Diapason

LES 160 CRITIQUES DU MOIS

en studio

• A quelque chose malheur est bon : Jonas Kaufmann a mis le confinement à profit pour enregistrer un bouquet de lieder de Schubert, Brahms, Strauss, Mahler… Helmut Deutsch est au piano pour cette « Selige Stunde » (Sony).

Simon Rattle et les forces du LSO annoncent, sous l’étiquette maison, une Petite Renarde rusée de Janacek avec Lucy Crowe et Gerald Finley !

• Bertrand Chamayou pour bercer vos nuits ? Promesse de « Good Night », à venir chez Erato avec des berceuses de Liszt, Brahms, Chopin, Schumann, Grieg, Lyapounov, Strauss, Bonis…

• L’automne dernier, Richard Coeur de lion de Grétry ressuscitait à Versailles grâce à Hervé Niquet, Reinoud Van Mechelen, Rémy Mathieu, Marie Perbost : le spectacle arrive chez Château de Versailles Spectacles.

• Le claveciniste Francesco Corti a enregistré pour Arcana un programme Bach entrelardé de pièces de Kuhnau, Couperin, Telemann, Stölzel…

• Un bestiaire médiéval permettra de retrouver l’excellent ensemble Dragma (« Song of Beasts », Ramée).

• Schubert pour le Quatuor Arod qui se mesure à la « Jeune Fille et la mort » chez Erato, mais aussi pour le Trio Busch qui a gravé l’Opus 100 chez Alpha.

• Lionel Meunier et Vox Luminis se penchaient sur les motets d’un compositeur allemand négligé du siècle, Andreas Hammerschmidt (Ricercar). Pendant que Sébastien Daucé et Correspondances gravaient la Messe à 4 choeurs de Charpentier (HM).

• Le feuilleton Beethoven continue : Thomas Adès a mis en boîte les Symphonies nos 4, 5 et 6 avec le Britten Sinfonia (Signum) ; Gidon Kremer et sa Kremerata Baltica interrogent les Quatuors nos 14 et 16, mis en miroir de pièces de Sollima et…Léo Ferré (Alpha).

THOMAS ADÈS

NÉ EN 1971

YYYYY Paraphrase de concert sur Powder Her Face (a). In Seven Days (b). Mazurkas. Berceuse.

Kirill Gerstein (piano), Thomas Adès (piano [a] et direction [b]), Tanglewood Music Center Orchestra (b).

Myrios. Ø 2019. TT : 58’.

TECHNIQUE : 3,5/5

YYYY Paraphrase de concert sur Powder Her Face. Darknesse Visible. Blanca Variations. Still Sorrowing. Traced Overhead. Mazurkas.

Han Chen (piano).

Naxos. Ø 2019. TT : 1 h 09’.

TECHNIQUE : 4/5

Excellent pianiste avant d’être le compositeur que l’on sait, Thomas Adès écrit pour le clavier en rappelant aussi l’aventure lyrique qui balise désormais son parcours. Sa Paraphrase de concert sur Powder Her Face (2009) ouvre avec brio le florilège pour piano solo proposé par Han Chen : il y a dans ce portrait de duchesse décadente de belles humeurs variées, du rire au désespoir. Le lauréat du Concours Van Cliburn 2017 suit le compositeur dans son exploration de l’instrument à cordes (frappées mais aussi grattées) jusque sous le couvercle du piano dans les juvéniles Still Sorrowing (1992) et Darknesse Visible (1992) en écho à Dowland. Si Souvenir (2018, du film Colette) reste un peu court dans sa simple consonance française, les néobaroques Blanca Variations (2015) comme l’aérien Traced Overhead (1996) ne sont pas sans attraits. Trois Mazurkas (2009) convoquent celles de Chopin sans plagiat, avec l’art de la réinvention qui est la marque d’un grand compositeur.

Le jeu de Han Chen y manque toutefois d’arrière-plans par rapport à ceux qu’offre Kirill Gerstein dans l’enregistrement publié en parallèle par Myrios. Paraphrase figure également à son programme, mais dans une version postérieure (2015) pour deux pianos où Adès se fait lui aussi interprète : le dialogue ajoute à la résonance, l’effet miroir se déforme, les repères sont brouillés. La fête se teinte d’une nostalgie et d’une mélancolie devant lesquelles Chen passait sans vraiment s’attarder.

Gerstein poursuit sur le versant lyrique avec une Berceuse (2018) tirée de L’Ange exterminateur, dans une veine sombre, inquiétante. Mais c’est surtout In Seven Days (2008) qui retient l’attention, et même impressionne : cette symphonie « avec piano obligé » raconte la genèse du monde au moyen d’une science des mouvements contraires, de la circulation répétitive, de la spirale, de l’interpolation entre clavier et orchestre éblouissante. Adès n’est plus au piano mais tient solidement le pupitre des jeunes musiciens de l’académie d’été de Tanglewood pour refermer cette monographie en forme de triptyque – le portrait d’un compositeur, pianiste, chef accompli.

Benoît Fauchet

BONAVENTURA ALIOTTI

CA 1640–CA 1690

YYYYY Il trionfo della morte.

Capucine Keller (Eva), Vincent Bouchot (Adamo), Anne Magouët (Ragione), Renaud Delaigue (Iddio, Lucifero), Paulin Bündgen (Morte), Emmanuel Vistorsky (Senso), Les Traversées Baroques, Etienne Meyer.

Accent (2 CD). Ø 2019. TT : 1 h 35’.

TECHNIQUE : 4/5

Originaire de Palerme, disciple de Fasolo et Rubino, membre de l’ordre des Franciscains, Aliotti rejoint Padoue en 1671 où il devient organiste de la cathédrale puis vice-maître de chapelle. Il s’installe trois ans plus tard à Ferrare, où il côtoie Colonna, Legrenzi et Melani, avant de retourner en 1679 dans sa ville natale. Son Triomphe de la Mort voit le jour à Ferrare en 1677 et sera repris neuf ans plus tard à Modène. Le livret italien de cet oratorio volgare s’inspire de l’épisode biblique d’Adam et Eve pour former une fable édifiante. L’amour charnel qui lie le couple les voue à la Mort ; les Sens et le désir entrent en conflit avec la Raison ; Lucifer met en œuvre la tentation du fruit défendu ; les amants succombent, le Paradis terrestre leur est interdit à jamais. Moralité : la Mort triomphe, mais l’Espérance demeure.

La musique d’Aliotti reflète à la fois l’héritage de l’oratorio romain de Carissimi (construction narrative mêlant personnages, allégories et chœurs des anges, des vertus ou des démons), celui de l’opéra vénitien de Cavalli (dialogues dramatiques alternant recitar cantando et arie aussi brèves que charmantes) et la tradition musicale religieuse méridionale de Rubino (richesse de l’harmonie, goût pour les vastes architectures).

Rendons grâce à Judith Pacquier et Etienne Meyer qui dévoilent ici ce joyau emblématique de l’art et de la sensibilité de la Contre-Ré-forme. Un ensemble instrumental richement coloré (doublures de cordes et flûtes ou cornets) soutient un plateau où les solistes s’unissent pour les chœurs (impressionnante conclusion fuguée, à la fois radieuse et consolatrice : « Sperate mortali »). Capucine Keller incarne une Eve alternant séduction et pathétisme, en particulier lors de son lamento amoureux, sommet de la partition (« Discioglietevi, dileguatevi »). Vincent Bouchot est un Adam profondément humain (« Ma che dissi, mie care pupille »). Confronté à la mission paradoxale – mais théologiquement fascinante – d’incarner à la fois Dieu et Lucifer, Renaud Delaigue convainc davantage en tentateur faillible. Les personnages secondaires, solidement campés, ne déparent pas un ouvrage qui méritait amplement sa résurrection.

Denis Morrier

JOHANN SEBASTIAN BACH

1685-1750

YYYY Le Clavier bien tempéré, Livre I BWV 846-869.

Trevor Pinnock (clavecin).

DG (2 CD). Ø 2018-2019. TT : 1 h 58’.

TECHNIQUE : 3,5/5

Le Temps, a-t-on écrit, est un grand sculpteur. Il aura fallu que Trevor Pinnock dépasse soixante-dix ans pour graver sa vision du Clavier bien tempéré, œuvre qui l’accompagne depuis l’adolescence. Il insiste, dans son introduction (non traduite en français), sur le caractère intime d’un recueil destiné à la pratique privée, pour la pédagogie ou l’agrément, plutôt qu’à la salle de concert. Cette volonté d’inscrire son approche dans la sphère du familier englobe le choix du clavecin, une copie de Hemsch déliée et chantante qui l’accompagne depuis quarante ans – la prise de son pourrait restituer avec plus de présence la clarté des registres.

On l’aura compris, l’interprétation de Pinnock ne recherche jamais l’extraversion ou le brillant ; le ton est volontiers celui de la confidence, voire de la méditation (Fugue en dièse mineur errante jusqu’au risque de se dissoudre). Les lignes sont dessinées avec une élégante sobriété qui refuse la surcharge (BWV 858 délicatement stylisé) et l’emportement. En contrepartie, ce qui, sous d’autres doigts (Verlet, Hantaï), bondit et cabriole semble ici bien timide (les éclaboussures du BWV 860), parfois atone (les frissons farouches du BWV 855). Empreint d’une immense tendresse, partout perceptible, le regard de Pinnock se porte ailleurs, vers l’intérieur ; interrogeant les silences, dialoguant avec ses souvenirs, il ne cherche pas à faire sensation mais prend date avec sa propre histoire.

Jean-Christophe Pucek

YYY Concertos pour clavecin, Vol. I : Concertos BWV 1052, 1053, 1056 et 1059R.

Masato Suzuki (clavecin et direction), Bach Collegium Japan.

Bis. Ø 2018. TT : 1 h 06’.

TECHNIQUE CD et SACD : 4,5/5

Six ans après avoir enregistré les concertos à deux clavecins de Bach aux côtés de son père, Masaaki (Bis, 2014, cf. no 626), Masato Suzuki prend le gouvernail du Bach Collegium Japan pour le premier volume d’une intégrale de ceux pour clavier seul. Les élans farouches du BWV 1052, la concentration elliptique du BWV 1056, la variété pétillante du BWV 1053 sont aujourd’hui familiers des mélomanes. La relative nouveauté réside dans la reconstruction proposée du BWV 1059 dont ne subsistent que neuf mesures, réutilisées dans l’introduction de la Cantate BWV 35 (d’ailleurs notée Concerto), les autres mouvements étant induits du premier air d’alto et de la Sinfonia ouvrant la deuxième partie de la même œuvre ; la mise en lumière du dialogue entre hautbois et clavecin constitue un des atouts de la proposition, en particulier dans la Sicilienne centrale.

Conduits avec une pulsation et une intériorité souvent séduisantes, les mouvements lents sont les plus réussis de cette interprétation captée avec finesse. Les rapides, eux, s’avèrent précautionneux, étrangers à la fougue, avec des tournures parfois presque « romantiques » (Presto du BWV 1056) qui ne dépareraient pas dans une version avec piano. Tout est pourtant très en place, avec un soliste et un ensemble de solistes maîtres de leurs moyens ; l’étincelle n’y est pas. Cette lecture placide s’écoute sans déplaisir, sans guère laisser d’autre trace que l’impression d’un travail bien fait. C’est loin d’être déshonorant dans une discographie pléthorique et relevée.

Jean-Christophe Pucek

YYYYY Concertos pour clavecin BWV 1052, 1053, 1055, 1058.

Francesco Corti (clavecin et direction), Il Pomo d’Oro.

Pentatone. Ø 2019. TT : 1 h 04’.

TECHNIQUE : 4/5

Continuiste recherché, Francesco Corti, après une échappée en solo chez Haydn, a choisi de se tourner vers Bach pour aborder le concerto. Se fondant sur la présence, dans l’autographe du BWV 1055, d’une partie de continuo destinée à un clavier distinct du soliste, il y a distribué un second clavecin ainsi qu’un effectif de cordes plus étoffé (3/3/2/1) que celui auquel nous ont accoutumé les approches à un par partie. Cette intuition rejoint celle d’Andreas Staier (HM, 2015) qui l’étendait, comme ici, au BWV 1058 ; Corti va encore plus loin, incluant les BWV 1052 et 1053 dont l’écriture lui semble réclamer la même ampleur.

Dès les premières notes du célèbre Ré mineur, ici haletant, il apparaît que l’approche va répudier la tiédeur pour se placer sous le signe d’une énergie fiévreuse qui n’exclut néanmoins pas l’expression d’une élégance racée (Allegro du BWV 1058). Cet élan propulse les mouvements rapides, nerveux sans être agités ou précipités, scandés avec exactitude mais laissant toute sa place à une libre imagination. Une des forces de cette interprétation réside dans la volubilité maîtrisée des ornements et variations qui jaillissent, limpides, sous les doigts du soliste. Il trouve dans les archets affûtés et brillants d’Il Pomo d’Oro des partenaires à l’unisson : tous parlent la même langue, dansante, ensoleillée, volontiers impétueuse et conquérante. Un peu plus d’abandon, de clair-obscur dans les mouvements médians et ce disque pétillant d’étincelles nous enflammerait tout à fait.

Jean-Christophe Pucek

Y Y Y Y « Métamorphose ». Sonates en trio d’après BWV 1015, 1028, 1029 et 1043.

NeoBarock.

Ambitus. Ø 2013. TT : 56’.

TECHNIQUE : 3/5

A quand une section « archéologie » dans la discographie de Bach ? On ne compte plus les reconstructions hypothétiques, se fondant sur l’habitude qu’avait le compositeur de réutiliser son propre matériau musical, d’œuvres perdues ou présumées telles.

Maren Ries, premier violon de Neo-Barock, a ainsi traqué les indices (absence d’écriture spécifique pour tel instrument, incohérences dans les lignes mélodiques, arrangements contemporains) lui permettant de remonter à une source supposée : les Sonates BWV 1028 et 1029 pour viole de gambe et clavecin, la BWV 1015 pour violon et clavecin mais aussi le Concerto pour deux violons BWV 1043 seraient tous issus, selon elle, d’une sonate en trio pour deux violons et continuo. Force est d’admettre que ses hypothèses, qu’elles élargissent ou réduisent l’effectif transmis par la tradition, se révèlent séduisantes.

NeoBarock met au service de ces pages à la fois nouvelles et familières un enthousiasme revigorant qui n’exclut ni la précision (les dialogues dans le de ), ni la tendresse (cette façon de caresser l’ de ). Incisif mais jamais brutal, le jeu des musiciens est droit sans raideur, avec un sens aigu de la pulsation ; leur éloquence déliée leur permet même de se montrer insolemment brillants dans les meilleurs moments ( de la , par exemple). De menus maniérismes (rallentandos parfois trop appuyés en fin de mouvement) et une prise de son

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