d’Aptitude Professionnelle, mais aussi fier d’intégrer une Régie Autonome des Transports Parisiens dont il n’avait pas la moindre idée.

    La mutation du canard

    Robert démarra sa carrière à la RATP par un beau matin de septembre 1977 au service « TC Télécoms », dans une petite unité de maintenance des installations de télécommunications ferroviaires basée sur le RER de la ligne A, à la station Saint Maur-Créteil. Il découvrit un peu plus tard que la discipline télécoms, parent pauvre des techniques dans l’entreprise, lui était totalement étrangère et que son CAP ne l’y avait absolument pas préparé. Il apprendra bien plus tard qu’il était de notoriété publique que seuls les punis et les mal notés étaient affectés à ce service. C’est pourquoi, il fut brièvement accueilli par son responsable d’encadrement, jeune Inspecteur Principal, costume-cravate et propre sur lui, qui l’expédia au plus vite, sans la moindre présentation du service ni explication sur l’activité de celui-ci. Il le confia à son « secteur ».

    Le terme « secteur » désignait à l’époque l’équipe locale de maintenance constituée de ses collègues, mais c’était aussi le local minuscule ou ils prenaient leurs service et leurs pauses. Robert devait vite découvrir que le « secteur » qu’il venait d’intégrer était en fait… une meute.

    La meute était constituée de personnalités toutes plus fantasques et originales, les unes que les autres, et affublés de surnoms incroyables. Le mélange des genres était explosif et ingérable, et le groupe évoluait en osmose chaotique. C’est avec le Gruton, personnage douteux à la quarantaine énergique, beau parleur, mais aussi voleur et quelque peu mythomane, qui tenait sous son influence Gégé, un compère mou à la trentaine influençable, que Robert devait réaliser sa première après midi de travail professionnel.

    Après un déjeuner avec la meute, bien arrosé au bistrot situé en face du secteur, les voilà partis à 14 h00 dans la Renault 4L de service, Gruton au volant, Gégé passager et Robert assis à l’arrière.

    La 4L prend le chemin des bords de Marne et après une dizaine de kilomètres, finit par stationner devant le portail d’un pavillon de banlieue. Cette destination lui paraissait bien curieuse mais Robert était malgré tout impatient de découvrir ses premières installations techniques. Ils pénétrèrent dans le pavillon de banlieue et Robert commença à comprendre qu’ils ne se trouvaient pas dans un local technique. Une montagne de vaisselle s’entassait dans l’évier et sur la table de la salle à manger. Là, le Gruton le regarda et il lui demanda goguenard : « tu préfères la laver ou l’essuyer ? »

    Et Robert s’entendit répondre indifférent « je préfère la laver ». C’est donc Gégé qui l’essuierait. Ils s’attelèrent donc à la montagne de vaisselle tandis que le Gruton les accompagnait au piano qui trônait dans le salon. Pas chien, il leur offrit même un cognac et un cigare.

    Deux heures se passèrent, la vaisselle était terminée et le Gruton annonça « Jeune, on va te ramener au secteur ! ». La 4L reprit le chemin inverse, puis se gara devant le local. Le Gruton le prévint « Si on te demande quelque chose, tu diras que nous étions au TCTK de Boissy Saint Leger, en train de câbler des têtes AIRLB ». Et les voilà repartis. Il va sans dire que Robert aurait été bien incapable de répéter ni les termes techniques employés, ni le lieu. Il ne savait rien. D’ailleurs on ne lui demanda rien. A seize heures la meute lui annonça qu’il était l’heure de débaucher, ce qu’il fit.

    Le deuxième jour, un dénommé Provoc, l’emmena travailler avec lui à Vincennes dans un vrai TCTK. Pour la petite histoire, le TCTK était un local de télécommande et télécontrôle des installations de télécommunications ferroviaires, rempli de têtes de câblage et mesurant 20 m2. Tout ceci tiendrait dans un disque dur aujourd’hui. Le Provoc prépara un cartable en cuir qui contenait l’outillage nécessaire au chantier, les plans de câblage, un fer à souder et un rouleau de jarretière, fin câble de télécoms bicolore à souder. Les voilà partis en RER vers Vincennes. Robert portait la sacoche. Le Provoc portait un tabouret et un livre sous le bras. Arrivé sur place, le Provoc, pédagogue, entreprit de le faire réellement travailler. « Jeune, tu vas me câbler et souder toute les têtes AIRLB. Je t’indiquerai les positions avec le plan de câblage. » Robert commença donc, debout devant le bâti, à câbler et à souder toutes les positions du plan.

    Le Provoc se tenait derrière lui, assis sur le tabouret. Il dicta les positions du plan durant… vingt minutes. Puis il finit par se plonger dans la lecture du livre qu’il portait sous le bras. Le chantier durera une semaine, Robert debout, lisant le plan, câblant et soudant. Lui assis sur son tabouret et lisant son livre. Robert découvrir bien plus tard que Provoc le « lecteur », était un délégué syndical, reconnu par ses pairs comme étant le chef de la meute. En vrai cerveau de la bande, il ne lui avait pas fait le coup du carnet. A cette époque tous les anciens avaient un carnet, véritable instrument de pouvoir, qu’ils gardaient jalousement dans leur poche et qu’ils ne montraient pas aux jeunes. Le passage de l’état « jeune » à l’état « ancien » se matérialisait au fil des jours par la fabrication de son propre carnet qui remplaçait la documentation ou les plans de câblage. Il faut dire que celle-ci était rare. Provoc lui attirera plus tard, beaucoup d’ennuis, en l’impliquant malgré lui dans une action syndicale. Provoc aurait du être muté disciplinairement au motif inavoué qu’il était l’agitateur de la meute. Il entraîna celle-ci avec beaucoup d’habileté dans une action collective et il incita tous les membres du groupe à adhérer aux Autonomes qui était le syndicat majoritaire à la RATP. L’affaire prit une telle ampleur qu’elle mena jusqu’à une négociation entre le secrétaire du syndicat Autonomes et la direction du service. Le cas Provoc fut réglé de la façon suivante : le dernier arrivé et le plus jeune dans le grade le moins élevé serait muté (Robert) à sa place et le dit-Provoc ne fut plus jamais inquiété.

    En fait Robert avait été immédiatement repéré par le directeur du service qui considéra qu’il n’avait rien à faire, sortant de l’école, dans un groupe comme celui-ci et qu’il valait mieux l’affecter ailleurs. Mais comme toute décision prise à cette époque, celle-ci ne fut pas vraiment mise en œuvre. Robert écopa d’un blâme et il resta très longtemps au secteur avec cette épée de Damoclès au dessus de la tête. Il revit toutefois son jeune inspecteur gratte papiers, surnommé le Mille Feuilles, qui tenta de lui expliquer son blâme, comme une progression de notation, en traçant une asymptote, au moyen d’un papier et d’un stylo, et lui disant que c’était tout à fait normal. Ce à quoi Robert répondit en lui ôtant le stylo des mains et en lui traçant sa propre courbe de progression : une horizontale située au sommet de l’axe. Ils se quittèrent définitivement sur cette divergence de point de vue philosophico mathématique de bazar.

    Cette vie au sein de la meute, dura deux ans, organisée en services de trois-huit parmi les autres compères, durant laquelle Robert resta spectateur de sa vie.

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