Les Veillées des chaumières

Un nid douillet

Coucou maman, c’est moi ! Je suis rentré !

Le jeune Rodolphe jeta son trousseau de clés sur la console de l’entrée, son cartable par terre, et se précipita dans la cuisine où l’accueillit sa mère, un grand sourire aux lèvres, prête comme chaque jour à claquer un énorme baiser sur les joues de son fils.

Ce dernier alla prendre un paquet de céréales et un bol dans le placard.

– Alors, mon chéri ? Comment s’est passée ta journée, ça n’a pas été trop dur avec tes terreurs de quatrième ? Ils ont dû évidemment trouver trop difficile le contrôle que tu leur as donné ?

Car Rodolphe n’était pas un collégien, mais un professeur de collège. C’est vrai pourtant qu’il ressemblait à un grand adolescent. S’il avait enseigné en lycée, sa stature assez frêle, son allure dégingandée, son visage mince et ses fines lunettes rondes auraient pu le faire confondre avec un élève de classe de terminale.

– Oui, évidemment, mais je commence à prendre mes marques. De jour en jour, ils me respectent davantage.

Il se tut. De toute façon, il lui suffisait de penser, quand sa journée de cours lui paraissait longue ou pénible, que, quelques heures plus tard, il sauterait dans le train qui, en vingt minutes, le ramènerait chez lui. Chez lui, c’était cette vieille bâtisse en pierre, dans un village du Val-d’Oise, qui abritait les siens depuis cinq générations. Construite au début du vingtième siècle, elle se parait d’une magnifique verrière Art nouveau qui avait toujours fait l’orgueil des habitants successifs. Certes, chaque famille avait effectué des transformations, mais les différentes strates de rénovation restaient visibles et nourrissaient le récit familial. « Cette ouverture dans le mur, c’est ton grand-père qui l’a faite, avait-on dit à Rodolphe, pour avoir une fenêtre qui donne sur la campagne. » Ou bien : « Ce gigantesque poêle en faïence dans le grand salon date de la Seconde Guerre, installé par ta frileuse arrière-grand-mère. » Ses parents avaient quant à eux doté la maison de tout le confort moderne, chauffage au sol et cuisine hightech, dans laquelle, sur le frigo américain, était aimanté, depuis les années de collège de Rodolphe, son emploi du temps aux cases colorées. À présent, c’était celui du professeur et non plus de l’élève.

Il se mouvait donc à l’aise dans ce cocon douillet qu’il n’avait pas quitté depuis sa naissance, sauf pour suivre, avec bonheur, ses parents dans les lointains voyages qu’organisait pour eux son père, archéologue de métier. Il avait visité maints pays et leurs glorieux monuments, sous la houlette enthousiaste de papa. Et c’est donc tout naturellement qu’il s’était très tôt passionné pour l’histoire et la géographie, dont il décida bien vite de faire son métier. Et il choisit l’enseignement, pour les plages de temps libre qu’offrait cette profession. Il n’avait jusqu’à présent qu’à se féliciter de son choix. Il avait, dès sa première année après le concours (où il avait été fort bien classé), été nommé dans un établissement proche de chez lui. De toute façon, il avait clairement annoncé la couleur: si cela n’avait pas été le cas, il aurait démissionné et se serait orienté vers autre chose. Hors de question pour lui de ne pas pouvoir rentrer à la maison chaque soir.

– Allez, le chien ! on y va ! viens, Patrocle !

Le vieux setter, qui devait son nom à l’amour immodéré que portait Louis, le père de Rodolphe, à la période de l’Antiquité, quitta avec difficulté son panier. C’était un chien âgé, à l’arrière-train un peu paresseux, qui peinait à marcher. Mais il adorait cette promenade quotidienne avec son jeune maître. Il guettait du coin de

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