Un été en Saskatchewan
Par Giguère Céline
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Aperçu du livre
Un été en Saskatchewan - Giguère Céline
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Québec, Québec G1R 4C7
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Impression : Imprimerie Lebonfon Inc.
Photographie de la couverture : Pictureguy sur Shutterstock
Mise en pages : Paul Brunet et Cynthia Gervais
Direction éditoriale : Érika Fixot
Révision : Marie-Claude Masse
Correction : Pierre Dion
Distribution : Prologue
1650, boul. Lionel-Bertrand
Boisbriand, Québec J7H 1N7
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Les éditions Michel Brûlé bénéficient du soutien financier du gouvernement du Québec — Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres — Gestion SODEC et sont inscrites au Programme de subvention globale du Conseil des Arts du Canada. Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada (FLC) pour des activités de développement de notre entreprise.
© Céline Giguère, Les éditions Michel Brûlé, 2014
Dépôt légal — 2014
Bibliothèque et Archives nationales du Québec
Bibliothèque et Archives Canada
ISBN : 978-2-89485-658-1
978-2-89485-659-8 (ePUB)
Un été en Saskatchewan
Cette histoire est inspirée de faits réels. Les noms des personnes et des lieux ont toutefois été changés pour les besoins du récit.
À ma grande fille Danielle Joy et
ces autres femmes blessées par la vie
pour des raisons irraisonnables,
surtout non fondées sur l’amour.
Il y a de l’espoir !
Remerciements
Un premier livre prend un temps indéfini pour aboutir à sa fin… Bien entendu, des amis ont subi dans les coulisses mes pleurs et mes joies lors de sa création. C’est pourquoi il m’est important d’identifier mes complices en écriture qui m’ont encouragée, café fumant en main et avec lunettes de lecture !
Je remercie Anne Brochu qui fut ma première fan, suivie d’Andrée Mathieu, ma sœur ; Ian Nelson, pour ses interminables corrections et, pour terminer, Laurier Gareau qui a cru en moi et qui m’a encouragée à joindre d’autres auteurs fransaskois. Je dois ajouter que joindre le Cercle des écrivains francophones de Regina lors des débuts du groupe a su me stimuler grâce aux multiples exercices et à l’apport hors pair.
Merci aussi à Érika Fixot pour ses conseils judicieux qui furent très appréciés.
Merci à ma famille et surtout à mon petit mari qui m’a donné beaucoup de temps d’écriture malgré les pressions provenant des autres carrières.
Je tiens également à remercier le support financier, sur le plan de l’écriture, d’entités fransaskoises telles que Saskatchewan Lotteries et le Conseil des arts de la Saskatchewan, en vertu d’une entente avec le Conseil culturel fransaskois dans le cadre de l’obtention d’un PAA. Grâce à cet apport, une version de ce livre a pu atterrir sur le bureau de l’éditeur Michel Brûlé. Je les remercie d’avoir cru en moi.
Chapitre 1
Received by the soil
Through hurts and turmoil,
Seed remains alone.
Mercredi 12 juin,
Enfin, une journée où, dès l’aube, je pouvais m’attendre à un soleil resplendissant. Pourtant, dès le début de l’après-midi, le bon augure du matin tourne en averse. Averse qui éveille en moi des moments de tendresse et une étrange mélancolie…
Assise sur les marches de la véranda, je contemple la pluie tomber dru. De temps à autre, je jette un regard furtif à cette mince brunette aux cheveux ébouriffés et quelque peu blanchis par les années, ma mère. La voici assoupie, écrasée par la fatigue, sur la vieille balançoire blanche décrépie, au fond de la véranda. Il m’arrive aussi de zieuter les rares piétons du village qui passent alors. Ils sont trempés jusqu’aux os étant donné qu’il pleut à boire debout !
Selon moi, la pluie offre à chacun un moment de vie privilégié : lorsqu’il pleut, le temps nous appartient. Personne n’a vraiment envie d’écouter vos derniers potins les plus juteux en se faisant mouiller. Je goûte alors à cette douce tranquillité avec un plaisir évident, bien que teinté de peine.
Si le soleil s’était pointé, la véranda aurait été le lieu de rencontre de prédilection des gens de Bienfait. Grand-mère sortait peu, ou plutôt avait peu la chance de sortir, car connaissances et amis se succédaient sans relâche à sa porte. Pourtant, tous savaient que le mercredi était sa journée : pour faire ses courses ; rendre visite à ses amies moribondes à l’hôpital, aller à une réunion des dames du comité d’activités de l’église et, bien sûr, conduire en trombe sa Mustang noire sur les routes sinueuses entourant le village (hum, il faut le reconnaître, elle avait le pied pesant).
En janvier dernier, mes oncles et mes tantes, qui vivent éparpillés en Alberta et en Colombie-Britannique, nous avaient encouragés à lui proposer de venir vivre parmi nous, à Regina. J’aurais tant aimé qu’elle vienne ! Grand-mère était bonne comme du bon pain (et en parlant de pain, elle n’aura pas su montrer à ma mère ou à nous, ses petites-filles, comment elle le faisait si tendre). Sa venue au sein de notre famille aurait pourtant changé bien des choses à la maison, car grand-mère avait un effet calmant, autant sur les enfants que sur maman, surtout depuis la mort de papa. Son gros bon sens en faisait une source intarissable de conseils judicieux, mais elle les donnait parcimonieusement et seulement sur demande. Bien que ma mère ait été sa bru, un fil secret les rapprochait ; même les sœurs de mon père n’avaient pas réussi à créer un tel lien avec grand-mère. Qu’est-ce qui liait si fort grand-mère et maman ? Je voulais tant percer ce mystère !
Pendant le temps des Fêtes, grand-mère avait commencé à nous faire part de ses dernières volontés. Elle m’avait glissé à Noël qu’elle espérait mourir à la maison, entourée des gens qu’elle aimait. Je ne comprenais pas son refus de quitter le village et de venir vivre à Regina, auprès des siens. Je me figurais qu’elle préférait ses amies à nous, ses petits-enfants, jusqu’au jour où j’avais osé lui poser la question. Il est vrai qu’elle avait une vie active à Bienfait, et qu’aurait-elle fait à Regina ? Toutes ses amies, avec qui elle sortait régulièrement, étaient au village. À bien y penser, elle se serait morfondue et serait probablement morte plus tôt. Parfois, nous pensons bien faire en rapprochant nos aînés de nous, mais en réalité, nous signons leur arrêt de mort. Après la confidence de grand-mère, j’avais réalisé à quel point nous étions égoïstes de lui demander de venir vivre chez nous. J’avais donc accepté sa décision de ne pas quitter ses amies et sa routine, avec bonheur. Vivre à Regina lui aurait enlevé ses raisons de vivre. Sans parler qu’elle aurait aussi perdu son indépendance et la possibilité de conduire son bolide, car elle refusait de conduire dans la grosse ville.
Bien sage, cette grand-mère. Elle était donc restée dans son village natal, dans sa maison qu’elle habitait depuis plus de quatre-vingts ans et où avaient eu lieu naissances (dont celle de mon père), mariages, chicanes et beaucoup de visites des villageois. Cette maison avait aussi connu des temps durs dans les années 1930 comme la longue sécheresse, l’horrible grève du charbon, les récoltes minces, les attaques du KKK et les réformes des conservateurs afin d’annihiler la langue française en
Saskatchewan. Rien n’avait ébranlé cette maisonnée. Son père l’avait bâtie avec ses frères. Cela leur avait pris trois ans à la rendre habitable. Toute sa vie avait tourné autour de cette belle maison.
Ma sœur Karine, la petite dernière, avait décidé de demeurer avec elle. Cela lui permettait à elle de changer d’air, car à son école, l’intimidation dont elle était victime était devenue intolérable et avait rendu difficile notre cohabitation : dépression constante, colères pour des riens… Les notes dans ses cours avaient chuté au point qu’elle avait échouer entre autres à un cours de calcul différentiel, elle qui était si bonne en mathématiques. Maman s’était alors tournée vers grand-mère pour savoir si l’idée de garder une adolescente ne l’effrayait pas trop. Malgré ses quatre-vingt-six ans, grand-mère avait accepté avec beaucoup de joie… Cela faisait le bonheur des autres membres de la famille paternelle, car Karine avait perdu sa nature douce et nous étions sûrs que grand-mère saurait en prendre grand soin. De plus, ma sœur et ma grand-mère nourrissaient une grande complicité qui rendait d’ailleurs bon nombre de petits-enfants bien jaloux, dont moi.
Ainsi, ma cadette avait pu continuer son année sans anicroche et elle était devenue beaucoup plus calme et moins agressive envers nous. Finalement, elle avait repris son naturel et souriait plus alors que l’effervescence du mois de mai faisait son entrée en Saskatchewan. Comme à son habitude, grand-mère s’était réveillée à 6 heures, mais ce matin fatidique, son cœur n’avait pas résisté. Tout doucement, grand-mère nous avait laissés. Celle-ci s’était tranquillement évanouie sur le lit et elle avait glissé vers des rêves éternels (et avec ses secrets,
malheureusement).
Vers 8 heures 30, Karine s’était levée frustrée. Comme grand-mère n’était pas venue la
réveiller, elle avait manqué son autobus pour se rendre à l’école. Elle l’avait alors légèrement secouée. Puis, avec effroi, elle s’était aperçue que le cordon d’argent avait été coupé : la vie qui animait grand-mère l’avait quittée. D’un bond, avec sang-froid et de façon mesurée, ma sœur avait appelé à la maison. Je m’en souviens ; ce matin-là, nous nous apprêtions tous à partir lorsque le téléphone avait sonné. J’avais entendu ma mère suggérer à Karine d’appeler l’ambulance du village et j’avais compris que grand-mère n’était plus.
Ma grand-mère a dû avoir une bonne ligne téléphonique directe avec le Seigneur, car son vœu fut exaucé : elle est morte chez elle, dans son lit, avec une personne chère à ses côtés. Karine, quant à elle, pleure encore au souvenir de cette journée, et l’on prie qu’elle se rétablisse de ce traumatisme qui continue à l’abattre. Je suis tout de même fière qu’elle ait été là pour grand-mère. Selon moi, c’est un privilège unique d’être au chevet d’un être aimé lorsqu’il part vers l’infini !
Nous voilà un jour de pluie battante sur la véranda, ma mère et moi. Elle, toujours assoupie, moi, l’épiant souvent et cherchant à lire derrière ses rides les secrets gravés tout au fond de son âme. Elle a toujours peu parlé de son passé. Si elle le fait, c’est au compte-gouttes. Ah ! ces femmes de ma famille, elles ont bien de la jasette entre elles, mais pour partager avec vous des moments de leur vie passée, alors là, le silence règne.
Pour le moment, je me pose la question : pourquoi, chaque année, s’est-elle entêtée à mettre dans les plates-bandes de grand-mère ces fameuses fleurs dont la fragrance laisse tant à désirer ?
Aaaaaah ! ce que je déteste les marigolds ¹. Vous n’avez pas idée !
Chaque printemps, au début de la préparation des plates-bandes, selon sa coutume maman prenait tout son temps à aligner les fleurs par couleurs, des plus foncées aux plus pâles. Ainsi, collées au mur de la maison, les rouges enjolivaient la monotonie de la peinture blanche. Ensuite, elle organisait les rouge-orangé, puis les orange, les jaunes, et si elle réussissait à trouver des blanches (les fameux Kilimandjaro géants) là, c’était la cerise sur le sundae.
Ces beaux œillets d’Inde blancs, elle les parsemait, car elle disait toujours :
— Ce qu’il y a de plus beau, il faut le déguster par petites bouchées.
En d’autres mots, il n’en fallait que quelques-uns pour satisfaire son soi-disant art horticole ! On aurait dit qu’elle prenait un malin plaisir à les placer toujours dans cet ordre (pour ne pas dire qu’elle en faisait une obsession). Grand-mère appréciait beaucoup les talents de maman en matière d’organisation de ses plates-bandes, car elle avait un faible pour les couleurs riches et vibrantes. En ce qui concerne l’odeur, elle s’en accommodait « pour le côté pratique de la chose », disait-elle. Maman, elle, ne cessait de vanter les vertus odoriférantes de ces fleurs, en affirmant qu’elles faisaient fuir les petits rongeurs.
Mon œil ! La petite souris brune du sous-sol avait dû passer outre cette odeur, car elle avait déjà commencé à faire son nid dans le mur côté sud de la salle de bains en s’infiltrant par le trou où les tuyaux sortaient. Heureusement que grand-mère s’était procuré deux mignons chatons venant de la ferme de mon oncle Martin et qu’ils avaient assez d’appétit pour lui faire la chasse. Mais ce n’est pas l’histoire de cette souris qui m’intéresse…
Chaque année, je m’évertuais à la convaincre de planter des lys asiatiques majestueux appelés flammes olympiques, si rouges à l’intérieur et si parfumés ! Comment vous décrire les plaisirs que mon appendice nasal percevait quand je les sentais… on aurait dit un mélange de cannelle et de gingembre. Un parfum des plus enivrants, quoi ! Mais ses marigolds, hum… je passe. Les Don Juan ou les amoureux n’ont jamais donné de marigolds à leur bien-aimée, mais des lys asiatiques, oui !
Cette année, vu que l’on devait préparer la maison pour la vente, j’avais encore tenté de persuader Madame la jardinière de planter des lys asiatiques, tellement plus plaisants à humer que ces marigolds. J’avais vite abandonné l’idée lorsque mon aïeule avait fait sa commande de plates-bandes. Aujourd’hui, je suis attristée de n’avoir pu partager ce plaisir avec grand-mère. Je fais mon deuil de ne jamais voir ces lys agrémenter ses plates-bandes.
Ah ! les corvées dans la maison encore à compléter ! Je pressens que l’après-midi va être pénible. La pluie a amené beaucoup d’humidité.
Ce matin du 12 juin,