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Anthologie de l'humour belge: Du Prince de Ligne à Philippe Geluck
Anthologie de l'humour belge: Du Prince de Ligne à Philippe Geluck
Anthologie de l'humour belge: Du Prince de Ligne à Philippe Geluck
Livre électronique564 pages6 heures

Anthologie de l'humour belge: Du Prince de Ligne à Philippe Geluck

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À propos de ce livre électronique

Existe-t-il une spécificité dans la manière d’appréhender l’humour chez les quatre millions de francophones que compte la Belgique ?
La réponse est positive. De Tyl Ulenspiegel au Chat de Philippe Geluck, de Beulemans à Toine Culot, des Surréalistes à Benoît Poelvoorde, le comique belge se nourrit d’un cocktail riche en autodérision, en absurde et en déraison, épicé parfois d’accents savoureux et de tournures insolites.

Ce recueil propose les textes les plus significatifs, anciens et récents, des Belges qui font rire.

A PROPOS DE L'AUTEUR :

Bernard Marlière a enseigné le français, de l’Afrique centrale à la Sibérie, privilégiant l’accès à la littérature de Belgique. Directeur de l’Os à Moelle, le café-théâtre mythique niché sous la maison natale de Jacques Brel, il a présenté sur sa scène le gratin des humoristes de son pays, et leur a déjà consacré deux recueils.

EXTRAIT : 
L'humour belge existe bel et bien : les francophones septentrionaux, séparés de l'Hexagone au motif que Bonaparte et Grouchy n'utilisaient pas de téléphones portables à Waterloo, se sont façonné une manière d'être, de penser et de rire qui n'appartient qu'a eux.

Le Belge vit en Absurdie, dans un Etat linguistiquement, administrativement et politiquement bricolé, que des négociateurs atrabilaires retapent régulièrement à coups de rustines législatives, qui évoquent les machines assemblées par Gaston Lagaffe au moyen de rouages, de poulies et de bouts de ficelles. Son goût pour le surréalisme n'y est pas étranger. Le bizarre lui sied à merveille, lui qui irritait tant Baudelaire, à l'attrait de la laideur, à l'égoïsme des nantis, à cette vulgarité de pets, de rots, de panses, de bière et de frites qu'illustrèrent Bruegel, Ensor et Brel.

Paradoxalement, cette nation précaire demeure un vivier de créateurs, d'avant-gardistes, qui s'abreuvent dans le génie de ce confluent de l'histoire, nourris par les cultures française, germanique, anglo-saxonne, espagnole. L'ironie, dans ce pays longtemps occupé, n'est autre qu'une arme de défense et de subversion. 
LangueFrançais
ÉditeurJourdan
Date de sortie20 nov. 2014
ISBN9782390090199
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    Aperçu du livre

    Anthologie de l'humour belge - Bernard Marlière

    Title page

    Introduction

    L’humour belge existe bel et bien : les francophones septentrionaux, séparés de l’Hexagone au motif que Bonaparte et Grouchy n’utilisaient pas de téléphones portables à Waterloo, se sont façonné une manière d’être, de penser et de rire qui n’appartient qu’à eux.

    Le Belge vit en Absurdie, dans un Etat linguistiquement, administrativement et politiquement bricolé, que des négociateurs atrabilaires retapent régulièrement à coups de rustines législatives, qui évoquent les machines assemblées par Gaston Lagaffe au moyen de rouages, de poulies et de bouts de ficelles. Son goût pour le surréalisme n’y est pas étranger. Le bizarre lui sied à merveille, lui qui résiste tant bien que mal à cette médiocrité petite-bourgeoise qui irritait tant Baudelaire, à l’attrait de la laideur, à l’égoïsme des nantis, à cette vulgarité de pets, de rots, de panses, de bière et de frites qu’illustrèrent Bruegel, Ensor et Brel.

    Paradoxalement, cette nation précaire demeure un vivier de créateurs, d’avant-gardistes, qui s’abreuvent dans le génie de ce confluent de l’histoire, nourris par les cultures française, germanique, anglo-saxonne, espagnole. L’ironie, dans ce pays longtemps occupé, n’est autre qu’une arme de défense et de subversion.

    Cette bâtardise a engendré un goût pour l’autodérision et une horreur farouche du sérieux, qui ont valu quelques entartages à de pompeux infatués de Lutèce et d’ailleurs. Dans un univers aussi ambigu, le sarcasme et la facétie passent par un travail sur le langage, remodelé par un lexique métissé (les belgicismes) et de délectables accents locaux.

    La présente anthologie n’a d’autre ambition, au travers des textes les plus savoureux des meilleurs humoristes de la Belgique francophone, que de cerner mieux l’art de rire d’un petit peuple attachant.

    Les classiques

    Le prince de Ligne

    Charles-Joseph Lamoral

    (Bruxelles 1735 Vienne 1814)

    Officier, diplomate et homme de lettres belge, colonel de l’armée autrichienne, nommé feld-maréchal de l’armée russe par Catherine II, il est considéré comme l’un des grands mémorialistes du dix-huitième siècle. Parmi ses trente-quatre œuvres répertoriées, on épingle des correspondances, des comédies en musique, des contes immoraux, des essais … Ce franc-maçon était surnommé « le prince rose » en raison de son penchant pour cette couleur.

    Promu « maître des plaisirs » au Congrès de Vienne, il confie à son ami Talleyrand que « le Congrès danse beaucoup, mais ne marche pas… »

    Pressentant sa mort, il déclare : « Il manque encore une chose ici : l’enterrement d’un feldmarschall. Je vais m’en occuper. » Elégante pirouette finale d’un viveur raffiné, grand ami de Casanova, qui lui avait rendu hommage en ces termes :  « Votre esprit est d’une espèce qui donne de l’élan à celui d’un autre. »

    A l’instar de ses contemporains Chamfort et Voltaire, ce soldat racé et séducteur a donné aux Lettres françaises quelques-unes des plus élégantes maximes, pensées et citations du siècle des Lumières. Ces petits bijoux de dix mots, drôles, surprenants, provocateurs, qui sertissent dans leurs paradoxes bien des vérités cachées, ne furent plus, grâce à lui, l’apanage des Anglo-Saxons, les Oscar Wilde, Swift, Joyce ou Samuel Johnson. En ce sens, Charles-Joseph de Ligne est bien le père spirituel des Aurélien Scholl, Tristan Bernard, Jules Romains, Guitry, Allais et, plus près de nous, des deux Pierre, Dac et Desproges.

    Chez les Belges, nos surréalistes, puis Léo Campion et Philippe Geluck, pour ne citer qu’eux, ont apporté leurs piments à ces savoureux entremets.

    - Maximes et pensées -

    Si vertueuse que soit une femme, c’est sur sa vertu qu’un compliment lui fait le moins plaisir.

    *

    Mon père ne m’aimait pas. Je ne sais pas pourquoi, car nous ne nous connaissions pas. Ce n’était pas la mode d’être alors bon père et bon mari.

    *

    Il y a deux espèces de sots : ceux qui ne doutent de rien et ceux qui doutent de tout.

    *

    Mon étonnement est qu’on survive à une bataille, quel qu’en soit l’évènement. Comment ne pas mourir de chagrin si on la perd, et de joie si on la gagne ?

    *

    J’aime les gens distraits ; c’est une marque qu’ils ont des idées et qu’ils sont bons : car les méchants ont toujours de la présence d’esprit.

    *

    Il y a des Administrations qui coûtent plus cher que si on y volait.

    *

    Il vaut bien mieux avoir de l’imagination que de la mémoire. Les hommes font les lois ; les femmes font les mœurs.

    *

    La meilleure séduction est de n’en employer aucune.

    *

    Je connais des gens qui n’ont d’esprit que ce qui leur faut pour être des sots.

    *

    Malheur aux gens qui n’ont jamais tort ; ils n’ont jamais raison.

    *

    En amour, il n’y a que les commencements qui soient charmants. Il n’est pas

    étonnant qu’on trouve du plaisir à recommencer souvent.

    *

    Ceux qui ne savent pas rester chez eux sont toujours des ennuyés et, par conséquent, des ennuyeux.

    *

    L’enthousiasme est le plus beau des défauts.

    *

    L’amour-propre d’un sot est aussi dangereux que celui d’un homme d’esprit est utile.

    *

    J’avance dans l’hiver à force de printemps.

    *

    Charles de Coster

    (Munich 1827- Bruxelles 1879)

    Né d’un père flamand et d’une mère wallonne, ce pamphlétaire, admirateur de Garibaldi, publie en 1867 « La légende et les aventures héroïques, joyeuses et glorieuses d’Ulenspiegel et de Lamme Goedzak au pays de Flandres et d’ailleurs. »

    Ce chef-d’œuvre inclassable, hymne à la liberté, chante les exploits d’un farceur légendaire aux prises avec l’oppresseur espagnol aux Pays-Bas du seizième siècle.

    Rédigé dans un français archaïque, l’ouvrage, aussi touffu que son titre, resta longtemps boudé du grand public.

    La résistance acharnée des Belges au cours de la première guerre mondiale a sans doute contribué à élever Tyl Ulenspiegel, personnage savoureux, à la fois gai et dramatique, insouciant, fantasque, mais désintéressé et épris de liberté, au rang de héros de légende.

    Ce Panurge gothique, émule de Robin des Bois, de Don Quichotte et de Guillaume Tell, personnifie un peuple opprimé dans son existence matérielle et ses croyances, qui puise le courage de lutter, par le rire et par les armes, contre l’usurpateur. Malédiction ? « Till l’Espiègle », le seul film réalisé par Gérard Philippe, qui en interprétait le rôle-titre en 1956, connut le même échec commercial que l’œuvre dont il s’était librement inspiré.

    - Le rucher -

    Une nuit, Ulenspiegel, pour fuir la fraîcheur, s’était réfugié dans une ruche et, tout recroquevillé, regardait à travers les ouvertures. Il y en avait deux en haut.

    Comme il allait s’endormir, il entendit craquer les arbustes de la haie et entendit la voix de deux hommes qu’il prit pour des larrons. Il regarda par l’une des ouvertures de la ruche et vit qu’ils avaient tous deux une longue chevelure et une barbe longue, quoique la barbe fût un signe de noblesse.

    Ils allèrent de ruche en ruche, puis ils vinrent à la sienne, et, la soulevant, ils dirent :

    - Prenons celle-ci : c’est la plus lourde.

    Puis, se servant de leurs bâtons, ils l’emportèrent.

    Ulenspiegel n’avait nul plaisir d’être voituré ainsi en ruche. La nuit était claire et les larrons marchaient sans sonner mot. A chaque cinquante pas ils s’arrêtaient, épuisés de souffle, pour se remettre ensuite en route. Celui de devant grommelait furieusement d’avoir un si lourd poids à transporter, et celui de derrière geignait mélancoliquement. Car il est en ce monde deux sortes de couards fainéants, ceux qui se fâchent contre le labeur, et ceux qui geignent quand il faut ouvrer.

    Ulenspiegel, n’ayant que faire, tirait par les cheveux le larron qui marchait devant, et par la barbe celui qui cheminait derrière, si bien que, lassé du jeu, le furieux dit au pleurard :

    - Cesse de me tirer par les cheveux, ou je te baille un tel coup de poing sur la tête qu’elle te rentrera dans la poitrine et que tu regarderas à travers tes côtes comme un voleur à travers les grilles de sa prison.

    - Je ne l’oserais, mon ami, disait le pleurard ; c’est toi plutôt qui me tires par la barbe.

    Le furieux répondit :

    - Je ne chasse point la vermine dans le poil des ladres.

    - Monsieur, dit le pleurard, ne faites pas sauter la ruche si fort ; mes pauvres bras n’y tiennent plus.

    - Je vais les détacher tout à fait, répondit le furieux.

    Puis se débarrassant de son cuir, il déposa la ruche à terre, et sauta sur son compagnon. Et ils s’entrebattirent, l’un blasphémant, l’autre criant miséricorde.

    Ulenspiegel, entendant les coups pleuvoir, sortit de la ruche, la traîna avec lui jusqu’au prochain bois pour l’y retrouver, et retourna chez Claes.

    Et c’est ainsi que dans les querelles les sournois ont leur profit.

    - La corde -

    Au bout de la rue Notre-Dame, étaient plantés, l’un en face de l’autre, deux saules au bord d’une eau profonde.

    Ulenspiegel tendit entre les deux saules une corde où il dansa un dimanche après vêpres, assez bien pour que toute la foule des vagabonds l’applaudît des mains et de la voix. Puis il descendit de sa corde et présenta à chacun une écuelle qui fut bientôt remplie de monnaie, mais il la vida dans le tablier de Soetkin et garda onze liards pour lui.

    Le dimanche suivant, il voulut encore danser sur la corde, mais quelques garçonnets vauriens, jaloux de son agilité, avaient fait une entaille à la corde, si bien qu’après quelques sauts la corde se cassa et qu’Ulenspiegel tomba dans l’eau.

    Tandis qu’il nageait pour gagner le bord, les petits bonshommes entailleurs de corde criaient :

    Comment est ton agile santé, Ulenspiegel ? Vas-tu au fond de l’étang enseigner la danse aux carpes, danseur inestimable ?

    Ulenspiegel, sortant de l’eau et se secouant, leur cria, car ils s’éloignaient de lui, de peur des coups :

    - Ne craignez rien ; revenez dimanche, je vous montrerai des tours sur la corde et vous aurez votre part de bénéfice.

    Le dimanche, les garçonnets n’avaient point coupé dans la corde, mais faisaient le guet tout autour, de peur que quelqu’un y touchât, car il y avait une grande foule de monde.

    Ulenspiegel leur dit :

    - Donnez-moi chacun un de vos souliers et je gage que, si petits ou si grands qu’ils soient, je danse avec chacun d’eux.

    - Que nous payes-tu, si tu perds ? demandèrent-ils.

    - Quarante pintes de bière brune, répondit Ulenspiegel, et vous me payerez trois patards si je gagne.

    - Oui, dirent-ils.

    Et ils lui donnèrent chacun un de leurs souliers. Ulenspiegel les mit tous dans le tablier qu’il portait et, ainsi chargé, dansa sur la corde, mais non sans peine.

    Les entailleurs de corde criaient d’en bas :

    - Tu as dit que tu danserais avec chacun de nos souliers ; chausse-les donc et tiens ta gageure !

    Ulenspiegel dansant toujours répondit :

    - Je n’ai point dit que je chausserais vos souliers, mais que je danserais avec eux. Or, je danse et tous dansent avec moi dans mon tablier. Ne le voyez-vous pas, avec vos yeux de grenouilles tout écarquillés ? Payez-moi mes trois patards.

    Mais ils le huèrent, s’écriant qu’il devait leur rendre leurs souliers.

    Ulenspiegel les leur jeta l’un après l’autre, en un tas. Ce dont advint une furieuse bataille, car aucun d’eux ne pouvait clairement distinguer, ni prendre sans conteste, son soulier dans le tas.

    Ulenspiegel alors descendit de l’arbre et arrosa les combattants, mais non d’eau claire.

    Mademoiselle Beulemans

    (Bruxelles 1910)

    En cette dixième année du vingtième siècle, un « trou » dans la programmation de l’Olympia de Bruxelles oblige Frantz Fonson (1870-1924) et Fernand Wicheler (1874-1935) à écrire en catastrophe un spectacle destiné à remplacer celui d’une troupe parisienne qui a fait faux bond à la dernière minute. Ils en situent l’intrigue chez un truculent brasseur bruxellois, où l’on entend parler français, mais surtout le dialecte local.

    Surprise, le triomphe est tel que la pièce se retrouve fêtée trois mois plus tard à Paris, puis dans le monde entier. Traduite en dix-sept langues et adaptée partout, elle voit un Beulemans asiatique vendre du riz, un Ecossais négocier du scotch et un Arabe échanger du pétrole !

    Marcel Pagnol, dont les proches déconseillaient le projet d’une pièce marseillaise à l’accent provençal, passa outre quand il assista au succès du « Mariage de Mademoiselle Beulemans » à la sauce belge. Dans une lettre, il en remercia les auteurs, auxquels il était redevable d’avoir osé écrire sa célèbre trilogie.

    A Bruxelles, la comédie a bénéficié d’acteurs de légende, comme Jacques Lippe, personnage breughelien, Jean-Pierre Loriot, Serge Michel, mais surtout l’espiègle Christiane Lenain, qui, quatre décennies durant, s’est investie à fond dans le rôle-titre d’abord, dans celui de Madame Beulemans mère ensuite.

    La pièce demeure la propriété exclusive du Théâtre Royal des Galeries. Son directeur, David Michels, l’a toilettée et mise en scène en 2004 et entend bien récidiver.

    Car le « Mariage », pièce mythique au canevas universel, appartient désormais au patrimoine culturel de la Belgique, au même titre que « Madame Sans-gêne » en France.

    - Acte II, scène 13 (extrait) -

    Mademoiselle Beulemans est promise à Séraphin Meulemeester, alors qu’elle a un « boentje » (aime secrètement) pour un jeune stagiaire parisien dont l’accent et les bonnes manières insupportent son père (« Je n’aime pas ce garçon ! »)

    Dans cette scène, Beulemans et Meulemeester père discutent des modalités du mariage.

    BEULEMANS

    Venez par ici, vous verrez déjà la table.

    MEULEMEESTER

    Vous avez fait des embarras ; ça, vous avez tort… avec nous, ça doit être à la bonne flanquette.

    BEULEMANS

    Qu’est-ce qu’il y a donc ? Une propre nappe et des jattes bleues.

    MEULEMEESTER

    Je n’ai pas encore vu Suzanneke.

    BEULEMANS

    Elle est probable en train de passer sa houppe sur son nez.

    MEULEMEESTER

    Et Madame Beulemans ?

    BEULEMANS

    Celle-là est sans doute allée chercher son face-à-main.

    MEULEMEESTER

    Ah ! Oui, c’est un très bon genre quand on reçoit du monde.

    BEULEMANS

    (lui offrant un fauteuil)

    Mettez-vous, mon cher.

    MEULEMEESTER (s’asseyant)

    Oui, nous devons encore peler un œuf ensemble pour les jeunes fiancés.

    BEULEMANS (s’asseyant en face de lui)

    Oui… C’est alors le mariage pour dans quatre mois… Nous serons au commencement du printemps. C’est mieux pour le voyage de noces.

    MEULEMEESTER

    Oui… en été, il fait trop chaud… Je me rappelle quand j’ai marié ma regrettée Stéphanie, nous avons été en Italie… il faisait tellement chaud et on était si fatigués que quand on était de retour on a dû tout recommencer.

    (Ils rient tous les deux)

    BEULEMANS

    Moi, j’ai fait mon voyage de noces à Bruxelles, à l’hôtel de l’Espérance.

    MEULEMEESTER

    Vous avez été dans la direction du Midi.

    (Ils rient)

    BEULEMANS

    Vous savez où ils iraient ?

    MEULEMEESTER

    Séraphin veut absolument aller à Londres.

    BEULEMANS

    Suzanne tient beaucoup à aller en Suisse.

    MEULEMEESTER

    Ah !…ça commence bien.

    BEULEMANS

    Oui, ça commence bien.

    MEULEMEESTER

    Mais ils n’ont qu’à s’arranger.

    BEULEMANS

    Nous n’avons pas d’affaires avec ça… Quand ils seront mariés, ils n’ont qu’à tirer leur plan.

    (Un temps)

    MEULEMEESTER

    Alors, c’est entendu… Vous donnez 50.000 francs à votre fille.

    BEULEMANS

    Oui, et vous ?

    MEULEMEESTER (tranquillement)

    Moi, je lui donne Séraphin.

    BEULEMANS

    Oui, mais qu’est-ce que lui donne ?

    MEULEMEESTER

    Il donne son métier, sa situation. Il est employé chez moi, avec 225 francs par mois. Et plus tard il aura les affaires.

    BEULEMANS

    Plus tard, oui ! Mais, maintenant, ce n’est pas beaucoup.

    MEULEMEESTER

    Comment, ce n’est pas beaucoup ?… Ce sont déjà les appointements d’un lieutenant.

    BEULEMANS

    Mais, ma fille a cinquante mille francs.

    MEULEMEESTER

    Oui, mais la jeune fille doit toujours avoir un peu plus que le garçon… sinon…

    BEULEMANS (se résignant)

    Ça n’est pas juste.

    MEULEMEESTER

    Ça, c’est le temps qui court.

    BEULEMANS

    Enfin, s’ils ne vont pas, on sera toujours là pour les aider, hein ?

    MEULEMEESTER

    Nature…

    BEULEMANS

    Où c’est qu’on fera le dîner ?

    MEULEMEESTER

    Ici, n’est-ce pas ? Le dîner, c’est toujours chez les parents de la jeune fille.

    BEULEMANS

    Est-ce qu’on fera beaucoup d’invitations ?

    MEULEMEESTER

    Ah, oui ! Ça doit être chic. Je vous donnerai ma liste… (Un temps) Alors, il faut leur installer un mobilier.

    BEULEMANS

    Séraphin a beaucoup de goût, il fera ça très bien…

    MEULEMEESTER

    Non, c’est pour vous… Le mobilier, c’est les parents de la jeune fille qui doivent le fournir.

    BEULEMANS

    C’est l’habitude ?

    MEULEMEESTER

    Ce sont les convenances.

    BEULEMANS

    Et les parents du jeune homme ?

    MEULEMEESTER

    Ils doivent fournir les lettres de faire-part.

    BEULEMANS

    Vous êtes sûr ?

    MEULEMEESTER

    Demandez à qui vous voulez.

    BEULEMANS

    Ah !… Enfin !…

    MEULEMEESTER

    Alors… tout est arrangé ?

    BEULEMANS (Il se lève et lui tend la main)

    Oui, on peut se donner la main.

    Roger Kervyn

    Roger Kervyn de Marcke ten Driessche

    (Gand 1896 - Louvain 1965)

    Il fut avocat au Barreau de Bruxelles, sa ville d’adoption, mais se consacra très vite à l’art. Paradoxalement, cet aristocrate raffiné, catholique conservateur, voua toute sa vie un amour profond et sincère au petit peuple des bas quartiers.

    Caricaturiste de talent, il exposa ses dessins dans sa ville natale, mais connut, à l’âge de 26 ans, un succès triomphal en publiant ses savoureuses Fables de Pitje Schramouille, écrites en patois bruxellois.

    On lui doit également, outre des poèmes et des critiques, des traductions d’auteurs flamands comme Félix Timmermans, Ernest Claes ou Gérard Walschap.

    L’étudiant Roger Kervyn devait, pour se rendre au Collège Saint-Michel des Ursulines, traverser le quartier populeux et pittoresque des Marolles, au pied du Palais de Justice, mastodonte colossal pour lequel ses constructeurs avaient rasé bon nombre d’habitations. Depuis, le vocable « architek » constitue l’insulte la plus cinglante en ces lieux.

    Ces pérégrinations quotidiennes près du Marché aux Puces, de la maison de Bruegel et de l’église Notre-Dame de la Chapelle inspirèrent au jeune bourgeois une affection profonde pour le petit peuple marollien, pour son truculent sabir mâtiné de flamand distordu.

    Les Fables constituent un splendide hommage à ces gens modestes, laborieux et fiers, à leur humour savoureux, leur bon sens, leur gouaille, leur naïveté aussi.

    Trois d’entre elles sont proposées ici.

    - EL VER LUISANT -

    C’était sur un swar de mai och de juin.

    - Le mois tout jist je sais plis bien

    Mo pour l’histwar ça fait qua mêm’ na rien -

    Dans in jardin

    In ver luisant

    Blinquait si tant

    Qu’c’était plaisir :

    Tous les p’tits miers

    Les p’tits fourmis

    Preniont s’ néclat vermel

    Pour le solel

    Qu’oûrait reluit

    Après minuit…..

    L’ôter était fier !

    Il oûrait pas connu Albert

    Pou’ s’monpère…..

    Y veuïe n’ fois fair’ de son nez

    Y va kruiper

    Dans le salon.

    Mo quelqu’in, sans prend’attation,

    L’a crasé avec son talon !…..

    On l’avait cor seul’ma pas vu

    Qu’il était d’jà longtemps foutu !

    Lowie ça est la coc’luch d’la Marolle

    Mo quan’ y va à l’Quartiè Léapold,

    Les man’moisell’ là-bas trouv’tent qu’c’est in voyou

    Et il n’a pas d’succès du tout !!!

    Lexique :

    Blinquait : brillait

    Miers : fourmis

    L’ôter : l’autre

    Albert : Albert I : Le roi des Belges à l’époque

    Kruiper : ramper 

    - EL PORTEPLIM’ ET L’CRAYON -

    In porteplim’ à réservoir

    Tenait in crayon d’anilin’ pour la poir’

    « Righar’ – qu’y disait, - mon ptit frère,

    Ca t’in’ letter d’amour que je suis là à faire

    Ca toi tu saurais pas ! »

    « Pourquoi do ? » « Mo pour ça.

    T’écris bleuïe

    Ca est bien trop crapeleuïe ! »

    Moi ! pas bleuïe ! j’écris môve.

    Ca jist’ pour alleïe avec lôve

    Et lôve ça est l’amour à n’Aaghlais. »

    « T’es-t aussi in Inglisch de la Cité Courbet ?

    Ha bien si ça s’rait pas qu’ tu l’dis,

    Mon ami ! »

    Mo pendant c’temps

    L’porteplim’, y a plis d’enc’ dedans

    Et l’crayon a dû verrach’ver

    La lett’ que l’autt’ est commencé.

    Te faut pas fair’ trop d’l’embarras

    Car on a très souvent

    In plis petit que swa

    Busoin.

    - LA PECOLE -

    In petit ketje des Marolles

    Etait malade au lit de la pécole.

    - Vous savez, ça est quand tu as la peau du cul qui se décolle -

    Et y savait pa’ aller à l’école

    Et chez les boy-scouts non plus pas.

    Et il avait d’ chagrin avec ça !!!

    Seulma, plus qu’y pleurait,

    Plus que la peau d’son pett’ se décollait !

    Et sa mouma allait partout d’mandeïe consel

    L’in disait :  « Madam’ te faut l’donneïe in lav’ment avec du miel. »

    Mo in ôter’ ripondait :

    « Dis lui plitôt qu’y doit se mett’

    Avec son pett’

    Dans ine assiett’

    Avec du lait.

    Alours te fermeïl les fernett’ :

    Comm’ ça y va ‘n fois bien transpireïe,

    Et la peau de son pett’ va se recolleïe. »

    « A moins seulma qu’ell’crolle

    Et alours ça s’ra pas drolle !

    Ca s’ra comm’ avec le petit Alphonse

    De la Cité Van Mons :

    Cuilà sa peau a tout à fait crollé

    Et pui’ elle a tombé

    Et ell’ a dû avoir sept ans pour répousser

    Moi je dis qu’y faut contrair’

    Le laisseïe da des coulants d’air. »

    In voisin

    Croyait qu’ça venait de l’instintin :

    Il apportait ‘n klachke huil’ de raisin.

    C’était gentil mo c’était pas malin !

    Et l’ menonkel qu’était gharçon d’ courses

    Cheïe le droguiss’ près de la Bourse

    Disait : « Pour moi ça est de trop alleïe.

    C’est plitôt de bismuth que tu duvrais donneïe. »

    Et la matante qui r’loq’t les salles

    Trois fois da l’ s’main à l’hôpital

    Criait : « On duvrait fair’ in lavag’ d’estouma

    Avec in long tuyau en caïoutchou comm’ ça ;

    On aval’ ça comm’ si ça s’rait d’macaroni

    Ca yet pas très plaisant, mo on est vit’ ghèri ! »

    On avait comm’ ça d’jà parlé beaucoup des jours

    Et le pett’ du p’tit men se décollait toujours !

    Alours on a ‘n fois ‘té chez Mossieu le docteur

    - Cuilà qu’avait da l’temps soigné sa petit’ sœur, -

    Et il lui a donné des spès de pilul’ Pink

    Et quans qu’il en avait pris cinq,

    - Ca est qua mêm’ in bon mèdicament ! -

    Voilà qu’ la peau d’ son pett’ collait meilleur qu’avant.

    Que chaquin tient son espècialité

    Et les vach’ seront bien ghardé.

    Lexique :

    Ketje : gamin

    Son pett’ : son derrière, ses fesses

    Elle crolle : elle boucle, se retrousse

    ‘N klachke huil’ : une lampée d’huile

    L’ menonkel : l’oncle

    Qui r’loq’t : qui nettoie

    P’tit men : petit gars

    Bossemans et Koppenolle

    (Bruxelles 1938)

    Roméo et Juliette au pays de la gueuze et des frites. Sauf qu’on n’y pleure jamais. Cette comédie à accent est assurément la plus célèbre du genre, avec « Mademoiselle Beulemans », dans le répertoire belge.

    Sa création au théâtre du Vaudeville, deux ans avant la guerre, enthousiasme le public bruxellois, qui s’identifie sans peine à des protagonistes qui lui ressemblent. Ici, les Montaigu sont droguistes et les Capulet, tapissiers. Le conflit qui contrarie les amours des jeunes héritiers n’est autre que la rivalité exacerbée qui opposait à l’époque les deux grands clubs de football de la capitale : les jaune et bleu de l’Union Saint-Gilloise, soutenus par les Marolliens, et les rouge et noir du Daring, hérauts du quartier populaire de Molenbeek.

    Un rôle secondaire, celui d’une vieille dame, Amélie Van Beneden, dite Madame Chapeau, a presque volé la vedette aux têtes d’affiche. La Ville de Bruxelles a rendu hommage à cette citoyenne plus vraie que nature en érigeant sa statue en bronze à même le trottoir de la rue des Moineaux. Sur scène, son personnage n’a jamais été mieux campé que par un acteur travesti, Jean Hayet.

    Paradoxalement, peu de gens peuvent citer le nom des auteurs de la pièce. Et pour cause : Il s’agit d’obscurs librettistes qui tiraient à la ligne pour fournir en opérettes légères des lieux de spectacles libertins, tel le théâtre des Capucines de la rue d’Arenberg. Paul Van Stalle composait les « lyrics » et Joris d’Hanswyck rédigeait les livrets. Ils y croisaient le meneur des revues, Marcel Roels, bon gros rubicond, auquel ils confièrent le rôle de Bossemans, qui fit son succès.

    - Acte II, Scène 2 -

    La droguerie populaire des Coppenolle. Le commis, Nestor Van Yperzeele, par ailleurs gardien de but du Daring, aide ses patrons, Auguste et Léontine, à remplir leur formulaire de pronostics de football.

    Entre Amélie Van Beneden, petite vieille à la voix chevrotante, vêtue de noir, surmontée d’un chapeau du même ton, portant un énorme cabas.

    AMELIE

    Je voudrais pour cinquante centimes de sel anglais.

    LEONTINE

    Une minute… Madame Chapeau !

    AMELIE

    C’est que je suis pressée !… J’ai des carbonades sur le feu !

    NESTOR

    Pour moi, Turnhout gagnant !

    AMELIE

    Ah !… Vous croyez ?… Je ne savais justement pas quoi mettre… Vous permettez ? (elle fouille dans son cabas et en sort une liste de pronostics) Je vais l’inscrire… autrement je pourrais l’oublier… Turnhout gagnant !

    COPPENOLLE

    Ce n’est pas du tout mon avis…

    LEONTINE

    Oh !… Toi tu es toujours d’un avis contraire !

    AMELIE

    Et qu’est-ce que vous pronostiquez pour Temse-Seraing ?

    COPPENOLLE

    (ensemble avec Léontine et Nestor)

    Drawn !

    LEONTINE

    (ensemble avec Nestor et Coppenolle)

    Temse gagnant !

    NESTOR

    (ensemble avec Coppenole et Léontine)

    Seraing gagnant !

    AMELIE

    Faites-vous une idée avec ça !

    COPPENOLLE

    Qu’est-ce que ça sent ici ?

    AMELIE

    C’est peut-être le boustring et le Herve que j’ai dans mon cabas !

    COPPENOLLE (reniflant)

    Non, on dirait que…

    AMELIE

    Que pensez-vous de La Gantoise ?

    NESTOR

    Dis donc !… Si je vous donne tous mes tuyaux, je me fais du tort !

    COPPENOLLE

    (élevant la voix)

    Il y a quelque chose qui brûle !

    LEONTINE

    (bondissant)

    Mon Dieu !… Le hochepot que j’ai oublié ! (criant vers la porte du fond) Georgette !

    GEORGETTE

    (sortant de la chambre)

    Mère !

    LEONTINE

    Le hochepot est en train de brûler !

    GEORGETTE

    Oïe ! Oïe ! (elle sort précipitamment)

    LEONTINE

    Avec ces histoires de pronostics, on ne sait plus ce qu’on fait…

    AMELIE

    C’est vrai quand même !… Ca finit par vous rendre djoum-djoum… (à Coppenolle)

    Une boule ? C’est des bonnes, c’est pour la gorge !

    COPPENOLLE

    Non merci… (à Nestor) Sers vite Madame… elle a ses carbonades sur le feu…

    AMELIE

    Il ne faudrait pas qu’elles brûlent aussi… Qu’est-ce que j’attraperais de mon homme !… Il est déjà si nerveux, rapport à la rencontre de demain…

    LEONTINE

    Ah ! Oui… Notre Daring qui matche contre l’Union !

    NESTOR

    Ca va être quelque chose…

    AMELIE

    Vous êtes sûr de gagner ?

    COPPENOLLE

    Pas si sûr que ça…

    NESTOR (indigné)

    Oh ! Patron…

    LEONTINE

    Tu devrais avoir honte de douter de la victoire… Toi, le trésorier du Supporters Club du Daring !

    COPPENOLLE

    On peut être supporter du Daring et rendre justice à l’Union.

    AMELIE

    Mon homme dit que l’équipe de l’Union n’existe pas !

    COPPENOLLE

    Ca prouve qu’il n’y connaît rien…

    AMELIE

    Dites, vous !

    NESTOR

    L’équipe de l’Union n’est pas à mépriser cette saison !… Seulement, elle a un point faible…

    COPPENOLLE

    Leur gardien de but… D’accord !

    NESTOR

    Et le Daring a heureusement un as… Moi !

    COPPENOLLE

    Fais attention, tu vas te faire mal !

    LEONTINE

    Tout le monde est d’accord sur la valeur de notre commis.

    AMELIE

    C’est sûr, ça… (à Nestor) Une boule ? C’est des bonnes, c’est pour la gorge…

    LEONTINE

    Je commence à croire, Auguste, que tu souhaites la défaite du Daring !

    AMELIE

    On le dirait !… Une boule ? C’est des bonnes pour la gorge.

    NESTOR

    Que Monsieur le souhaite ou non, demain nous serons victorieux, demain je serai porté en triomphe… sur les épaules des supporters !

    COPPENOLLE

    (à part)

    Ce qu’il m’agace, celui-là !

    LEONTINE

    Votre mère doit être fière de vous !

    NESTOR

    Il y a de quoi !

    AMELIE

    Et sa bonne amie, donc !

    NESTOR

    Je n’en ai pas !

    AMELIE

    A votre âge !

    NESTOR

    Un sportman doit savoir se priver…

    LEONTINE

    Et puis, il aime en secret une jeune fille très bien… N’est-ce pas, Nestor ?

    NESTOR (soupirant)

    Oui, Madame…

    COPPENOLLE

    Ce n’est plus un secret, puisque tu le sais !

    AMELIE

    Oïe ! Oïe ! Mes carbonades !

    COPPENOLLE

    (à Nestor)

    Voilà une heure que je te dis de servir Madame au lieu de nous barber avec tes histoires d’amour !

    AMELIE

    Vite !… Vite !

    NESTOR

    Qu’est-ce qu’il vous faut encore ?… Du bleu de Prusse ?

    AMELIE

    Non ! Du sel anglais !

    NESTOR

    Je savais bien que c’était un article étranger… Voilà, Madame Chapeau !

    AMELIE

    Je ne m’appelle pas comme ça !… Ce sont les crapuleux de ma strotje qui m’ont donné ce surnom parce que je suis trop distinguée pour sortir en cheveux… Je m’appelle Amélie Van Beneden.

    NESTOR

    On peut aussi bien s’appeler Chapeau que Van Beneden.

    AMELIE

    C’est sûr, ça… A une autre fois… Oïe ! Mon pronostic que j’allais oublier… Il ne manquerait plus que ça !

    Lexique :

    Une boule : un bonbon

    Boustring ou boestrink : hareng saur

    Strotje (du flamand straatje) : petite rue

    Achille Chavée

    (Charleroi 1906 - La Hestre 1969)

    Ce grand poète surréaliste hennuyer s’installe dès 1922 à La Louvière. Il plaide au barreau de Mons et s’engage politiquement dans des mouvements autonomistes wallons. Défenseur des ouvriers et des mineurs pendant les grèves insurrectionnelles de 1932, il collabore parallèlement au Bulletin du Surréalisme aux côtés de pointures telles que Magritte, Nougé, Scutenaire.

    Il organise même dans sa petite ville d’adoption une exposition internationale où figurent rien moins que Dali, Picasso, Ernst. En 1936, c’est la rencontre avec André Breton et Paul Eluard à Paris et son engagement dans la guerre civile espagnole aux brigades internationales staliniennes. Certains prétendent qu’il s’y oppose tout autant aux anarchistes de son camp qu’aux troupes de Franco en face.

    Quoi qu’il en soit, la Gestapo le recherche et l’oblige à entrer dans la clandestinité en 1941.

    Il se considérait comme un « vieux peau-rouge qui ne veut pas entrer dans une file indienne » et se désignait comme le plus grand poète de la rue Ferrer à La Louvière. Ce qu’il était sans conteste.

    Ses nombreux recueils de poésie, tels « Entre puce et tigre » ou « Adjugé », basculent souvent vers l’humour, comme dans ses « Décoctions », aphorismes marqués par son surréalisme révolutionnaire.

    Véritable icône laïque dans sa région, Achille Chavée reste l’objet d’un culte profond dans tout le Pays noir.

    - Citations -

    A beau chameau, vaste désert.

    *

    On découvre aisément en Dieu des signes graves d’anthropomorphisme.

    *

    Il existe une manière de dire en bien énormément de mal de son prochain.

    *

    Je suis un Peau-Rouge qui ne marchera jamais dans une file indienne.

    *

    On devient fatalement gaucher quand on a perdu la main droite.

    *

    C’est peut-être parce que tu as volé que tu fermes ta porte à clé.

    *

    L’impondérable est ce qui vous pend au nez.

    *

    On est toujours prisonnier de son dernier mouvement d’enthousiasme.

    *

    Dieu, avec son don d’ubiquité, ne posséderait-il pas celui d’iniquité ?

    *

    Il existe des despotes de la démocratie.

    *

    Quand on sort d’un pénitencier, on se réfugie plus volontiers dans un bordel que dans une cathédrale.

    *

    L’imprévisible n’est jamais que l’arrière-petit-fils du prévisible.

    *

    C’est très beau mais très triste une mouche verte tombée dans un encrier d’encre rouge.

    *

    Il ne faut pas toujours tourner la page, il faut parfois la déchirer.

    *

    Une dynastie est une collection de cadavres numérotés.

    *

    Dieu ne va jamais au secours des gens qui savent nager.

    *

    Le fataliste est celui qui lave son âme dans son urine.

    *

    On est parfois prisonnier d’une parole qu’on n’a jamais donnée.

    *

    Quand Dieu commet une faute grave à notre égard, il délègue son fils pour tenter d’arranger les choses.

    *

    Il ne faut jamais ternir sa mauvaise réputation.

    *

    Dieu est un fils à papa.

    *

    La chaise est toujours assise.

    *

    Marcel Mariën

    (Anvers 1920 - Bruxelles 1993)

    Ce redoutable provocateur fut tour à tour ou simultanément pornographe, contrebandier de cigarettes sur un cargo transatlantique, contrefacteur, recéleur de faux tableaux,

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