l est probable que vous ne connaissez pas Saint-Sevan : c’est une petite ville encaissée au cœur des Alpes, méprisée par les industriels, et ignorée des touristes depuis que la gare a été fermée. Bien sûr, cet isolement crée des difficultés pour nos enfants, qui sont contraints de s’éloigner dès qu’ils ont l’âge de chercher du travail. Les plus brillants arrivent à se faire engager à Genève, les autres partent à Lyon, ou même à Paris. Ils se jurent tous de revenir à Saint-Sevan quand ils pourront prendre leur retraite, mais d’ici là… Nous autres, qui sommes plus âgés et qui avons pu rester dans notre ville, nous nous y ennuyons parfois un peu, parce qu’on se connaît tous et qu’il ne s’y passe pas grand-chose. Mais on se console en lisant dans les journaux tout ce qui arrive d’épouvantable dans les grandes villes. Crimes, viols, agressions, cambriolages… A Saint-Sevan du moins, nous nous sentons à l’abri de ces catastrophes !
Nous n’avons connu qu’une seule affaire criminelle, par chez nous. Et bien sûr, c’est survenu autour de cette pauvre Sophie !
A Saint-Sevan, tout le monde connaissait Sophie. On l’aimait bien, et surtout on la plaignait, parce que le sort semblait s’être toujours acharné contre elle. Son père était l’unique médecin de la ville. Les plus vieux se souviennent qu’il avait fêté la naissance de sa fille en offrant à boire à tous ses patients, tellement il était fier et heureux d’être devenu père. Avant même qu’elle n’apprenne à parler, il prédisait qu’elle serait avocate, ou ministre. Il avait prévu de l’envoyer suivre ses études dans les plus prestigieuses écoles internationales. Malheureusement, un soir d’hiver où il avait dû aller soigner plus de patients que d’habitude, il a perdu le contrôle de sa Mercedes, qui a basculé dans le ravin des Trois-Diables.
A 7 ans à peine, Sophie se retrouvait orpheline.
Sa mère ne travaillait pas. Il a fallu qu’elle vende précipitamment la villa familiale, et elle s’est remariée avec un