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La maison des hommes bleus
La maison des hommes bleus
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Livre électronique384 pages5 heures

La maison des hommes bleus

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À propos de ce livre électronique

Olivier, le mari de Sophia, disparaît pendant quatre jours, laissant sa femme seule avec leurs deux jeunes enfants. Lorsqu’il réapparaît, il est profondément changé. Virginie, la meilleure amie de Sophia, décide de mener l’enquête qui la conduit à Genève, où Olivier travaille. Elle découvre des éléments intrigants liant une bande dessinée, deux villes – Annecy et Genève – et deux lacs – Annecy et Léman –. Virginie assemble les pièces du puzzle, mais tout converge vers un seul endroit : "la maison des hommes bleus ". Ce lieu cache un terrible secret susceptible de bouleverser la vie en apparence tranquille de cette famille.

À PROPOS DE L'AUTEUR 

Entre le théâtre, la musique et la lecture, Bernard Glietsch garde permanent son contact avec l’univers de la créativité. Sa plume s’affûte pour nous guider dans des voyages à travers les diversités de la France.
LangueFrançais
Date de sortie14 mars 2024
ISBN9791042222420
La maison des hommes bleus

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    Aperçu du livre

    La maison des hommes bleus - Bernard Glietsch

    Annecy, mardi 10 novembre 2015, 17 h 30

    Sophia vient de fermer le portail de son école, après avoir corrigé les copies de ses élèves de CE1. Elle ne devait pas traîner, c’était l’heure de pointe, et ses enfants l’attendaient avec impatience chez leur nounou. Elle tourna la clé de contact de sa petite citadine blanche et démarra en trombe. À cette heure-ci à Annecy la circulation commençait à se densifier, et même si elle connaissait quelques raccourcis, elle n’était jamais certaine d’arriver à l’heure, et elle avait horreur de faire attendre les gens. Chacun avait ses obligations dans la vie, alors il fallait respecter les autres, ne pas leur imposer tes propres contraintes, ils en avaient assez avec les leurs.

    Sophia arriva vers les 18 h dans son quartier résidentiel du Vieil Annecy. Par bonheur elle avait trouvé une nounou sérieuse dans son quartier, non loin de son propre immeuble. Et de plus ses deux garçons de 4 et 2 ans se sentaient bien chez elle, ils ne rechignaient jamais pour y aller. Faut dire qu’elle avait de l’expérience et bénéficiait d’une très bonne réputation.

    — Alors Mme Duval, lui dit la nounou en voyant débouler la mère son cartable sur l’épaule, la journée s’est bien passée ?

    — Comme d’habitude, Noémie, c’est toujours la course contre la montre. Mais bon les gamins étaient plutôt sympas aujourd’hui, on est en début de semaine, on verra dans quel état ils seront vendredi… sinon Christopher et Nathan…

    — Vos garçons sont des crèmes, Mme Duval, si tous les enfants que j’ai en garde étaient aussi agréables, ce serait le bonheur.

    — Vous ne croyez pas que vous exagérez un peu, Noémie ?

    — Non, je suis sincère ! Et intelligents en plus de ça…

    — Je sens que vous allez me demander quelque chose, ça ne devrait pas tarder, dit Sophia en riant.

    Les deux bambins apparurent en bondissant de la salle de jeu.

    — Maman, maman… crièrent-ils en se jetant dans les bras de leur mère. Elle les serra très fort contre elle.

    — Vous avez été sages aujourd’hui j’espère, bande de chenapans.

    Ils ne répondirent rien. Ils étaient toujours sages !

    — Allons les garçons, il ne faut pas trop traîner, je dois vous passer à la douche et puis après, le repas.

    — Encore la douche, objecta Christopher le grand, mais je sens bon tu ne trouves pas. Et il colla sa joue à celle de sa mère.

    — Allez chercher vos affaires dans la salle de jeu, on s’en va.

    — Tu m’aides à mettre mes souliers, maman, demanda le plus jeune.

    — Laissez, Mme Duval, je m’en charge, proposa la nounou toujours disponible.

    — Nan, je veux maman, insista Nathan.

    Sophia remercia Noémie et mit ses chaussures au petit. Elle savait à quel point ce premier contact avec les garçons était précieux après toute une journée de séparation.

    — On y va maintenant les garçons, papa ne devrait pas tarder à rentrer, je préfère être à la maison lorsqu’il arrive.

    — Papa est à la maison ce soir, se réjouit Christopher ! Chouette, il pourra me raconter une histoire avant de dormir !

    — Oui papa mange avec nous ce soir, et il dort à la maison. Il ne retourne au travail que jeudi. Du coup il va pouvoir mercredi vous emmener en balade autour du lac.

    — Chouette ! reprit Christopher, on pourra prendre le vélo ?

    — Le vélo, répondit sa mère, à condition qu’il ne pleuve pas.

    Sophia salua chaleureusement la nounou, en lui souhaitant un bon mercredi, jour de repos pour elle aussi.

    Arrivée devant son immeuble de standing, avec son parking sécurisé, Sophia se dirigea avec ses deux garçons vers l’entrée. Elle tapa son code pour y pénétrer et au passage fit un tour à la boîte aux lettres pour voir s’il y avait du courrier. Rien.

    Elle pénétra dans l’ascenseur et appuya sur le chiffre 4.

    Devant la porte de son appartement, elle fouilla dans son cartable pour y trouver ses clés.

    En poussant enfin la porte d’entrée, les deux gamins se précipitèrent comme des furies vers leur chambre.

    — N’espérez pas que vous allez échapper à la douche, vous deux ! Je vous laisse 10 minutes pour jouer, pas plus!

    Annecy, mardi 10 novembre 2015, 19 h 30

    Les enfants étaient fin prêts pour passer à table. Sophia avait dressé le couvert sur la table ronde placée au milieu de la salle à manger, séparée de la cuisine par un petit claustra décoratif. Aux enfants elle avait réchauffé quelques coquillettes avec des dés de jambon.

    — À table, les garçons, c’est l’heure.

    Les deux enfants commencèrent à manger calmement. Sophia s’installa avec eux et regarda sa montre au poignet. Un cadeau d’Olivier pour la dernière saint Valentin. Son mari avait toujours de tendres attentions à son égard.

    — Dis maman, l’interpella Christopher, tu as dit que papa serait avec nous pour manger ce soir.

    — Ne t’inquiète pas, mon chéri, je suis sûre qu’il ne va pas tarder. Il a une longue route depuis son travail à Genève.

    — C’est où Genève ? demanda Nathan, le plus jeune.

    — En Suisse, chaton. Il faut passer entre les montagnes pour y aller.

    — Entre les montagnes, s’étonna Nathan. Il resta dubitatif. Son père devait être un super héros pour pouvoir ainsi pousser les montagnes. Mais au fond il n’en doutait pas.

    Sophia se leva et se dirigea vers la porte-fenêtre qui offrait une vue plongeante sur le parking de l’immeuble. Pas de voiture en vue.

    — C’est étonnant, songea-t-elle, Olivier n’est jamais en retard, surtout qu’il s’est engagé à partager le repas avec les garçons. J’espère qu’il ne lui est rien arrivé. En même temps, se dit-elle pour se rassurer, il m’aurait déjà appelée en cas de souci. Bon, il faut que je me calme. Je ne dois pas inquiéter les garçons. Il va bien finir par arriver.

    Annecy, mardi 10 novembre 2015, 20 h 15

    Nathan s’était presque immédiatement endormi, une fois la couette posée sur son petit corps épuisé par une longue journée à la crèche et chez la nounou. Il n’avait que deux ans.

    Christopher avait plus de mal à entrer dans le sommeil. L’absence de son père le préoccupait visiblement.

    — Il est où papa ? dis, maman… il m’avait promis de me raconter mon histoire préférée.

    — Veux-tu que je te la raconte ? dit-elle afin de détourner son attention et calmer son inquiétude.

    — Je préfère quand c’est papa…

    — Je te promets de faire un effort pour la raconter aussi bien que lui.

    — OK, d’accord, consentit le jeune garçon. Tiens, voici la bande dessinée. Et il tira l’album caché sous son oreiller.

    — Tiens, une bande dessinée, pensa Sophia. Je ne l’avais jamais vue. Olivier a dû la lui rapporter de Genève sans m’en parler.

    Sophia regarda la couverture et fut surprise par le titre.

    « La maison des hommes bleus. »

    De quoi s’agissait-il au fait ? Elle feuilleta les premières pages et fut étonnée de découvrir un album du genre « super héros à l’américaine » des années cinquante, Marvell, Superman, Spiderman et compagnie. Olivier aurait-il offert un de ses anciens albums d’enfance à son fils ? Fort probable.

    — Bon, maman, s’impatienta Christopher, tu me la racontes ?

    Certes, mais comment raconter à un gamin de quatre ans, une histoire se découpant en bulles et planches de dessins multicolores ? Elle n’avait encore jamais pratiqué cet exercice. Elle s’y employa au mieux, en lisant les textes dans les bulles et en montrant les images correspondantes à son fils.

    Christopher ne cessait de poser des questions, comme tous les enfants de cet âge, ou à interrompre la lecture pour faire des commentaires, montrant ainsi qu’en fait il connaissait déjà très bien l’histoire. Les enfants adorent qu’on leur raconte toujours la même histoire ou le même conte, cela les rassure et leur permet de retrouver à chaque fois la même sensation agréable ou le frisson éprouvés la première fois. Finalement, Christopher aurait très bien pu raconter l’histoire à sa mère, s’il avait su lire.

    Au bout de quelques pages, Christopher, manifestement satisfait, commença à montrer des signes de fatigue.

    — Bon mon chéri, je vais éteindre la lumière et te laisser t’endormir doucement.

    — Non, maman…

    — Quoi mon chéri…

    — Je ne veux pas que tu éteignes la lumière.

    — D’accord, je vais laisser la lumière, le temps que tu t’endormes.

    — Maman…

    — Oui, Christopher…

    — Tu me réveilles quand papa arrive ?

    — Bien sûr, lui promit-elle en lui caressant les cheveux. Mais ferme les yeux à présent, si tu veux être en forme demain pour faire du vélo.

    Elle quitta la chambre du garçon en laissant la porte entrouverte.

    Annecy, mardi 10 novembre 2015, 20 h 30

    Assise dans son canapé bleu foncé style vintage, Sophia se faisait un sang d’encre. Elle sirotait en fumant une Marlboro, le verre de whisky qu’elle s’était servi. Régulièrement elle allait sur la terrasse donnant sur le parking pour contrôler les allées et venues. Mais pas de signe d’Olivier. Tout était calme, comme le temps, sans vent, sans pluie, sans Olivier. Mais pourquoi diable n’appelait-il pas ? Et si son téléphone était déchargé ? Oui, mais alors, il avait la possibilité de le recharger sur la prise USB de la voiture ! Sophia ne voulait pas céder à la panique, mais tout de même, cela ne lui ressemblait pas du tout, mais vraiment pas. Elle commençait à craindre le pire.

    — Je vais l’appeler, se dit-elle, et elle prit son portable en cours de chargement sur la table de travail de la cuisine.

    Elle composa son numéro qu’elle connaissait par cœur. Au bout de trois sonneries, le téléphone de son mari se connecta.

    « Le numéro que vous demandez n’est plus attribué… signal sonore… le numéro que vous demandez n’est plus attribué… »

    Sophia regarda son téléphone sur lequel s’affichait le numéro qu’elle avait composé. Manifestement c’était bien celui d’Olivier ! Elle ne s’était pas trompée. Elle refit néanmoins une nouvelle tentative.

    « Le numéro que vous demandez n’est plus attribué… signal sonore… le numéro que vous demandez n’est plus attribué… »

    Sophia ne comprenait pas et finit par poser son portable sur la table de salon.

    — Il lui est arrivé un accident, j’en suis sûre… voilà pourquoi il ne m’appelle pas.

    Soudain le téléphone vibra. Elle le saisit brusquement, presque en colère, prête à dire à Olivier ce qu’elle avait sur le cœur. La laisser ainsi sans donner de nouvelles… !

    — Sophia, dit la voix à l’autre bout, comment vas-tu ma chérie, c’est Virginie…

    — Virginie… répondit-elle, désappointée.

    — J’ai pensé qu’à cette heure tu devais être disponible, les garçons doivent dormir…

    — Oui les garçons viennent de s’endormir…

    — Je voulais te proposer une balade autour du lac demain après-midi, avec les garçons, à vélo, t’en penses quoi… bien sûr si la météo le permet.

    Sur l’effet de la surprise, Sophia ne répondit rien, son esprit étant pris par d’autres préoccupations.

    — Allo la terre, ici la lune, il y a quelqu’un, tenta Virginie qui attendait un peu plus d’enthousiasme de la part de son amie.

    — Il n’est pas rentré à la maison… lâcha-t-elle malgré elle.

    — De qui parles-tu Sophia ?

    — Mais enfin je te parle d’Olivier. Il ne m’a toujours pas appelée. T’as vu l’heure, bon sang ! Et quand je l’appelle sur son portable, l’opérateur me dit que ce numéro n’est plus attribué !

    — Oh, tu as dû te tromper de numéro, ce sont des choses qui arrivent.

    — Je ne me suis pas trompée de numéro, Virginie. Il y a quelque chose qui cloche, je suis inquiète.

    — Le numéro n’est plus attribué, reformula pensivement Virginie, mais c’est impossible voyons !

    Annecy, mardi 10 novembre 2015, 21 h

    On frappa à la porte. Sophia se dirigea vers l’entrée pour ouvrir. Virginie pénétra dans l’appartement et prit son amie dans les bras.

    — Sophia, je suis là. Tu sais que tu peux compter sur moi.

    — Oui, je le sais, Virginie, répondit-elle en poussant la porte d’entrée et en replaçant le loquet de sécurité.

    Les deux femmes se dirigèrent vers le salon et s’installèrent face à face dans les fauteuils.

    — Et si j’essayais à mon tour d’appeler Olivier, proposa Virginie.

    — Tu peux toujours, dit Sophia avec lassitude.

    « Le numéro que vous demandez n’est plus attribué… signal sonore… le numéro que vous demandez n’est plus attribué… »

    — Bordel, il fait quoi ton bonhomme, éructa Virginie, il a changé de portable sans te prévenir ou quoi !

    — Moins fort, dit Sophia en posant l’index sur la bouche, les enfants dorment…

    — Merde j’oubliais…

    — Ça se voit que tu n’as pas d’enfants à la maison…

    — Comme ça vient de toi, je ne relève pas. Et c’est pas demain la veille que des enfants viendront grouiller dans mon salon ou entre mes jambes, à part les tiens bien sûr !

    Sophia lui proposa un whisky avec des glaçons et en reprit un pour elle.

    — On fait quoi maintenant ? demanda Sophia, en scrutant son amie dans les yeux.

    — Que veux-tu qu’on fasse ? Attendre. Attendre que monsieur veuille bien rentrer. Il finira bien par rentrer. Tous les hommes finissent toujours par rentrer.

    — Et s’il lui était arrivé quelque chose…

    — Et bien on t’aurait déjà prévenue, non ?

    — Et si je prévenais la police ?

    — La police… Virginie se mit à rire…mais que veux-tu qu’ils fassent ? Ton mari est majeur et vacciné, enfin je crois, ils ne vont pas lancer un avis de recherche. Et puis il n’a que 3 heures de retard après tout. Il est peut-être retenu au boulot pour une affaire urgente à régler.

    — Tu veux rire ! Je te rappelle qu’il travaille dans une compagnie d’assurance, et que la nuit les bureaux sont fermés ! Et Olivier n’est jamais en retard !

    — Il n’était jamais en retard, précisa Virginie, jusqu’à aujourd’hui !

    Virginie proposa à son amie de rester ce soir-là, elle dormirait dans le canapé. Ce n’était pas la première fois après tout.

    — Je te remercie, Virginie, mais tu n’es pas obligée…

    — Tais-toi, et dis-toi que je serai présente demain matin du coup, pour m’occuper de tes deux charmants chenapans.

    — Ça, c’est sûr, dit Sophia plutôt rassurée. Quand Christopher et Nathan, en se levant, verront, affalée dans le canapé, leur tata Virginie, ils vont te faire la fête.

    — C’est bien ce que je crains, mais c’est le prix à payer… d’être leur tata préférée !

    — En même temps ils n’ont pas d’autre tata, ajouta Sophia en souriant.

    Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 2 h du matin

    L’appartement était plongé dans le silence. Seul le lave-vaisselle émettait un son feutré dans la pénombre. Virginie ronflait par intermittence, enveloppée dans une couverture. Sophia avançait à pas feutrés vers l’évier pour se servir un verre d’eau fraîche. Elle ne parvenait pas à trouver le sommeil. Dehors le vent s’était levé, et des gouttes d’eau ruisselaient le long de la baie vitrée.

    — Mais où donc est Olivier, songea-t-elle, et si j’essayais de le rappeler, on ne sait jamais…

    Pour ne pas réveiller son amie dans le canapé, elle s’enferma dans les toilettes près de l’entrée.

    « Le numéro que vous demandez n’est plus attribué, signal sonore, le numéro que vous demandez… »

    Sophia en aurait pleuré. Elle se sentait si impuissante, si fragile, si seule…

    Elle se recoucha, en ruminant ses pensées. Elle imaginait tous les scénarios possibles pouvant expliquer son retard. Mais au bout du compte aucun n’était satisfaisant, elle savait bien que cette situation était anormale. Qu’allait-elle découvrir en se levant tout à l’heure… les petits quant à eux dormaient profondément, au moins ça, c’était normal. Elle les aimait tellement. Comment allait-elle leur expliquer l’absence de leur père ?

    Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 8 h du matin

    Dehors le temps s’était calmé, quelques nuages épars s’étiraient dans le ciel d’Annecy et semblaient vouloir se frotter contre les sommets entourant la ville. Sophia était sur la terrasse et fumait sa première clope du matin. Elle avait un peu froid, mais elle aimait cette fraîcheur matinale typique de la montagne. Avec Olivier ils avaient décidé de quitter leur Normandie natale pour aller s’exiler loin du climat océanique, loin de la fraîcheur perpétuelle, de l’humidité ambiante qui vous montait par les pieds et traversait tout votre corps. Olivier pensait que le climat plus sain de la montagne ne pouvait qu’être bénéfique aux enfants, et de plus il y avait la neige, la luge, les stations de ski à seulement quelques minutes, les balades autour du lac, l’impression d’être en vacances toute l’année… tu parles !

    En attendant, « les vacances » prenaient plutôt la forme d’un cauchemar.

    Olivier n’avait pas eu de difficulté à trouver un job à la hauteur de ses ambitions. Le seul inconvénient était la route à faire entre Annecy et Genève où se trouvait le siège de SwissLife, qui l’avait embauché en qualité de responsable du service patrimoine. Un boulot qui lui plaisait avec un bon salaire à l’appui, de quoi envisager avec sérénité l’avenir, acheter une ancienne maison savoyarde sur les bords du lac, pouvoir faire plaisir aux enfants, et ne pas s’inquiéter pour les fins de mois.

    — Où es-tu Olivier, je t’en prie, fais-moi un signe, n’importe quoi, mais dis-moi ce qui se passe, se lamentait-elle en tirant sur sa cigarette.

    — Maman… l’interrompit Christopher qui apparut en pyjama « Spiderman ». Il y a quelqu’un qui dort dans le canapé…

    — Oui, chaton, je sais, le rassura-t-elle en écrasant sa cigarette dans le cendrier. C’est tata Virginie.

    — Tata Virginie… ouai… et il bondit comme un cabri sur le canapé.

    Il lui chatouilla la plante des pieds qui dépassait de la couverture.

    — Au secours, dit Virginie qui émergea du sommeil, je suis attaquée par un piranha. Non, non, s’il te plaît, pas les pieds, pas les pieds…

    Et le gamin se marrait à gorge déployée.

    — Doucement Christopher, fais doucement avec tata Virginie, on peut encore avoir besoin d’elle.

    — Très drôle, Sophia ! Tu ferais mieux de me faire couler un café bien fort, je sens que la journée va être rude pour moi.

    Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 9 h 30

    — Maman, maman, dit Christopher, on peut aller faire du vélo avec tata Virginie, regarde dehors, il ne pleut pas.

    — Oui, oui, ajouta Nathan qui avait fini d’avaler son bol de céréales au lait. On veut aller au lac. Dis maman, insista-t-il, on y va quand ?

    — Soyez patients les garçons, laissez le temps à Virginie de s’apprêter. Et puis d’ailleurs, allez d’abord vous brosser les dents.

    Ils ne se firent pas prier. Deux minutes après ils réapparurent dans la salle, prêts à sortir.

    — Et vous comptez sortir ainsi, en pyjama…

    Les deux garçons se regardèrent et se mirent à rire. Sophia les aida à se vêtir chaudement, il ne pleuvait peut-être pas, mais en novembre à Annecy il faisait déjà assez frais.

    Sophia avait son idée en tête. Profiter de l’absence momentanée de ses enfants et de Virginie, pour appeler le bureau d’Olivier. À cette heure-ci elle aurait forcément quelqu’un au bout du fil.

    — Bon dit Virginie, qui était enfin prête, je crois qu’on va y aller. En même temps, ai-je vraiment le choix ? Ils sont en train de m’arracher les bras tes deux monstres !

    — Christopher, Nathan, conseilla fermement Sophia, vous obéissez à tata Virginie, vous gardez vos casques, et vous roulez l’un derrière l’autre. Si j’apprends que vous n’étiez pas sages, il n’y aura plus de sortie vélo, est-ce clair ?

    Mais les gamins n’écoutaient déjà plus leur mère, ils s’étaient précipités à l’extérieur sur le palier.

    — T’inquiète pas, ma chérie, je vais te les ramener en un morceau, promis Virginie, en revanche moi je n’sais pas comment tu vas me retrouver !

    Une fois la porte refermée sur eux, Sophia se précipita sur le téléphone. Elle avait hâte de savoir. Elle composa le numéro du bureau de Genève. On décrocha rapidement.

    — Bonjour, bienvenue au bureau de la société SwissLife de Genève. Que puis-je faire pour vous ?

    — Bonjour, je suis Mme Duval…

    — Ah, bonjour, Mme Duval, j’espère que vous allez bien. En quoi puis-je vous être utile ? demanda poliment l’hôtesse d’accueil.

    — Pourrais-je parler à mon mari, s’il vous plaît ?

    — Bien entendu, Mme Duval, je vous demande juste un instant. Merci.

    À l’autre bout du combiné, une douce musique classique retentit langoureusement. Sophia avait en horreur ces notes répétitives qui avaient le pouvoir de lui taper sur les nerfs systématiquement.

    — Madame Duval ? Merci de votre patience. Je viens de consulter l’agenda de Monsieur Duval. Il n’est pas à l’agence aujourd’hui, je suis désolée. Il a apparemment un rendez-vous extérieur.

    Un rendez-vous extérieur…

    — Non, je crois que vous faites erreur, objecta Sophia, Monsieur Duval m’a dit que je pouvais le joindre toute la journée au bureau. Auriez-vous l’amabilité de me relier à son poste.

    — C’est comme vous voulez, Madame Duval, répondit un peu agacée l’hôtesse, je vais tenter de vous le passer.

    Au bout de quelques instants, Sophia perçut la sonnerie stridente du téléphone du bureau d’Olivier. Mais personne ne décrocha. Elle fut redirigée vers l’accueil.

    — Madame Duval ? Désolée, mais comme je vous le disais, il n’est pas à son bureau. D’ailleurs d’après son agenda… elle regarda son écran, il n’est jamais à son bureau le mercredi. C’est son jour de prospection auprès de la clientèle, manifestement.

    Il n’est jamais à son bureau le mercredi…

    Sophia raccrocha après avoir remercié l’hôtesse. Elle resta un instant, hébétée. Olivier ne lui avait jamais précisé qu’il n’était pas joignable le mercredi au bureau, bien au contraire.

    « Chérie, si tu as besoin de me joindre, ou en cas de souci, n’hésite jamais à m’appeler, au bureau ou bien sur mon portable… », lui avait-il affirmé pour la rassurer quand elle avait appris qu’il ne rentrerait pas souvent dans la semaine.

    « Oh tu sais, je me débrouille bien toute seule, avait-elle répondu, mais sans grande conviction. Et puis tu sais bien que je peux compter sur Virginie. D’autant qu’elle est disponible à plein temps, depuis qu’elle a pris son année sabbatique. »

    Sophia se dirigea sur la terrasse, elle avait besoin de respirer, de prendre l’air. Son état de stress ne faisait qu’empirer depuis hier. « Quoi qu’en pense Virginie, je m’habille et je file à la gendarmerie. Il est arrivé quelque chose à Oliver, j’en suis certaine, se disait-elle. » Elle vit une voiture entrer dans le parking… Olivier… non ce n’était pas son mari, mais le voisin du dessus qui avait la même Mercedes noire que lui.

    Arrivée au bas de l’immeuble, elle longea les commerces qui occupaient le rez-de-chaussée, traversa la chaussée et prit la direction de la gendarmerie, rue du pré de la salle.

    Annecy, mercredi 11 novembre 2015, 10 h

    Sophia sonna au portillon de la gendarmerie. Après un moment qui lui parut assez long, un répondeur grésilla à l’interphone.

    « Bonjour, vous êtes en relation avec la gendarmerie nationale. Veuillez formuler votre demande. Merci. »

    — Bonjour, je souhaiterais signaler une disparition.

    Silence au bout de la ligne.

    Le portillon se déverrouilla subitement, permettant à Sophia de pénétrer dans l’enceinte de la gendarmerie. Elle se présenta à la porte du bâtiment, verrouillée elle aussi. Un officier assez jeune et souriant l’invita à pénétrer dans le hall d’accueil, et referma la porte derrière lui. La sortie du bâtiment était contrôlée par l’officier, en appuyant sur un bouton pour libérer l’ouverture.

    — Alors ma petite dame, dit l’officier en se plaçant derrière le comptoir, que puis-je faire pour vous ?

    Sophia se demanda soudain si elle se trouvait bien dans une gendarmerie ou plutôt dans une boulangerie de quartier. Comment aborder la question qui la taraudait ?

    — Mon mari a disparu depuis hier soir, déclara-t-elle sans détour.

    L’officier la regarda, médusé. Ce n’était pas courant ce genre de déposition à Annecy. À Annecy on ne disparaissait pas, on se noyait dans le décor certes, on naviguait sur le lac, on faisait les 40 km autour du lac, on allait se baigner à Talloires peut-être, on dévalait les pentes abruptes en parapente, mais disparaître, non, pourquoi faire ? On était si bien ici entre lac et montagne, comme protégé de tout.

    — Pouvez-vous préciser, Madame, ce que vous entendez par « disparu » ? Et puis pouvez-vous me donner votre identité pour commencer ?

    Sophia s’interrogeait sur sa démarche. Avait-elle bien fait de venir ? On lui avait dit que s’adresser à la gendarmerie c’était quitte ou double ! On prenait le risque de devoir tout dévoiler sur soi, et surtout on avait la garantie de perdre le contrôle de la situation. Les gendarmes ne faisaient jamais les choses à moitié. Et si elle partait en courant pour aller rejoindre Christopher, Nathan et Virginie. Il faisait plutôt beau ce mercredi. Aller prendre l’air au bord du lac, marcher en flânant, avancer prudemment sur les pontons où étaient arrimés les petits bateaux des touristes. S’asseoir sur les planches, les pieds touchant presque l’eau, et regarder, oui, surtout regarder le spectacle.

    Le lac était un spectacle permanent et grandiose, à toute heure de la journée, à toute saison de l’année. Un spectacle mouvant et changeant au gré des reflets des nuages ou du soleil, selon l’intensité de la pluie, selon la force des rayons du soleil, qui venaient en ricochet caresser les petites vagues à la surface de l’eau verte et translucide.

    — Je m’appelle Sophia Duval. Mon mari Olivier Duval n’est pas rentré à son domicile hier soir. Et depuis je n’ai plus de nouvelles. Son téléphone ne répond plus. Il n’est pas à son bureau à Genève. Je suis très inquiète.

    Le gendarme, qui n’avait pas lâché son sourire, la questionna sans transition.

    — Votre mari et vous… je veux dire… vous vous entendez bien ?

    — Je ne vois pas le rapport, trancha Sophia un peu trop fermement. Je ne suis pas venue vous trouver pour une consultation conjugale. Je voudrais que vous m’aidiez à retrouver mon mari.

    — Quand lui avez-vous parlé la dernière fois ? continua le gendarme comme si Sophia ne lui avait rien dit.

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