Ces dix dernières années, j’ai souvent rêvé d’Erwan tandis que je dormais derrière les volets bleus de ma maison de Porspoder, dans le Finistère. Le plus souvent je le vois sortir de la mer, souriant, les bras tendus vers moi, mais au moment où je me précipite pour l’enlacer, une vague l’emporte. D’autres fois, je suis debout sur la grève et je serre contre moi sa veste, toute mouillée d’écume et c’est au moment où je hurle son prénom dans le vent que je reviens à la réalité. Une réalité où Erwan n’est plus. Il ne reviendra jamais. Je le sais mieux que quiconque puisque je vais encore souvent déposer des fleurs sur sa tombe.
Ses parents adoptifs et moi sommes les seuls à le faire. Pour tous les autres, il ne méritait même pas que l’on dise une messe pour le salut de son âme. Ils lui ont souhaité l’enfer, et moi aussi quelquefois. Mais je ne sais pas pourquoi il m’a été impossible d’en aimer un autre après lui. Malgré ce qu’il a fait.
Longtemps je ne me suis couchée que pour le retrouver.
Ce matin, dans la chaleur étouffante de ce mois de septembre, alors que je venais d’ouvrir les yeux, je l’ai entendu par la fenêtre ouverte. Il m’appelait et j’ai reconnu sa voix. « Louana, Louana… » J’ai même eu l’impression qu’une pierre avait été jetée contre la façade. Le facteur est arrivé à vélo juste après. J’entendais le grincement de la chaîne de son vélo alors qu’il franchissait la barrière.
Je lui ouvre la porte, les cheveux en bataille, serrant contre ma poitrine les bords de mon peignoir.
– J’ai une lettre pour toi, Louana, désolé de t’avoir réveillée.
– Ce n’est rien, Jocelyn, avec cette chaleur, je n’ai pas beaucoup dormi.
– J’ai l’impression qu’il va y avoir un gros orage cette nuit, il risque d’y avoir des dégâts. Tu me paies un coup ? Il fait soif !
– Sacré Jocelyn ! Toujours assoiffé… Entre, j’ai ce qu’il te faut.
– Du lambig ! s’exclame-t-il en essuyant machinalement ses pieds sur le paillasson. Je sais qu’il aime cette eau-de-vie de cidre typiquement bretonne. Je le connais bien, Jocelyn, c’est un