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Une ombre dans mes pas: Roman
Une ombre dans mes pas: Roman
Une ombre dans mes pas: Roman
Livre électronique286 pages4 heures

Une ombre dans mes pas: Roman

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À propos de ce livre électronique

À Saint-Véran, dans les Causses désertiques au-dessus de Millau, Frédéric, installé dans sa bergerie isolée avec Irène, veut croire à son rêve de retour à la nature, loin du stress de la grande ville et de sa vie d’agent commercial. Seulement, son rêve se transforme vite en cauchemar lorsqu’Irène disparaît, ne laissant aucune trace. Ainsi, peu à peu, il se retrouve au centre d’une enquête policière. Contraint à la fuite, son périple haletant le conduit de Millau à Rodez, de Paris à la forêt d’Ecouves et enfin à Rouen.
Est-il coupable ? Est-il victime d’une machination ? Que s’est-il réellement passé ce soir-là entre Irène et lui ?
Tapie comme une ombre dans ses pas, la vérité se révèle de manière tout à fait inattendue au terme de cette intrigue qui se présente comme une initiation à la recherche de soi-même.

À PROPOS DE L'AUTEUR

D’origine alsacienne, Bernard Glietsch a pour centres d’intérêt le théâtre, la musique, la lecture et les voyages. Après une carrière professionnelle assez riche, il se consacre aujourd’hui à sa passion : l’écriture. Toutes les histoires de ses romans nous emportent dans un voyage à travers la France et sa diversité.
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2021
ISBN9791037720795
Une ombre dans mes pas: Roman

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    Aperçu du livre

    Une ombre dans mes pas - Bernard Glietsch

    Prologue

    Irène en avait eu marre de tout ce cinéma. Elle avait pourtant régulièrement averti Frédéric. Seulement, lui restait sourd et apparemment indifférent. Il était bien dans son monde, dans son combat, dans sa petite révolution. Alors, les états d’âme d’une nana sympa mais versatile n’allaient pas le perturber dans ses choix. Elle avait pourtant bien choisi de le suivre dans l’Aveyron, elle connaissait les avantages et les inconvénients. Manifestement, Irène n’avait rapidement retenu que les désagréments de la situation. Elle ne devait pas être prête pour ce genre de vie spartiate au grand air, sur le plateau du Larzac. Au bout de deux mois, elle prit ses effets personnels et claqua la porte de la bergerie, Frédéric paraissant indifférent et peu concerné par les difficultés d’adaptation d’Irène.

    Lui en avait tant rêvé, de ce retour aux sources, vivre une vie saine au grand air, loin de la pollution grandissante des grandes villes et du stress imposé par un rythme de vie inhumain. Il en avait soupé de la vie de bureau, du costard-cravate, des objectifs commerciaux à atteindre, de la pression qu’il arrivait à s’imposer tout seul. Ah oui ! ça, il l’avait bien intégré à l’école de commerce. Se mettre la pression pour être toujours réactif, sentir les évolutions en cours, voire les anticiper, pour être à la hauteur des exigences de sa hiérarchie, penser plan de carrière, promotion, concurrence.

    Cependant, tout cela n’était pas son choix, plutôt celui de ses parents. Il s’était toujours soumis aux exigences de sa famille. C’était un enfant obéissant, facile à élever, disait toujours sa mère, mais qui manquait un peu de sens de l’initiative. Frédéric était un garçon réservé qui ne s’opposait pas, il prenait sur lui, tentait de s’adapter, de s’intégrer, de passer presque inaperçu. Il avait laissé faire les autres pour lui. Après le bac, quand son père lui demandait ce qu’il comptait faire comme études, Frédéric ne savait pas trop quoi lui répondre. Pas grand-chose ne le passionnait. Alors, son père, professeur de droit à l’université de Rouen, lui dit :

    « Essaye donc une école de commerce, ça va te dévergonder et te mettre en face des réalités. »

    C’est ainsi que Frédéric a fait la préparation aux grandes écoles. Ses parents en avaient les moyens. Sa mère, pédiatre à Bonsecours, au-dessus de Rouen, aurait préféré qu’il fasse médecine, mais le gamin ne semblait pas assez motivé pour entreprendre des études aussi exigeantes. Des études courtes, c’était plus adapté. Avec de la maturité, ce qui lui manquait selon sa mère, il finirait bien par trouver sa voie dans le monde professionnel.

    Finalement, Frédéric était entré à l’école de commerce de Rouen. C’était parfait ! Il pouvait rester à la maison, il s’évitait l’internat, ou pire encore, de prendre un logement tout seul. Il tenait trop à son cocon familial, à ses habitudes et ses repères. À sa sortie de l’école de commerce, des sociétés le contactèrent rapidement pour lui offrir un plan de carrière dans différents domaines commerciaux. Il n’avait, comme ses camarades, que l’embarras du choix, ajouté au fait que, pour Frédéric, choisir était toujours compliqué.

    Il répondit donc à l’offre la plus avantageuse pour lui, à savoir celle qui lui permettrait de rester à Rouen ou dans sa région, pas trop éloigné de ses parents.

    Ainsi, il avait été engagé comme agent bancaire pour la Société Générale au siège normand de Rouen, jouissant de nombreux avantages : des horaires réguliers, le lundi de libre, un 13e, 14e mois, une participation aux bénéfices, des avantages en nature par le biais du comité d’entreprise. Ce boulot au début ne demandait pas trop d’engagements, sinon d’intégrer les règles de fonctionnement spécifiques du monde de la banque, et de s’ouvrir un peu aux autres, ne serait-ce que pour s’intégrer dans une équipe professionnelle avec des collaborateurs relativement expérimentés. Il devait s’affirmer.

    Frédéric s’était fait une place, tranquillement, en s’imprégnant du savoir-faire des autres, observant, respectant scrupuleusement les procédures. Au bout de deux ans au siège, le directeur commercial lui proposa de prendre en charge une agence au Havre. C’est à ce moment que les difficultés surgirent pour le jeune banquier. Même si l’agence du Havre était en plein développement et que ses collaborateurs étaient plutôt jeunes et dynamiques, Frédéric n’était pas dans le rythme nécessaire ni dans l’esprit de la maison. Sa mission était principalement commerciale, faire du chiffre, vendre des crédits, trouver de nouveaux clients, de nouveaux partenariats, s’imposer sur la place auprès des commerçants et industriels. Toutes ces compétences ne s’accordaient pas bien avec le tempérament de Frédéric. Il aurait été un bien meilleur clerc de notaire, à gérer des dossiers patrimoniaux, dans un bureau débordant de paperasse dans tous les recoins.

    Ainsi, il eut très vite la désagréable sensation de ne pas être à la hauteur, de ne pas être le bon manager, qu’il y avait eu erreur de casting. Il ne trouvait pas les ressorts utiles pour remonter la pente, motiver ses troupes, il manquait d’idées originales pour trouver de nouvelles stratégies commerciales. Peu à peu, Frédéric sombra dans la dépression. Il avait l’impression de se mouvoir dans un tunnel dont il ne voyait pas la sortie. Son travail le pesait, chaque matin, il y allait à reculons. Ses collègues s’en étaient rendu compte et le directeur commercial de Rouen en avait été averti.

    « Frédéric, lui dit-il, vous êtes un garçon sérieux et dévoué, cependant, vos résultats ne sont pas à la hauteur de nos objectifs de développement. Vous croyez-vous capable de redresser la barre ? »

    Frédéric ne s’était pas engagé clairement, car au fond de son esprit, il pressentait qu’une autre voie l’attendait. Seulement, sur le moment, il ne savait pas laquelle. Ce dont il était sûr était qu’il voulait passer à autre chose, il avait besoin d’une véritable rupture, peut-être la nécessité impérieuse de se retrouver lui-même, de reconsidérer les choses à la lumière du jour.

    Comme toujours, il avait laissé les autres décider pour lui. Lorsque le directeur commercial lui proposa une période de « formation » au siège de Paris, afin de procéder à une évaluation des compétences et trouver un poste plus adapté aux capacités de Frédéric, le jeune homme accepta. Il n’était pas encore en mesure de faire ses propres propositions, il avait besoin de se reconstruire ou, plus certainement, de se construire tout court. Seulement, se retrouver dans la capitale, même pour quelques semaines de stage, et bien qu’il était entouré de collègues et formateurs bienveillants, représentait pour Frédéric une épreuve de trop. Il aurait préféré retourner à la maison, chez ses parents, pour souffler véritablement et prendre du recul.

    Seul dans sa chambre du centre de formation, il broyait des idées noires. Tout cela ne l’intéressait plus du tout. Il se demandait si finalement il ne ferait pas mieux de démissionner. Toutefois, il craignait la réaction des parents et leur jugement. Le lendemain, il en parla à la seule personne du centre à qui il pensait pouvoir faire confiance, Irène. C’était une des stagiaires, mais elle semblait si différente, si sûre d’elle, avait des idées assez arrêtées, et ne se gênait pas pour les exprimer. Cette jeune femme exerçait une attirance sur lui et le rassurait par sa prestance, sa forte personnalité.

    « Tu devrais suivre un peu plus tes intuitions, lui avait-elle suggéré. Tu devrais faire une introspection et te demander ce que tu veux vraiment faire de ta vie. »

    Sur le coup, Frédéric ne comprit rien aux propos d’Irène.

    Ce que je veux faire de ma vie… pensa-t-il.

    Jamais il ne s’était posé aussi clairement cette question.

    « Et toi, tu comptes faire quoi après le stage ? interrogea-t-il Irène.

    — Tout, sauf la banque, vois-tu ? Ce stage aura au moins servi à ça ! Si on me propose demain de partir sur une île déserte ou sur les hauteurs d’une montagne, je pars tout de suite.

    — Et pour faire quoi, s’étonna Frédéric ?

    — Rien. Prendre le temps de vivre, comme le chante Georges Moustaki. »

    ~~~

    C’était bien cela le problème avec Irène. Elle avait de belles idées, mais quand il fallait les mettre en pratique, il n’y avait plus personne ! Pourtant tous les deux avaient été d’accord pour tenter le grand saut vers l’inconnu, au moins, essayer de rompre réellement avec ce monde qui semblait vouloir les laisser en marge. Même si l’idée semblait saugrenue, voire extrémiste, il leur paraissait à tous les deux qu’il ne fallait pas faire les choses à moitié. S’extraire vraiment de cette société de consommation, très décriée depuis les évènements de mai 68, aller au bout de ses idées, oser le changement et la rupture.

    Au bout de quelques soirées de discussions, Irène avait réussi à persuader son nouvel ami que le retour à la nature était sûrement la bonne voie. Elle avait entendu parler, comme beaucoup de Français, de la mobilisation pour la défense du Larzac, sans connaître vraiment les tenants et les aboutissants de ce mouvement né en 1971.

    « Et que veux-tu qu’on aille faire dans le Larzac ? interrogea avec scepticisme Frédéric.

    — Je ne sais pas moi, prendre une ferme, travailler la terre, élever des animaux, vendre nos produits sur les marchés, ce serait génial, qu’en penses-tu ? »

    Comme toujours, il n’en pensait pas grand-chose. Tout ce qu’il désirait, c’était passer à autre chose. Elle aurait pu lui proposer un tour de la terre ou une virée à Katmandou, cela aurait été pareil. Dans l’incertitude, il lui répondit qu’il allait y réfléchir.

    « Plus tu réfléchis, moins tu es en mesure de prendre une décision, Frédéric. Il faut qu’on saute le pas, et pas dans trois ans. »

    Devant l’insistance de son amie, sa force de conviction, Frédéric finit par adhérer pleinement à l’idée. Se retrouver en pleine nature, loin du bruit et des nuisances de la modernité, respirer à pleins poumons, apprendre à se détendre, vivre au rythme des saisons, tout cela ne pouvait que lui être bénéfique. Du coup, c’était lui-même qui proposa à Irène d’utiliser une partie de ses économies pour réaliser ce projet. Néanmoins, c’était Irène qui avait fait les démarches. Elle connaissait un type sympa, un peu marginal certes, mais très intelligent, qu’elle avait connu à l’université des sciences humaines de Rouen. Lui était assez engagé dans les luttes sociétales, particulièrement pour la non-violence. Jérémy, c’était son prénom. Elle n’avait jamais connu son nom de famille, et d’ailleurs rien d’autre sur lui. Jérémy était proche des communautés de l’Arche fondées par le philosophe italien Lanza Del Vasto. Il prônait le retour à la terre et aux valeurs ancestrales. Quand Irène lui fit part de son projet de rejoindre le Larzac, pour s’y installer si possible, Jérémy s’emballa de joie.

    « Waouh ! super sœurette, vas-y lance-toi, c’est génial ! Si tu veux, je te mets en contact avec des paysans de là-bas, engagés dans le mouvement de désobéissance civile. »

    Petit à petit, le projet prit alors forme, sous le regard surpris et dubitatif de Frédéric. Trois mois plus tard, on leur faisait une proposition de reprendre une bergerie sur les Grands Causses, dans un hameau paumé mais charmant, Saint-Véran. Ni l’un ni l’autre n’y connaissait rien aux chèvres, mais au vu de l’offre alléchante, Irène persuada Frédéric que c’était le bon moment, l’occasion en or. Frédéric acheta la bergerie pour une bouchée de pain, avec quelques chèvres présentes sur les lieux, un peu sauvages déjà.

    « C’est du grand n’importe quoi, ton idée d’aller t’installer dans le Cantal, lui opposa son père. Qui donc t’a mis une telle idée en tête, mon fils ? Tu as une belle situation, tu gagnes bien ta vie et tu trouves rien de mieux que d’aller jouer les beatniks dans le Larzac. »

    Pour Frédéric, le choix était fait. Enfin ! il avait eu le courage de prendre une décision, même si ses proches trouvaient cela invraisemblable et loufoque. Sa mère gardait l’espoir que tout cela n’était qu’une passade, que son fils reviendrait à la raison, tôt ou tard. C’était aussi la faute de toutes ces idées en vogue en cette année 1973, issues du mouvement des étudiants de 1968, pensait-elle.

    La bergerie

    Voilà donc que Frédéric se retrouvait seul à présent, dans sa bergerie avec ses chèvres. Irène décrocha très rapidement. Au fond, il n’avait pas bien compris les motivations réelles de cette fille. Elle recherchait quoi, au juste ? la liberté, l’absence de contraintes, vivre des expériences nouvelles et exaltantes ? Rien en rapport réel avec une exploitation agricole, fût-elle de petite taille et artisanale. Elle passait plus de temps à Millau, à quelques kilomètres seulement de Saint-Véran, dans des réunions de mobilisation contre l’extension du camp militaire du plateau du Larzac, laissant la plupart du temps Frédéric se débrouiller avec ses bêtes. Tout au plus participait-elle une fois par semaine à la fabrication du fromage et le dimanche accompagnait-elle Frédéric au marché de Millau pour le vendre. Souvent, elle revenait de ces réunions, accompagnée de son fameux Jérémy, un type sympa en effet, mais un peu allumé, d’après Frédéric. Ils passaient alors la soirée à discuter, souvent à deux, sur la suite des évènements, en fumant des pétards. Au bout de deux ou trois heures, Frédéric, épuisé, s’excusait et allait se coucher pour être en forme le lendemain, laissant les deux philosophes refaire le monde à leur image…

    Ce soir-là, Frédéric était affalé dans son vieux fauteuil élimé, éclairé par une petite lampe de chevet posée sur la table basse. La journée avait été harassante, cependant, il ressentait un vrai bien-être. L’activité physique lui faisait vraiment du bien. Il aimait bien ses petites chèvres, elles étaient attachantes et marrantes. De plus, elles se laissaient facilement traire. D’ailleurs, il avait donné un nom à chacune. Il était en train de parcourir une revue agricole spécialisée dans l’élevage, il avait tant à apprendre sur ce monde dont il ne connaissait pas grand-chose. Le crépuscule s’installait progressivement sur les Causses, dehors, le ciel prenait une couleur rosâtre. Il avait laissé la porte de la bergerie entrouverte pour laisser la fraîcheur du soir y pénétrer.

    « Si ça continue comme ça, pensa-t-il, je vais rester le seul habitant à Saint-Véran. »

    En effet, le hameau, peu accessible par ailleurs, ne comptait, depuis longtemps, plus beaucoup d’habitants. Les rares jeunes avaient abandonné les lieux pour trouver du boulot à Millau ou plus loin. Quelques vieux à la retraite étaient restés sur place, tant que la santé leur permettait d’y rester, tant que le boulanger, épicier, quincaillier ambulant acceptait de poursuivre sa tournée dans le coin, et tant que le facteur se chargeait de ramener les ordonnances au pharmacien de Millau. L’été, quelques touristes parisiens, en mal de retour à la nature, y passaient une ou deux semaines, pas plus. Il ne faut pas pousser ! Aussi, pas de quoi permettre au village de survivre. Néanmoins, cela ne gênait nullement Frédéric. Il avait retrouvé la paix, contre toute attente. Lui-même s’en étonnait. Cette solitude lui convenait parfaitement et il avait suffisamment d’occupations la journée de 7 h à 20 h, pour ne pas s’ennuyer. Et puis même, l’ennui pouvait être source de création. N’est-ce pas l’ennui au fond qui avait poussé l’humanité à poursuivre ses explorations ?

    « Y a quelqu’un là-dedans ? »

    Frédéric sursauta dans son fauteuil. Jamais il ne recevait de visite dans ce coin reculé, surtout en début de soirée. Jérémy était dans l’embrasure de la porte, une bouteille de vin à la main.

    « Entre, Jérémy, et viens t’installer. »

    Frédéric avait tout de suite reconnu sa voix.

    « Dis donc, ça sent le bouc là-dedans, tu devrais faire un peu le ménage, tu crois pas ?

    — Très drôle ! rétorqua Frédéric sans se troubler. »

    Jérémy posa la bouteille de vin sur la table basse et s’installa en face de Frédéric.

    « J’ai laissé ma deudeuche en contrebas, de toute façon elle n’aurait pas réussi à grimper la pente. Il faut que je la préserve, la petite, sinon je me retrouve à pied, tu imagines, ici !

    — Oui, j’imagine, lui répondit laconiquement Frédéric. »

    Frédéric se demandait ce que « le mec sympa » lui voulait. Depuis le départ précipité d’Irène, ils ne s’étaient plus revus, sauf une fois au marché de Millau.

    « Dis donc, tu laisses pousser la barbe et les cheveux, tu veux t’adapter au milieu local ?

    — Disons plutôt que le coiffeur de Saint-Véran a fermé boutique ! » Jérémy se mit à pouffer de rire joyeusement.

    « Tiens, tu veux bien me passer un tire-bouchon, Frédéric, il fait soif, non ? »

    Frédéric s’exécuta et rapporta deux verres tirés du vieux buffet peint en jaune, ainsi que le tire-bouchon. Ils trinquèrent à la santé de l’exploitation et à la réussite du mouvement de défense du Larzac. Comme d’habitude, Jérémy se lançait avec exaltation dans la narration des derniers évènements en lien avec la mobilisation. Frédéric écoutait, comme d’habitude, par politesse, mais semblait peu concerné, même s’il soutenait le mouvement dans ses principes fondateurs.

    « Tu sais que nous avons trouvé un nouveau slogan pour la prochaine grande manif du mois d’août ?

    — Ah oui, et lequel, questionna Frédéric, pour donner le change et l’impression de s’y intéresser ?

    — Le Larzac aux moutons, à la ferraille les canons, laissons la bombe aux couillons. Qu’en penses-tu, c’est costaud, non ?

    — Oui, pas mal, répondit Frédéric dubitatif. Seulement, ça fait un peu fourre-tout, je trouve.

    — Tout le monde n’a pas eu le privilège de faire une école de commerce, c’est vrai qu’en matière de slogan commercial tu dois être imbattable ! »

    Frédéric ne releva pas l’allusion, déplacée selon lui. Il n’avait aucune envie d’entrer dans une discussion politique et sociétale avec Jérémy. Ce gars s’enflammait bien trop vite.

    « Il est bon, ton petit vin. C’est local ?

    — Ben, qu’est-ce que tu crois, que je vais t’amener de la piquette de supermarché ? C’est pas mon genre ! »

    Après quelques verres, Jérémy, qui se retenait depuis son arrivée, arriva sur un sujet plus épineux.

    « Alors, ça se passe bien depuis le départ d’Irène ? C’est pas trop dur ? Tu sais que tu peux compter sur moi si tu as besoin de quoi que ce soit ! »

    Compter sur ce type, pensa Frédéric, la rigolade, plutôt me tirer une balle dans le pied. Il avait déjà du mal à se gérer lui-même.

    « Eh bien ! que veux-tu ? Je fais avec. De toute manière, il valait mieux pour elle qu’elle mette un terme à l’aventure.

    — Pourtant, rétorqua Jérémy, c’était un projet commun, qu’est ce qui a cloché entre vous deux ?

    — Entre nous, rien, non rien n’a cloché, comme tu dis. Nous n’étions pas sur la même longueur d’onde manifestement.

    — C’est vrai qu’Irène est une fille libre qui a besoin d’une grande marge de manœuvre. »

    Frédéric n’avait pas véritablement envie d’entrer dans les détails de sa relation avec Irène, il considérait que cela ne regardait pas Jérémy. Il tenta une diversion.

    « Et toi, tu as des nouvelles d’elle ?

    — Oui, j’ai appris qu’elle se trouvait actuellement à Rodez avec la coordination paysanne.

    — À Rodez ? c’est une blague ! Tu dois te gourer, réagit fermement Frédéric. Elle m’a affirmé qu’elle retournait à Rouen dans la famille.

    — Elle a sans doute changé d’avis en chemin. Quand je te disais que c’est une nana libre…

    — Et pour quoi faire à Rodez, je ne comprends pas…

    — Ben, je te l’ai dit, Frédo, elle a rejoint la coordination paysanne, pour participer sans doute à l’organisation de la deuxième grande manif prévue en août prochain. Et crois-moi, elle a bien fait, notre Irène, car c’est pas le moment de baisser la garde ! On a besoin de toutes les bonnes volontés. Debré est têtu, mais nous tous, on sera tenaces, je te l’assure. On les aura à l’usure tôt ou tard. »

    Alors, Jérémy dans la foulée, avec l’aide de quelques verres de vin, était reparti dans ses démonstrations mobilisatrices. Il était intarissable sur le sujet.

    Dehors, la nuit était enfin tombée sur les vieilles maisons de pierres, sur le vieux donjon et sur le décor des Causses qui cintrait le hameau. Jérémy s’interrompit soudain.

    « Dis-moi, Frédo, elles sont où, tes toilettes ? J’ai un besoin urgent.

    — Au fond du couloir, la porte de droite. J’ai récemment installé une cuvette dans la salle d’eau, j’en avais marre de sortir en pleine nuit et me casser la figure dans le noir.

    — Je savais pas que tu étais aussi bricoleur. Un mec à marier, quoi, se moqua un peu Jérémy. »

    « Il est vraiment pas drôle, ce type, se dit Frédéric. Il doit être le seul à rire à ses blagues. » Il profita donc de cette interruption de la conférence de Jérémy, pour se replonger dans la lecture de son magazine agricole.

    À la grande surprise de Frédéric, Jérémy revint rapidement dans la salle.

    « Ben quoi ? l’interrogea-t-il, tu t’es perdu ? C’est pourtant pas grand, une bergerie…

    — À quoi

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