Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Le cycle du mal: Tome 1: L’ange du mal
Le cycle du mal: Tome 1: L’ange du mal
Le cycle du mal: Tome 1: L’ange du mal
Livre électronique454 pages7 heures

Le cycle du mal: Tome 1: L’ange du mal

Évaluation : 5 sur 5 étoiles

5/5

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Voici enfin la réédition du premier tome de la tétralogie du mal de Gilles Caillot, pour amateurs éclairés. Lyon, 2006.

Plongée dans le noir, elle avait perçu une présence, puis une sensation d’étouffement, une douleur terrible, puis plus rien...

Le néant...

Une série de meurtres atroces sont perpétrés dans la capitale rhodanienne.

La police est sur les dents. L’enquête est confiée à Massimo Zanetti, capitaine de police à la criminelle.

Aidé de Julie Martin, responsable de l’IML dont il est toujours amoureux, il va mener une chasse à l’homme qui va le mener dans un des lieux les plus mystérieux de la cité lyonnaise : les catacombes.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1967, Gilles Caillot est un grand passionné de littérature noire et de thrillers. Stephen King, Jean-Christophe Grangé, Denis Lehane et, plus récemment, Maxime Chattam et Franck Thilliez sont ses principales références. Consultant dans les technologies de l’information, il s’est laissé happer en 2006 par la passion de l’écriture. Un univers travaillé, des descriptions toujours soignées, un réalisme poussé à l’extrême et une immersion psychologique de plus en plus présente au fil de ses écrits donnent à cet auteur une signature unique dans le monde du thriller français. Voici enfin la réédition du Cycle du mal, également connu comme la tétralogie de Massimo Zanetti.
LangueFrançais
ÉditeurIFS
Date de sortie10 mars 2021
ISBN9782390460145
Le cycle du mal: Tome 1: L’ange du mal

Lié à Le cycle du mal

Titres dans cette série (4)

Voir plus

Livres électroniques liés

Roman noir/mystère pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Le cycle du mal

Évaluation : 5 sur 5 étoiles
5/5

1 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Le cycle du mal - Gilles Caillot

    1.

    LINCOLN — PENITENCIER DE L’ÉTAT DU NEBRASKA, MERCREDI 18 MAI 2005

    Le cliquetis de la serrure rompit le silence qui régnait dans le quartier de haute sécurité. Il était environ quatre heures du matin en ce jour mémorable pour Garry. Lui, qui avait dû attendre des années avant que son sort ne soit définitivement fixé, voyait enfin ce matin la délivrance. Sa délivrance.

    — Garry, allez mon gars, bouge ton gros cul du lit ! C’est l’heure, éructa le gardien Brings sans réelle émotion.

    C’était devenu pour lui un cérémonial automatisé. Il était chargé de cette tâche depuis maintenant quatre ans et après trente-deux exécutions, il avait perdu cette angoisse qui lui retournait les intestins. La compassion, qu’il avait ressentie lors de la première année de son admission au pénitencier, avait également disparu. Conduire une personne vers son lieu d’exécution, traversant les longs couloirs obscurs de la prison, était devenu pour lui une sinistre routine.

    — Garry, allez, bouge-toi. Ne m’oblige pas à te lever de force, reprit plus fermement Brings.

    Les deux gardiens, cachés dans son dos, arborant les costumes de circonstance, se tenaient prêts à intervenir, armés de leurs tonfas luisant dans le halo jaunâtre des lumières tamisées de la prison.

    — OK, OK… Ça va. Toujours aussi autoritaire mon petit Brings. T’es vraiment indécrottable, ironisa Garry tandis qu’il s’étirait nonchalamment. Il se frotta machinalement les yeux. Des yeux d’un bleu azur, parsemés de fins éclats jaune vif qui lui donnaient ce regard félin, carnassier.

    Ce regard qu’avaient croisé tant de jeunes filles du Nebraska et des états environnants. Cette saloperie de prédateur qu’elles avaient eu le malheur de rencontrer et qui avait mis fin à leur vie, d’un coup, brutalement.

    — Tu permets que je me refasse une beauté ? dit-il en ricanant, laissant apparaître une rangée de petites dents noires et pointues.

    Il me fout vraiment la chair de poule ce type. Pas mécontent que l’on en soit bientôt débarrassé.

    Il avait pourtant croisé dans sa vie un sacré nombre de malades en tout genre, mais Garry Holts dépassait toutes les limites de ce que l’homme pouvait comprendre, intégrer mentalement. C’était la représentation du mal absolu.

    Garry se leva de la couchette et se dirigea vers le petit lavabo vétuste installé dans un coin poussiéreux de sa cellule. Il ouvrit le robinet et aspergea copieusement son visage crasseux.

    — Bon allez, ton cinéma a suffisamment duré. Approche et tends-moi les mains, reprit Brings, agacé par la décontraction malsaine du tueur.

    Malgré le recul que lui conférait son expérience, son front dégarni laissa échapper quelques grosses gouttes de sueur. Ce type, en totale soumission qu’impliquait son statut de prisonnier, arrivait à le mettre mal à l’aise. Garry avança ses grosses mains noueuses vers le gardien en souriant. Ces grosses mains battoirs de géant d’un mètre quatre-vingt-quinze avaient vu passer tant de corps mutilés, caressé tant de têtes arrachées.

    Les bracelets de force se refermèrent violemment sur les poignets épais du prisonnier.

    — Eh ! Vas-y mollo. Ou je vais… Garry s’arrêta machinalement, fixa Brings dans les yeux un court instant, puis lui sourit d’une façon inquiétante.

    La traversée du couloir sembla durer une éternité, Garry marchant devant, les mains et les pieds entravés par de lourds chaînons d’acier. Puis enfin, ils entrèrent dans la salle d’exécution.

    C’était une petite pièce de quelques mètres carrés, disposant d’un mobilier sommaire : une console, une chaise et tout un fatras de câbles électriques en tout genre qui pendaient aux murs et venaient se ficher dans la console. Deux longues électrodes repartaient de la boîte bourrée d’électronique vers la chaise.

    Une vitre sans tain faisait office de quatrième mur de la pièce. Brings, en regardant dans sa direction, imagina les quelques curieux qui avaient fait le déplacement pour assister de visu à la mise en œuvre de la sentence.

    Attaché solidement à la chaise massive, Garry se remémora son premier passage à l’acte. Une adolescente… Elle devait avoir quinze ou seize ans tout au plus. C’était en juin… Oui en juin, un mois caniculaire de l’année mille neuf cent quatre-vingt-dix.

    Il lui avait fallu un sacré bout de temps avant qu’il ne l’enlève. Oui… Qu’est-ce que cela avait été long ! Après s’être masturbé pendant trois mois, au moins deux fois par jour, devant sa fenêtre, lorsqu’elle était à son bureau ou bien quand elle se couchait. Dans sa voiture, quand elle passait à proximité. Dans le supermarché, alors qu’il la suivait.

    Pourquoi avait-il focalisé toutes ses pulsions et désirs morbides sur elle ? Il n’en savait rien, mais ce qui était sûr, c’est qu’elle avait été le déclencheur.

    Évidemment, comme tout jeune homme gravement perturbé, il avait torturé et brûlé des animaux ; une bonne dizaine de chiens et une bonne trentaine de chats avant la mise en marche de son Œuvre morbide. Mais lui avait toujours considéré cela comme la normalité, pour un adolescent.

    Il l’avait enlevée au début du mois de juin. Pendant toute la journée, il avait tourné, incertain. Il ne se sentait pas prêt. Et puis que se passerait-il ? Si elle ne voulait pas de lui ? La prendrait-il de force ?

    Il avait ressassé maintes et maintes fois l’instant où il se jetterait sur elle, la bâillonnerait et la jetterait dans le coffre de sa Viper et puis, il l’avait fait.

    Elle avait essayé de se débattre, de hurler. Mais il l’avait assommée rapidement d’un violent coup de poing et personne n’avait rien vu. Il avait eu de la chance. Vraiment beaucoup de chance. Car au moment de passer à l’acte, beaucoup de monde se trouvait à l’extérieur pour profiter du temps exceptionnel.

    Puis il l’avait emmenée dans une vieille cahute en bois, au beau milieu d’une carrière abandonnée et s’en était occupé comme il devait.

    Bien sûr, elle avait protesté au début et se refusait à lui.

    Comment pouvait-on se refuser à Garry Holts ?

    Mais elle était vite rentrée dans le rang quand il lui avait montré de quoi il était capable.

    Au début, elle n’aimait pas qu’il la sodomise. Petite salope. Et comme elle pleurait à chaque fois, il lui avait montré que son pénis n’était là que pour lui faire du bien. Le tout c’était de bien lui faire comprendre la différence. Et, elle l’avait vue, la différence, quand il lui avait enfoncé dans l’anus un gros bâton clouté pour la punir.

    Garry s’en rappelait encore. Elle avait hurlé et la douleur avait été si vive qu’elle s’était évanouie. Mais au moins, elle avait compris le message et elle ne disait plus rien quand il la prenait.

    Mais le répit n’avait pas duré, car le problème s’était déplacé. L’infection qu’il avait provoquée lui avait bousillé son fantasme.

    Elle avait mis dix jours avant de mourir de septicémie. Mais avant l’issue fatale, et bien que les tissus prenaient une teinte noirâtre peu engageante au fil des jours, il en avait profité quelque temps. Dix jours pendant lesquels il s’était vidé dans la cavité pourrissante de l’adolescente.

    Oui… Le souvenir était tenace et extatique.

    Et puis vint le jour où elle mourut. Il fut pris alors d’un malaise profond. Son objet de convoitise n’existait plus. Il abusa du cadavre quelques jours encore, puis la puanteur fut telle qu’il dût s’en séparer. Il garda cependant la tête en guise de trophée.

    Il sortit très frustré de son expérience. Cela n’avait pas été comme il l’avait imaginé et, désireux de retrouver la même excitation, il s’était mis en quête de sa prochaine victime.

    Mais les soixante-deux adolescentes qui suivirent ne lui apportèrent qu’une mince satisfaction.

    — As-tu une dernière volonté que l’on puisse réaliser ? Une cigarette peut-être ? gronda Brings, pressé d’en finir. Il se tenait devant la console électrique, les mains croisées dans le dos.

    — Non, mon ami. Prépare-moi un joli feu d’artifice pour mon départ, s’amusa à répondre Garry alors que ses yeux avaient pris une clarté gênante, illuminant son regard. Regard que Brings ne put soutenir plus longtemps.

    Le gardien Torney imbiba l’éponge puis vint la placer sur le crâne luisant de Garry. La première électrode était déjà solidement fixée à la jambe du tueur. Il ne restait plus qu’à placer la deuxième directement sur l’éponge et de faire tenir le tout, solidement, à l’aide des sangles épaisses.

    — Quel salopard… Mon ami ! Va brûler en enfer. Pourriture, s’entendit dire Brings, en s’essuyant le front.

    Puis, le temps parut se figer éternellement. C’était un moment qu’il n’aimait pas. Le silence. Le regard perçant du tueur. Le temps de la préparation.

    Enfin, quelques instants plus tard, Torney fit un petit signe à Brings, lui confirmant que tout était en place.

    Solidement harnaché à la chaise, Garry regardait inexorablement le gardien, un large sourire aux lèvres. Il allait partir vers d’autres cieux, mais l’essentiel était assuré. Son Œuvre allait être poursuivie. Son protégé était prêt. On lui avait laissé suffisamment de temps pour cela.

    Brings entama le protocole d’exécution.

    Il appuya sur le bouton de la console placée devant lui. C’était un gros bouton rouge ressemblant d’un certain côté à un buzzer de jeux télévisés.

    Le voltmètre vint se placer sur deux mille quatre cent cinquante volts en une fraction de seconde. Le corps de Garry se crispa instantanément et fut parcouru de violentes secousses. La première électrocution, ayant pour objectif d’anéantir les résistances de la peau, dura huit secondes exactement.

    Malgré la puissance du choc, Garry était encore conscient. Un large filet de bave pendait de sa bouche pétrifiée dans une moue terrifiante.

    Bordel, ce fils de pute est sacrément résistant, vociféra intérieurement Brings, fou de rage. Dans sa carrière, Brings avait remarqué qu’en principe, la première électrocution plongeait le condamné dans un état d’inconscience.

    Pourquoi cet enfoiré est-il encore conscient ?

    Après une seconde de répit, la deuxième électrocution prit le relais. Le voltmètre indiqua cette fois-ci quatre cent quatre-vingts volts. Cette séquence de vingt-deux secondes avait pour objectif de retirer les derniers souffles de vie du condamné. Le bas voltage relatif permettait d’éviter que le corps ne s’enflamme sous l’effet de la chaleur.

    Cette fois, les yeux de Garry roulèrent sous ses paupières, laissant apparaître deux grandes billes blanches striées de pétéchies rougeâtres.

    Puis, pendant vingt secondes interminables, le voltmètre resta sur zéro, afin de laisser le corps se refroidir.

    Le protocole complet se renouvela deux nouvelles fois et c’est au cours du deuxième passage que Garry s’évanouit.

    À la fin du troisième cycle, le corps du condamné fumait abondamment.

    Garry Holts n’était plus.

    Le gardien Brings s’approcha du cadavre, vérifia les fonctions vitales avec attention puis proclama la mort officielle du condamné.

    Il avait hésité à avancer vers Garry. Une peur étrange. Une peur qu’il n’avait jamais éprouvée. Peur qu’il relève la tête soudainement et qu’il le regarde de ses yeux azur, plantés au milieu de son visage carbonisé, sondant son âme au plus profond.

    Après la déclaration de la mort, il n’avait d’ailleurs pu terminer le protocole tellement son esprit avait été tourmenté. C’était Torney qui s’était occupé du corps calciné, qui l’avait décollé des sangles de sécurité et lavé le sol souillé par l’urine et les excréments libérés par le prisonnier, suite à la paralysie des muscles. Il avait regardé la scène de loin, gêné, angoissé. Terrifié par ce visage qui souriait. Sourire qui lui emplissait les lèvres. Sourire mélangeant la satisfaction du devoir accompli et d’une absolue représentation du mal.

    2.

    LYON, LUNDI 31 JUILLET 2006

    La chaleur de ce mois de juillet avait été réellement étouffante et avait poussé la population à se barricader dans les appartements surchauffés, malgré les efforts vains de leurs occupants pour garder une timide fraîcheur intérieure.

    Les vacances estivales étaient également à leur apogée et nombre de Lyonnais avaient déserté le centre-ville et les villages alentour pour venir s’installer dans le sud de la France, près d’un coin d’eau. C’est certainement la conjonction de ces deux éléments qui expliquait la découverte tardive du corps.

    En effet, toute l’année, les bois de Pollionna étaient très fréquentés. Des promeneurs de tout poil, des cueilleurs amateurs de champignons, des chasseurs et des passionnés de moto tout-terrain et d’autres cycles motorisés, sans compter des adeptes du VTT, arpentaient avec joie les jolies collines boisées du site. En d’autres circonstances, le corps aurait été retrouvé le jour même.

    Alexis, malgré la chaleur encore lourde de l’après-midi, avait décidé, ce jour-là, de sortir Umérus, son Jack Russell de trois ans. Ce dernier avait été insupportable toute la matinée et avait visiblement besoin d’un grand bol d’air, au rythme des jetés-rapportés de bâtons.

    Dans son break Peugeot, il avait avalé les quelques kilomètres qui le séparaient de l’entrée du bois, située sur les hauteurs de Craponne et il avait entamé le circuit désormais classique de leurs balades forestières.

    Umérus s’en était donné à cœur joie et malgré la chaleur écrasante des sous-bois, avait joué un long moment — au regard des capacités physiques de l’animal — avec son maître. Presque une heure plus tard, n’en pouvant plus, la langue traînant au sol et cherchant la plus petite parcelle d’ombre dans chacun de ses déplacements, le chien abdiqua.

    Bon, je crois que ton compte est bon. Tu vas pouvoir me laisser tranquille ce soir, pensa Alexis, amusé par le comportement de son compagnon à quatre pattes.

    C’est précisément à ce moment-là que les événements s’emballèrent. Qu’il se passa quelque chose qu’il n’attendait pas. Quelque chose qu’il n’aurait jamais pu imaginer.

    Alors qu’une légère brise traversait le sous-bois en faisant murmurer les feuilles, Umérus se figea puis, en un éclair, disparut dans la pente dangereusement glissante.

    — Umérus, viens ici, hurla Alexis. Umérus, veux-tu venir ici, espèce de couillon, continua-t-il, exaspéré.

    Malgré les appels répétés de son maître, le chien ne revint pas.

    Après avoir attendu vainement le retour du canidé pendant plusieurs minutes, Alexis entreprit la descente du bois.

    Le Jack Russell était à deux cents ou trois cents mètres en contrebas. Alexis le repéra facilement, car la densité des arbres était relativement faible à cet endroit.

    Le chien ne bougeait pas. Il semblait modelé dans de la cire. En s’approchant, il vit que l’animal humait l’air sans discontinuer, mais lui ne remarqua rien. Seule l’odeur qui grandissait lui laissa penser qu’Umérus avait sans doute trouvé un gibier venu mourir dans le coin.

    Lorsqu’il dépassa la petite butte qui occultait une partie de la pente en dévers, l’horreur lui apparut.

    Un corps était là. Nu. On ne s’était pas donné la peine de l’enterrer ou bien même de le dissimuler. Au contraire, la personne qui l’avait laissé là avait fait en sorte qu’il soit le plus visible possible.

    L’odeur pestilentielle qui se dégageait de l’endroit où le corps se trouvait était telle qu’il était impossible de ne pas la repérer à moins de cent mètres. Pourtant, au vu du tapis de feuilles intact, il lui sembla que personne avant lui ne s’était retrouvé devant cette abomination répugnante.

    Le cadavre était dans un sale état, à moitié décomposé. La peau cireuse était recouverte d’une matière verte, gluante. Des insectes, par centaines, avaient investi les orifices et les plaies béantes de la chair et se mouvaient frénétiquement dans les interstices. Les membres semblaient prêts à se détacher du tronc. Il put clairement distinguer les os jaunâtres apparaissant sous la chair.

    Son observation s’arrêta longuement sur le haut du tronc comme s’il ne comprenait pas ce qu’il voyait.

    La tête avait été arrachée.

    Cette vision lui provoqua une violente nausée. Sa tête lui tourna d’un seul coup, puis il rendit dans la douleur son déjeuner.

    3.

    Julie Martin était responsable, depuis deux ans, de l’institut médico-légal de Lyon. Les locaux flambant neufs du nouvel institut, situés dans le huitième arrondissement, avenue Rockefeller, avaient largement été financés par l’Université Lyon 1 et la mairie, par souci de faire de la ville une place forte de la médecine légale française. Après les implantations toutes proches d’Interpol et de la PTS à Ecully, la rénovation de l’institut n’était que la suite logique aux yeux des dirigeants.

    Julie, ravie, avait présidé l’inauguration qui s’était tenue le vingt décembre de l’année précédente, et avait éprouvé une grande fierté à faire visiter les trois nouvelles salles d’autopsie de l’établissement. Cerise sur le gâteau, les experts de l’urbanisme avaient même pris en considération ses revendications concernant la mise aux normes des installations à la législation funéraire.

    Il était neuf heures du matin quand elle appuya sur le petit interphone, posé sur son épais bureau en bois.

    — Marie, je vais attaquer. Merci de veiller à ce qu’on ne me dérange pas, et cela, sous aucun prétexte, entama la jeune femme rousse.

    Julie était à son apogée professionnel. Encore assez jeune, elle venait d’avoir quarante ans au début du mois, après de brillantes études universitaires et dix ans passés en internat aux Hôpitaux Lyon Sud, elle avait intégré le service médico-légal de Lyon depuis sept ans. Le goût des responsabilités et sa ténacité lui avaient fait gravir les échelons très rapidement, si bien qu’aujourd’hui c’était elle le patron. Cette réussite professionnelle était radicalement à l’opposé de sa vie sentimentale. Un véritable désert. Non pas qu’elle ne fût jolie ni attirante, mais, à part quelques aventures de temps à autre, rien… Le néant. Son métier la desservait…

    Tu veux une petite dissection mon amour avant de passer à table ?

    Elle en souriait quand elle y pensait. C’est vrai ! Qui aurait pu envisager une relation sentimentale avec une personne aussi proche de la mort ?

    Elle les faisait littéralement fuir.

    Après s’être lavé très méticuleusement les mains, elle enfila une paire de gants transparents en les faisant claquer avec un certain plaisir.

    Bon, voyons voir à quoi nous avons affaire aujourd’hui ? chuchota-t-elle.

    Elle s’approcha de la table de découpe sur laquelle Gildas avait déposé le corps. L’odeur était relativement forte. Elle avait pourtant l’habitude des cadavres, mais là… Celui-ci avait dû traîner un long moment à l’extérieur. Même l’alcool de menthe qui imbibait son masque ne suffisait pas à camoufler la pourriture suffocante.

    Je vais m’amuser on dirait… Qu’est-ce que ça va être quand je vais ouvrir l’abdomen ? pensa-t-elle en arborant un rictus de dégoût.

    Avant de s’attaquer au cadavre, elle consulta rapidement les photos radiographiques que Gildas avait laissées à son attention. Machinalement, elle mit en route le dictaphone.

    — Les radios montrent clairement une ablation de la tête à l’aide d’un objet de type contondant, il n’y a pas de réelle coupure, mais plutôt un écrasement des os. Je vérifierai ça sur les tissus. La tête a été arrachée du tronc au niveau de la troisième vertèbre, mais les quatrième et cinquième vertèbres ont été endommagées. On peut noter de petits éclats d’os logés dans la section cervicale. Le tueur a dû s’y reprendre à plusieurs reprises pour déloger la tête. Je dirais trois fois, mais il m’est difficile de le confirmer.

    Elle parlait de façon automatique, guidée par des années de pratique.

    — Le reste des radios ne laisse rien apparaître de particulier. Elles confirment que la victime est de sexe féminin de par la forme du bassin et certainement assez jeune, continua-t-elle.

    — Je vais maintenant passer à l’examen extérieur du sujet, fit-elle en s’approchant du corps.

    La peau était très dégradée et il lui sembla difficile de trouver quoi que ce soit d’intéressant sur un cadavre aussi décomposé. Elle procéda malgré tout à la description et à l’auscultation protocolaire.

    — Malgré la putréfaction des tissus, il reste des lividités cadavériques situées sur la face avant du corps. D’après la position relevée sur le lieu de découverte du cadavre, on peut en conclure que ce dernier a été déplacé post-mortem.

    La constatation de ces lividités cadavériques avait été la clé de plusieurs de ses autopsies et avait permis de confondre les auteurs des forfaits. De fausses affaires de suicide. Elle en avait vu quelques-unes dans sa vie professionnelle.

    Car les lividités sont des marques indélébiles du crime. Elles débutent en général de trois à cinq heures après que la victime ait rendu son dernier souffle. Elles apparaissent d’abord sur le cou puis s’étendent ensuite à d’autres régions du corps vers la quinzième heure après le décès. Le sang ne coagule pas et quitte les petits vaisseaux, dont la paroi est devenue perméable. Ainsi, sous l’effet de la gravitation, le sang d’une victime allongée s’accumule, s’immobilise et persiste sous la peau comprimée en contact avec le sol.

    Elle continua, sans émotion.

    — Le faible volume de sang trouvé sur le lieu de découverte du corps indique clairement que nous ne sommes pas en présence de la vraie scène du crime, l’artère cérébrale ayant été tranchée, plusieurs litres de sang auraient dû être retrouvés sur place.

    Elle fit une pause, soupira, puis reprit.

    — La rigidité cadavérique n’est pas constatée. La mort remonte donc à plus de deux ou trois jours.

    Cette rigidité provoquée par la transformation du glycogène des muscles en acide lactique apparaît quelques heures après le décès puis disparaît au-delà de deux à quatre jours.

    — Il m’est, pour l’instant, difficile de dater précisément la mort du sujet. J’en saurai peut-être plus avec l’étude entomologique, mais, pour l’instant, je vais me focaliser sur ce qui semble être la cause de la mort, la décapitation de la victime.

    Elle se dirigea vers le lavabo. Enleva ses gants puis s’aspergea abondamment le visage. Elle avait une sale impression de souillure. L’impression que le sang de la pauvre fille lui collait partout.

    Elle enfila une nouvelle paire de gants et se dirigea vers la table de travail qui était encore immaculée.

    — Bien, continuons. Les tissus situés à la base du cou laissent apparaître des écrasements flagrants et de petites ecchymoses. La décapitation a donc bien été opérée à l’aide d’un objet non tranchant.

    Une barre de fer, une pelle ? Elle n’en était pas sûre.

    — En revanche, la faible proportion de sang dans les tissus me fait douter de la cause réelle de la mort. La décapitation pourrait avoir eu lieu post-mortem. Malheureusement, la dégradation du cadavre est telle que je ne peux me permettre d’être concluante sans d’autres éléments complémentaires.

    Le bip retentissant de l’interphone fit sursauter Julie.

    — Madame Martin, le lieutenant Zanetti est ici et insiste pour vous voir, émit Marie très gênée de ne pas avoir respecté les consignes de sa supérieure.

    — Qu’il aille au diable. Je n’ai pas de temps à lui consacrer. J’en ai encore pour une bonne heure. Dites-lui que s’il veut un rapport digne de ce non, il devra patienter, répondit la jolie rousse.

    Elle savait que la police était sur les dents. Ce genre d’homicide est très rare dans la région et elle imaginait facilement la pression phénoménale que la mairie devait exercer sur les forces de police.

    Elle soupira de nouveau, puis reprit.

    — OK. Maintenant, examinons les extrémités et les orifices naturels.

    Elle scruta, munie de lunettes-loupes, les ongles des mains et des pieds de la victime. Rien n’était notable. Pas de fibre, pas de sang, pas de sperme. Rien qui pouvait lui en dire plus sur la suppliciée et son auteur.

    Les orifices vaginaux et anaux de la victime étaient trop dégradés pour qu’elle puisse en tirer quelque chose d’exploitable. Il lui semblait qu’ils avaient été élargis, mais elle ne pouvait, là non plus, rien certifier. La putréfaction des muqueuses était telle que l’examen ne pouvait qu’en rester au stade des suppositions.

    — Pas de fèces au toucher rectal, conclut-elle, avant que Zanetti ne fasse irruption dans la salle dans un fracas énorme.

    — Zanetti, qu’est ce que vous foutez là ? Fichez-moi le camp immédiatement ! hurla-t-elle, folle de rage. Elle se rendit compte qu’elle l’avait même vouvoyé dans sa colère.

    — Julie, je t’en prie, mes supérieurs me mettent une pression monstrueuse… Je ne peux plus attendre, implora-t-il.

    — Écoute, je ne peux pas me concentrer si tu restes là. Mais je te promets que je vais faire mon possible pour accélérer les choses.

    — Je ne dirai rien. Promis. Laisse-moi rester, je t’en prie, reprit-il, ses yeux prenant l’aspect de ceux d’un cocker triste.

    Elle finit par fondre en regardant ces yeux remplis de supplications.

    — Bon. Comme tu voudras, mais je ne veux pas entendre un mot.

    Zanetti et elle avaient eu quelques jours heureux ensemble, et elle l’aimait toujours un peu. Son charme d’Italien du sud l’avait captivée et encore aujourd’hui, ne la laissait pas de marbre, bien au contraire.

    Elle passa ensuite aux membres de la victime.

    — L’aspect dorsal de l’avant-bras droit, juste au-dessus du poignet, présente plusieurs croûtes confluentes brun foncé correspondant à des morsures de petits insectes. Un hématome est présent sur la partie proximale du troisième métacarpe. On note également, sur le dos de la main droite, des contusions mêlées pouvant correspondre à des morsures d’insectes ou de petits animaux dont la taille ne doit pas excéder six millimètres.

    Cela lui semblait logique… La victime avait passé un certain temps dans les bois… L’inverse aurait été étonnant.

    Elle continua.

    — Du côté palmaire, les dernières phalanges des doigts des deux mains présentent une abrasion sèche de plusieurs millimètres.

    Bizarre ça… Pourquoi a-t-on agi ainsi ? Pourquoi lui a-t-on gommé les empreintes digitales ? Est-elle fichée et trop facilement identifiable ?

     On peut noter également d’anciennes traces hématiques de coloration foncée correspondant à des hématomes sur les parties moyennes des cuisses gauche et droite, s’étendant sur une zone de douze à quinze centimètres. On constate également d’autres zones moins importantes mesurant deux à trois centimètres.

    Elle a dû se débattre sacrément et recevoir une bonne correction. La résorption naturelle du sang aurait dû, avec le temps, réduire l’épanchement sanguin. Les hématomes devaient être vraiment importants !

     Zanetti, il est moche ton cadavre ! Il me semble tout droit sorti d’un film d’horreur, s’entendit-elle commenter au lieutenant.

    Profitant de l’occasion, il répondit.

    — Oui. Ça fait bien longtemps qu’on n’avait pas vu une telle atrocité. Alors, quelles sont tes premières conclusions ?

    Elle répondit machinalement.

    — On a affaire à une jeune femme, d’une vingtaine d’années à peu près. Le cadavre a été déplacé après la mort par décapitation. Le décès remonte à trois jours environ. Je n’ai trouvé pour l’instant aucune trace laissée par le tueur. Aspect intéressant, les empreintes digitales ont été limées, je ne sais pas pourquoi, mais tu pourras peut-être m’en dire plus. Enfin, des marques de contusions importantes sont présentes sur les membres postérieurs. Elles sont sans doute liées au viol musclé de la victime.

    Zanetti n’avait pas encore ouvert la bouche, qu’elle reprit.

    — Mais je n’ai pas fini. Je dois encore procéder à l’examen interne du corps, et je ne suis pas convaincue que je trouverai quelque chose, le cadavre est déjà très décomposé. Le prélèvement des organes me semble compromis. Par contre, avec un peu de chance, la datation de la mort pourra être précisée si l’examen entomologique veut bien nous sourire un peu.

    — Merci Julie. Penses-tu me faire passer le rapport rapidement ?

    — Je te ferai passer mes conclusions au plus vite. Mais pour l’instant, tu n’en sauras pas plus.

    Zanetti la remercia de nouveau et puis Julie travailla sur le cadavre encore une bonne heure.

    4.

    La Division criminelle du Service régional de Police judiciaire, située rue Marius Berliet était en effervescence, malgré la date estivale de ce 1er août.

    Le Directeur régional et son adjoint avaient été, la veille, rappelés d’urgence et intimement conviés à se présenter ce matin chez le préfet. Ainsi, ils avaient dû laisser femmes et enfants sur leurs lieux de villégiature respectifs afin de répondre à l’appel des hauts dignitaires des instances départementales et régionales.

    Après un briefing éloquent du préfet, Robert Ranque et Bruno Aimera avaient organisé le plan de bataille et désigné le chef d’équipe qui y serait associé.

    Massimo Zanetti en faisait, bien sûr, partie. Sa carrière d’inspecteur puis de lieutenant à la Crime était irréprochable et il avait, ces dernières années, trempé dans toutes les affaires les plus sordides que la ville de Lyon et de la région Rhône-Alpes aient pu engendrer.

    Zanetti était, au regard de ses supérieurs, l’homme des situations « à la con » et là, celle-ci en était vraiment une…

    Cadavre mutilé et non identifié, très peu d’éléments concrets à se mettre sous la dent concernant le meurtre et l’identité du tueur, et puis il y avait ce message codé que Julie Martin avait trouvé dans les entrailles du macchabée.

    — Zanetti, vous êtes l’homme de la situation. Nous avons besoin d’un homme d’expérience pour cette affaire compliquée et vous avez toute notre confiance, s’était-il entendu dire par le patron du SRPJ.

    Il n’avait rien à dire. On ne pouvait pas contredire un patron. Surtout au SRPJ. Et puis, sa nomination était courue d’avance du fait de ses antécédents. Oubliant les vacances qu’il avait planifiées, il avait répondu simplement.

    — Bien Monsieur. Merci pour votre confiance.

    — Je vous laisse organiser votre équipe. Le préfet est enclin à vous donner carte blanche pour votre enquête. Les services de la PTS et d’Interpol vous sont naturellement entièrement ouverts, avait repris le Directeur.

    Après une courte pause pendant laquelle il avait fixé le lieutenant quelques secondes, il avait conclu.

    — Zanetti, je vous laisse imaginer que cette affaire nous déplaît fortement et qu’elle contrarie encore plus le préfet et la mairie. Faites vite ! Nous avons besoin d’élucider cette affaire le plus rapidement possible. Mais attention, pas de fuites… La presse se déchaînerait.

    Il fut nommé ce jour-là capitaine de police et investi de l’enquête. Oui, capitaine de police. Titre bien ronflant. Capitaine de police, chargé de l’affaire que l’on surnomma bien plus tard dans la presse « L’homme aux têtes sanguinolentes ».

    5.

    LYON, MERCREDI 2 AOÛT 2006

    Massimo Zanetti ferma la porte du grand bureau. Toute l’équipe était là à présent. Il pouvait commencer.

    Richard Toulalan, technicien spécialisé de la police technique et scientifique d’Ecully, se tenait à sa droite. Massimo avait immédiatement fait appel à lui, car ils avaient déjà travaillé ensemble l’année précédente sur le meurtre d’une jeune fille à Saint-Cyr aux Monts d’Or. L’enquête avait été un grand succès et la technique employée, pour confondre le coupable, vraiment inédite : l’odorologie, procédé d’avant-garde encore en phase expérimentale.

    Il se rappelait comment Richard avait prélevé, sur le lieu du crime, une infime signature olfactive de l’auteur du crime. En récupérant sur des bandes de tissu spécial, cette toute petite trace odorante. La comparaison de cette signature avec celles des suspects potentiels avait permis de démasquer le tueur. L’enquête avait été résolue en un mois, alors que rien ne laissait penser qu’ils puissent y arriver, car aucun autre élément n’avait été trouvé.

    Zanetti appréciait ces nouvelles techniques de pointe et puis sa sympathie avec Richard était vraiment profonde. C’était donc tout naturellement qu’il lui avait demandé de participer à son enquête. Richard, dont l’amitié et le respect étaient réciproques, avait accepté sans la moindre hésitation.

    Lucie Armand, une jeune inspectrice, âgée d’à peine vingt-six

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1