Simone de Beauvoir: Une femme engagée
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À propos de ce livre électronique
Simone de Beauvoir incarne la libération de la femme, elle est celle qui a osé briser tous les tabous : le mariage, la maternité, la dépendance vis-à-vis des hommes. Femme et déclassée dans une société bourgeoise et conservatrice, elle a gagné sa liberté par l’étude et l’audace intellectuelle, en rejetant le chemin tout tracé qui s’ouvrait devant elle. La notion de libre arbitre fait de choix et de responsabilité a déterminé sa propre vie, et se trouve au centre de son œuvre littéraire et philosophique. La liberté individuelle à laquelle chaque être humain a droit passe par le féminisme : les deux moitiés de l’humanité doivent pouvoir s’épanouir. Franche, parfois brutale, intransigeante, Simone de Beauvoir a aussi créé et protégé une famille de cœur qu’elle n’a jamais abandonnée, inventé une relation de couple d’un nouveau genre. Elle fait partie de celles grâce à qui la révolution féministe a commencé.
On se laisse happer par un récit où l’histoire personnelle et l’histoire collective sont indissociables. On se passionne pour la vie d’une femme qui a traversé le XXe siècle et l’on découvre en même temps les combats politiques, sociaux et culturels de son époque
Découvrez un récit mêlant histoire personnelle et histoire collective, et suivez le destin d'une femme franche, parfois brutale, intransigeante, qui a inventé une relation de couple d'un nouveau genre.
EXTRAIT
À Paris, la vie quotidienne se durcit encore pendant l’année suivante. Les exécutions d’otages succèdent aux attentats, la population s’épuise à résoudre les mille problèmes de la nourriture, du chauffage, des vêtements. Georges de Beauvoir est mort d’une attaque en juillet 1941, laissant Françoise sans ressources. Elle trouve un travail à la Croix-Rouge, et Simone lui verse une pension mensuelle. Avec leur traitement de professeurs, Sartre et Castor ont à leur charge Françoise, Wanda, Olga et Bost. Le seul héritage de Georges, ses coupons de tissu, permet à sa veuve et à sa fille de s’habiller, et heureusement, car l’hiver 42-43 est pire encore que le précédent.
Dans ce noir qui n’en finit pas, la seule échappatoire, c’est le spectacle. Dans les théâtres, les cinémas, les cafés, il fait chaud, on rit, on oublie quelques instants que Paris vit à l’heure de Berlin. Simone vient tous les jours travailler au premier étage du Flore. Sartre publie et fait monter Les Mouches. Gallimard accepte enfin L’Invitée en 1943. C’est un succès, on parle du prix Goncourt. Mais pour être publié et plus encore primé, un livre doit passer la censure allemande. Doit-elle accepter un prix ? Le Comité national des écrivains, sorte d’organisme clandestin dont font partie des gens aussi divers qu’Aragon le communiste, Mauriac le catholique ou Paulhan l’indépendant (Sartre en est membre, à leur demande, depuis le début de l’année 1943) lui fait savoir qu’elle peut recevoir le prix mais pas donner d’interviews. Lorsque le roman de Simone paraît, en août, la presse clandestine comme la presse officielle saluent la naissance d’une nouvelle romancière, un espoir de la littérature française.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Diplômée en lettres et en linguistique, Marianne Stjepanovic-Pauly est documentaliste pendant une dizaine d’années. Mais à la vie de bureau, elle préfère la compagnie des enfants et des livres. Passionnée par les mots et par la littérature, elle écrit les histoires qu’elle invente pour ses fils, des contes et des nouvelles. Elle trouve aujourd’hui dans la rédaction d’une biographie la possibilité d’explorer ses domaines de prédilection : la littérature, l’écriture et l’histoire.
En savoir plus sur Marianne Stjepanovic Pauly
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Aperçu du livre
Simone de Beauvoir - Marianne Stjepanovic-Pauly
Sartre)
1
Le mariage de la finance et de l’aristocratie
« Pendant plusieurs années, je me fis le docile reflet de mes parents. Il est temps de dire, dans la mesure où je le sais, qui ils étaient. »
Le 21 décembre 1906, Françoise Brasseur, dix-neuf ans, fille d’un riche banquier de Verdun, épousait Georges Bertrand de Beauvoir, vingt-huit ans, cadet de bonne famille, avocat et dandy parisien. C’était un mariage arrangé selon les principes de la grande bourgeoisie de l’époque : transmettre le patrimoine et perpétuer les traditions morales. La fiancée apportait une dot conséquente, le jeune marié un nom et une situation : il n’était question que de devoir et non d’amour. On appariait les fortunes et les titres, non les sentiments. Pourtant, par un hasard que les parents des deux jeunes gens n’avaient pas prévu, ce fut également un mariage d’amour.
Ce n’était certes pas du côté de la jeune mariée que l’on aurait parlé de sentiment. Les deux branches de sa famille, les Brasseur et les Moret, avaient bâti leur fortune et leur position sociale sur la haute fonction publique et la finance. Gustave Brasseur, le père de Françoise, avait fondé et dirigeait la Banque de la Meuse. Homme strict et conservateur, il avait gardé de son éducation chez les jésuites une grande admiration pour leurs principes sévères, tant dans sa vie familiale que dans ses affaires. Concernant ces dernières cependant, il revendiquait un esprit moderne, utilisant la publicité dans la presse pour contrer la concurrence, et offrant des réceptions luxueuses destinées à donner confiance aux investisseurs. Contrairement aux usages de sa classe sociale, il n’hésitait pas à montrer sa fortune tant qu’il s’agissait de convaincre les clients de traiter avec lui. Il était en cela efficacement secondé par sa femme. Plus fortunée que son mari, mais affligée d’un physique ingrat qui n’attirait pas les prétendants, Lucie Moret avait passé la plus grande partie de sa vie dans un couvent. Délaissée par sa mère, elle s’était profondément attachée aux religieuses qui lui tinrent lieu de famille. Les parents de Gustave, en la choisissant pour belle-fille, lui offraient la chance de sortir du couvent : elle se dévouera avec ferveur à son mari.
Leur premier enfant, Françoise, vint au monde en 1887. Espérant un héritier, ses parents ne cachèrent pas leur déception. Sa mère surtout lui montra peu d’affection, reproduisant exactement ce qu’elle avait vécu pendant son enfance. La naissance d’un garçon, Hubert, n’y changea rien, non plus que celle de Marie-Thérèse, petite dernière aimée et dorlotée. Françoise est envoyée très tôt au couvent des Oiseaux de Verdun, où elle doit apprendre tout ce qui fera d’elle une bonne épouse, une bonne mère, et rien de plus. Intelligente, elle aurait pourtant aimé étudier, prendre le voile et enseigner, ce que la supérieure du couvent, mère Bertrand, fut la seule à comprendre, comme elle fut la seule adulte à aimer la fillette ; bien des années plus tard, la mort de mère Bertrand affectera d’ailleurs Françoise bien plus profondément que celle de sa propre mère. Cependant madame Brasseur veillait : le rôle de Françoise n’était pas d’étudier dans un couvent, encore moins d’enseigner, mais de faire un beau mariage qui consoliderait le rang de la famille dans la société.
Pourtant, très seule et timide, Françoise avait peu d’amis et encore moins d’occasions de rencontrer d’éventuels prétendants. Elle n’était proche ni de son frère ni de sa sœur, qu’elle connaissait peu, ni de ses parents qui ne lui trouvaient guère d’intérêt. À bientôt vingt ans, elle aurait pu déjà être mariée, mais personne ne s’en était occupé, jusqu’à ce que les affaires de son père marquent un peu le pas. Celui-ci s’avisa alors brusquement de marier sa fille aînée le plus tôt possible. Un ami des deux familles mentionna le nom de Beauvoir : unir la fortune d’une banque à une particule aristocratique, c’était l’alliance idéale.
La famille Bertrand de Beauvoir remonte au XIIe siècle par son premier ancêtre attesté, Guillaume de Champeaux, l’un des fondateurs de l’université de Paris. En Champagne et en Bourgogne, l’arbre généalogique des Champeaux étendit de nombreuses branches. L’alliance de deux d’entre elles se fit au début du XIXe siècle par le mariage de deux cousins, Marie-Elisabeth de Champeaux et Narcisse Bertrand de Beauvoir. Ils s’établirent à Meyrignac, près d’Uzerche, sur ces terres qui devaient devenir le lieu de villégiature de toute la famille.
Leur fils Ernest-Narcisse épousa Léontine, une demoiselle Wartelle, d’une riche famille du Nord, fondant ainsi la fortune moderne des Beauvoir. Bien qu’étant l’aîné et l’héritier des terres, il préféra s’installer à Paris où il mena une carrière de fonctionnaire avant de se retirer à Meyrignac. Léontine était une femme austère, dont la famille s’enrichissait sans bruit mais régulièrement depuis des générations. Elle racontait souvent à ses enfants comment l’un de leurs ancêtres, se piquant d’appartenir à la noblesse et le criant sur les toits, fut guillotiné en 1790. « Les Beauvoir sont originaires de Bourgogne. La mère de papa était une Wartelle d’Arras. À un certain de Beauvoir, anobli en 1786, on coupa la tête en 1790. Depuis, dans la famille, il n’y eut plus de snobs de la particule. J’adore cette histoire. », raconte Hélène, la petite sœur de Simone, dans ses Souvenirs. En réalité, cette histoire devait surtout leur apprendre les vertus de la discrétion, de la modestie et du travail, tout en sous-entendant leur origine aristocratique.
Léontine et Ernest-Narcisse eurent trois enfants, Gaston, Hélène et Georges. Les terres de Meyrignac revinrent à Gaston, tandis qu’Hélène, épouse d’un hobereau des alentours, vécut sur sa propriété de La Grillère, à une vingtaine de kilomètres de ses parents. Georges, futur père de Simone, était à la fois le plus jeune et le plus fragile des trois enfants, ce qui lui valut d’être littéralement adoré par les femmes de sa famille. Élève brillant au collège Stanislas, sa mère fondait de grands espoirs sur lui. Mais la mort brutale de Léontine, d’une fièvre typhoïde compliquée d’une pneumonie, laissa son fils de treize ans totalement désemparé.
Ernest-Narcisse était en effet un père aimant mais peu au fait de l’éducation des enfants. Ses deux aînés mariés et installés, il veilla à terminer l’éducation du plus jeune sans se rendre compte de son désarroi. Celui-ci arrivait à l’adolescence muni des principes rigoureux inculqués par sa mère : religion, travail et discipline. Sa mère disparue, il se retrouva face à un père respectueux de la religion bien que non pratiquant, conseillant à son fils d’apprendre un métier, mais soucieux surtout de mener sa vie à la manière des aristocrates, en vivant de ses rentes. Peu à peu, Georges en vint à rejeter le sérieux maternel et préféra à l’étude et au travail les salons chics de Paris, où il était accueilli favorablement, étant de bonne famille, bien fait de sa personne et d’agréable compagnie. Sa véritable passion, c’était le théâtre, mais dans sa position, il ne pouvait bien sûr être question d’en faire un métier. Georges avait toutefois pris des leçons et connaissait tous les lieux de spectacle de Paris. Dès qu’il en avait l’occasion, il jouait dans les troupes d’amateurs de la haute société très en vogue à l’époque. N’ayant pas une part d’héritage suffisante pour en vivre, il se résigna à entamer une carrière d’avocat. La profession ne le passionnait guère, mais enfin elle ne lui imposait que peu de contraintes et lui procurait une situation sociale honorable, ainsi que le plaisir de parler en public. Il allait avoir trente ans quand son père décida qu’il était temps pour lui de quitter la maison et d’assurer seul son avenir. Pour cela, il fallait lui trouver un bon parti qui compenserait par une dot généreuse la modestie de son héritage.
Voici comment deux jeunes gens qu’a priori rien ne rapprochait en dehors de leur milieu social furent présentés l’un à l’autre à Houlgate, durant l’été 1906. Pour les Beauvoir, c’était l’assurance d’une dot et d’une jeune fille de bonne éducation ; pour les Brasseur, un degré de plus dans l’échelle sociale, car Georges appartenait à une famille aristocratique. Et miracle, Françoise, jolie jeune fille à la conversation agréable, et Georges, charmant et spirituel, se plurent. Il fit sa demande quelques semaines après leur première rencontre et fut favorablement accueilli : quatre mois plus tard ils étaient mariés.
2
L’amour, malgré tout
« De mes premières années, je ne retrouve guère qu’une impression confuse : quelque chose de rouge, et de noir, et de chaud. »
Le 9 janvier 1908, à peine plus d’un an après le mariage de Françoise et Georges, Simone Ernestine Lucie Marie vient au monde. C’est, aux dires de son entourage, un bébé magnifique, robuste, avec de beaux cheveux bruns et les yeux bleus des Beauvoir. Ses parents ne semblent pas regretter la naissance d’une fille ; ils sont fiers d’elle et ne manquent pas une occasion de la cajoler. Peut-être chacun a-t-il encore en tête des souvenirs douloureux de sa propre enfance : l’aînée mal aimée et le benjamin oublié de son père. La famille est installée 103 boulevard du Montparnasse, au-dessus du café la Rotonde. Françoise a une entière confiance en son mari qui lui a fait découvrir la vie parisienne, les livres et le théâtre. Il rentre souvent de son travail avec des violettes, les fleurs qu’elle préfère. Et si quelques nuages financiers se profilent à l’horizon, la jeune femme préfère les ignorer. Elle a apporté dans son trousseau du linge, des meubles ; et Georges démarre bien sa carrière d’avocat. Louise, une jeune fille de Meyrignac, leur a été envoyée par Ernest-Narcisse pour tenir la maison. Elle restera avec eux de longues années, jusqu’à son mariage, et devient pour Françoise et ses enfants bien plus qu’une domestique. « C’est à Louise que j’ai dû la sécurité quotidienne. […] Sa présence m’était aussi nécessaire et me paraissait aussi naturelle que celle du sol sous mes pieds. »
C’est en effet Louise qui est chargée de s’occuper de la petite Simone : elle lui donne son bain, la promène chaque jour dans un lourd landau, la nourrit et veille sur son sommeil. Mais ses parents s’en occupent également beaucoup, suivant les conseils des pédagogues de l’époque, et prennent chaque jour le temps de jouer avec elle. Ils tiennent à lui donner une éducation solide et moderne, et la considèrent très tôt comme une petite adulte. Dès l’âge de quatre ans, la petite fille qui fait preuve d’une inlassable curiosité, sait lire. Elle sait aussi poser sa propre carte de visite, sur le plateau d’argent présenté par un domestique, à l’entrée des salons que fréquente sa mère. Ses parents lui vouent une véritable admiration, au point qu’ils lui passent bien des caprices. Ses brusques colères qui la rendent bleue de rage sont célèbres dans la famille et parmi les amis ; selon les cas elles suscitent amusement ou réprobation. Au jardin du Luxembourg, pleurant de fureur d’avoir été contrariée, elle donne un jour un coup de pied à une dame qui voulait calmer son chagrin. Une parente qui écrit des histoires morales pour enfants utilise même son comportement pour édifier ses petits lecteurs et faire par la même occasion la leçon à Georges et à Françoise, accusés dans la famille d’être modernes, ce qui n’est pas un compliment. « Je hurlais si fort, pendant si longtemps, qu’au Luxembourg on me prit quelquefois pour une enfant martyre. Pauvre petite !
, dit une dame en me tendant un bonbon. Je la remerciai d’un coup de pied. Cet épisode fit grand bruit ; une tante obèse et moustachue, qui maniait la plume, le raconta dans La poupée modèle. »