Ton corps est mon chemin

Je suis enceinte. Si c’est une fille, elle s’appellera Irena, comme ma grand-mère. C’est un prénom grec, pays d’où je suis venue dans le ventre de ma mère, Aglae. C’était en 1910, j’ai l’impression que c’était il y a un siècle ! Ma mère n’avait emporté qu’un petit bagage à main qui contenait le strict nécessaire. Complètement démunie après la mort de mon père, elle n’avait pas eu d’autre choix que de partir vers l’inconnu et de quitter son pays. Mais c’est une autre histoire.

Je m’appelle Illona. Je porte la vie et personne ne le sait encore, surtout pas l homme qui m a mise enceinte. J ai 18 ans et le père de mon enfant est mon amant et aussi mon maître. Je n’ai jamais véritablement voulu de cet amant-là, ou du moins je n’ai rien fait pour le séduire. Quand il se couche sur moi, je ferme les yeux et je m’imagine qu’il me fait tendrement l’amour. C’est ce que font les amants, à ce qu’il paraît. Sauf que le mien ne fait que me prendre sauvagement et s’étend un instant à mes côtés, repu de ma chair, avant de s’en aller au milieu de la nuit, comme il est venu, comme un voleur. Il est mon premier amant. Mon premier amour aussi, sans doute.

Quand il franchit la porte de ma chambre, je deviens une autre. Je me transforme en l’une de ces filles qui vendent leurs charmes dans les maisons closes qu’il fréquentait autrefois. Sauf que moi, il ne me paie pas. Ou du moins, il ne me paie pas pour ça. Quelquefois, il arrive qu’il reste jusqu’au petit jour et il se fait tendre. Il embrasse mon front, caresse mes cheveux, me dit que je suis jolie, que je suis à lui, rien qu’à lui. Pense-t-il ce qu’il dit ?

Mon amant n’est pas désagréable à regarder. Il est même plutôt bien fait, M. Victor d’Ingouville. C’est un homme impressionnant par sa taille, sa présence. Ses cheveux bruns, longs et gominés plaqués sur son crâne lui donnent une élégance rare. Parfois, quand il me toise de ses yeux sombres et profonds, il touche