Les champignons sauvages

Louise Anselme était née le premier janvier 1900. Une enfant du siècle : ce siècle qui s’ouvrait sous les meilleurs auspices. La dernière guerre datait de trente ans. Une bourgeoisie triomphante, des progrès scientifiques, une littérature en plein développement… « La belle époque », un nom qui ne sera pas usurpé. Bien sûr, encore trop de préjugés et d’inégalités : les pauvres restaient les pauvres, la moralité ne souffrait aucun écart. Corsetées autant dans leur corps que dans leurs mœurs, les « dames » veillaient à la tenue de leurs enfants, de leur domesticité : une bonne dont on s’apercevait de « la faute » était renvoyée, sans gages. Une demoiselle, dans le même état, était exclue, rejetée. Elle porterait sa honte, difficile à marier.

Mais ce ne fut pas le cas de Marie, la mère de Louise. Un mariage assorti : Jacques Anselme était ce qu’on appelait un fils de famille. À Besançon, ses parents tenaient la renommée bijouterie de la place de la République. Certes, c’était l’aîné, Gaston, qui devait en hériter. Les Anselme avaient joué de leurs relations pour que « le petit » entre à la banque où il devait faire une belle carrière. Jacques, docile, avait accepté.

C’était un grand beau jeune homme ; impeccable, charmant. On pouvait seulement lui reprocher sa réserve. Il ne se liait pas facilement. On le disait solitaire, voir sauvage, alors qu’il n’était que timide.

En cette année 1898, ses collègues de bureau l’entraînèrent au bal de la coiffure qui se déroulait, chaque année, au kursaal de Besançon. C’était un événement très couru, très élégant. Et si ses camarades l’entraînaient un peu contre son gré, c’est qu’il venait de fêter ses vingt-six ans. Il n’était pas bien vu par la direction que leurs employés