Mémoire d'un fils unique: Mes sentiments de jeunesse sur la vie, la guerre, et l'amour entre 1939 et 1969
Par Michel Gervais et Marc Gervais
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À propos de ce livre électronique
Michel Gervais
Mémoire d'un fils unique
Je n'ai jamais vraiment éprouvé la guerre. C'est normal pour un enfant. Je sentais que les choses n'étaient pas normales, comme quand on sortait avec mon père. Mais tu sais, l'enfant il s'en fout un peu ! C'était pendant la guerre, mais j
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Aperçu du livre
Mémoire d'un fils unique - Michel Gervais
Préface
Ma sœur Cathie s’est occupée de mon père dès qu’il n’a plus pu le faire lui-même, parce qu’elle seule vivait encore en région parisienne, et aussi (à mon sens) parce qu’elle est une femme. Assurer que quelqu’un soit là pour sa toilette et ses soins à domicile, le ménage, les courses, ses repas, toutes ces responsabilités lui incombaient, en plus des appels quotidiens et des visites hebdomadaires qu’elle lui rendait. Mon frère David se déplaçait tous les mois pour le voir, depuis la Normandie. Et il s’occupait de la gestion de ses biens—et s’occuper de maisons vides n’est pas une mince affaire. Et moi, qui vivait à l’étranger, je me contentais de l’appeler de temps à autre en croyant bien faire, mais sans m’apercevoir de la légèreté de ma tâche...
Un jour, ma sœur nous a imploré à mon frère et à moi d’appeler mon père plus régulièrement : « Si vous ne le faites pas pour lui, faites-le pour moi ! » Elle savait à quel point il appréciait un simple appel de notre part. Un simple appel… On a tenu promesse. J’ai commencé à appeler mon père toutes les semaines, et puis bientôt presque tous les jours. Je ne le savais pas encore, mais cette supplique de ma sœur allait devenir le plus beau cadeau qu’elle puisse me faire.
Au début, mon père et moi parlions de nos petits faits de la vie quotidienne, de la pluie et du beau temps comme on dit. Je parlais plus que lui ; c’était normal, j’étais engagé dans le monde : je sortais, je voyais des amis, je m’occupais des petites tâches, et parfois des plus grandes. Mais cela restait assez monotone, et puis j’avais envie qu’il participe plus à nos conversations. C’est ainsi que je lui ai demandé de me raconter sa vie. Je connaissais peu de sa jeunesse, cette époque avant nous, les enfants. (À part les quelques histoires que ma grand-mère m’avait racontées.) Mon père était tout content de me raconter ses histoires d’enfant enfouies dans sa mémoire. Et petit à petit, j’ai découvert cet enfant, cet homme qu’était mon père.
À 55 ans je croyais connaitre mon père. Au fil des aventures, de ses pensées intimes—qu’il me livrait intactes 60 à 80 ans plus tard—j’ai pris conscience de sa délicatesse d’âme. Il l’avait si bien cachée (bien à son insu) dans ce rôle de père « maitre à bord » que nous lui connaissions. Papa, j’ai appris à te connaitre dans toute ton humanité, et à t’aimer de tout mon cœur—quelle aubaine !
Marc
Tous ces souvenirs qui s’enterrent dans ma mémoire et qui sont difficiles à ressortir… C’est bien que tu m’interroges là-dessus, c’est la bonne méthode. Et puis il est temps que tu le fasses, parce que bientôt je ne saurais rien du tout !
Boulogne-Billancourt
1939-1942
A picture containing text, outdoor, bus, old Description automatically generatedAu début de la guerre on habitait à Boulogne-Billancourt, dans un immeuble sur une artère principale qui donnait sur le Vieux Pont de Sèvre, l’avenue Edouard Vaillant. Je ne me sais plus le numéro. Ma mère me répétait souvent cette adresse. Elle voulait être sûre que je la connaisse, des fois que je me perde. (Si quelqu’un rencontrait un enfant qui lui donne cette adresse, il y avait des chances que ce soit moi !) On avait déménagé une première fois, parce qu’on avait l’impression d’être sous les bombardements. ¹ Ça n’avait pas changé grand-chose, on était rue Rieux avant. Les usines Renault étaient sur l’ile Seguin. Des belles usines toutes neuves qui travaillaient pour les boches. On s’était réfugié là, c’est con quand même² !
Il y avait une librairie en bas de notre immeuble. On était au 3e il me semble, et j’empruntais les escaliers pour y aller. J’y étais tout le temps fourré. Je m’intéressais aux bouquins, tous les bouquins et pas seulement ceux de la bibliothèque verte. Elle était tenue par une demoiselle Suchet. Ma mère était toute contente que je puisse m’y rendre. Peut-être que mes parents avaient choisi ce logement parce qu’ils savaient que j’adorais lire ? La librairie était bien achalandée mais j’avais quand même cette impression qu’elle n’était pas rebondissante de vie ; les étagères n’étaient pas vides pourtant…
Je me rappelle très bien des bombardements. Les sirènes hurlaient et on se précipitait dans la bouche du métro. Il y avait beaucoup de monde. On se retrouvait debout sur les quais. Parfois on marchait dans les tunnels pour plus de sécurité. On attendait. On n’entendait pas les bombes tomber. On sentait des vibrations sourdes. On se sentait protégés, mais c’est vrai qu’on ne l’était pas vraiment. Heureusement, le métro n’a jamais été touché. Quel carnage ça aurait fait ! Je sentais que ma mère ne se sentait pas à l’abri. Ce n’était pas vraiment éprouvant pour moi, c’était éprouvant pour ma mère. Je ressentais cette peur qu’elle avait. Moi ça allait pourtant, peut-être parce que mon père n’avait pas peur, ou qu’il ne le montrait pas. Les sirènes hurlaient de nouveau pour nous laisser sortir. C’est un réflexe de moutons, se retrouver tous ensemble là-dedans. Ça durait une heure environ, généralement de jour.
Ils bombardaient les usines Renault. Les Anglais avaient des chasseurs qui volaient bas et portaient chacun une bombe. C’était plus ciblé. Et les Américains, c’était le tapis de bombes.³ En sortant avec mon père une fois, on a vu cet immeuble complètement parti. Il y avait une baignoire en porte à faux, encore bien attachée, au quatrième étage, ou au cinquième peut être. Et moi, je regardais cette baignoire et je m’attendais à voir quelqu’un qui pointe le nez au-dessus du bord, avec les mains de chaque côté du visage ! Ça faisait une drôle d’impression. On en a parlé avec mon père mais je ne me souviens pas ce qu’on s’est dit. On ne parlait pas de la guerre mon père et moi, c’est avec ma mère que j’en parlait.
Je faisais du patin à roulettes à Boulogne, des tours sur les grands trottoirs de l’avenue avec des patins très bruyant ! Je devais être avec mon père. Ma mère n’aimait pas se promener à cause de sa jambe. Il y avait aussi des trottinettes avec une pédale à l’avant pour avancer mais j’avais le modèle sans pédale. Une fois je faisais des vas et viens sur le trottoir et les gens m’ont demandé de partir, des gens qui habitaient là je crois, en bas au rez-de-chaussée ?
Je n’ai jamais vraiment éprouvé la guerre. C’est normal pour un enfant. Je sentais que les choses n’étaient pas normales, comme quand on sortait avec mon père. Mais tu sais, l’enfant il s’en fout un peu ! C’était pendant la guerre, mais je vivais ma vie de gosse. J’avais entre 5 et 10 ans.
Les premiers bombardements alliés sur Paris ont eu lieu dans la nuit du 3 mars 1942 : frappe d’envergure de la Royale Air Force (R.A.F.) visant l’outil industriel français au service de l’ennemi. Les Anglais choisissent l’usine Renault sur l’ile Seguin, un site de production important (voitures, camions, blindés, moteurs d’avions…) à l’orée de Paris. Le 1er Mars 1942, soucieux d’épargner la vie d’innocents civils, la R.A.F. largue des tracts à destination de la population civile l’enjoignant de quitter les zones résidentielles à proximité des « usines travaillant pour le compte d’Hitler ». Dans la nuit du 3 mars 1942—une nuit de pleine lune permettant de voir les cibles sur le terrain--des centaines d’avions de la R.A.F. larguent plusieurs tonnes de bombes sur Boulogne-Billancourt, à 21h et une deuxième à