Une lettre à Dieu
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Aperçu du livre
Une lettre à Dieu - Antoine Désiré Ongolo
Une lettre à Dieu
Antoine Désiré Ongolo
Une lettre à Dieu
Le témoignage captivant d’une vie transformée par un acte de foi
LES ÉDITIONS DU NET
22, rue Édouard Nieuport 92150 Suresnes
© Les Éditions du Net, 2014
ISBN : 978-2-312-02141-6
Je dédie ce livre à ma mère, à mes frères et sœurs, et à tous ceux qui ont été pour moi une oasis de fraîcheur durant ma longue traversée du désert.
Ils se reconnaîtront dans cette histoire dont les faits sont réels. En revanche, les noms des personnes ont été modifiés pour préserver leur anonymat.
Sauf indication contraire, les versets bibliques cités dans ce livre sont tirés de la Bible dite à la Colombe (Colombe) — nouvelle version Segond révisée. Copyright 1978, Société biblique française.
Psaume 23{1}
L’Éternel est mon berger :
Je ne manquerai de rien.
Il me fait reposer dans de verts pâturages,
Il me dirige près des eaux paisibles.
Il restaure mon âme,
Il me conduit dans les sentiers de la justice,
À cause de son nom.
Quand je marche dans la vallée de l’ombre de la mort,
Je ne crains aucun mal, car tu es avec moi :
Ta houlette et ton bâton me rassurent.
Tu dresses devant moi une table,
En face de mes adversaires ;
Tu oins d’huile ma tête,
Et ma coupe déborde.
Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront
Tous les jours de ma vie,
Et j’habiterai dans la maison de l’Éternel
Jusqu’à la fin de mes jours.
Chapitre 1
LA SOUFFRANCE À L’AURORE DE LA VIE
« Le père des orphelins, le défenseur des veuves, c’est Dieu dans sa sainte résidence. »
Psaumes 68 : 6
Je suis venu au monde par une splendide nuit étoilée, un dimanche d’août 1980 dans un hôpital de Yaoundé, la capitale du Cameroun. Mon père, un ancien militaire reconverti en employé de banque, exerçait les fonctions de délégué du personnel dans l’un des établissements bancaires les plus prestigieux du pays. Ma mère, elle, était femme au foyer.
Nous étions sept enfants sortis du sein d’une même mère : quatre filles et trois garçons. Je suis le troisième dans cette fratrie, si je ne m’en tiens qu’aux enfants de ma mère. En effet, papa était un homme polygame. Avant qu’il épouse maman, une première femme lui avait déjà donné six enfants. Nous étions donc treize enfants vivant dans la même concession.
Le domicile familial était situé dans le quartier populaire d’Étoudi, au nord de Yaoundé. Papa y avait construit deux maisons juxtaposées dans un même enclos : l’une pour sa première femme et ses enfants, l’autre pour ma mère et nous. Le modèle semblait fonctionner à merveille. En bon militaire, papa savait user de stratagèmes pour préserver l’entente entre les deux mères. Autant que je m’en souvienne, il n’y a pas eu de dispute majeure entre elles du vivant de mon père. Grâce à son intelligence et à son confort financier, il avait réussi à bâtir une famille nombreuse, joyeuse et unie… jusqu’au 10 avril 1990.
Ce jour-là, mes frères et moi étions tous partis à l’école publique francophone de Bastos, l’une des plus réputées de la capitale, comme nous avions l’habitude de le faire. J’étais dans ma cinquième et avant-dernière année du primaire. À la pause de midi, quelques personnes de ma famille débarquèrent à l’école et nous forcèrent à rentrer à la maison de toute urgence. Lorsque j’aperçus un inconnu au volant de la Peugeot 504 blanche de mon père, je sus à l’instant qu’il s’était passé quelque chose de grave… de très grave !
Cela faisait un moment que papa était atteint d’une maladie critique. Les médecins lui avaient d’ailleurs indiqué que ses jours étaient comptés. Peu avant ce 10 avril 1990, papa décida d’effectuer un séjour dans son village à une soixantaine de kilomètres de Yaoundé, sans doute pour faire ses adieux à sa terre natale. Dans mon insouciance enfantine, je ne pensais pas que la situation était aussi sérieuse. Mais ce fameux 10 avril, je dus affronter la réalité : papa était décédé.
La vie de ma famille prit une tout autre tournure après cet évènement tragique, le deuxième en l’espace de deux ans. En effet, mon oncle, le jeune frère de mon père, avait perdu la vie en 1988. Il était médecin et vivait dans une petite ville au sud du Cameroun avec sa femme et ses neuf enfants. Après sa mort, mon père décida de recueillir chez lui la veuve et les neuf orphelins. Je n’ai jamais su comment il s’y est pris, mais toujours est-il qu’il est parvenu à nourrir, à instruire et à éduquer vingt-deux enfants. Ce surcroît de responsabilités sur les épaules de papa n’a pas affecté de façon significative notre qualité de vie, mis à part le fait que nous devions partager les chambres avec nos cousins.
Étant donné que papa était passé de vie à trépas lui aussi, le vécu quotidien devint un calvaire. Trois veuves sans emploi avaient désormais la responsabilité d’élever vingt-deux orphelins. La pension qu’elles percevaient de la Caisse nationale de prévoyance sociale (CNPS) était à l’évidence insuffisante pour nourrir correctement tant de bouches. Le soir, lorsque mes frères et moi revenions de l’école après une longue marche d’environ une heure, nous savions à peu près ce qu’il y aurait à manger. Le couscous était bon marché à cette époque. Nous en consommions donc tous les jours ou presque. J’en avais assez de ce plat ! J’aspirais à une alimentation plus variée, plus équilibrée, mais le pouvoir d’achat des trois veuves était très limité.
Au moment des repas, la maisonnée était divisée en cinq groupes selon l’âge et le sexe : les mamans, les jeunes filles, les petites filles, les jeunes hommes et enfin, les garçons. Âgé de 10 ans à cette époque, j’appartenais au dernier groupe. Nous étions six garçons autour d’une même assiette. Il y avait si peu à manger que chacun avait intérêt à bien se préparer pour la bataille. Les garçons n’y allaient pas avec le dos de la cuillère : il fallait ingurgiter les aliments plus vite que son voisin. Comme nous ne combattions pas tous à armes égales dans cette jungle, l’un de mes cousins, le doyen de notre groupe, trouva une astuce aussi insolite qu’efficace pour rétablir l’équité.
Il mit en place un système de contrôle qui permettait à chacun de se servir à tour de rôle. Les premiers à prendre ce qu’il y avait dans l’assiette maintenaient leur cuillère tendue jusqu’à ce que le dernier garçon se servît à son tour. Puis mon cousin examinait toutes les cuillères pour s’assurer que la quantité de nourriture qui s’y trouvait était à peu près la même pour tous. Si une cuillère en contenait un peu plus que la moyenne générale, son propriétaire était sommé de remettre l’excédent dans l’assiette. En pareil cas, le doyen du groupe procédait à une seconde vérification avant de donner le feu vert pour porter la cuillère à la bouche. Et le cycle recommençait jusqu’à ce que l’assiette soit vidée de son contenu.
À mesure que le temps passait, la cohabitation des trois veuves devenait fragile. Pour préserver l’harmonie, chacune d’elles décida de prendre soin de ses propres enfants. Tante Hélène, la veuve de mon oncle, quitta la maison ; mes demi-frères et leur mère se replièrent dans une partie de la concession familiale. Quant à nous, nous occupâmes l’autre partie de la maison avec maman.
Ma mère se donna à corps perdu pour nous élever de la meilleure manière possible. Tout commerce qui se présentait à elle était une occasion qu’il fallait saisir. Tantôt, elle achetait et revendait des produits vivriers, tantôt, elle était tenancière d’une cafétéria. Ainsi parvenait-elle à nous nourrir du mieux qu’elle pouvait.
Je finis par m’accoutumer à la souffrance. L’un des moments difficiles, c’était lorsque maman venait nous réveiller au petit matin, précisément quand le sommeil est le plus doux. « Levez-vous, criait-elle. Il est l’heure d’aller puiser de l’eau et de vous préparer pour l’école. » La source était située à une quinzaine de minutes à pied de la maison. Chaque matin, une foule innombrable venue des quartiers environnants s’y retrouvait. Il fallait donc aller au puits avant le lever du jour pour ne pas perdre de temps dans la file d’attente.
C’est en somnolant et en essayant de me replonger dans ce rêve si brutalement interrompu par le cri de maman que je m’y rendais généralement. Cependant, le chemin accidenté me ramenait très vite à la réalité : je devais redoubler de vigilance au moment de descendre la pente broussailleuse et glissante qui menait à la source. La remontée était encore plus difficile. Avec un seau de 15 litres d’eau sur la tête, mon équilibre ne tenait qu’à un fil. D’ailleurs, il m’est arrivé plusieurs fois de glisser et de tomber. En pareille circonstance, je retournais nonchalamment et tristement dans la file d’attente, conscient que pendant les prochaines heures, j’allais passer un sale temps à l’école.
J’étais un élève assez moyen à l’école primaire. J’appréciais l’indulgence de madame Onana, ma maîtresse du cours moyen deuxième année. Elle n’avait rien de comparable à ce méchant maître du cours moyen première année qui avait l’habitude de me fouetter chaque fois que j’arrivais en retard. Ne pouvait-il pas comprendre que j’étais un orphelin et que j’allais puiser de l’eau au puits chaque matin avant de me rendre à l’école à pied ? Il n’avait jamais cherché à comprendre pourquoi j’arrivais souvent en retard, mais il avait trouvé une solution facile à mon problème : le fouet.
Madame Onana, elle, était différente. Elle se montrait très gentille avec moi et m’accordait toute son attention. Je devins un bien meilleur élève grâce à sa bonté. Elle aimait me faire réciter des passages tirés du livre de lecture. L’un de mes textes favoris était un extrait de l’ouvrage Ville cruelle de l’auteur camerounais Eza Boto. J’ai encore en mémoire des bribes de ce texte :
« J’aime ma mère. Aïe ! Je l’aime comme tu ne peux pas savoir. […] À la mort de mon père, j’étais âgé de quelques années seulement. Ma mère entreprit donc de m’élever. Elle y a apporté une sollicitude extrême. […] J’étais mieux habillé que les garçons de mon âge qui avaient leur père. »
À la fin de ma récitation, il m’arrivait de verser quelques larmes. Madame Onana devait se douter que ce récit parlait de moi, de ma