L’immigré ? - Tome I: Mes années de PhD

Par Steve Tueno

A-t-il quitté son pays fuyant une misère atroce et une catastrophe insupportable à la poursuite d’un bonheur lointain et d’une accalmie extérieure ? Non !
Il a répondu à un appel d’offres afin d'utiliser son savoir et ses capacités pour augmenter le capital intellectuel de deux pays en échange d’un diplôme de rang international et d’une initiation méticuleuse aux méthodologies de recherche scientifique.
Il a laissé derrière lui une vie agréable et paisible pour affronter la solitude et, par voie de faits, porter les couleurs, tout en défendant l’étendard, du Canada et de la France sur l’échiquier scientifique mondial. Est-il un immigré ? La réponse se trouve entre les lignes.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Steve Tueno a quitté sa terre natale afin de poursuivre une thèse de doctorat en informatique, thèse menée en cotutelle au sein des Universités Paris Est Créteil (France) et Sherbrooke (Canada). Il décide donc de coucher sur du papier les différents moments vécus durant cette période, entre la vie de l’école et l’école de la vie.

• Langue: Français
• Éditeur: Le Lys Bleu Éditions
• Date de sortie: 22 févr. 2021
• ISBN: 9791037720931

Aperçu du livre

Prologue

« Dommage Rahim ! Tu as manqué de justesse la mention Excellente à la suite de ta soutenance ! Tous les membres du jury, y compris moi, étaient d’avis pour te la donner, mais ton président de Jury a fait valoir son droit de veto durant toute la délibération. Face à toutes nos louanges, il a opposé un seul contre-argument : apparemment, il n’a pas apprécié l’originalité de la structuration de ton mémoire ! Cela ne collait pas avec son canevas. »

« Dis-moi, comment as-tu réussi à résorber les écarts de chiffres et à conclure la réconciliation avec notre partenaire bancaire ? »

Rahim est un jeune ingénieur en informatique récemment recruté dans une prestigieuse entreprise de télécommunication de la ville de Douala au Cameroun. Six mois de stage en tant qu’ingénieur au sein du département d’intelligence d’affaires lui ont permis de se démarquer et de s’attirer la sympathie de son désormais collègue Louis, celui-là même qui s’est chargé de son encadrement sur toute la durée de son stage.

Toutes ces années passées au sein du département d’intelligence d’affaires n’ont rien enlevé à la bonne humeur et à la spontanéité de Louis. Certes, il ne s’était pas imaginé passer autant de temps à ce poste, mais cela ne l’a jamais empêché, chaque jour, de se lever du bon pied et fier des décisions stratégiques qu’il permet régulièrement à l’entreprise de prendre : état des parts de marché pour le marketing, activités frauduleuses pour le recouvrement, etc. Quel plaisir chaque semaine d’être celui qui annonce au codir la valeur du chiffre d’affaires ainsi que le positionnement de l’entreprise par rapport à la concurrence !

Il en a vu passer des stagiaires, se dit-il, un bon nombre supervisé par ses soins, mais jamais auparavant un stagiaire n’avait autant surpassé ses attentes. C’est sans hésiter qu’il a approuvé la création d’un poste pour Rahim : « Vous ne pouvez vous permettre de perdre une telle ressource boss ! Avec sa rigueur, sa passion et sa dextérité, il sera une flèche de poids dans votre carquois », avait-il affirmé à son responsable lors du weekly qui précédait son voyage pour Yaoundé. Il lui fallait absolument l’accord formel du boss avant de se rendre à la soutenance de Rahim.

« C’est dommage en effet ! J’étais pourtant convaincu d’avoir tout donné », soupira Rahim. Puis, comme se réveillant d’un cauchemar, il s’exclama :

« J’ai identifié les données qui alimentaient les écarts et qui empêchaient la clôture de la réconciliation en passant minutieusement en revue toutes les procédures de consolidation des écritures comptables avec le département banque mobile. De nouveaux types de transactions n’étaient pas comptabilisés car les procédures de consolidation considéraient une liste incomplète de types de transactions. J’ai adapté la procédure de médiation afin d’exploiter non plus une liste de termes clés, mais une liste d’expressions régulières, et voilà !

J’en profite pour t’annoncer que j’ai décidé de poursuivre une thèse de doctorat, dès l’année prochaine, en cotutelle entre une université en France et une autre au Canada. Je vais travailler à la mise en place d’une méthode d’ingénierie qui rendra obsolète la programmation telle qu’on la connaît aujourd’hui. Désormais, il va suffire de décrire la spécification d’un système et son programme sera automatiquement construit, suivant un processus automatique qui garantit la correction de ce dernier. »

Le travail est ton seul rempart

Issue d’une famille modeste de la ville de Yaoundé au Cameroun, Rahim sait qu’il ne peut compter que sur lui et surtout sur un travail acharné pour se construire un devenir. En revanche, tel n’a pas toujours été le cas. En effet, jusqu’à l’âge de 12 ans, Rahim était convaincu d’être un génie à qui il suffisait de claquer des doigts pour obtenir ce qu’il désirait. Comment ne pas le penser lorsqu’on est le seul garçon d’une famille de cinq enfants, chouchouté par son papa et plus encore par sa maman ? Obtenir le Certificat d’Études Primaires (CEP) avait certes été un parcours du combattant, mais là il était collégien et la liberté était acquise. Draguer les filles, jouer aux jeux vidéo, sécher les cours, tout était possible sans que les parents soient aux courants et s’en mêlent. Au primaire, il suffisait d’avoir 15 minutes de retard pour que père et mère soient convoqués par le directeur ; mais là, il était un parmi un demi-millier d’élèves. Aucun professeur, aucun surveillant général n’allait prendre le temps de surveiller ses faits et gestes, et il n’en demandait pas moins.

Comment donc expliquer cette situation ? Ce matin, pour la nième fois, père et mère se sont disputés à son sujet.

« Non, mon fils ne retournera pas au lycée ! » hurlait sa maman en brandissant ses frêles mains vers le ciel. « Même s’il faut que tu ailles supplier et t’agenouiller afin qu’il ait une place au collège qui vient d’ouvrir ses portes à quelques pas de la maison, fais-le ! » reprit-elle d’un ton plus calme et suppliant en fusillant son mari du regard.

« Ce n’est pas le lycée le problème ! » rétorqua son père de son ton calme et posé. « Ses sœurs y sont depuis plus longtemps que lui et elles s’en sortent très bien. Ton fils est un cancre, voilà tout ! ».

« Non ! C’est un garçon et il a ton sang. Il est plus agité et dispersé. Il a besoin de contrôle et de rigueur. Ne constates-tu pas cette disparité entre ses performances actuelles et celles qu’il démontrait avant le lycée ? Montre-moi que tu es un homme et trouve-lui une place au collège. ».

Ces trois heures au collège en compagnie de son père lui avaient paru une éternité et avaient changé du tout au tout sa vision de la vie. Assis sur ce banc à l’entrée du bureau du vice-principal du collège, il n’avait jamais eu autant honte ; honte d’avoir poussé son père, cet homme si fier et si fort, à s’humilier et à supplier.

« Je suis professeur des lycées et collèges et je mets mon honneur en jeu. Mon fils excellera et ne vous décevra pas. Je m’engage à travailler avec lui tout le temps, à lui trouver un répétiteur s’il arrive que je sois indisponible ainsi que pour les sujets que je ne maîtrise pas et à veiller à ce qu’il consacre ses nuits et ses week-ends à l’étude. Je vous supplie de ne pas vous fier à son dossier ; il surpassera toutes vos attentes ! »

Rahim avait travaillé d’arrache-pied depuis ce jour-là ; alternant école, lecture, exercice et sommeil de façon à ce que jamais la promesse de son papa ne