Quelles sont vos origines familiales ?
Je suis issu d’une famille juive d’Ukraine, où l’on était cordonnier de père en fils – comme mon grandpère. Mes parents, Jacob et Rosa, quittent Odessa en 1903 à cause des pogroms. Après une halte à Smyrne où il se marient, ils débarquent à Marseille puis s’installent à Paris, où je suis né en 1921. Je suis le dernier des huit enfants – j’ai quatre frères et trois sœurs. Tous ont quitté tôt la maison pour gagner leur vie car nous sommes très pauvres. Petit, j’allais le soir à la fermeture des boulangeries pour récupérer les miettes de gaufrettes ou les invendus rassis de la veille ou de l’avant-veille. Mon père vit séparé de ma mère. Je me souviens qu’on parle yiddish à la maison, ça m’a aidé plus tard à comprendre l’allemand. En 1938, j’habite avec maman au 72 de la rue Claude-Decaen, dans le XIIe arrondissement. La famille Rothschild dispose d’appartements distribués aux Juifs nécessiteux, nous en faisons partie. C’est d’ailleurs grâce à ces associations caritatives que j’ai pu partir en camp de vacances. J’ai commencé à travailler à 14 ans, d’abord comme vendeur de cravates puis dans un atelier de montage de postes de radio à Nation, ce qui me servira par la suite. Je suis juif, mais la famille n’est pas religieuse et je ne le suis pas non plus. Je suis plutôt de gauche, mais pas militant. Je lis l’Humanité, le Canard enchaîné, de la littérature anarchiste…
Comment prenez-vous conscience que vous n’êtes plus un Français comme les autres ?
Début octobre 1940 , le gouvernement de Vichy ordonne aux Juifs de se déclarer au commissariat de police. J’ai alors 19 ans et comme beaucoup de Juifs parisiens, je fais confiance au maréchal Pétain. Je me fais donc recenser, avec ma mère. Et notre carte d’identité est marquée d’un coup de tampon rouge : . On l’ignore, mais c’est un piège, puisque le recensement servira à établir les fichiers pour les rafles à venir. D’abord, les Allemands et Vichy s’attaquent aux Juifs étrangers, pour la plupart venus comme nous d’Europe de l’Est ou centrale – bien que je sois né à Paris et de nationalité française. Puis, en juin 1942, on nous oblige à porter l’étoile jaune et on nous parque dans le dernier