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J'ai survécu, pas elle
J'ai survécu, pas elle
J'ai survécu, pas elle
Livre électronique229 pages3 heures

J'ai survécu, pas elle

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À propos de ce livre électronique

Me voici au Bon Pasteur de Marseille, une maison de redressement, véritable prison pour enfant. Pourtant je n'ai commis aucun délit. Le suicide de mon père étant toute petite, le meurtre barbare de ma mère qui n'a jamais trouvé la fibre maternelle, mariée uniquement pour fuir un père despotique, le suicide quelques années plus tard de ma soeur aînée seraient donc des drames dont la vie devrait me faire payer le prix ? De gardiennes en orphelinat, de nourrices en pensionnat, ma vie n'est accrochée à rien. Mais elle existe et n'appartient qu'à moi. Je m'appelle Muriel. J'ai 12 ans. Le sort s'est peut être trouvé un souffre douleur. Il est peut être puissant. Mais il ignore la force d'une vie qui n'a plus rien à perdre.
LangueFrançais
Date de sortie31 oct. 2014
ISBN9782312028484
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    J'ai survécu, pas elle - Muriel Chavagne

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    J'ai survécu, pas elle

    Muriel Chavagne

    J'ai survécu, pas elle

    LES ÉDITIONS DU NET

    22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes

    © Les Éditions du Net, 2014

    ISBN : 978-2-312-02848-4

    Dans la lecture de cet ouvrage, vous ne trouverez pas une grande œuvre littéraire, mais tout simplement le récit d’une histoire sans prétention, une histoire vraie, la mienne.

    Je suis née à Versailles le 28 décembre 1949 à 4h30, un mardi, un jour de la semaine sans grand intérêt, serait-ce un signe ? Il fait froid, c’est l’hiver, les premiers mots de ma mère sont : « Encore une fille ! ». En effet j’avais déjà une grande sœur, Martine, âgée de 2 ans. Maman aurait préféré un garçon.

    Je suis un bébé qui pleure le jour, pleure la nuit, pleure encore et encore. Je suis paraît-il capricieuse, insupportable, on voudrait me jeter par la fenêtre, je pleure trop et trop fort, pourquoi, que se passe-t-il en moi ? J’ai faim… Ma grand-mère paternelle, Louise, une veuve de la guerre 14-18, boit mon lait, oui elle boit mon lait concentré sucré, c’est bon, elle aime cela. Je suis maigre, pâle, je fais du rachitisme, mes petites jambes s’arquent. Mes dents poussent mal, j’ai l’air d’un petit chat écorché.

    Plus tard il faudra faire arracher mes dents de « lait ». Triste ironie, elles sont devenues de douloureux chicots, compromettant la pousse de mes dents de « grande ». Elles seront laides ces nouvelles dents, ayant été privées de cette substance vitale qu’est ce lait de l’enfance qui m’a tant manqué.

    Cette grand-mère n’aura aucune affection, nulle compassion pour moi (elle le prouve en m’affamant). Elle qui était chargée de prendre soin de ce bébé, le bébé de son fils unique !

    C’est ma grand-mère paternelle. Louise. Une femme ordinaire. Des yeux bleus cachés en partie par une paire de lunettes dont un verre est opaque lui donnent un visage austère. Elle vit dans le logement face au nôtre, sur le même palier. Nous habitons 7 place St Louis, juste à coté de la cathédrale. Je joue souvent à la marelle, au palet, à la corde à sauter, avec quelques enfants de mon âge sur la place qui me paraît immense. Plus tard je reviendrai, comme elle me paraîtra petite cette place St Louis !

    Lorsque mon père était en Indochine, ma grand-mère disait : « si André (mon père, son fils) meurt en Indochine, nous toucherons une bonne pension. »

    Maman travaille, elle est secrétaire. Très appréciée partout où elle passe, son charme joue en force pour elle. Cette jeune et jolie femme est aimée de tous et partout, elle rayonne. Ses yeux bruns pétillent et ses cheveux noirs relevés en chignon lui donnent cet air de princesse qui fait chavirer les cœurs.

    Fréquemment place St Louis, je m’assoie sur les marches en pierres lisses de la cathédrale, j’écoute l’orgue qui chante, j’adore cela. Encore aujourd’hui j’aime à me bercer des concertos pour orgue de César Franck ou de Bach. Nous avons interdiction d’entrer dans la cathédrale. Souvenirs agréables que ceux des mariages, lorsque les jeunes mariés sortaient de la cathédrale, lançaient aux enfants qui se trouvaient là de savoureuses dragées comme c’était la tradition à cette époque. Le son des cloches a bercé mes premiers émois de toute petite fille. Jusqu’à l’âge de 4 ans je n’ai pas vraiment de souvenirs précis de cette vie avec « mes parents », hormis quelques flashs plutôt confus. J’ai n’ai aucun souvenir de la naissance de mon petit frère, ni même de son existence avant cet âge de 4 ans.

    Dans l’appartement familial, je danse sur la table en chantant à ma façon « toi ma p’tite folie », chanson en vogue de Line Renaud. Mon père assis sur une chaise me regarde, j’ai la sensation de lui plaire, il s’amuse de me voir ainsi, il rit, il m’applaudit. Parfois, il me donne quelques sous, me demande d’aller lui acheter des cigarettes. Je reviens avec un paquet de gaufrettes, il ne me réprimande pas, il trouve que c’est plutôt drôle. Je présume que j’aurais pu aimer mon père, cet homme que je ne connais pas, mais qui m’a donné la vie. Il était de corpulence ordinaire, le genre d’homme qu’on ne remarque pas, les mêmes yeux bleus que sa mère. Très vite, il repart en Indochine. Il est militaire de carrière.

    Ma grand-mère, Louise, est tuberculeuse. Elle est très vite gravement malade, il faut s’en occuper, la soigner. Elle viendra s’installer dans notre minuscule « trois pièces », sans ascenseur bien sûr. Il faut fréquemment, comme tous les autres locataires de cet immeuble, descendre pour vider les seaux hygiéniques. On place le lit de ma grand-mère dans notre petite chambre où nous dormirons tous les trois, ma sœur, mon frère et moi, avec cette grand-mère malade. L’ombre de la tuberculose plane sur nous.

    Mes parents, lorsque mon père n’est pas en Indochine, dorment dans un lit transformable dans la pièce principale. Mon père est un homme malade lui aussi, il se soigne avec de la Nivaquine, il tremble, il à froid, c’est le paludisme. Cette Nivaquine reviendra dans mon histoire et aura raison de la vie de ma sœur. Elle n’avait que 15 ans.

    Louise ma grand-mère tousse, crache abondamment. La maladie court. Elle n’est pas âgée pourtant, mais la maladie a jeté sur elle son dévolu… Tout au long de la journée, et la nuit également, elle est assise dans son lit, soutenue par une multitude d’oreillers, sous peine de s’étouffer. La tuberculose la ronge inexorablement. Elle suçote doucement des bonbons ronds au goût de miel, mais elle n’aime pas la consistance du miel liquide qui se trouve à l’intérieur. Alors machinalement, naturellement, elle nous appelle, nous donne la becquée, petits et innocents que nous sommes face à ce danger. Nous engloutissons avec plaisir ces restes de bonbons déjà suçotés par cette grand-mère tuberculeuse, qui peu à peu va fatalement nous empoisonner.

    Maman soigne sa belle-mère avec dévouement ou pas, je l’ignore, mais elle le fait. Pour cela mon père lui offrira une très jolie bague en geste de gratitude.

    Ma grand-mère Louise est morte. Mon père la suivra de quelques mois. La mairie fait venir chez nous, comme la loi de cette époque l’exige, un service de désinfection. Il faut évacuer les lieux. Après un examen minutieux de nos petits corps, tous les trois, ma sœur, mon frère et moi, comme cela était prévisible, nous sommes déclarés contaminés. Hâtivement nous sommes expédiés en Haute Savoie dans une famille d’accueil. Dans ce foyer, il y a d’autres enfants en convalescence.

    Chez Mme Rose, dont je me souviens encore du nom, je me rappelle de l’édredon en plume qui tient chaud, des lapins, du chant du coq qui nous réveillait le matin, de la tranquillité de ce village, dont j’ai par contre oublié le patronyme. On y est bien.

    Arrivée là-bas, on me donne une paire de chaussures en cuir rouge. Un petit fer est cloué sous mes semelles, je suis heureuse, je suis fière, je jubile. Comme elles me plaisent ces chaussures qui claquent sur le pavé ! Dans la cuisine, les volets restent partiellement fermés toute la journée, j’entends le dernier bourdonnement de quelques mouches qui finissent par se coller sur le papier torsadé « tue mouches » suspendu au plafond. Le son du carillon cadence nos journées. J’ai le souvenir, encore à présent de cette atmosphère calme, cette sérénité qui règne dans cette demeure. ! Nous y demeurerons quelques mois, il me semble, dans une sorte de tranquille platitude

    Trop petite, j’ai gardé de ce placement quelques moments du quotidien, des images plutôt floues, des clichés, mais rien de douloureux, si ce n’est ce sentiment d’abandon qui va me coller à la peau et restera en moi tout au long de ma vie.

    Maman est née le 8 septembre…c’est une femme magnifique, à qui les conquêtes ne manquent pas. Je ne dis pas les aventures, cela n’a rien à voir, je dis bien, les conquêtes. C’est une personne radieuse, pétillante, tous recherchent et adorent être en sa compagnie. C’est une Marilyne Monroe, brune, puis plus tard rousse. Une femme en avance sur la modernité de son époque.

    Maman est l’aînée d’une fratrie de cinq enfants. Elle veut fuir l’autoritarisme, la violence verbale et physique, la brutalité de ce despote qui est son père. C’est un très bel homme ce père, une sorte de Gary Cooper, bien fait de sa personne. D’ailleurs il le sait et prend grand soin de lui, toujours apprêté, gominé et sentant bon la lavande. A table les meilleurs morceaux sont pour Monsieur, le Maître, ses enfants autour de la table passant toujours après lui. Il incarne la terreur dans son foyer, on le craint, on s’en méfie, il frappe, il insulte, il insinue. Monsieur le Maitre parle, parle, il s’écoute, n’écoute que lui, n’entend pas ceux qui veulent à leur tour s’exprimer ou oser dire… Il prend un malin plaisir à humilier sa femme en toutes circonstances, de préférence devant un public. Elle pleure, il est content. Vraiment un sale bonhomme.

    Cette femme, c’est la mère de ma maman, Gisèle, jolie femme, épouse inexistante, soumise, adorant son mari envers et contre tout. Elle ferme naturellement les yeux sur le diktat qui règne chez eux : son homme a parlé, c’est sûr il a raison. Affligeant ! Il lui fera des enfants jusqu’à ce qu’elle ait un fils. Il lui faut absolument un fils. Il veut un fils. Il aura un fils. Ce cinquième et dernier enfant sera un fils qu’il prénommera Gilbert en souvenir de Gilbert, son frère aîné combattant dans le régiment des Spahis, mort décapité au combat pendant la guerre du Maroc.

    Les parents de maman ont une situation plutôt aisée pour l’époque. Ils possèdent une voiture, chose assez rare à cette époque, et un appartement plutôt confortable. Mais l’ambiance familiale est si délétère que pour échapper à cette condition de vie plus qu’austère, il n’y a qu’une solution pour maman : le mariage. Alors elle épouse le seul homme qu’elle a l’opportunité de rencontrer chez ses parents bien sûr, une connaissance de son père, qui vient rendre visite à mon grand-père de temps en temps, et qui va remarquer le bel éclat et le charisme de ma mère.

    Elle n’a pas le droit de sortir sous peine de violentes et lourdes sanctions. Les deux filles aînées, Josette ma maman et Linette qui plus tard sera ma marraine, ont été les souffre-douleurs de leur père et les pauvres victimes de l’inaction de leur mère. Elles seront toutes deux marquées à jamais de ce manque d’amour de leurs parents. Plus loin nous retrouverons Linette qui aura amplement compté et marqué le parcours de ma vie.

    Les deux autres filles nées après maman et Linette, ont eu, je présume, une enfance meilleure. Je ne dis pas parfaite, je ne sais pas. Elles me sont étrangères. Je les crois futiles et superficielles, privées de la capacité d’avoir des sentiments. Seuls l’avidité et le « paraître » semblent les animer. A cette période ces dames sont très préoccupées d’elles même, de la couleur de leur nouveau tailleur ou du rendez-vous chez le coiffeur… Cette légèreté, ce manque de profondeur et de cœur auront raison de la destinée de ma sœur, elle en mourra. D’elles nous reparlerons plus tard. Des années plus tard, elles brilleront par leur absence et leur insensibilité face à trois enfants infortunés, orphelins, enfants de leur sœur aînée, oubliant rapidement les services que cette aînée leur avait rendues alors qu’elles étaient jeunes et se trouvaient devant certaines difficultés intimes de leur vie.

    Maman aimait son petit frère et ses sœurs, elle parlait d’eux avec toujours beaucoup de tendresse et de joie. Eux n’ont eu aucune pitié, aucune compassion pour nous, ses enfants, petits orphelins démunis de toute affection, seuls avec notre sort de misère, de souffrance au quotidien. Quant à mon oncle, ce grand absent il n’existe qu’au travers de sa femme. Lui aussi a signé la feuille des grands absents dans notre condamnation d’enfants abandonnés. C’est un homme !… Tous ont fermés les yeux devant la vie misérable de leurs neveux, de ces petits êtres fragiles et vulnérables, ces enfants de leur sœur aînée. Il n’y avait rien à gagner, si ce n’est de l’amour. Point d’argent, point de bien, alors, qu’ils se débrouillent ces trois petits !

    Mon frère me dira plus tard que nos tantes et notre oncle n’avaient aucune obligation de s’intéresser à nous. Pour moi il n’est pas question d’obligation, mais d’affection, de tendresse, d’amour et de générosité. Peut être aussi de devoir familial. Ce qu’ils n’avaient pas pour nous.

    Le mariage de ma mère, c’était s’enfuir pour enfin commencer à vivre. Sans amour, ce mariage était voué à l’échec, avec tout ce que cela entraînera pour nous trois, enfants innocents issus de cette illusion d’union.

    Curieusement, maman affectionne et soigne très bien ses animaux, divers chats et chiens. Douro, Pompon, Dick, Dora, Rex, Jalna, et le petit dernier Louft. Ah ! J’allais oublier le chat noir aux yeux vers, Moustache et le petit tigré Twist…Ses trois enfants sont pour elle des gadgets, des joujoux encombrants. Je crois assurément qu’elle nous aimait, toutefois à sa manière ! La contraception n’existant pas à cette époque, nous sommes arrivés surtout par hasard, mais en aucune manière voulus. La fibre maternelle de maman est défaillante.

    Cette année de 1954, la valse des nourrices et des orphelinats commence. Très vite, Maman nous place, ma sœur, mon frère, né 2 ans après moi, chez des nourrices. Rapidement elle gomme notre existence, on ne la voit plus pendant de longs mois, omettant aussi de payer les personnes qu’elle charge de nous entretenir. La conséquence est que nous sommes régulièrement déposés à l’orphelinat, les nourrices ne désirant ou ne pouvant pas nous garder sans être indemnisées.

    La première nourrice dont je me souvienne avait pour surnom « La Polonaise ». J’ai 4 ans, c’est à Melun. Une sale bonne femme qui nous bat. Son fils Joël a environ 8 ans. Au moment du goûter elle lui épluche des oranges, nous sommes mon frère ma sœur et moi assis sur un banc, et n’avons droit qu’à une tranche de pain sec et regarder Joël manger le fruit qui nous fait envie. Défense de parler et surtout pas de quémander quoi que ce soit sinon… le martinet n’est pas loin.

    Mon petit frère qui n’a que 2 ans fait encore pipi dans sa culotte. Elle le tape, le gifle, alors moi je frappe dans ses mollets avec mes petits pieds afin qu’elle le lâche. C’est à partir de ce moment-là que je suis cataloguée de « rebelle » d’enfant difficile…Je pense : « quand je serai grande je viendrai me venger ! » Je ne l’ai pas fait.

    J’ai presque 7 ans et par je ne sais quel miracle nous retournons chez notre mère, 7 place St Louis à Versailles. Maman nous fait percer les oreilles, on nous met des boucles d’oreilles, il paraît que c’est bon pour la vue ! Voilà ! Ses deux filles sont parées d’anneaux aux oreilles. (Je suis revenue voir cette place St Louis, 22 ans après, et j’ai beaucoup pleuré.)

    Ah ! Bien sûr, je comprends : mon père revient d’Indochine, il veut reprendre son « rôle » chez « nous ». Mais maman a quelqu’un d’autre dans sa vie. C’était inévitable. Mon père n’y a plus sa place, alors très vite les disputes et les cris deviennent le fait quotidien. Les mots séparation, divorce sont lâchés, l’inévitable se produit et mon père n’accepte pas cette situation qui s’impose à lui. C’est décidé, il se donnera la mort. Il a 33 ans, laisse trois enfants de 9, 7, et 5 ans ! Ce père que j’ai si peu côtoyé et dont les souvenirs me font défaut encore à ce jour. Mon père cet inconnu, va bientôt mourir, il retrouvera peut être sa mère décédée il y a quelques mois, qui sait ! Il quitte notre modeste appartement et se dirige vers la forêt des Andelys, se dissimule dans un paisible coin. Petit à petit, tout en écrivant ses ultimes pensées sur du papier à rouler les cigarettes, il absorbe des médicaments, jusqu’à couler dans l’inconscience. Attendant sa mort prochaine, a-t-il une pensée pour nous ses trois petits, déjà quasiment orphelins ? Il est retrouvé inanimé, à même le sol, par des promeneurs.

    Mon père est mort…Affolement, cris, larmes, oui notre père est mort, mais que signifie ce décès pour moi ? Je ne sais pas bien ce qui se passe, si ce n’est qu’il va en conséquence y avoir du changement dans notre misérable vie, des amis, des voisins de mes parents pleurent, on se console, on parle, on chuchote. Je ne vois pas mon père mort, je ne participe pas à son enterrement, est-il vraiment mort ? Qu’est-ce que la mort ? Je ne sais pas. Longtemps, je me demanderai s’il est vraiment décédé, est-il parti pour toujours ? Je n’ai que 7 ans, je suis si petite…Mon père est enterré à Versailles en pleine terre, pas de caveau décent, pas de photo, pas de croix, rien ne rappelant qu’il est là, endormi pour toujours. Pour ma sœur prochainement, il en sera de même, enfouie moins bien qu’un animal. Je n’ai jamais vu cette tombe, on m’en a juste parlé, je ne sais pas où elle se trouve exactement. Il faut avouer que je n’ai pas fait de recherche, elles seraient vaines m’a-t-on dit, lorsque j’ai posé la question bien des années après son enterrement. Voilà, nous n’avons plus de père. Même s’il m’était étranger, il avait au moins le mérite d’exister. Je pouvais m’inventer des histoires où il viendrait me chercher lorsque je pleurais ou me faisais brutaliser. C’est irrémédiablement terminé pour les rêves de papa…

    Nous passons quelques jours chez nos grands-parents maternels à Versailles… juste le temps d’enterrer notre père. Nous sommes rendu illico presto à notre mère à qui l’on dit : « Ce sont tes enfants, débrouilles toi avec eux. » L’orphelinat de Ste Anne se profile à l’horizon. Avant cela nous errons quelques temps avec notre maman nouvellement veuve.

    ********

    Maman, ma sœur et moi survivons quelques semaines dans Paris. Certains souvenirs me reviennent à l’esprit : nous dormons toutes les trois dans une chambre d’hôtel pitoyable. Nous mangeons de temps en temps dans un petit « café »où maman a des amies, amis, que je ne connais pas.

    Je tousse, j’ai de la fièvre, maman me soigne comme elle peut, avec les moyens dont elle dispose, c’est à dire à ce moment-là avec pas grand-chose. Je reste la journée seule dans ce lit dans cette chambre que je ne connais pas. J’attends sagement le retour au soir de maman et de Martine.

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    Martine

    Ma sœur Martine a tout juste neuf ans. Elle pleure. Nous sommes toutes les deux questionnées. Que s’est-il passé ? Je ne le comprendrais que bien plus tard. Martine a subi des attouchements ou plus par un client de l’hôtel qui se trouvait là. Maman se fâche, nous abandonnons ce lieu.

    Les choses se compliquent, la vie devient difficile. Alors, après nous avoir rapidement placées à l’orphelinat Ste Anne de St germain en Laye, Maman se volatilise. La valse des nourrices, des pensions et des orphelinats va commencer. Mais où donc est passé notre petit frère ? C’est à ce moment-là qu’il se volatilise de notre amère existence. Après qu’il ait subi lui aussi la dure expérience de quelques orphelinats, j’apprendrai bien plus tard que maman l’a « offert » à un monsieur célibataire en mal d’enfant…il a été heureux avec cet homme, que nous devions appeler « parrain ». Mais qui était-il vraiment ce « parrain » ? J’aurai ma petite idée par la suite. A l’âge adulte une évidence s’est installée en moi. Je me doute, oui, mais la certitude me manque encore, c’est sans importance ! Donc mon petit frère vit avec parrain, ce Belge, grand, chauve, maigre, le nez chaussé de lunettes de vue qui lui donne

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