Cherche ange gardien désespérément: Biographie
Par Dorothée Joly
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À propos de ce livre électronique
Son quotidien s’écoule entre chamailleries avec son frère aîné, les instants douceurs avec le dernier né. Tout est parfait dans son monde jusqu’à cet après-midi de l’été 1970. Un drame sans nom, un lourd secret pour ses toutes petites épaules. Rien ne sera plus jamais comme avant. Sa joie de vivre et son innocence font alors place à la honte et aux mensonges. Elle devra apprendre à ses dépens et bien trop tôt à faire face à l’inacceptable.
Comment ? Quand on a seulement six ans ?
À PROPOS DE L'AUTEURE
Issue d’un milieu populaire pauvre, Dorothée Joly s’est réfugiée dans l’écriture très tôt. D’abord dans un journal, son exutoire, puis dans la poésie qui lui permettait d’apporter une forme de rêve à sa vie. Mère de deux enfants et grand-mère de deux petits-enfants, elle a longtemps souffert de l’isolement lié à la différence de son fils. Si Ange gardien est né d’un long cheminement personnel, elle se consacre à présent à l’écriture de thrillers, domaine à travers lequel elle laisse libre cours à son imagination.
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Aperçu du livre
Cherche ange gardien désespérément - Dorothée Joly
Chapitre 1
« Dorothée… C’est ainsi qu’elle s’appellera ! » Ma mère m’attend avec impatience. Elle sait déjà qu’elle porte en son sein une petite fille. Comment ? Elle l’ignore, mais elle le veut tellement qu’il ne peut en être autrement. Elle est déjà mère d’un garçonnet de 2 ans, quand elle apprend qu’elle est à nouveau enceinte. Ce sera donc une fille, j’en suis sûre ! Se dit-elle. Il en fut ainsi !
L’appartement où vivent mes parents se trouve un peu en dehors de Bourbonne-Les-Bains, une petite ville de 3000 âmes en Haute Marne à une trentaine de kilomètres de Chaumont. Ancienne cité gauloise dont les Romains construisirent les thermes, très appréciée par les curistes encore aujourd’hui. L’appartement en question trône au 3e étage d’une résidence HLM, tout le monde se connaît et s’entraide. La convivialité, la générosité de cœur du voisinage vient sans doute du fait qu’en ce début des années 60, l’esprit de la campagne est encore très présent. Les hommes de cette petite ville sont pour la plupart, agriculteurs, retraités, horticulteurs chez « Kroter » (une jardinerie familiale qui emploie alors une centaine de personnes), employés à l’abattoir ou à la maison de retraite Quant aux femmes, leur fonction est celle de mère au foyer, elles ont été élevées pour tenir un jour ce rôle, et n’aspirent à rien d’autre. Chacun, hommes, femmes, enfants ont une place bien définie dans la famille et c’est très bien ainsi.
Quand les premières douleurs de l’accouchement se font sentir, celle qui allait devenir ma mère fait sa lessive. Faire la lessive : ici je voudrais redonner toutes ses lettres de noblesse à cette expression. Ma mère fait bouillir de l’eau dans une énorme cuve en fer blanc (certains d’entre nous sauront de quoi je parle !!). Récipient que l’on nomme lessiveuse. Elle y ajoute la lessive en poudre, et à l’aide d’un bâton tourne le linge qu’elle y a déposé. Les tambours de nos machines modernes exécutent se mouvement à hauteur de 1000 tours minutes.... Quel progrès !! Pourtant, regarder ma mère, perchée sur un marchepied, le front ruisselant au-dessus de la lessiveuse d’où s’exhale une vapeur bouillante restera une des images les plus émouvantes de ma petite enfance. J’admire sa force et l’énergie avec laquelle elle exécute son geste rotatif, sans faiblir, malgré la pénibilité du mouvement. Il me semble que rien ne lui est impossible à réaliser.
Les contractions annonçant ma naissance la stoppent net dans cette activité domestique, elle sort de l’appartement et passant devant la voisine qui balaie son palier à ce moment-là lui dit en souriant :
Haaa ! Louise ! Il faut que je vous parle un peu de Louise. C’est une femme d’environ un mètre cinquante, aux formes plus que généreuses, au visage rougeaud et joviale. De ses origines Hispaniques, elle a gardé son goût prononcé pour la cuisine de son pays : notamment l’arroz constra (un plat de riz recouvert d’une croûte d’œuf passé ensuite au four), et ses xuxos (fameux beignets fourrés à la crème pâtissière) dont elle ne manque jamais de faire profiter tous ses voisins.
Mes parents sont tous 2 de conditions modestes : mon père, fleuriste dans la jardinerie dont je vous ai parlé plus haut travaille ce jour-là, et utilise le seul moyen de locomotion familiale : une vieille mobylette pétaradante mais somme toute, très utile. Les voisines et amies de ma mère ne disposent, quant à elles que de bicyclettes..... C’est donc à pied et accrochée au bras de Louise, que ma mère se rend à la maternité, à 3 km de la résidence. En ce début de mois d’août, au cœur de l’après-midi, le baromètre annonce fièrement les 30°. Elle avance péniblement, les douleurs étant de plus en plus rapprochées. Moi, je m’agite dans son ventre, pressée sans doute de sentir la douceur de sa peau. Louise l’encourage et la soutient de son mieux, en lui répétant toutes les 5 min : « Allez Colette !! On y est presque !! » Quand elles arrivent enfin, ma mère protège mon visage de ses mains, ma tête déjà expulsée entre ses jambes. Dix minutes plus tard, je suis blottie contre son sein, son visage empli d’amour penché sur le mien. Une masse de cheveux noirs me tombe sur le front, et mes yeux ne sont que 2 petites fentes : la sage-femme présente ce jour-là le fait remarquer à ma mère… Aurais-je des origines asiatiques ? Non ! Répondit-elle. « Quel prénom allez-vous lui donner ? »
« Elle s’appellera Dorothée !! »
Dorothée : du grec Dorothée qui signifie cadeau de Dieu. Un présage magnifique ? Plein de promesses ? Ma vie s’étale devant moi, je l’ignore à ce moment-là, mais elle allait me réserver bien des surprises. Mais chut !!! Laissez-moi dormir !
Avant d’aller plus avant dans mon histoire, je me dois de vous parler de mes parents. Comme je vous le disais plus haut, ils sont de conditions modestes. Nés au cœur de la 2ème guerre mondiale, leur enfance, même pauvre, est toutefois bien différente.
Mon père, Robert, né en 1935, dernier d’une fratrie de 4 enfants, bénéficie de la protection de ses sœurs aînées quand leur mère doit, pour une raison ou une autre s’absenter, et du statut d’être simplement né garçon. Son père, Marcel, employé à l’entretien des espaces verts dans un domaine appartenant à une famille aisée quelque part en Haute-Saône (je n’ai jamais su où exactement) l’emmène souvent avec lui. C’est de là, sans doute, que lui est venu, à l’âge adulte, sa passion pour la botanique en général. Sa mère, Bernadette, quant à elle est cuisinière dans la même maison, ce qui lui permet de ramener chaque soir, pain, légumes, et autres « restes » non consommés. Au cours de l’année 1942, la Gestapo réquisitionne la demeure et « congédient » mes grands-parents. Le manque de ressources, le désœuvrement plongent peu à peu Marcel dans l’alcool et les menus larcins. Trois années plus tard, dénoncé par un marchand à qui il vole une bouteille de vin, il est arrêté, emprisonné. Elle ne le reverra jamais… Comme beaucoup de femmes, ma grand-mère est perdue, désemparée face aux responsabilités qui l’incombent. Elle « place » ses enfants à l’orphelinat. J’aimerais remettre ici les événements dans leur contexte. Les femmes de ce début du siècle, et en milieu rural, n’ont, pour la plupart d’entre elles jamais été à l’école. Elles ne disposent d’aucune ressource, financière ou intellectuelle, pour faire face à des événements comme ceux d’une guerre – Aujourd’hui, on condamne les abandons d’enfants – En 1945, les orphelinats étaient « LA » solution.
Il m’est très difficile de trouver les mots, les phrases, pour vous parler davantage de l’enfance de mon père, car j’en sais peu de chose finalement, si ce n’est qu’il y apprend le métier de cordonnier, et qu’il rejoindra l’armée française en Algérie à l’âge de 23 ans.... Un manque d’intérêt de ma part sans aucun doute… Vous en comprendrez la raison au fil des pages de ce livre. L’ignorance amène souvent l’incompréhension. Je m’en rendrai compte bien plus tard.
Pour ma mère a contrario, baptisée Colette, née en décembre 1937, suivie de quelques minutes par sa jumelle s’expulsant d’une autre poche, le destin est tout autre.
Épouse de Joseph, un homme porté sur l’alcool, violent, omniprésent et irresponsable, ma grand-mère Julie doit assumer seule le quotidien de six enfants dont ma mère fait partie. Ils vivent à ce moment-là à Vesoul, préfecture de la Haute-Saône en Franche Comté. Plus exactement dans le « vieux Vesoul », un quartier blotti au pied de La Motte : Qu’est-ce que La Motte me direz-vous ? Et bien c’est une colline d’environ 400 mètres de haut qui domine la plaine. Elle offre par temps clair une vue superbe sur les Vosges et le Jura. Toute la famille se tasse dans une maison plus haute que large, composée d’une grande cuisine, d’une chambre unique où les 5 lits sont disposés « façon dortoir » afin d’utiliser au mieux les 20 min 2 s
La vie n’est pas simple, mais elle se complique davantage quand, un jour de juin 1940, les troupes allemandes arrivent en ville et prennent possession des lieux.
Ma mère se souvient parfaitement du bruit assourdissant des chars entrant dans la ville, du martèlement des bottes sur le pavé. Elle n’est pourtant pas inquiète, elle trouve même le spectacle ‘divertissant.... "(l’innocence de la jeunesse). Tous les vésuliens eux, assistent à cette parade, cachés derrière leurs rideaux, la peur au ventre.
Le ravitaillement se fait de plus en plus rare. Très vite, les denrées de première nécessité comme le pain, le lait, le sucre viennent à manquer.
Les pommes de terre remplissent les assiettes du quotidien. En purée (à l’eau bien sûr), en salade, en ragoût, frites dans le saindoux (c’est de la graisse de porc) – La viande, est bien trop chère pour la bourse de ma grand-mère agrémente rarement les fameux tubercules. Il arrive toutefois que les rats dodus de leur cave, rencontrent le manche de son balai, et « finissent » en cours bouillon. Ma mère me raconte qu’un jour, un chat aventureux, affamé, se frottant aux jambes de Julie, réclamant quelques restes éventuels (il ne devait pas savoir que c’était la guerre) vint, lui aussi, améliorer la soupe de pommes de terre.
Ma mère, suivie de ses frères et sœurs passent le plus clair de leur temps, ventres creux, pieds en sabots l’hiver et nus l’été, en quête de substances solides dans les poubelles du quartier. Y trouvant, tantôt des pommes encore consommables, tantôt des os de poulet méritant encore quelques coups de dents. Cette fouille méticuleuse des containers ressemble à un commando très bien organisé. Imaginez un peu !! Les quatre frères font le gué, les deux sœurs, elles, soulèvent en vitesse accélérée chaque couvercle, amassant tout ce que leurs petites mains peuvent contenir. Le « butin » est partagé plus loin, quand tout danger est écarté. Vous pensez sûrement qu’ils se cachent des Allemands !! Détrompez-vous ! Il est vrai qu’aujourd’hui, voir six enfants fouiller les poubelles nous peinerait au plus haut point. Un simple appel au service social concerné mettrait très rapidement ces enfants à l’abri. La 2ème guerre mondiale a révélé l’ère du « chacun pour soi ». Les commerçants du quartier trouvent inadmissible le « viol » de leurs poubelles et pourchassent mes téméraires ascendants balai à la main.
« Inadmissible » n’est-ce pas ? En effet ! L’égoïsme de l’espèce humaine est hallucinant.... Les guerres, il est vrai, peuvent réveiller les plus bas instincts de chacun d’entre nous. En ce temps où le Français se doit d’aider, de protéger, de soutenir son prochain (sans parler de nos enfants), il se comporte comme le plus mesquin, le plus vil des animaux, allant jusqu’à refuser l’accès à ses ordures… Ces commerçants-là sont les premiers, après-guerre, à se vanter d’avoir agi en « patriote ».... Ils auraient mérité, eux, l’écriteau de « la honte ». Si les voisins français n’ont jamais levé le petit doigt pour ma mère et ses frères et sœurs, elle me raconte souvent ce soldat allemand qui, la voyant fouiller une poubelle, lui donnera une barre de chocolat. Ou cet autre qui lors d’un raid aérien l’a mise sa sœur et elle à l’abri.
« L’homme est ce qu’il fait », a dit André Malraux.
Ma mère et ses frères s’amusent pourtant de ce petit jeu du chat et de la souris. Ils sont bien plus vifs que ces commerçants, pour la plupart, bedonnants. Outre que « la pêche » à la poubelle est souvent fructueuse, entendre ces épiciers vociférer dans leur dos provoque d’énormes fous rires dans la fratrie.
Julie ignore tout du passe-temps gastronomique de ses rejetons, et si elle en avait été informée, elle n’en aurait pas été choquée, bien au contraire. Elle sait également qu’ils devraient être scolarisés, mais elle pense que ce n’est pas important et ne les oblige pas à y aller. Après tout, elle non plus n’a pas été à l’école et alors ??!! Son souci est exclusivement d’ordre alimentaire. Elle ne reculera devant rien pour nourrir ses six bouches affamées.
Un jour, elle accepte les avances d’un officier allemand en échange de paniers remplis de victuailles.... Ce cinq à sept hebdomadaire durera plusieurs mois. Acte désespéré d’une mère qui lui vaut, à la fin de la guerre, de porter autour de son cou l’écriteau « putain des Allemands » ainsi que le crâne rasé. Les « bien-pensants » appellent cet écriteau, l’écriteau de la honte. Moi je le nomme celui du courage. Qu’on me rase le crâne aussi si je dois un jour me vendre pour nourrir mes enfants.... Je n’en éprouverais, tout comme ma grand-mère, aucune honte, bien au contraire. Il est si facile de porter un jugement, quand on n’a jamais connu la misère. Rien n’est plus douloureux que de voir ses propres enfants mendier du pain. Ceux qui jugent et condamnent sont toujours « de l’autre côté ». Ma grand-mère traverse ce jour-là, entièrement nue, les rues de Vesoul, mais garde le menton haut, les yeux levés, sans jamais rougir. Debout, au centre de la place publique, elle est huée, lapidée et souillée des crachas et immondices qu’on lui jette sans sourciller. Bravo, grand-mère ! Je ne t’ai pas connu, mais je suis fière de toi ! Qu’est devenu Joseph son mari ? Pour gagner quelques pièces qu’il ne dépense ni chez l’épicier ni chez le boulanger pour nourrir ses enfants, il collabore avec l’occupant. On le fusillera à la fin de la guerre.
Ma mère ne vit déjà plus auprès de sa mère à ce moment-là. Celle-ci le lui racontera bien des années plus tard.
Julie doit se contraindre à confier ma mère et sa jumelle à l’orphelinat. Elles ont alors 7 ans. Elle leur promet de revenir très vite les chercher
« Dès que ça irait mieux...! »
Elles ne la reverront que 10 ans plus tard.
Le quotidien dans cet institut religieux est strict, immuable, incontournable et très rythmé. Les dortoirs où dorment une dizaine de filles, les levers à 6 heures chaque matin que Dieu fait. Les vêpres dans la petite chapelle, les petits déjeuners silencieux, les cours de couture, de cuisine et de tricot – connaissances indispensables afin de devenir d’excellentes femmes au foyer. Chaque après-midi, une heure de liberté (surveillée tout de même) est accordée aux jeunes filles. Ma mère redevient alors une fillette. Les concours de corde à sauter et de saut à l’élastique l’amusent un peu, mais elle préfère de loin grimper aux arbres, laissant ainsi s’exprimer son petit côté « garçon manqué ». Elle n’éprouve pas de rancœur. Elle sait malgré son jeune âge que la vie est difficile, que sa propre mère a fait de son mieux, et même si celle-ci lui manque terriblement, sa sœur est auprès d’elle. Elles sont indissociables l’une de l’autre et se donnent mutuellement tout l’amour dont elles ont besoin. Les sœurs de cette institution leur apportent le gîte et le couvert, mais pas la moindre affection. Elles sont au contraire rigides et extrêmement sévères. Le caractère rebelle et espiègle de ma mère est souvent châtié : son « amen moi la soupe » à la fin du bénédicité de la Mère Supérieure est très peu apprécié par exemple, autant que les batailles de polochons qu’elle provoque dans les dortoirs à l’heure où tout le monde est « censé » dormir. On l’enferme alors dans la soute à charbon après quelques coups de bâton assenés violemment sur les reins. Ma tante Monique, beaucoup plus sensible et discrète, sermonne sans cesse ma mère la suppliant de cesser ses frasques.
Elle ne reverra sa sœur que trois années plus tard. Ma tante Monique ne racontera jamais ses années d’internement, sa santé mentale restera toujours plus que précaire. Elle épouse à 24 ans un homme violent qui