Nice, 1943: Science-fiction
Par Alain Caruba
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
Après To my lovely wife publié aux Éditions Spinelle, Alain Caruba signe avec Nice, 1943 son deuxième roman.
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Avis sur Nice, 1943
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Aperçu du livre
Nice, 1943 - Alain Caruba
Préface
En 1971, j’habitai à Nice, chez mes parents. J’allai bientôt partir pour faire mon service militaire. Étant musicien et ne voulant pas quitter la pratique journalière de l’instrument, après une audition à Marseille, je m’étais engagé pour une durée de deux ans dans la Musique Principale des Troupes de Marine à Rueil-Malmaison. Je jouais du tambour pour les défilés et j’étais batteur-percussionniste pour les concerts. Ce qui me permettait de répéter tous les matins avec la fanfare et continuer mes études au conservatoire de Paris l’après-midi.
J’avais eu la chance de naître dans une famille très unie. Ma sœur Catherine et moi-même étions très aimés de nos parents. Depuis notre plus tendre enfance, je ressentais un amour profond et sincère au sein de notre famille. Mon père Jules, issu d’une famille juive séfarade, était né à Pise. Caroline ma mère, catholique venait de Belvédère, village perché dans la vallée de la Vésubie, à soixante kilomètres de Nice. Mes deux parents, d’origines différentes, nous avaient élevés dans la tolérance et le respect d’autrui. Nous nous sentions ni catholiques ni juifs car mon père et ma mère avaient eu l’intelligence de ne jamais parler de religion à la maison. Cependant, pendant mon adolescence, je ne savais pas où me positionner par rapport à̀ mon entourage. J’entendais souvent des phrases à connotation antisémite de la part de mes copains et ça me gênait profondément, sachant ce qu’avaient enduré les Israélites lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Mes grands-parents paternels habitaient près du port de Nice, rue Emmanuel Philibert mais ma grand-mère voulut accoucher chez sa mère à Pise, ses quatre premiers enfants, dont mon père ; seul le cinquième naquit à̀ Nice. À l’âge de huit ans, ma mère quitta son village de Belvédère avec ses parents, pour s’installer rue Smolett à Nice, son père étant engagé comme wattman dans la compagnie du tramway. Mes parents m’avaient raconté́ qu’ils s’étaient connus avenue de la République. Ma mère avait quinze ans, mon père vingt et un ans. La guerre ayant commencé́, mon père s’engagea dans l’armée française comme artilleur et rejoignit la ville de Sospel.
Juin 1940 devient l’aboutissement de la bataille de France qui voit la débâcle de l’armée française face aux Allemands. Mon père revint à̀ Nice pour retrouver sa future épouse dont il était très épris. D’abord protégé parce qu’en zone libre, puis sous contrôle italien, le département des Alpes-Maritimes faisait l’objet avec l’occupation allemande d’une intense persécution envers les Juifs qui s’étaient réfugiés à Nice, fuyant plusieurs pays d’Europe.
Il avait rejoint un groupe qui ne voulait pas être soumis aux Allemands, ce groupe était, en quelque sorte, une armée secrète juive. Ses militants se réunissaient dans une cave, place Garibaldi pour résister à l’invasion allemande. Il fut dénoncé aux nazis par certains Niçois ; à plusieurs reprises, la Gestapo était venue pour arrêter mon père au 54 Avenue de la République mais chaque fois il s’était échappé pour ne pas être envoyé dans les camps de concentration. Présageant que ses chances de survie s’amenuisaient, il décida avec son frère aîné, sa belle-sœur et leur fils d’un an et demi, de partir dans le Var. Ses parents, son autre jeune frère, ses deux sœurs et le fils d’une de ses sœurs quittèrent Nice pour Grenoble. Pendant toute mon adolescence, je n’arrêtais pas de poser à mon père des questions sur cette époque, mais je n’avais jamais de réponse. C’est un secret qu’il garda toute sa vie…
Chapitre 1
Dimanche 10 octobre mille neuf cent soixante et onze, il était treize heures, mes parents avaient décidé de faire du rangement à la cave.
Arrivés devant la porte de la cave, en ouvrant la porte, il me dit :
— On va commencer à faire un peu de rangement, en sortant quelques affaires dans le couloir. Puis on verra déjà plus clair.
J’acquiesçai en disant :
— D’ac…
On voyait qu’on n’avait pas rangé depuis longtemps et, par facilité, on avait tout entreposé çà et là. Je sortais deux chaises et une table en formica marron. Il y avait aussi un cageot rempli de livres. Mon père me passa les cannes à pêche et un seau en plastique. Au bout de vingt minutes, on avait fait du vide. Contre le mur, posé sur une table de télévision à roulettes, j’aperçus vaguement comme un clavier de piano à deux octaves. J’approchai ma lampe torche pour mieux voir. C’était bel et bien un instrument de musique, très ancien. Il était gris-vert, avec des touches sûrement en ivoire.
Je le pris dans mes mains pour le changer de place et le mis sur la table. Je voyais un soufflet sur le côté gauche que j’actionnai en appuyant sur une touche. Un son étouffé se fit entendre.
— C’est un guide-chant qui était à mon grand-père Isacco. Il me l’avait offert le jour de mes treize ans pour ma Bar Mitzvah. Il s’en servait déjà quand il habitait à Livourne en Italie.
Admiratif, j’ajoutai :
— C’est un beau cadeau. Superbe !
— Tu vas le dépoussiérer et tu pourras t’en servir mais je ne sais pas s’il va marcher.
— Merci !
Me montrant plusieurs objets qu’on avait mis dans le couloir, il dit :
— On va déjà jeter toutes ces choses dans la cave à poubelles de l’immeuble, ensuite on verra plus clair.
Tout en remplissant mes mains et mes bras, je répondais :
— OK.
— Vas-y en premier, je te suis.
Après avoir déposé ces objets dans l’endroit prévu, on arrangea sobrement notre cave. Le guide-chant dans mes bras, je refermai la porte de la cave, mon père me dit :
— Je passe devant pour allumer.
Je le suivis. On prit l’ascenseur pour monter au troisième étage, il ajouta :
— Il faut enlever la poussière car ça fait un moment qu’il traîne dans la cave, sûrement plus de vingt ans, lorsqu’on a emménagé avec maman…
— Oui, je vais le faire. Je trouve très sympa d’avoir gardé cet instrument qui doit avoir une histoire familiale.
— Avant la guerre, je chantai sur scène en amateur. Je me suis produit au Casino de la Jetée Promenade qui se trouvait sur la Promenade des Anglais mais qui a été détruit en 1944 par les nazis pour réutiliser ses matériaux dans des ouvrages de défense. J’ai chanté aussi au Casino Municipal de Nice, place Masséna… puis les Allemands sont arrivés à Nice et tous les Juifs de Nice ont dû fuir la ville. C’est ce que j’ai fait aussi.
— Triste époque…
L’ascenseur s’arrêta sur notre palier, mon père sortit le premier et comme d’habitude, il sonna deux fois et siffla pour avertir ma mère que nous étions derrière la porte. C’était un sifflet familial sur trois notes. Ma mère ouvrit la porte d’entrée toujours avec le sourire au bout des lèvres. Entrant dans l’appartement elle dit :
— Alors vous avez fait du rangement ?
— On a jeté pas mal de choses dont on ne se sert pas, mais regarde ce qu’on a trouvé avec Georges.
— Le guide-chant… avec lequel tu travaillais ta voix… j’avais oublié. Ça fait tellement longtemps… ajouta-t-elle.
— Ne t’en fais pas maman, je ne vais pas trop vous embêter avec cet instrument.
— Je sais que tu es raisonnable, mon chéri.
En le posant sur mon secrétaire, je dis :
— Je vais chercher l’éponge et le chiffon à poussière, je vais essayer de l’arranger.
— Prends aussi un tournevis et une paire de pinces, s’il faut que tu le nettoies à l’intérieur.
— Oui, c’est ce que je comptais faire.
Je passai dans la cuisine pour récupérer les outils et la lampe de poche qui se trouvaient dans un des placards. Je pris la boîte à outils.
— Si tu as besoin, je suis dans la chambre.
— Oui, merci.
Ma mère ajouta :
— Je t’apporte le balai, la pelle, le plumeau et le chiffon à poussière.
Aussitôt dit, aussitôt fait.
— Merci.
Elle sortit.
Je refermai la porte derrière elle en contemplant ma nouvelle acquisition.
J’aimai les vieilles choses, de plus c’était un instrument de musique qui devait avoir une histoire.
Je le tournai de tous les côtés en cherchant les vis qui le maintenaient. Il y en avait quatre. Après les avoir dévissées, j’enlevai le panneau complet ce qui me permit de voir l’intérieur. J’avais la lampe en main, le faisceau lumineux éclaira le mécanisme qui se présentait à moi. Il fallait vraiment que je passe le plumeau. J’actionnai le soufflet en appuyant une touche, le bruit étouffé était toujours présent. Je remarquai qu’il y avait un papier coincé et qui obstruait l’orifice sous une lame qui était sûrement la cause de ce mauvais son. Je le retirai en le posant sur mon lit. Le son qui sortait était à peu près correct. J’avais presque réglé le problème… Je retournai encore l’instrument ce qui me permit de voir que sous les touches étaient inscrits des chiffres de 1 à 12 symbolisant les notes sous les touches blanches et les touches noires qui étaient attribuées aux dièses et aux bémols. J’avais compris que la première touche avait le chiffre 1 qui était sous la touche do, la deuxième sous la touche do dièse, une suite de demi-tons chromatiques. Je remarquai aussi qu’en dessous des lames, il y avait comme un double fond. Peut-être était-ce pour la résonance ? Je pensai revoir ce détail plus tard car je n’avais qu’une envie, c’était d’entendre le son. Je passai le chiffon pour enlever la poussière. Dans la boîte à outils se trouvait la burette d’huile que j’utilisai aux articulations du système. Réessayant les touches du clavier et le soufflet, ça fonctionnait à merveille. Tout me semblait parfait, je décidai de ne pas revisser le panneau que j’avais enlevé car je viendrai de nouveau y jeter un coup d’œil. Un dernier coup de chiffon à l’extérieur. Il trônait sur l’abattant de mon secrétaire en pin. Je le contemplai comme une pièce exceptionnelle. Il était beau et sûrement unique. J’ouvrais la porte de ma chambre en appelant mes parents pour qu’ils viennent le contempler.
Mes parents arrivèrent en même temps. Mon père parla le premier :
— Ça me rappelle des souvenirs…
— Il est beau, ajouta ma mère.
— Je viens de l’essayer, il marche bien, écoutez !
— Je me rapprochai de l’instrument, ma main gauche avait saisi le soufflet, ma main droite appuyait sur les touches.
— Je m’en servais beaucoup lorsque j’avais quinze, dix-sept ans. Puis la guerre est arrivée, je me suis engagé dans l’armée, j’ai arrêté le chant.
— Catherine, ta sœur sera heureuse de découvrir cet instrument.
— Oui, je pense.
— Tu lui montreras lorsqu’elle viendra nous voir.
— Amuse-toi bien avec. Je retourne dans la chambre pour terminer ma comptabilité.
— OK.
— Et moi dans ma cuisine.
Ils sortirent de ma chambre. Je fermai la porte et je récupérai le papier qui bouchait l’orifice d’une lame. Je le dépliai. C’était une partition, sous les notes, des mots en hébreu avaient été écrits à la plume. Je ne comprenais pas du tout ce qui était écrit mais mon père m’avait appris à lire quand j’avais treize ans. Lui aussi avait appris à lire grâce à son père et son grand-père mais ne connaissait pas la signification.
Je commençai à jouer ces notes sur le clavier. C’était simple mais joli, une très belle mélodie. Je la rejouai plusieurs fois. Mon père tapa à la porte. Il entra, en fredonnant la mélodie.
— Je viens de la déchiffrer, elle est écrite sur une feuille qui était à l’intérieur du guide-chant.
— J’ai en souvenir que mon grand-père Isacco la sifflait très souvent quand j’étais enfant et adolescent. Il me disait qu’il chantait en « Ladino ».
En lui tendant la feuille j’ajoutai :
— Il y a des paroles en hébreu, écrites sous les notes.
— Fais voir s’il te plaît.
— C’est de la calligraphie hébraïque, c’est sûrement du Ladino…
— Du Ladino ? Qu’es acò ?
— Le Ladino est une langue parlée par les Juifs séfarades. À l’instar du Yiddish qui est parlé par les juifs ashkénazes. C’est du castillan ancien ou vieux espagnol, si tu préfères, mélangé à de l’hébreu.
Il prit la partition dans une main :
— En effet, c’est très bien écrit… L’écriture est la même que sur les