Chemin de vie
Par Guy Lépinay
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Aperçu du livre
Chemin de vie - Guy Lépinay
Chemin de vie
Guy Lépinay
Chemin de vie
LES ÉDITIONS DU NET
126, rue du Landy 93400 St Ouen
Du même auteur
Mais où sont passés les lingots d’or du « Prince de Conti » échoué à Belle-Ile en 1746 (2016) les Éditions du Net.
Le bouc émissaire (2022) les Éditions du Net.
© Les Éditions du Net, 2022
ISBN : 978-2-312-12937-2
« Écrire, c’est une façon de parler sans être interrompu »
(Jules Renard)
Pourquoi décrire ces instants de la vie qui me reviennent à l’esprit ?
Parce que je regrette parfois de ne pas avoir questionné davantage mes parents et mes grands-parents sur leur vie, leurs motivations, leurs regrets, leurs satisfactions, leur environnement familial.
Parce que, enrichi de leurs expériences, anecdotes, satisfactions ou désillusions, j’aurais pu y voir plus clair, mieux appréhender l’avenir et éviter certains pièges.
Mais il est vrai que jeune, on pense à toutes autres choses et quand ces questions viennent à l’esprit il est trop tard et puis, dans les années 40/50, les aînés ne se livraient pas beaucoup et, surtout, nous n’osions pas les questionner…
De plus « les paroles s’envolent, les écrits restent »
Alors, alors… à vos lunettes…
Et pourquoi maintenant ?
Parce que j’ai 86 ans, que je ne suis pas éternel, que j’ai encore la force de faire des recherches tant dans ma mémoire que dans des documents.
Que cela force ma mémoire à se remémorer et que moi-même (charité bien…) je pourrai m’y référer pour redécouvrir plus tard……… ce que j’ai fait, mal fait, bien fait, oublié de faire ou tout simplement oublié tout court.
Mon bréviaire en quelque sorte !
Puisse-t-il, en dehors de son côté anecdotique, servir de base de réflexion à mes descendants.
De plus, j’adore écrire, c’est un sport intellectuel très intéressant, qui exige beaucoup de calories.
Et surtout, prenez tout avec recul et humour !
L’enfance
C’est au son des cloches de l’église Saint-Hélier de Rennes, qui sonnaient à toute volée, que je suis né le deux Janvier 1936, à 6 heures, à la maternité Saint-Yves qui lui fait face.
Maman, prénommée Charlotte, et dite « Mam » par ses petits-enfants, avait déjeuné, la veille, le premier Janvier avec Marie et Joseph Lépinay, ses beaux-parents et donc mes grands-parents paternels, au 41, rue de Châtillon, où ils avaient fêté avec papa et Yves, le passage d’une année à l’autre.
Et dans les jours qui ont suivi le « relevé de couche », je ne dois ma survie qu’à la prémonition de maman, qui, rongée par une sourde inquiétude, se leva en pleine nuit, malgré les morigénassions de papa, pour me voir dans mon berceau.
Elle ne me voit plus et me découvre enfoui sous les couvertures, recouvert sur tout le corps d’une mousse verte et respirant à peine.
L’asphyxie était proche !
Et de un !
Ensuite, j’ai passé trois bonnes années à respirer l’air pur de la campagne, à Clayes, à 15 Kms à l’ouest de Rennes, où Mam était institutrice avec une classe unique d’une quarantaine d’élèves de 6 ans à 14 ans !
La chance de ses élèves, dont elle a toujours gardé un souvenir impérissable et pendant très longtemps des contacts épistolaires ou visuels avec certains, a été d’avoir une maîtresse stricte, dévouée, sachant créer quelques intermèdes joyeux, dans l’ordre et la discipline.
Et encore pour tous ses élèves, d’être ensemble, les grands émulant les petits et les petits répondant quelquefois aux questions posées aux grands, bien que chaque catégorie d’âge ait eu son programme particulier.
Grace à ce mélange il était aisé de repérer les enfants doués et prometteurs et de les faire progresser.
Tous ses élèves de 14 ans étaient régulièrement reçus au Certificat d’Études.
Mam était la championne du département pour le pourcentage d’élèves reçus (100 %) et spécialement félicitée par le Recteur d’Académie.
Pour moi, à six ans, premier contact avec « l’école », école de garçons de Quineleu à Rennes, premier contact avec des étrangers, Mam et papa, dit « Dad », ayant fait construire une maison 39, rue de Châtillon, grâce à un emprunt de la loi LOUCHEUR (maintenant c’est le Crédit Foncier) et à la donation que mes grands-parents paternels leur avaient faite d’une partie de leur terrain.
Ces derniers habitaient au 41, et avaient fait construire une belle maison en meulière bleue, trônant au milieu d’un terrain d’angle d’environ 1000m2, avec son escalier central à révolution.
Ils durent faire un grand sacrifice en donnant à nos parents une partie de leur terrain et en acceptant que notre maison soit accolée à la leur.
Mais ils avaient le cœur sur la main.
Après la nouvelle construction une porte subsista entre les deux jardins mitoyens, toujours ouverte, ce qui nous permettait d’avoir des contacts quasi-quotidiens avec nos grands-parents paternels.
Tous les vendredis midi, grand’mère faisait des galettes de blé noir pour toute la semaine, en guise de pain, et nous allions souvent en déguster une ou deux toutes fraîches avec du beurre salé, tiré de la motte ruisselante.
Je n’ai jamais retrouvé de galettes aussi bonnes.
Pendant la guerre 39/45 et quand l’électricité était coupée, notre chauffage continuait de marcher, par thermosiphon. Ce ne serait plus le cas aujourd’hui !
En effet, la chaudière à bois et charbon chauffait l’eau qui, étant chaude et par un phénomène scientifique et naturel de thermosiphon, montait toute seule dans les tuyaux d’un diamètre d’environ cinq centimètres jusqu’au faîte de leur course et redescendait en « parapluie » dans les radiateurs, l’eau froide remplaçant l’eau chaude dans la chaudière par un mouvement tournant perpétuel et naturel.
Maintenant les tuyaux font 1 cm de diamètre et ne sont pas assez large pour créer le phénomène de thermosiphon de telle sorte qu’il faut un circulateur électrique pour pousser l’eau.
En cas de panne d’électricité……… pas de chauffage ! (Vive le progrès !)
Et nous nous éclairions, dans la cuisine avec une lampe à gaz, constituée d’une arrivée du gaz de ville dans un petit manchon en sorte de tulle, protégé par un tube de verre, et il suffisait de craquer une allumette et d’ouvrir le gaz pour que le manchon s’illumine et éclaire la pièce.
C’était l’aventure, conviviale et sympa, et après dîner nous faisions, tous en cœur, la vaisselle… à la main, un bac pour laver, un bac pour rincer, un torchon pour essuyer, de l’huile de coude pour ranger.
Pendant cette guerre nous fabriquions notre propre savon en mélangeant des corps gras avec de la soude caustique.
Par ailleurs, Dad se procurait de vieux pneus de voitures automobiles, les découpait pour les mettre en forme et les clouait sous nos galoches ou brodequins (sorte de ranger) pour servir de semelles et éviter leur usure.
Mam rapportait de l’école de la Tour d’Auvergne à Rennes, où elle était institutrice, tous les cahiers de ses élèves, une trentaine, pour les corriger à la maison et les ramenaient à ses élèves le lendemain matin.
Elle faisait le trajet quatre fois par jour et parcourait en tout huit kilomètres à pied, par tous les temps !
À la maison, pas d’invités, pas d’amis, du travail, de la distraction, sport, barre fixe, ambiance familiale, dans la bonne humeur et la discipline normale et même indispensable.
Discussions à table tous ensemble de tous les sujets, sauf le sexe, tabou sans doute.
Nos chanteurs préférés étaient Bourvil, André Claveau, Tino Rossi, Luis Mariano (La Belle de Cadix a des yeux de velours…).
Les américains n’avaient pas encore envahi l’Europe.
J’y ai vécu jusqu’à l’âge de 23 ans, année de la dénonciation de mon sursis militaire après l’obtention de mon diplôme de notaire.
Bien sûr, la télévision n’existait pas et nous étions bien tranquilles, mais par contre on lisait le journal « Ouest-France », on écoutait la radio, surtout pendant le Tour de France (Louison Bobet, créateur de la thalasso de Quiberon, Fausto Coppi, Bartali…) ou les retransmissions de matchs de boxe (ah ! Sugar Robinson ! et Cerdan, le compagnon d’Édith Piaf).
Pas de bandes dessinées, que j’ignorais complètement, mais je m’étais, par contre, abonné à « Science et Vie », très instructif et autres revues formatrices.
À l’école primaire, je brillais de mille feux et rapportait toutes les semaines la croix d’honneur, fièrement épinglée sur ma blouse grise.
Au mois de Juin 1943, assis sur le rebord de la fenêtre de la chambre de mes parents, je vois un bel objet brillant qui se détache d’un bombardier allié.
Il luisait dans le soleil.
Au même moment une alerte retentit dans toute la ville.
Je vois des ouvriers de la Gare courant en file indienne et rasant les murs en rentrant chez eux.
Maman arrive de son école, nous appelle, nous descendons dans la cave semi-enterrée, serrés les uns contre les autres.
Tout-à-coup une énorme déflagration, un bruit assourdissant.
Je jette un coup d’œil et vois la porte de notre maison, en chêne de qualité, et son huisserie, se gondoler comme le représentent fort bien les bandes dessinées.
Ensuite un silence total……… et puis le cliquetis interminable des vitres cassées qui tombent à n’en plus finir dans tout le voisinage.
C’était la bombe que j’avais vue qui était tombée sur un immeuble à 100 mètres en ligne droite de notre maison et avait raté la gare d’environ cinq cents mètres.
Et de deux !
Dix-sept morts.
Ce soir-là, nous couchâmes sur la paille dans une ferme, le « Gros Chêne », sur la route de Saint-Erblon.
Les paysans nous avaient allumé des lampes au carbure, j’en ai encore l’odeur caractéristique dans le nez.
En rentrant le soir, surpris de ne pas nous retrouver à la maison, Dad va voir sa mère, à côté, qui lui dit :
« Va donc voir rue Le Chapelier »
Nous nous sommes ensuite et par prudence réfugiés à Louvigné-de-Bais, à 30 kilomètres au sud-est de Rennes.
Dans un deux pièces, soit une salle de séjour faisant également cuisine et une chambre pour nous quatre (deux grands lits).
Ah ! Que c’était bon la mamelle de vache grillée !
Dad qui avait travaillé dans la région, en tant que chef d’équipe du cadastre, pour procéder au remembrement rural, faisait le tour des fermes à vélo à la recherche de nourriture, jouant de son sourire et de son charme.
Mam faisait la classe à Rennes où elle allait quelques jours par semaine par le petit tacot qui passait à Louvigné de Bais.
À son initiative auprès du Rectorat, elle avait obtenu que quelques classes soient installées dans l’école de notre village, dont Yves put bénéficier, sans interruption de ses études.
Nous avons hébergé Monsieur Saucet, ami de guerre de Dad, qui était recherché par les Allemands à Paris, et allions avec lui à la cueillette aux champignons (les petits roses) le matin de bonne heure, quand la rosée les avait fait éclore et gonfler.
Fabricant de chaussures à Paris, cours de Vincennes dans le 20ème, il était bien obligé de confectionner les belles bottines que lui commandaient les gradés allemands, mais pour faire acte de résistance intérieure, il inversait les couches de cuir, de telle sorte que les bottines grinçaient à chaque pas.
Peut-être que ça n’a pas plu à certains ?
Et un jour, les Américains sont arrivés à Louvigné-de-Bais dans leurs jeeps et leurs camions GMC et de beaux et grands noirs aux dents blanches nous ont distribué chocolat, café, biscuits, coca-cola… !
Maman a pris un café et n’en a pas dormi de la nuit !
L’ennemi chassé, retour à Rennes, la maison était debout, malgré les bombardements intensifs des alliés sur la Gare.
Dad
Après son certificat d’étude, papa, prénommé Roger, et appelé Dad par ses petits-enfants, avait passé plusieurs années à l’École d’Industrie, où tout en poursuivant une instruction générale, il avait été formé aux métiers manuels, menuiserie, usinage des métaux, etc.
Il faut dire que Dad a fait une très belle réussite.
Renvoyé de son administration, le Cadastre, sur pression des Allemands, parce qu’il était franc-maçon, il lui fallait se reconvertir.
Comme il était entreprenant et décidé, il trouva une toute petite entreprise de fabrication de voitures d’enfants à racheter.
Il fallait être gonflé !
Elle était située rue Saint-Melaine et comprenait deux petites pièces communicantes et un atelier sur cour, qui n’était en fait que cette cour recouverte d’une véranda, avec une