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La Rawette: La Seconde Guerre mondiale à travers les yeux d'une petite fille
La Rawette: La Seconde Guerre mondiale à travers les yeux d'une petite fille
La Rawette: La Seconde Guerre mondiale à travers les yeux d'une petite fille
Livre électronique168 pages2 heures

La Rawette: La Seconde Guerre mondiale à travers les yeux d'une petite fille

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À propos de ce livre électronique

Que signifiait l'occupation pour les familles belges de l'époque ?

Un de mes petits-fils m'a demandé un jour si nous avions fait de la résistance, caché des juifs pendant la guerre. J'ai répondu que non en parlant de notre ignorance, de l'exiguïté de notre rez-de-chaussée, du problème de ravitaillement, de l'occultation… Un fossé d'incompréhension nous séparait. J'étais bloquée par l'impuissance à lui expliquer les choses. Comment évoquer les années d'occupation en une phrase ? " Je te raconterai un jour comment j'ai vécu la guerre de treize à dix-huit ans, en détails. " J'ai tenu parole : c'est La Rawette. L'histoire d'une gamine et d'une famille modeste dans la banalité du quotidien, ce qui n'empêche pas les contrecoups violents des événements et du régime en place, ni les fulgurances de l'imaginaire d'une adolescente heureuse de vivre, envers et contre tout.

Un témoignage poignant qui nous plonge dans la réalité quotidienne des années d'occupation

EXTRAIT

Des trois ans passés à Malines (Mechelen), j’ai quelques souvenirs.
Une photographie prise devant notre demeure montre la famille au grand complet : mes parents, proches de la quarantaine, et deux grandes filles, l’une, blonde comme les blés, Berthe, l’autre, châtain, les mains derrière le dos, longue et bien faite, Marthe. Dans les jambes de ma mère, un petit bout aux cheveux bouclés, au regard grave, c’est moi, la rawette.
C’est ainsi que mon père m’appelait en wallon :
– Mi p’tite rawette…
Un mot qui n’a pas son équivalent en français et qui désigne le petit plus qu’un commerçant ajoute à votre commande avec un clin d’œil complice : une tranche de saucisson ou un abricot en prime. Cette aimable pratique ne se vit plus que sur les marchés. Elle nécessite une relation directe et cordiale entre le vendeur et l’acheteur, perdue à jamais dans nos grandes surfaces. Un mot bien choisi puisque je suis née dix ans après la deuxième fille, rompant l’harmonie du quatuor familial, inattendue, mais accueillie. Quand j’ai saisi le sens de cette étiquette, je balançais entre l’humiliation d’être ce petit rien et la satisfaction d’être ce qui fait plaisir. En somme, quelque chose qui n’a pas de prix.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Louise Lacharon, née en 1926, a longtemps mené de front son métier de professeur, ses activités de responsable syndicale et de citoyenne engagée ainsi que sa vie de mère et de grand-mère. Ce n'est donc qu'à l'âge de la retraite qu'elle a enfin pu répondre à son désir d'écrire. Son premier livre, Le Jardin d'Enfance, présenté par Le Ligueur, préfacé par Gilles Perrault, a été édité à Paris en 2002.
LangueFrançais
ÉditeurDricot
Date de sortie2 mars 2017
ISBN9782870955444
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    Aperçu du livre

    La Rawette - Louise Lacharon

    Monique

    Née dans une rue qui n’existe pas.

    Ma mère, mes sœurs me l’avaient dit et répété :

    – Tu es née à Courcelles, rue Georges Patyn, numéro 3.

    J’ai voulu voir cette, maison natale. J’en avais tant parlé à Paul qu’il a proposé de m’y conduire dans sa petite voiture. Ça nous paraissait facile puisque je connaissais l’adresse. Il n’y aurait qu’à aller à la maison Communale. Pas si simple : le nom de la rue ne disait rien à l’employé fort aimable qui nous a reçus, mais il allait consulter les archives. Il est revenu bredouille : la rue n’existait pas ; il n’y en avait aucune trace.

    Mon indignation ne servait à rien. Je réfléchis et me rappelai que c’était plutôt Courcelles-Petit, sur la route de Gouy-lez-Piéton, dans une cité ouvrière, une cité ouvrière construite par l’usine où mon père travaillait, oui, chez Bollinckx, je crois…

    Là, le visage du type s’était éclairé :

    – Ah ! la Cité Bollinckx, ça, je connais… Et il nous avait indiqué la route à suivre.

    J’avais en tête, d’après l’évocation de ma mère, une jolie maison unifamiliale avec un beau jardin où je courais par tous les temps, même quand il y avait de la neige, avec mon lapin blanc sur les talons… Ce que nous avons trouvé, c’était sinistre ! Des petites bicoques délabrées, certaines en ruines, plus ou moins en cercle, avec un vieux puits au milieu, le seul point d’eau potable à l’époque. Ma mère m’avait dit qu’il n’y avait pas d’eau courante dans la maison, ce que Marthe nie aujourd’hui avec énergie. Qu’importe : le puits était là en tout cas. Du numéro trois, que je regardais de trop près, est sorti un vieil homme au regard glauque. Il était inquiet de voir ces étrangers examiner si minutieusement son antre…

    Nous sommes repartis après un dernier coup d’œil. Ma vision idyllique avait éclaté comme une bulle de savon. Paul a dû me consoler : on avait quand même retrouvé l’endroit où j’étais née, on pouvait imaginer que ça avait été charmant, nouvellement construit…

    Jamais, en retournant sur place voir les lieux retenus par ma mémoire d’enfant, je n’ai réussi à faire coïncider la vision réelle et mon souvenir, même si les choses semblaient relativement bien conservées. Je me suis souvent demandé pourquoi. Jules Supervielle, à juste titre, dénonce poétiquement notre Oublieuse Mémoire qui nous transforme tout en faisant semblant de tout garder. Une autre raison tient aux dimensions de l’enfant et à la hauteur de son regard. Mettez-vous à quatre pattes et regardez autour de vous : c’est le regard du chien ou du bébé « rampeur ». Mettez-vous à genoux, c’est le regard du jeune enfant. Comment la grande personne pourrait-elle retrouver la vision du petit d’homme avec sa perspective et son échelle à lui ? Comme je tiens plus à mon album intérieur qu’à maîtriser la réalité, j’ai presque peur de retourner à ces lieux chers qui ne me reconnaissent pas…

    Malgré le lapin blanc, je n’étais pas née au Pays des Merveilles.

    Pourtant, il avait existé, ce lapin blanc, en chair et en os. Ma sœur Berthe se rappelait qu’il me suivait comme un chien dans toute la maison. Bien nourri, il devenait énorme. Aussi le voisin avait-il jugé qu’il était temps de le passer à la casserole. Il avait cru rendre service à mes parents en le trucidant à leur place. Ma mère ajoutait que, – pauvre bête ! –, il était mort pour rien : personne n’avait pu en manger. Moi, j’avais pleuré pendant trois jours en le cherchant dans tous les coins et les recoins de mon domaine…

    On m’a raconté aussi que je réclamais ma chome avec force sans que personne comprît ce que je voulais. On m’a tout montré, paraît-il : mes jouets, les objets familiers, des vêtements… Je jetais tout par terre du haut de ma chaise et je répétais désespérément, sur tous les tons :

    – Chome ! Chome !

    Même aujourd’hui, je donnerais gros pour savoir ce que désignait ce mot bizarre émergeant de mon babil.

    Ce fut ma première colère face à l’incompréhension du monde !

    En pays flamand…

    Des trois ans passés à Malines (Mechelen), j’ai quelques souvenirs.

    Une photographie prise devant notre demeure montre la famille au grand complet : mes parents, proches de la quarantaine, et deux grandes filles, l’une, blonde comme les blés, Berthe, l’autre, châtain, les mains derrière le dos, longue et bien faite, Marthe. Dans les jambes de ma mère, un petit bout aux cheveux bouclés, au regard grave, c’est moi, la rawette.

    C’est ainsi que mon père m’appelait en wallon :

    – Mi p’tite rawette…

    Un mot qui n’a pas son équivalent en français et qui désigne le petit plus qu’un commerçant ajoute à votre commande avec un clin d’œil complice : une tranche de saucisson ou un abricot en prime. Cette aimable pratique ne se vit plus que sur les marchés. Elle nécessite une relation directe et cordiale entre le vendeur et l’acheteur, perdue à jamais dans nos grandes surfaces. Un mot bien choisi puisque je suis née dix ans après la deuxième fille, rompant l’harmonie du quatuor familial, inattendue, mais accueillie. Quand j’ai saisi le sens de cette étiquette, je balançais entre l’humiliation d’être ce petit rien et la satisfaction d’être ce qui fait plaisir. En somme, quelque chose qui n’a pas de prix. On m’appelait aussi « la petite » ou « Coco ». J’ai toujours apprécié d’être la cadette. Cela donne une position confortable de second plan, un poste d’observation assuré, un tendre besoin de protection, un privilège de câlins réservés aux plus jeunes. Malgré les bousculades de ma grande sœur qui me disait plus volontiers :

    – Circule, morpion !

    Au grand dam de notre maman, offusquée sans que je comprenne pourquoi.

    * * *

    Nous habitions le haut d’une, maison près de la gare, Groenstraat : le premier et le deuxième étage reliés par un escalier tournant qui descendait jusqu’au rez-de-chaussée. Un très méchant escalier : c’est en y tombant que je me suis cassé le nez, à quatre ans, au cours d’une bagarre entre Marthe et mon père.

    Une peccadille mettait ma sœur aînée en fureur. Elle estimait que chacun lui voulait du mal depuis sa venue sur terre, que la poisse était son lot ! Évidemment, elle avait le morceau de tarte le plus petit ; évidemment, on avait emprunté son collier sans rien lui demander ; évidemment, on lui avait encore chiffonné sa plus belle robe, caché son parfum préféré. Le ton montait, elle accusait l’un ou l’autre en avertissant qu’elle ne se laisserait pas faire. Que si on la cherchait, on la trouverait ! Elle bousculait, criait, injuriait et finissait par frapper. Elle avait des mains aussi fortes qu’un homme. À seize ans, une lionne. Berthe, de deux ans plus jeune, souvent prise à partie, avait pour tactique de lui répondre vertement, voire de la gifler vite fait bien fait, avant de prendre la fuite à toutes jambes. Mon père, lui, atteint dans sa virilité et décidé à dominer sa garce de fille, se battait carrément avec elle. Ma mère, pâlissant, tentait alors de les séparer et disait des choses apaisantes et inutiles de sa voix douce. Un jour, elle avait intercepté sur un tibia le sucrier lancé à travers la pièce. La vue du sang n’avait pas arrêté les antagonistes : ils avaient trouvé une raison supplémentaire de s’accuser mutuellement. Dès que la violence se déclenchait, moi, je reculais dans un coin, terrifiée, assise sur mes talons en mangeant mes poings, le cœur battant à se rompre. J’ai dû reculer par deux fois trop près de l’escalier où la bagarre m’a précipitée. La seconde fois, j’ai dévalé les marches jusqu’en bas en roulant sur moi-même. J’étais presque assommée, le visage et les mains tuméfiés…

    Il en fallait plus que ça pour voir un médecin. Pas d’argent à gaspiller, pas de téléphone, encore moins d’auto. Tout ça, c’était bon pour les riches ! Ma mère s’était contentée de désinfecter les plaies, d’y mettre des compresses d’eau froide à la teinture d’arnica. Je m’étais calmée, donc tout irait bien avec un peu de repos, n’est-ce pas…

    Un an plus tard seulement, on constatait la fracture nasale au hasard d’une bêtise énorme : je jouais à faire des colliers et quand j’en avais eu marre d’enfiler les perles, j’avais trouvé agréable d’en pousser dans mes narines. J’en ai enfoncé une trop loin et mon nez s’est mis à saigner. Là, quand je l’ai appelée, ma mère a compris le danger et, cette fois, elle a pris peur. Plutôt que de me gronder, elle m’a emmenée tout de suite chez le docteur. J’ai le souvenir d’une goutte de sang qui tombait sur le trottoir à chaque pas. On aurait pu nous suivre à la trace…

    Il était temps : la perle était déjà dans le sinus. Le médecin l’a retirée avec une longue pince, non sans peine, et s’est exclamé :

    – Mais cette enfant a le nez cassé et fameusement ! Qu’est-ce qui est arrivé ?

    Alors ma mère, gênée, s’est souvenue de mes chutes dans l’escalier.

    – Si vous étiez venue avec la petite immédiatement, il aurait suffi de lui pincer fortement le nez pour remettre l’os en place : à cet âge-là, cet os, c’est encore du cartilage. Maintenant, c’est trop tard, la fracture s’est ressoudée, il faudrait opérer…

    Et voilà pourquoi j’ai passé toute ma vie avec un nez cassé qui saisit tous les oto-rhinos et qui contribue à ma phobie de la pellicule. Bien sûr, avec une perle se baladant dans mon cerveau, mes divagations eussent porté à de plus redoutables conséquences. Finalement, je ne m’en tirais pas trop mal : si j’ai le nez de travers, j’ai les idées plus ou moins en place !

    * * *

    Comment mes parents, aussi parfaitement unilingues, se débrouillaient-ils en terre flamande ?

    Ma mère, femme au foyer, arrivait à faire ses achats sans trop de peine : un commerçant est toujours polyglotte.

    Mon père travaillait comme employé au Bureau d’Achats d’une usine française, chez Rateau, donc pas de problème.

    Marthe y avait trouvé un petit emploi de dactylo, momentanément, avant de terroriser un jour son chef de service, barricadé dans son bureau pour échapper à ses menaces de mort exagérément prises au sérieux. Tout le monde ne pouvait pas avoir notre accoutumance ! Mon père avait été appelé d’urgence de son département pour délivrer le haut cadre, lamentablement en sueur. En attendant ce coup d’éclat, Marthe y travaillait en français.

    Berthe était la plus mal lotie : elle fréquentait une École Moyenne catholique strictement flamande. Elle ne comprenait rien, ne suivait pas. Cependant, elle tirait une grande satisfaction à initier ses compagnes de classe au français. Certaines commençaient à le parler couramment, c’était sa fierté. Les religieuses qui y donnaient cours ne partageaient pas son point de vue. Elle revint un jour à la maison en pleurs et avec une joue enflée : Sœur Marie-Josèphe l’interrogeait en vain sur la solution d’un problème auquel Berthe ne comprenait goutte. La bonne sœur n’avait pas supporté le sourire insolent de son élève et lui avait envoyé une torgnole doublement magistrale. Berthe prétendait que cette enseignante lui en voulait surtout depuis qu’elle l’avait découverte par hasard derrière une porte sans son voile et le crâne nu comme une bille. Au bout de l’année, Berthe était définitivement dégoûtée de l’école.

    En ce qui concerne nos distractions, pas de problème de langue non plus. Le samedi, nous allions tous au « Walhalla », un café de la Grand-Place. Un paradis germanique généreusement réservé, un soir par semaine, à un Cercle Wallon dont mes parents faisaient partie. L’atmosphère était joyeuse. J’ai le souvenir d’une musique forte et envoûtante, piano, orchestre ou accordéon, je ne sais plus, mais, aussitôt, la piste de danse m’attirait comme un aimant. Je m’y lançais seule, sortie de ma timidité comme par enchantement, virevoltant bientôt au rythme des variations, tour-billonnant comme un papillon fou. Je terminais sous les applaudissements amusés du public. Il me semble que, par le seul langage du corps, je venais de trouver, bien au-delà du succès, le moyen divin d’exprimer mon bonheur de vivre.

    Tard dans la soirée, il venait un moment imprévisible où je m’écroulais dans un fauteuil, épuisée, et Morphée m’emportait furtivement dans un sommeil massif en dépit du brouhaha ambiant. Pour rentrer à la maison, mon père me prenait sur son dos, tout endormie. Je nouais instinctivement mes mains autour de son cou et je percevais obscurément ses

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