Cintia, Occupation double a changé ma vie
Par Lanctôt Jacques
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Aperçu du livre
Cintia, Occupation double a changé ma vie - Lanctôt Jacques
LES ÉDITIONS DES INTOUCHABLES
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Impression : Imprimerie Lebonfon Inc.
Conception graphique : Paul Brunet
Photographie de la couverture : LeChatOrange Photo
Photographie de l’auteure : Sylvain Majeau
Correction : Pierre Dion et Érika Fixot
Les Éditions des Intouchables bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada.
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition (PADIÉ) pour nos activités d’édition.
© Les Éditions des Intouchables, Cintia De Sá, 2014
Tous droits réservés pour tous pays
Dépôt légal : 2014
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
ISBN : 978-2-89549-724-0
978-2-89549-725-7 (ePUB)
CINTIA
Occupation Double a changé ma vie
En amour, personne ne peut blesser personne :
chacun est responsable de ce qu’il éprouve
et ne peut en blâmer l’autre.
Paulo Coelho
REMERCIEMENTS
Je veux remercier ma grande amie, Marilyne. Elle fut mon témoin lors de mon mariage avec Daniel. Elle a toujours été pour moi une complice, une mère qui, même si elle est à peine plus âgée que moi, a su me guider, m’accompagner, m’aider à me sortir des faux pas et m’encourager lorsque je croyais que tout était perdu.
PROLOGUE
Je m’appelle Cintia et je suis née un 13 mars 1986 dans la petite ville de Araçoiaba da Serra (« la place où le soleil se couche », en langue guarani), près de Sorocaba, à 80 kilomètres de Sao Paulo, au Brésil, cette boule immense au cœur de l’Amérique latine, qui possède des frontières avec une dizaines de pays tout autour, un pays tellement grand et riche qu’il pourrait se passer du reste du monde, comme on le disait quand j’étais petite fille. On pouvait y vivre toute une vie et ne pas avoir eu le temps de tout découvrir et de tout visiter.
En ce temps-là, la vie coulait doucement malgré la violence qui secouait mon immense pays. Rien ne venait
marquer la différence des jours, si ce n’est la tombée de la nuit très noire qui annonçait la fin obligée des va-et-vient pour moi, et l’approche inévitable des fins de semaine où la famille se réunissait au grand complet, avec mes tantes et mon oncle, mes nombreux cousins et cousines, dans une ferme appartenant à mon grand-père maternel. Il y avait des animaux de ferme, y compris des chevaux que je montais volontiers comme une fière cavalière. On y mangeait les plats traditionnels, les
grillades de bœuf, le riz avec haricots, des salades, de la farine de maïs et du manioc, tandis que les adultes se régalaient de bières et de cachaça, un produit qui se fabriquait sur place puisqu’il y avait dans la ville même une usine de fabrication de cette eau-de-vie que les hommes appréciaient tout particulièrement et qui pouvait rendre fous ceux qui en abusaient.
Quant à la famille de mon père, qui avait neuf frères et deux sœurs, je ne les voyais presque jamais. Lula, qui allait devenir président du Brésil, venait de se faire élire dans l’État de Sao Paulo et son élection annonçait l’arrivée d’un temps nouveau et d’une timide lueur de liberté. On le sentait à la fébrilité palpable qui marquait désormais les conversations de tous les occupants de la grande maison et aux regards de plus en plus égayés des voisins qui espéraient tous une trêve dans les luttes violentes qui se déchaînaient tout autour de nous.
À Araçoiaba, nous étions de véritables nomades. Nous changions de maison presque tous les ans. Je n’ai jamais su pourquoi il en était ainsi. Les maisons que nous habitions comportaient toujours de hauts murs et cela créait sans doute un sentiment de sécurité qui me permettait d’évoluer sans crainte, aux côtés de ma sœur de trois ans et demi mon aînée. Je me sentais à l’abri des bruits, des cris et de toute l’agitation extérieure, perceptible aux klaxons incessants des voitures et aux coups donnés sur la grande porte centrale par les visiteurs empressés qui venaient offrir leurs produits frais tout en profitant de la fraîcheur de la maison. À la table, il y avait toujours une ou deux places de vide pour ceux qui arrivaient à l’improviste.
J’avais l’imagination fertile et je pouvais créer toutes sortes de personnages et de situations fantaisistes à partir d’histoires lues dans des livres que mes tantes laissaient traîner dans la grande salle qui servait de lieux de discussions et de rencontres et où défilaient tous ceux, jeunes et vieux, riches et pauvres, qui se prétendaient amis de mon père et venaient solliciter une faveur, un miracle, une promesse. Car mon père semblait doté de pouvoirs extraordinaires qui en faisaient un être à part dans ce bal improvisé où il suffisait parfois d’offrir un verre d’eau ou un peu de café pour calmer les démons assoiffés. Il émanait de lui une impression de force et de sécurité. Le contact avec les personnes de pouvoir a toujours ce côté rassurant, comme une prière qui prépare à toute éventualité.
Mon père était policier, tout comme son propre père. Au fil des ans, il avait gravi les échelons et était devenu un enquêteur dont la réputation de bagarreur en faisait trembler plus d’un. Il faut dire que mon père n’avait pas eu une enfance facile et il avait dû apprendre à se défendre seul, avec ses poings, pour arriver à cet endroit où il pouvait prétendre regarder un peu plus loin que la cime des arbres. Petit mais costaud, à l’allure plutôt guerrière, il avait travaillé longtemps à la répression des trafiquants de drogue, avec le frère de ma mère, policier lui aussi. Je craignais pour ceux qui tombaient en disgrâce à ses yeux. Valait mieux l’avoir de son côté, c’est ce que je comprenais des conversations épiées à gauche et à droite.
Un jour, mon oncle avait décidé de garder une partie de la drogue qu’il avait saisie à des truands. Il voulait simplement pouvoir s’en servir pour épingler d’autres trafiquants mais un collègue jaloux l’avait dénoncé. Il s’était fait prendre et avait dû faire face à la justice. Il s’en tira avec une sentence de trois ans de prison, grâce à l’intervention de mon père qui promit de se venger du délateur. Je n’ai jamais su le fin fond de l’histoire et s’il y eut bain de sang, personne ne s’en vanta. Pendant ces trois années, nous partions souvent en véritable expédition familiale pour lui tenir compagnie pendant quelques heures dans cette prison un peu spéciale et éloignée du centre-ville, où les détenus de droit commun n’étaient pas admis. Nous formions vraiment une grande famille unie face au malheur et la trahison, car la délation ne faisait pas partie de nos valeurs.
Vers l’âge de 3 ans, je fus témoin d’un grave incident qui en dit long sur le climat de violence dans lequel nous baignions et qui me marquera à jamais. Une cousine arriva en courant à la maison. Elle était tout en pleurs et secouée de convulsions. Son père et son oncle venaient tous deux d’être abattus par un voisin devant ses yeux. Il y avait plein de sang et les deux corps gisaient par terre, sans vie, disait-elle, incapable de maîtriser ses émotions. Fallait-il se cloîtrer et verrouiller les portes à double tour ? Était-ce un règlement de comptes ? Le bref silence qui suivit l’annonce de la mort de deux frères de mon père fit bientôt place à un déchaînement de cris hystériques. Sur le coup, je me suis mise à pleurer moi aussi et à crier, mais mon père ne semblait pas du tout apprécier mes épanchements et me menaça d’une solide paire de claques. Je dus me calmer rapidement. Je réalisais qu’il s’agissait d’une nouvelle terrible car le visage de mon père s’était transformé petit à petit et il semblait maintenant atteint d’une colère immense. Je craignais le pire pour tout le monde autour. Deux de ses frères venaient de mourir, sans qu’on sache pourquoi.
Mon père prit son fusil et partit d’un pas décidé. Même ma mère n’osa pas l’en empêcher ou le questionner. Quand il revint, peu de temps après, personne ne lui demanda de comptes. On apprit, beaucoup plus tard, des bribes de cette histoire sordide. Les deux frères de mon père aimaient prendre un solide coup et leurs beuveries se terminaient souvent en bagarre générale. Leur tapage, nocturne ou diurne, dérangeait passablement le voisinage. C’est ainsi qu’ils avaient été tués dans le dos par un voisin exaspéré qui se croyait en état de légitime défense. Ce même voisin n’eut pas droit à un procès. Il paya sur-le-champ son double crime, sans explications. Le justicier ne fut pas inquiété et n’eut pas à répondre de ses actes devant un tribunal. Personne ne posa de questions. Silence total. Le malheureux eut droit à des funérailles discrètes et on ne sut jamais qui paya le cercueil et le croque-mort pour l’enterrement. Quant à mes deux oncles, ils furent enterrés avec tous les honneurs.
Une autre fois, ce furent mes tantes qui accoururent en larmes chez nous. Mon cousin de 3 ans venait de mourir. Il avait été écrasé par un camion de livraison, derrière l’épicerie que ma tante possédait. Elle l’avait laissé à l’extérieur à peine cinq minutes, le temps de donner de l’eau aux poussins qui couraient librement sur le terrain. J’avais 6 ans et la mort venait de frapper une seconde fois dans mon entourage. Ma tante était inconsolable. J’étais bouleversée. J’avais peur de mourir, moi aussi. Je venais de découvrir que la vie ne tenait qu’à un fil et que mon corps pouvait produire des larmes à n’en plus finir, au grand désespoir de mon père qui n’aimait pas cette enfant qui pleurait plus souvent qu’à son tour. J’aurais tellement voulu qu’il me prenne dans ses bras et qu’il me rassure, qu’il me protège de la mort, mais il était incapable de tels gestes de compassion et d’empathie. Et