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Je ne me rappelle pas très bien…: Roman initiatique
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Je ne me rappelle pas très bien…: Roman initiatique
Livre électronique453 pages7 heures

Je ne me rappelle pas très bien…: Roman initiatique

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À propos de ce livre électronique

Suivez les aventures pagnolesques d'Olivier, un petit garçon qui grandit dans le sud.

Olivier, arrivé par hasard dans le midi, découvre le monde qui l’entoure. Il grandit au côté de ses parents, de ses amis dans ce sud où les gens parlent « avé l’accent ». Ce petit garçon « normal » avec une vie « normale » nous fait découvrir son monde pagnolesque et ses aventures qui mêlent l’école, les vacances, ses amis, ses émotions, ses parfums méditerranéens, mais aussi ses craintes et ses inquiétudes. Au milieu de cette terre bercée par le Mistral et le « cagnard », on passe du rire aux larmes à Marguerittes, ce village aux portes de Nîmes, entre Garrigue et Camargue où les souvenirs, d’une étonnante précision, nous emmènent à travers ce voyage initiatique où plus d’un lecteur s’y reconnaîtra.
Au style à la fois direct, limpide et dynamique, Olivier nous raconte le chemin parcouru, où il passe avec légèreté de l’enfance à l’âge adulte dans un monde qui n’a cessé de changer.

Passez du rire aux larmes en accompagnant Olivier de l'enfance à l'âge adulte au cours des dernières années du XXe siècle, avec ce beau roman d'apprentissage !

EXTRAIT

À l’époque le buzz des Inconnus « Auteuil, Neuilly, Passy », Patrick Bruel qui avec sa jolie petite gueule nous chantait « place de grands hommes ». Michael Jackson avait sorti un nouvel album et je découvrais des nouveaux comme Seal avec crazy, Dany Brillant (pas vraiment nouveau, mais c’est à ce moment-là qu’il fait son apparition dans ma mémoire musicale) et un Lagaf, humoriste qui s’essayait à la chansonnette. En janvier, c’est Sting qui faisait son entrée dans ma vie. Je le découvrais avec son dernier album The Soul cages et surtout All this time, sa chanson phare que j’ai dû écouter un millier de fois. Je ne connaissais pas trop Sting. Pas non plus Police. Quelques titres comme Every breath you take ou Message in the bottle, mais je ne m’étais jamais vraiment intéressé à leur musique. Je reconnais que ce fut là aussi une révélation. Pas autant que les Beatles, mais quand même. De ce genre de mélodie qu’on écoute avec plaisir, quel que soit le moment de la journée.
Dans ma chambre, j’avais déplacé mon lit, mon bureau, mes armoires. Les posters eux, étaient presque tous à la même place. En faisant mes devoirs, j’écoutais les chansons du moment, depuis un petit radio-réveil de couleur rouge. Il crachait la musique qu’on écoutait sur NRJ ou Fun Radio. Je n’ai jamais vraiment dansé sur ce qui passait au poste. En revanche, je battais le rythme toujours avec le haut du corps et la tête. Je chantais aussi. En anglais, bien que ne connaissant pas les paroles de toutes les chansons, je faisais de la « phonétique ». J’y ai passé des heures dans ma chambre. À écouter mes airs préférés, à lire mes BD au début, puis mes auteurs et mes personnages favoris : Hercule Poirot et Sherlock Holmes. Plus tard Hemingway et John Grisham. Je me suis essayé à l’écriture, à une certaine époque. Mes parents ne s’en doutaient probablement pas. J’ai vainement tenté d’apprendre à jouer de la guitare. Sans succès. J’y ai invité une femme pour passer la nuit avec elle. J’y ai cuit ma première cuite. Et quelques autres. J’y ai ressassé mes peines. Et il y en a eu. Elle a été le témoin de plein de choses. Comme moi, des milliers d’ados avec les mêmes histoires et des anecdotes similaires…

À PROPOS DE L'AUTEUR

Olivier Minarro est né à Lyon en 1976. Il grandit dans le sud de la France près de Nîmes. Installé dans le sud de l’Espagne au début du millénaire puis à Londres au milieu des années 2000, il s’installe définitivement aux Asturies en 2012. Entre océan et montagne, c’est là-bas qu’il écrit Je ne me rappelle pas très bien…, récit méridional et méditerranéen où le regard d’un enfant qui devient un adulte traverse les dernières années du XXe siècle.
LangueFrançais
Date de sortie4 sept. 2019
ISBN9782851138491
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    Aperçu du livre

    Je ne me rappelle pas très bien… - Olivier Minarro

    Première partie

    1976 – 1987

    I

    Je suis né en juin. Le mois où tout commence. Où tout finit. Question de perspective. C’est le mois où la douceur et l’émotion du printemps laissent leur place à la brutale chaleur de l’été. Le mois où l’école, pour des millions d’élèves et d’étudiants, se termine presque dans un air de nostalgie, faisant place au bilan de l’année scolaire. Les paysans, jadis préparaient les moissons et allaient de fermes en fermes pour organiser les récoltes. Les premiers bains de la saison estivale se faisaient indispensables. Les premières amourettes de milliers d’adolescents laissaient libre cours à leurs envies. Une longue liste d’évènements viendrait compléter ce particulier inventaire, subjectivement énoncé par tout un chacun. Et curieusement, c’est ce mois-là que je choisis pour montrer le bout de mon nez. On ne cessa de me rappeler à chaque anniversaire que cette année-là, il avait fait très chaud. Je fis une faveur à mon père ce jour-là en lui laissant regarder la finale de la Coupe de France de Football, qui opposait l’Olympique de Lyon à l’Olympique de Marseille. Puis dans un souci de tranquillité, il laissa mon grand frère chez une voisine pour assister à ma venue au monde. Passé vingt minutes après minuit, je poussais mon premier cri.

    Nous avions un jeu avec mon frère. Celui de nous rappeler du plus ancien souvenir de la vie. Exercice de mémoire, si tel est notre capacité à nous souvenir, cette première image, aussi floue dans ma mémoire soit-elle, se situe dans une chambre. Reste à savoir si celle-ci se trouve à Marguerittes ou à Nîmes. Bien qu’étant né à Lyon, mes parents se trouvaient vers la fin des années 70 à la cité romaine. Je crois bien que nous étions à Nîmes. Je suis dans cette chambre où tout me paraît gigantesque, assis ou couché. Il y a des draps ou des couvertures sur un balcon. Peut-être la fenêtre de ma chambre, ou celle de mes parents. Ma mère ne doit pas être très loin. Curieusement, cette image est souvent revenue dans ma mémoire (ou dans mes rêves, va savoir). Une image fugace, mais assez nette.

    Petite rétro pour ne pas perdre le fil.

    Nous sommes arrivés en 1977 dans le département du Gard. Mon père était policier. De la Nationale, s’il vous plaît !!! Comme disaient certains : « un flic, un bleu, un poulet, un condé, un pandore ». Lui a toujours préféré le terme plus administratif de fonctionnaire de police. Par respect pour son uniforme, pour son métier. Il était en poste à Lyon au moment de ma naissance. Maman avait fait de l’administratif pour plusieurs entreprises sur Avignon, puis elle le laissa pour faire le plus beau, le plus dur et surtout, le plus ingrat des métiers du monde : mère au foyer. Mon frère Sébastien, né à la fin de l’année 1973 complétait le tableau. Petite famille française avec une 4 L, future classe moyenne, en quête du bonheur. Rien de très original, non ?? Sauf que dans le département du Rhône, maman ne se plaisait pas, hélas. C’est vrai qu’entre le froid, l’éloignement et le brouillard, quand tu viens du Midi et que tu atterris à Lyon, tu peux parfois avoir envie de pleurer. Mais papa eut l’aubaine de connaître, par l’intermédiaire d’un collègue, un fonctionnaire, en poste à Nîmes, dont la femme, pied-noir, ne se plaisait pas dans le midi de la France. Peut-être cherchait-elle plus le soleil de son Algérie natale. Honnêtement, à Lyon, ce n’était pas gagné… L’affaire était donc entendue et nous voilà embarqués, direction les cigales, le soleil et pas très loin, la plage. Puis vint la suite. Tout d’abord, comme beaucoup de fonctionnaires, nous atterrissions dans un quartier à Nîmes-Ouest, appelé la ZUP (zone urbaine prioritaire). Un quartier où se construiront de hautes tours blanches, symbole du renouveau urbain français. Je ne saurais vous dire quelle fut notre expérience là-bas, mais sûrement pas pour s’en souvenir, puisque mes parents, deux ans plus tard décidèrent d’acheter une habitation familiale dans le village de Marguerittes. Nous étions en septembre 1979. 

    Pour moi, c’est là que tout commence.

    Quelques photos retrouvées dans des albums me rappelèrent comment était notre maison à notre arrivée. Une clôture en parpaings, surplombée par une palissade blanche horizontale. Elle entourait notre parcelle, jouxtant la propriété de nos voisins. Une maison toute simple, avec ses murs blancs cassés, ses volets en bois marron et son toit de tuiles roses. Au rez-de-chaussée, une cuisine où nous avons partagé nos repas, son salon-salle à manger, décor de nos réunions familiales et à l’étage trois chambres à coucher avec une salle de bain. Un jardin des deux côtés avec un parking pour la voiture devant l’entrée du garage finissait de peindre le décor. Il y avait, et il y a toujours, une entrée des deux côtés de l’habitation, la principale donnant sur la rue Xavier Bichat. Ma rue, ma zone, mon quartier.

    Mon père était un sacré bricoleur, il a pratiquement tout fait de ses mains à la maison. Une espèce de Mc Gyver des temps modernes, précurseur du recyclage, bien avant que le mot n’existe, à la fois concepteur, ingénieur, ouvrier et chef du personnel.

    Le premier grand chantier de notre Eugene fut un puits, qui donne encore de l’eau grâce à un forage à huit mètres de profondeur. Sa construction fut réalisée avec l’aide de plusieurs voisins. L’un d’eux, Roland Scoto, était lui aussi très doué de ses mains. Il était cheminot de son état et il eut malheureusement un destin tragique.

    Papa avait planté ses arbres fruitiers, un cerisier et un citronnier et avait construit un barbecue. Une pelouse des deux côtés de la maison venait compléter notre jardin. Un jardin où nous avons joué mon frère et moi pendant des heures. Surtout moi. Ce décor fut le même pendant plusieurs années.

    C’est au mois de septembre de la même année que je commençais ma première année de maternelle, au complexe scolaire De Marcieu de Marguerittes. La petite bâtisse nous accueillait à partir des trois ans, et je dis petite, parce que, à l’époque, comme à n’importe quel enfant elle me paraissait énorme. Mon frère, de trois ans mon aîné était lui en primaire dans un autre bâtiment juste à côté, et que nous appelions la « grande école », parce que le bâtiment en question était pour nous gigantesque ? Elle ressemblait à un monstre qui avalait les enfants très tôt le matin, les recrachait à l’heure du déjeuner et faisait de même l’après-midi. L’école nous arrachait à nos mamans. Et nous rendait à elles, sain et sauf, à 16 h 30.

    La maternelle était un bâtiment indépendant du primaire. Elle avait deux étages. Le rez-de-chaussée était l’école en elle-même, mais le premier étage était destiné à des logements où vivaient deux ou trois familles de professeurs. L’école avait un grand hall. C’est par là que nous arrivions et qu’on nous dispatchait. On y organisait toute sorte d’évènements. Le sapin de Noël, les photos de classe. Il y avait une télévision, que je ne jamais vu allumée, puis un large couloir, qui donnait à la fois à une cuisine, où tous les 2 février on allait, un par un, faire sauter une crêpe, et aux toilettes communes (filles et garçons). Puis l’accès aux salles de classe. Quatre. Je m’en souviens comme si c’était hier.

    Je garde un assez bon souvenir global de ma période scolaire, bien que je n’aimasse jamais vraiment l’école. Selon ma mère, c’était héréditaire. Hélas, c’était obligatoire. En fait, ce n’est pas vraiment que je n’aimais pas l’école. C’est plutôt elle, qui ne m’aimait pas. Et j’ai eu l’impression qu’elle me le rendit bien pendant toutes ces années. Au moins jusqu’à la fin.

    Plus sérieusement, je dirais que l’école avait des inconvénients qui ne cessaient de me tourmenter. Se réveiller le matin, lorsque j’étais bien confortablement endormi, me laver le matin, chose que j’ai détestée jusqu’à l’adolescence, les trajets à pied ou sur le porte-bagages du vélo de maman (bien que ceux-ci étaient très courts) et le froid de l’hiver, surtout lorsqu’il était associé au Mistral, qui nous soufflait en pleine poire pour bien nous faire « caguer ». Toutes ces petites choses, malheureusement incontournables, avaient le don de me faire prendre l’école en horreur. Quelques années plus tard, ma mère me confessa aussi, les raisons, pas trop éloignées des miennes, de son calvaire scolaire.

    À la maternelle, il n’y avait que des maîtresses et naturellement, j’ai eu droit à l’une d’elles dès le début. La première à avoir eu la chance de me compter dans ses rangs ne fut autre que madame Signori. Elle était en effet chargée de nous accueillir pour cette première année scolaire. De l’époque de Mme Signori, je n’ai pas de souvenirs trop précis si ce n’est un épisode que ma mère aime me rappeler et qui fut baptisé « à peur du clown ». À cette époque-là, paraît-il, je sortais tous les après-midi, ou souvent en tout cas, les larmes aux yeux et en proie à la plus grande terreur en criant ou en hurlant, si l’on en croit les exagérations de mon frère, « a peur du coun » (comprenez « à peur du clown »). Jusqu’au jour où, devant l’ampleur d’une telle tragédie, mon père, intrigué et sûrement par déformation professionnelle, décida d’en savoir un peu plus sur cette affaire. Un après-midi, il vint me chercher à l’école pour résoudre ce problème : Papa, sûrement avec sa dégaine de flic et son regard pas très amical demanda à la maîtresse : 

    —  Madame, il y a un clown dans la salle de classe qui fait peur à mon fils. Mme Signori, surprise, mais, très pro lui répondit.

    —  Monsieur, je vous assure que dans la classe, il n’y a aucun clown. Et le pauvre Olivier, entendant ces paroles, reprit de plus belle en pleurant « a peur du coun ». Papa fut invité à entrer dans la classe et effectivement, n’y trouva aucun clown. Il me regarda d’un air inquisiteur comme disant : « tu te foutrais pas un peu de moi ? » Mais mon doigt accusateur montra un pauvre lapin en peluche, suspendu à un mur avec une carotte entre les dents et que je désignais comme le coupable !!! Le lapin avec la carotte. Je ne saurais vous expliquer ma confusion, voire mon ignorance, mais ce dont je me souviens, c’est qu’à partir de ce moment-là, on n’entendit plus parler du clown, ou du lapin si vous préférez. En tout cas, pas de ma bouche. L’avait-on fait disparaître ? L’avait-on préparé en civet ? C’est quand même assez curieux le sentiment que peut dégager l’image d’un clown. Tantôt joyeux, tantôt terrifiant, le clown revient souvent dans l’imaginaire populaire. Bien qu’à trois ans, et bien que n’ayant pas eu à l’époque, le plaisir de lire les romans de Stephen King, je considère difficile qu’un enfant de maternelle puisse faire la différence entre le clown triste, le joyeux, le dangereux, le rigolo ou l’idiot. Peut-être l’abondant maquillage ou la perruque.

    Une fois cette première étape dont j’arrive à me souvenir, nous allions chez madame Merle. Il me semble que c’est à partir de ce moment-là que je rencontre mes premiers copains. Mes potes. Les collègues.

    Au cours de toutes ces années, j’ai eu le temps de me faire une certaine idée de l’amitié. Un mot tellement joli, vous ne trouvez pas ? L’amitié, celle qui commence avec un grand A, celle qui commence avec un sourire, un geste chaleureux, celle qui commence dans un bac à sable, par exemple. À la maternelle, il y en avait un. En tout cas, je situe mes premiers gestes là-bas, dans ce bac à sable. Je crois revoir, ou me revoir avec Sylvain et Nicolas, en nous tenant par le cou. Si je pouvais me souvenir de toutes ces choses, je suis sûr que nous pourrions, là aussi écrire un livre. Avec Sylvain, on se rappelait un épisode dont je me souviens plus ou moins. « À la récré, on décollait comme des avions avec les bras tendus et on prenait avec les mains le sable du bac ». Là, il ouvre les bras en croix, avec les poings serrés et il commence à sourire, avec la bouche en coin. Je crois qu’il allait en rigoler : « Après, on redécollait, et on faisait le tour de la cour de récré et on déchargeait notre cargaison comme les canadairs ». Je souris moi aussi en entendant ces mots. Ça nous avait valu une bonne engueulade de Marie, une des femmes de ménage de la maternelle, qui devait passer avec son balai pour nettoyer après cet épisode. Elle avait dû nous choper en flagrant délit ! Je la revis bien des fois dans les rues du village. C’était une petite femme, toute menue, avec des cheveux courts, un peu voutée. Elle avait cette apparence sévère, mais elle était très gentille. J’ai toujours eu beaucoup d’affection pour elle. À chaque fois qu’on se croisait, on se faisait la bise, elle me demandait de mes nouvelles, ce que je faisais, si l’école se passait bien. Je crois qu’elle était reconnaissante qu’on se rappelle d’elle, même si ce n’était pas une institutrice. Elle fait partie encore aujourd’hui de mes personnages du passé, pour qui je garde, avec bienveillance, un souvenir émouvant.

    On ne peut pas se souvenir de tout hélas, mais là n’est pas la question. Ce qui importe pour moi, c’est que tout a démarré là-bas, dans ce bac à sable. Dans cette école. J’aime dire que j’ai encore des amis de trente ans, même plus. Avec qui j’ai toujours un contact, une relation. Ce n’est pas facile parfois. On a été au CP ensemble. On était des gamins du village, on se voyait comme avec d’autres. Pour moi, l’important, c’est que l’amitié, ça part de quelque part. Et ça fait son chemin. Parfois parsemé de trous, de pierres, de barrières, d’imprévus. Et puis un beau jour, on regarde derrière soi et les histoires, les anecdotes, nos expériences nous éclairent, comme une lanterne qui illumine le sentier déjà parcouru. Et nous arrache un sourire au coin des lèvres avec une pointe de nostalgie, parfois de mélancolie.

    Chez madame Richard, je n’ai pas grand-chose à raconter non plus. Amnésie totale. Par recoupement de date, nous devions être en 1980/1981. Il me semble qu’à partir de cette époque-là, je commence à faire les « petits ponts ». Les « petits ponts » étaient des exercices de calligraphie qui consistaient à réaliser des courbes ascendantes en forme de pont, entre deux lignes d’environ un centimètre. Mon souvenir me laisse cette impression déprimante que lorsqu’on dépassait une des deux lignes, il fallait recommencer. Quand nous avions terminé la fiche, nous la présentions à la maîtresse, elle la regardait, et si malheureusement, on avait dépassé, elle nous redonnait une autre fiche avec encore des « petits ponts » à faire. Ceux qui avaient fait un sans-faute pouvaient aller jouer avec les autres. Ces exercices étaient comme un cauchemar pour moi. Le seul fait que je m’en souvienne avec autant de détails montre à quel point l’expérience dut être traumatisante. Affligé de devoir recommencer, parfois plusieurs fois, alors que mes petits camarades pouvaient aller jouer et se divertir, les petits ponts me démoralisaient à un tel point que je les pris en horreur.

    C’est aussi à cette époque que l’on commençait les travaux manuels. Ça, en revanche, ça me plaisait beaucoup !!! Découpage, coloriage, collage, enfin quelque chose qui sortait de l’ordinaire. C’était divertissant. Un peu comme si je bricolais avec papa. Curieusement, j’enlace cette période avec l’année de madame Rodriguez. Petite femme, fort sympathique aux cheveux courts, c’était ma dernière année de maternelle. Mais là aussi, on continuait à faire des petits ponts. Heureusement, on faisait aussi des travaux manuels. Puis, on commençait à nous parler de la « grande école ». La grande école, non pas grande parce qu’il s’agissait d’un bâtiment de trois étages, mais sûrement pour sa signification : c’était l’endroit où on devenait grand !! Nous allions laisser derrière nous l’école des petits, les petits ponts, les siestes et les bacs à sable. L’odeur des crêpes à la Chandeleur, celle des produits de nettoyage dans les toilettes, de la pâte à modeler, et tout un tas d’autre chose qui s’envolait avec la fin de ce cycle… Nous allions tous devenir de grands garçons, de grandes filles, dire adieu aux toilettes communes. J’allais quitter, que dis-je, nous allions quitter notre maternelle, mais je ne peux passer sous silence un épisode, dont la seule évocation me fait rougir de honte.

    Un matin, comme tous les matins, maman m’emmenait à l’école, avec toujours les mêmes mamans, les mêmes enfants et sur le même trajet. Elle me déposa, comme d’habitude à l’entrée de la maternelle, là où toutes les mamans laissaient leur enfant, mais ce matin-là, allez donc savoir, elle ne m’accorda qu’une attention très brève dans la manifestation de sa tendresse. Comprenez : elle ne m’avait pas fait assez de bisous. Devant une telle injustice, je fus pris d’une rage sans précédent et je montais dans une colère qui fit bouillonner mon cerveau au point de m’inventer et de mettre au point un plan machiavélique : la grande évasion. La maternelle avait une cour qui était sa partie « à découvert ». Elle était en forme de rectangle, entourée de la salle commune, par où on y accédait, des salles de classe et d’un mur. Le mur en question, pas très haut, était surplombé par un grillage. Une haie de lauriers, je crois à cette époque, apportait une touche un peu verte à l’ensemble et longeait le mur d’enceinte. Entre l’accès à la cour et le mur, il y avait une partie où il n’y avait pas de lauriers, juste le grillage. Par-là, nous avions la possibilité de voir ce qui se passait à l’extérieur. C’était aussi, en tout cas pour moi, le maillon faible de la forteresse. Car en deux temps, trois mouvements, j’arrivais à monter sur le mur et je m’agrippais au grillage. La fureur qui m’avait envahie avait décuplé mes forces, mais aussi mon cerveau. Je me serais cru dans Matrix (avec quelques années d’avance). Ça y est. Je faisais le mur, je me faisais la belle !!!! En quelques instants, après avoir agrippé mes pieds au grillage, je le sautais sans aucun problème. Je me retrouvais de l’autre côté. Celui des terrains de sports de l’école primaire. Un portail toujours ouvert en donnait l’accès et de l’autre côté de ce portail, il y avait l’entrée du complexe. La seule entrée côté avenue de Paris. Le seul accès vers la liberté. Et je commençais ma course, les larmes aux yeux pour essayer de retrouver ma mère. Madame Merle, alors directrice de l’école maternelle, fut avisée et commença sa course poursuite. Il fallait me mettre le grappin dessus avant que malheur n’arrive. Vous imaginez le tableau. Cette pauvre madame Merle, qui avait déjà un certain âge, courant derrière un petit morveux de cinq ans jusque sur l’avenue de Paris. Ce n’était donc pas l’école maternelle, c’était Alcatraz ! Enfin, toujours est-il que mon évasion, ma fuite se solda par un échec. La pauvre instit m’avait récupéré et le pauvre petit Olivier n’avait pas été rassasié de sa panse de bisous. Là aussi, Maman, dans ses crises de nostalgie, me rappelle cette aventure, cocasse, mais bien réelle où un petit garçon en pleurs, avec une vieille dame à ses trousses, courrait dans la rue et en direction contraire de l’école où il était censé se trouver. Madame Rodriguez avait dit un jour à mes parents : « Celui-là, il fera son chemin ». Elle ne croyait pas si bien dire !!!

    La période maternelle se terminait en 1982. Mes premiers copains. Mes premières émotions. Mes premières expériences.

    On pense parfois qu’on va invariablement rester là, habiter dans son village ou dans sa région. Que nous aussi, nous irons chercher nos enfants à l’école maternelle. Je le pensais en tout cas. On croit aussi que le temps ne passera jamais. Et pourtant, il passe. Il nous échappe telle une poignée de sable, qu’on essaye de retenir, en vain, dans notre main.

    Mais les souvenirs restent. Bien heureusement.

    II

    En septembre, c’est avec mon cartable, ma trousse et mes crayons que je prenais le chemin de la grande école. Pour des petits garçons et des petites filles de six ans, la grande école, c’était toute une histoire.

    Je faisais ma rentrée vers la fin de l’été et c’était madame Bonnet, une dame assez grande avec de beaux cheveux blonds, qui allait être ma maîtresse. Elle avait eu mon frère trois ans plus tôt, donc elle connaissait la famille, ce qui avait l’avantage de rassurer ma mère. Je la remémore comme une femme très douce, qui expliquait les choses très calmement. Pour moi, elle reste la personne qui m’apprit a, b, c, d. La lecture, l’écriture, le calcul. À cet âge-là, on ne se rend pas compte de ces petits détails sur l’éducation, la formation.

    Quand j’étais petit, je ne saurais dire quel âge, ma mère me révéla, comme s’il s’agissait d’un secret qu’un de ses amis ne savait pas lire. Cela me surprit. Qu’un adulte ne sache pas lire ou écrire, cela dépassait l’entendement pour l’enfant que j’étais. Tout le monde autour de moi savait. Mais bien des années plus tard, je compris, au cours d’une de ces conversations avec maman que beaucoup de monde n’avait pas eues forcément les mêmes opportunités que moi.

    Notre si chère République, celle qui a rendu l’école obligatoire avec Ferry ne garantissait pas pour autant que chaque individu puisse sortir du système avec le minimum nécessaire. Elle s’y applique malgré tout.

    Vers la fin de l’été, je me retrouvais dans cette petite classe, au rez-de-chaussée, la première sur la droite en sortant du préau de l’école primaire. De par ma taille, qui n’avait rien à voir avec celle d’un basketteur, je fus placé d’office devant, en première ligne. Madame Bonnet avait pensé au côté pratique. Ma voisine s’appelait Virginie. Je ne la connaissais pas, mais je savais qu’elle habitait le village. Elle portait un petit appareil sur ses oreilles. Notre institutrice portait un micro autour du cou qui était préparé spécialement pour ma voisine. J’avais envie de lui demander ce qu’elle avait. Je n’avais jamais vu ce genre de choses chez un enfant et la curiosité me démangeait. Cependant, je ne lui posai jamais la question. Je percevais le problème et je crois que je ne voulais pas en rajouter.

    Je crois qu’inconsciemment, à ce moment-là, la cause du handicap a commencé à ne plus me laisser indifférent. Dans cette nouvelle classe, il y avait quelques connaissances de notre maternelle. Sylvain évidemment, Olivier A, Olivier M (eh oui, quelle chance, il y avait trois Olivier !), Catherine, Julie, Emmanuelle, Stéphanie, Noël et quelques autres qui me reviendraient en regardant les photos de classe. Nous allions commencer avec l’alphabet, les constructions de mot, là où le a et le i font ai, là où le m et le a. Dans cette salle, on devait être une vingtaine de gamins, assis sur des bancs fabriqués d’une seule pièce. Le bureau et les sièges étaient reliés entre eux par une structure de métal. Des bancs d’école comme il y en avait des milliers partout en France. La partie pour s’asseoir s’adaptait parfaitement au corps d’un enfant, pas forcément celui d’un adulte corpulent. Sur le dossier, on pendait nos cartables. Nous travaillions sur le bureau. En général, le matériel n’était pas neuf au sens strict du terme. Moderne non plus. Pendant des années, je me suis en effet demandé à quoi servait le trou sur le côté droit du bureau. Jusqu’à ce que quelqu’un m’expliqua que le fameux trou servait non pas à voir si on pouvait y mettre les doigts par en dessous, mais pour recevoir un encrier. Un encrier dont je ne suis pas sûr que même mes parents eussent utilisé pendant leur scolarité. Le mobilier n’était pas de première main, mais il était très fonctionnel. Si je ne me trompe pas, le complexe de Marcieu a été construit dans les années 1970, mais le mobilier était encore en bon état, malgré qu’il ne fut pas de la même époque.

    Dans la classe, il y avait le tableau. Il nous indiquait la direction à regarder. Toujours. Il était en quelque sorte, notre guide, notre repère. Notre maîtresse écrivait dessus avec cette écriture claire, limpide et droite. Cette calligraphie propre aux enseignants du cours élémentaire.

    Les murs de la classe étaient parsemés d’affichettes en tout genre. Morceaux d’alphabets, quelques cartes de France ou mappemondes. Et les fenêtres qui donnaient sur la cour. Curieusement, les classes étaient reliées entre elles par une porte. D’ailleurs, il n’était pas rare que madame Bonnet et sa collègue, madame Granier, une des autres instits du CP se taillent une petite bavette à travers elle. En général, elle nous tenait occupés avec quelque chose à faire. Sans ça, il aurait été impossible pour elles de converser pendant les heures de cours.

    L’école commençait à huit heures trente le matin. Nos parents nous accompagnaient en général à pied, surtout dans mon cas. On partait de la rue Xavier Bichat, pratiquement en groupe, comme des pèlerins. On récupérait Christelle et Stéphanie avec leur mère, puis Nicolas, lui aussi avec sa mère. Elles nous laissaient à l’entrée de l’école où en attendant de rentrer en classe, nous passions notre temps à jouer chacun dans sa cour. Il faut savoir qu’en ce début des années 80, il y avait toujours une séparation des genres à l’école primaire. C’est-à-dire pour ceux qui ne l’ont pas connue, ou ne se souviennent pas de cette époque, que bien que l’école eut été publique et mixte – les filles et les garçons étaient mélangés en classe – dans la cour de récré, c’était une autre histoire ! Les garçons occupaient la partie droite de la cour, séparée par une ligne imaginaire entre le préau et le portail d’entrée. Mon frère m’avait bien expliqué que sous aucun prétexte, je ne devais franchir cette ligne, que d’ailleurs je ne voyais pas. Les filles, elles, avaient leur territoire sur le côté gauche de la cour. En y regardant bien aujourd’hui, avec le recul, leur côté était plus petit que celui des garçons. L’inégalité des sexes frappait notre société et ce, jusque dans les cours de récrée des écoles de la République. Cette mesure, hasard des évènements politiques qui avaient bousculé le pays l’année précédente, fut abrogée durant cette même année. Nous fumâmes donc autorisés à nous « mélanger » dans la cour. Cette règle ne s’appliquant pas aux toilettes, car bien que l’esprit d’ouverture des autorités s’était considérablement élargi, la mixité avait ses limites.

    À l’heure voulue, et au son de la cloche, nous étions toutes les classes bien alignées en file par deux devant le petit trottoir qui entourait la face sud du bâtiment. En y réfléchissant bien, les files n’étaient ni chronologiques ni alphabétiques. Les CP au milieu, les CE1 ou CE2 sur les côtés, quelques CM1 ou CM2 par-ci, par-là. Et tout ce petit monde rentrait tranquillement derrière son enseignant, en rang, se tenant par la main.

    On accrochait nos blousons ou nos manteaux, nos affaires sur la grande penderie vissée sur le mur extérieur de la classe. Il y en avait une sur chacune d’elles. À 11 h 30, c’était de nouveau l’heure des mamans. La mienne était présente au rendez-vous. Tous les jours, toutes les semaines. J’ai eu cette chance que notre maman fut toujours là. Du CP jusqu’au CM2. Du haut de mes six ans, retrouver ma mère était un soulagement. L’épisode de mon évasion de maternelle n’était pas très loin dans les mémoires et encore moins dans la mienne. L’après-midi commençait à 13 h 45. À 16 h 30, venait enfin l’heure du goûter. Certains enfants restaient à ce qui s’appelait l’étude. Cela consistait à une heure entre 16 h 30 et 17 h 30 où les enfants avaient une demi-heure de récré puis jusqu’à la fermeture, une autre demi-heure consacrée aux devoirs.

    Mon année scolaire commençait tout à fait normalement, encouragé dans l’apprentissage du savoir basique par ma mère et surtout par mon frère. Le premier livre qui me revient à la mémoire est bien sûr Pompon et Finette de Paul-Jacques Bonzon. Sébastien m’avait appris à lire les premières lignes et nous étions dans la salle de bains, tous les deux lorsqu’il donna son approbation pour que je puisse lire les premiers mots de Pompon et Finette à ma mère. En voyant leur sourire, terminant ma lecture, je fus rempli de fierté et de contentement. Ce jour-là, je venais d’accomplir un exploit. Pour l’enfant de six ans que j’étais, être capable de lire, c’était un peu marcher sur la lune. Un petit pas pour l’humanité, mais un grand pas pour le petit Olivier. Un pas qui allait conditionner le reste de ma vie, me nichant définitivement vers le côté clair du savoir et de la culture. Comme le père de Pagnol, simple instituteur qui disait à Marcel son fils : « A, B, C, ceci est mon seul savoir », mais quel savoir. Pouvoir communiquer par écrit, laisser une trace de son passage sur notre terre. Aujourd’hui, humblement, je m’essaye au métier d’auteur, mais au fond de moi, je sais que tout commence là-bas, dans cette petite salle de bains, assis sur la commode blanche de mes parents et répétant les mots du livre de Bonzon.

    En CP, il y avait aussi quelque chose qui nous donnait un engouement un peu spécial. Dans la classe de Madame Bonnet, il y avait, ce qu’aujourd’hui, nous appellerions une imprimante. Mais à cette époque, il s’agissait d’une imprimerie. Une machine où les lettres se montaient les unes après les autres pour former un texte, qui à la fin, s’imprimait avec de l’encre d’imprimerie sur du papier blanc. Je crois bien que nous y sommes tous passés. Dans mon cas, je devais raconter en quelques mots, mes dernières vacances. Et là aussi, maman et Sébastien allaient être à la manœuvre pour m’aider à sortir de l’imprimerie, ma première production. Les dernières vacances que nous avions passées tous les quatre, c’était à Langogne. Petite commune sur le département de la Lozère, c’est sûrement en passant par notre cher Saint Montant que nous posâmes nos valises dans ce petit village. Flanqué de mes mentors, je devais mémoriser le texte que je devais reproduire. C’était très basique, très classique pour un compte rendu de vacances : « je suis allé à Langogne, et j’ai vu des vaches et des chevaux ». Peut-être, la mémoire de mon frère saurait en dire plus. Avec un camarade, nous préparions donc, le jour venu, les lettres, pour faire les mots puis le texte final. Il y avait aussi l’encre et son odeur si particulière. Entre sa toxicité et son arôme si attirant. Mais qui aussitôt me renvoie au fond de cette classe de CP. Ces petits travaux nous permettaient d’être un peu moins tendus, car nous étions au fond de la classe pour les exécuter, en général deux par deux, et comme tout travail manuel, il y avait toujours un brin de fantaisie lorsque nous étions à la tâche. Je ne saurais vous dire ce qu’il advint du texte enfin terminé, mais plus de 30 ans après, je me souviens de sa préparation comme si c’était hier.

    Ainsi passaient nos journées, nos semaines et nos mois. J’ai connu l’époque où l’école était ouverte le lundi, mardi, jeudi, vendredi et samedi. J’aimais bien l’école le samedi. C’était juste le matin précédant un court week-end, ponctué par la messe le samedi en fin d’après-midi et les dimanches de foot où l’on accompagnait papa sur les stades du district Gard – Lozère. Le gros avantage quand on est enfant et qu’on a la chance d’aller à l’école, c’est les vacances. La Toussaint où commençaient le mauvais temps, le froid, les jours plus courts jusqu’à l’hiver et son entrée royale : Noël.

    La magie pour les enfants, certainement mes plus beaux souvenirs. Cela a toujours été une époque fabuleuse pour moi, un sentiment que j’essaye de transmettre à mes enfants aujourd’hui avec toute la symbolique de tradition que signifie ce moment dans l’année. Évidemment, la première pensée qui nous vient lorsqu’on évoque Noël pour un enfant, c’est le papa Noël. Appelez-le comme vous voulez, Santa Claus, père Nicolas, Father Christmas, pour moi, comme des millions d’enfants, le père Noël c’était l’image qui représentait le plus cette fin de mois de décembre. Pendant des années, la chanson interprétée par Tino Rossi a eu une place de choix à la maison. Maman nous la faisait chanter, comme s’il s’agissait du « Notre Père ». Je crois que je pourrais encore réciter le premier couplet. À l’école, je me rappelle que Madame Uréa, institutrice de CE1 passait par toutes les classes pour peindre sur les fenêtres des décorations de Noël en tout genre. Sapin, boules, flocons de neige. Je me demande si ça se fait encore.

    Le père Noël, justement, parlons-en. Il exerce une fascination sur les plus petits et en même temps, une crainte, une peur, que dis-je, une trouille. En ce qui me concerne, en tout cas, j’avoue : j’avais une peur bleue de l’homme habillé en rouge avec une barbe blanche. Je suis persuadé que des étudiants en psychiatrie et/ou psychologie tiendraient un sujet d’étude parfait. Beaucoup d’enfants sont dans la même situation. Peut-être question d’attitude, d’éducation, de perception. Je ne saurais vous dire quels furent les cadeaux que je reçus ce Noël-là. À cet âge, j’avais six ans, je croyais évidemment encore au père Noël. Son passage allait nous combler mon frère et moi, tout en restant le discret complice de cette fameuse croyance puérile.

    En janvier, nous reprenions le chemin de l’école dans le froid de l’hiver, le mistral et les jours trop courts. Cette année-là, j’allais sur mes sept ans. Ce qu’on appelle l’âge de la raison. Mes parents insistaient sur ce point, très certainement pour que je me tienne à carreau, en effet, je n’étais pas, à l’inverse de Sébastien, un petit garçon très tranquille. Je vous raconterai sûrement quelques anecdotes croustillantes un peu plus loin, mais j’étais tout le contraire d’un enfant de chœur. De là, l’insistance de mes progéniteurs pour ne pas me faire remarquer.

    Je ne crois pas avoir été un garnement. Je savais où étaient les limites. Peut-être quelquefois les ai-je frôlées. Plus par imprudence ou par ignorance. Avec les parents que j’avais, je ne pouvais pas devenir un voyou. Mais là aussi, dans les gènes, dans cet ADN, il devait y avoir quelque chose de notre Titi, mon grand-père maternel, qui n’avait peur de rien ni de personne. Un aventurier des temps anciens, capable d’escalader un viaduc pour une clope et à qui je vouais une admiration sans limites. Moi aussi, je voulais être cet aventurier en culotte courte. Le quartier s’y prêtait fort bien d’ailleurs. Le GMF était entouré au début des années 80 de toute sorte d’endroits où l’imagination d’un enfant pouvait laisser libre cours. Derrière notre maison, la propriété des Jaussaud, avec son mini ranch de chevaux, sa grange de tracteur, ces montagnes de foin qui faisaient de parfaites cachettes pour jouer à la « boîte ».

    Un peu plus loin, lorsque le centre commercial « Le Ventoux » n’était pas encore sorti de terre, une contre-allée jouxtant le dépôt de l’entreprise Volpelière, nous fournissait un autre terrain de jeu, avec des arbres, des châtaigniers, où plusieurs fois je suis monté pour essayer de construire des cabanes dans les arbres. Et puis, côté rue Xavier Bichat, il y avait la « bulle » et le terrain vague. Notre terrain de jeu. Baptisé ainsi par Geneviève, la maman de Christelle et Stéphanie. Le terrain vague consistait réellement en une aire d’espaces verts, coupée en deux endroits par un chemin pavé, interdit aux voitures, parsemé de quelques bancs pour s’asseoir. J’y ai tellement de souvenirs que c’est toujours avec une certaine émotion que j’y fais un tour en entrant par la rue Guérin. Chaque détail, chaque souvenir se matérialise dans mes pas. Je repense à nos courses en vélos, nos matches de foot, nos courses-poursuites armées de pistolets en plastique, d’arc en bois fabriqué avec le premier morceau trouvé.

    L’année scolaire avait dépassé son zénith, lorsque se dessinait le printemps. En classe, je n’étais pas le premier. Ni le dernier. Mais je dominais déjà pas mal la lecture. Je m’étais plutôt bien intégré avec mes nouveaux copains. En classe, je jouais avec tout le monde. Même avec les filles. Il y avait bien Emmanuelle qui je crois m’avait tapé dans l’œil. Dès les premiers jours. Durant l’année scolaire, il y a aussi un épisode dont je me souviendrai toujours. Dans notre classe, il y avait un petit garçon du nom de Noël. L’heureux, ou malheureux, élu de s’asseoir à ses côtés était Sylvain. Ils étaient plutôt vers les derniers rangs, sur la rangée du milieu. Noël était un petit garçon qu’aujourd’hui, serait qualifié « d’hyperactif ». Nous à l’époque, on aurait dit chiant. Le corps enseignant devait sûrement dire dissipé. Toujours est-il que s’amuser avec lui était, comment dire, compliqué.

    Avec le début de cette période printanière, où nous pouvions profiter du beau temps dans la cour de récré. Nous devions être trois ou quatre copains, dans la cour « côté filles » du fait de l’ancienne délimitation. Un de nous était Noël. À son habitude, il ne faisait rien comme les autres et à ce moment précis, il jouait avec des pierres, assez grosses d’ailleurs, qui se trouvaient au pied d’un arbre. Avec Jérôme, un autre copain, nous essayâmes de le raisonner en lui disant de laisser les pierres tranquilles. Rien à faire, il continuait à jouer avec. Excédé par son entêtement, je pris l’initiative de lui enlever les pierres avant que quelque chose de fâcheux n’arrivât. Je pris donc une pierre dans la main et la jeta de l’autre côté du grillage. Je ne m’attendais pas à provoquer un tel

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