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Les Chemins d'Abeline - Tome 1: Louise
Les Chemins d'Abeline - Tome 1: Louise
Les Chemins d'Abeline - Tome 1: Louise
Livre électronique605 pages9 heures

Les Chemins d'Abeline - Tome 1: Louise

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À propos de ce livre électronique

Une romance historique de voyage dans le temps en France et en Irlande.


Août 1775 « C’est arrivé un jour où je peignais des roses. J’eus l’impression que j’avais oublié de respirer une fraction de seconde et de me réveiller en sursaut avec la certitude d’avoir échappé à la mort. Je me suis vu peindre et presque admirée. J’ai ressenti un bonheur immense m’envahir, en souhaitant que cette vie-là soit longue. »
Louise de La Magdaleine n’a que dix-sept ans mais cache un secret depuis des siècles, elle renaît sans cesse. Jeune peintre prometteuse, elle est confiée aux Sarangdon, ce couple d’Irlandais venus se réfugier dans cette France du XVIIIe que le fébrile Louis XVI gouverne. Elle doit peindre le portrait d’Aisling dont les dernières forces s’épuisent. S’y refusant, elle s’échappe malgré les efforts que le comte Gabriel d’Abeline déploie pour l’en empêcher. Cette nuit-là, elle est témoin d’un complot fomenté contre Turgot, elle fuit mais est rattrapée et agressée par le comte de Cambrone. Dans cette vie, Louise tissera des liens avec le comte Gabriel d’Abeline. Elle partira en exil en Irlande où elle épousera la philosophie des Druides et des Celtes, verra son grand amour lui glisser des doigts. Finalement, elle découvrira que tous les membres de son entourage cachent eux aussi un secret.
« Avant, je me contentais de mettre ma mémoire en sourdine, de faire comme si elle n’existait pas et de vivre cette vie qui se présentait. De faire comme si tout était normal. Je vivais cela sans me révolter, je n’avais pas le choix. Jusqu’à ce que je rencontre Gabriel. »


À PROPOS DE L'AUTEURE


Après des études en arts plastiques durant lesquelles elle découvre l'Art nouveau et l'Art déco, qui nourrissent désormais une vraie passion, Annabel Séguret débute par une carrière dans la musique. Mais les années passant, la jeune femme se lasse de la vie sur la route et des aléas de la vie en tournée… En 2010, elle rejoint Paris pour y mener des études de graphisme au terme desquelles elle travaille comme directeur artistique et maquettiste pour diverses publications. Ce retour à une vie plus calme et plus sédentaire lui permet de se consacrer à sa passion pour la lecture et de retrouver ses auteurs préférés comme Louis-Ferdinand Céline, Victor Hugo, Agatha Christie mais aussi Frédéric Dard et différents auteurs d’histoires de grandes familles. Sa passion pour les enquêtes avec costumes mais sans hémoglobine, ces énigmes à la mécanique redoutable et basées sur les déductions et la réflexion la mènent à faire naître Simon, son détective italo-stéphanois, taciturne, amateur de bonne chère et d'argot. En moins de deux ans elle écrit quatre volumes. Le premier tome de Simon, « Les Plumes », paraît en 2017, suivis de six tomes déjà publiés et de tous ceux qui germent déjà dans son imagination.
Avec « Les Chemins d’Abeline », elle signe sa première saga historique. À travers les vies de Louise, de Gabriel, du comte de Nolenne et d’Aisling Sarangdon, elle nous fait découvrir un monde où l’Histoire du XVIIIe siècle et la mythologie celte s’harmonisent. C’est une romance réaliste et prenante, le récit des aventures d’une grande famille soutenue par des amitiés solides et qui vivent dans un monde à mi-chemin entre le magique et le réel. À travers des voyages au cœur de la France, de l’Amérique, de l’Irlande dont l’auteur nous décrit la beauté avec une plume précise, on découvre les rites du monde des Celtes qui donnent à cette saga son côté mystique et fantasy, sans pour autant constituer la part principale du récit. Dix tomes de cette saga sont déjà prêts à paraître, dans lesquels tous ces thèmes se retrouvent et se mélangent avec habileté.

LangueFrançais
ÉditeurGaelis
Date de sortie3 oct. 2022
ISBN9782381650517
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    Aperçu du livre

    Les Chemins d'Abeline - Tome 1 - Annabel Séguret

    Prologue

    Je ne sais pas d’où je viens. Mais au fond, est-ce important ? Je sais que je m’appelle Louise. À chaque fois que je me réveille, c’est le prénom que l’on me donne. Cela commence par une tape sur l’épaule, ou une caresse sur la joue. Une gifle ou une chute, un instant où je suffoque, peu importe, car à chaque fois, on m’appelle Louise. Je suis brune, jamais blonde, jamais rousse. À chaque fois, je me regarde dans le miroir et à chaque fois, c’est moi. C’est mon visage, mon corps, mes mains, mes jambes. J’en ai conscience, c’est moi.

    Quand je ferme les yeux, des souvenirs se bousculent, sans que je puisse comprendre pourquoi ils sont là. Les images se succèdent, sans cohérence. Je vois des êtres. Des visages, beaucoup de visages.

    Il y a le regard de ces gens que j’ai dû aimer sans vraiment me rappeler pourquoi. Leur souvenir s’efface peu à peu laissant derrière eux ce deuil étrange, inévitable et pesant. Je suis seule devant cette folie qui me consume jusqu’à ce que… tout recommence. Tout recommence toujours. Une vie, une mort. Et à chaque fois, j’emporte avec moi des souvenirs qui ne remontent à la surface que par bribes ; j’ai tant de souvenirs…

    J’en ai porté des corsets, des pantalons, des jupons, des crinolines, des vestes et des uniformes. J’en ai aimé des enfants, enterré des pères et des mères, des frères. Oui, j’ai aimé plus que les autres. J’ai trop aimé donc parfois, j’ai haï. Depuis le temps que cela dure. Tant d’alliances portées à mon doigt, tant de naissances, de maladies, de morts et de séparations, sans que je ne me souvienne de tous les détails mais juste assez pour ressentir le manque et l’absence. J’ai quitté trop de maisons, de terres et de gens. J’ai vécu trop d’hivers et de printemps, de guerres, d’épidémies et de violences. Je suis vieille comme le monde. Je suis fatiguée, mes yeux voient trouble et mes mains tremblent. Bientôt je serai une autre Louise.

    Je crois en l’Univers, oui, je crois en l’Univers et en la Terre.

    J’ai tout lu sur la réincarnation. Ce sont des sottises. J’ai tout lu sur la résurrection, je ne suis pas Jésus.

    Le Phénix renaît de ses cendres mais moi, je ne renais pas. Non, pour moi cela ne se passe pas comme ça.

    Je prends conscience que j’existe. Je vois mon reflet dans une rivière ou dans une vitrine de magasin, je me regarde, je me reconnais et je me souviens.

    Avant, je me contentais de mettre ma mémoire en sourdine et de faire comme si elle n’existait pas.

    De faire comme si tout était normal. Je vivais cela sans me révolter, juste parce que je n’avais pas le choix.

    Jusqu’à ce que je rencontre Gabriel.

    Aujourd’hui, j’ai quatre-vingt-cinq ans. C’est un âge où l’on doit mourir. Mais si je fais le compte de tous mes âges, je crois que je dois avoir au moins mille ans. C’est beaucoup trop.

    Louise, si tu lis ces lignes, je veux que tu te rappelles que je ne veux plus errer, je veux rester avec lui. Gabriel. Je veux dormir à côté de lui jusqu’à la fin des temps. Je ne veux plus le laisser partir. Cela m’est impossible d’y penser sans ressentir une déchirure profonde allant de ma poitrine à mes tempes, de mon ventre au bout de mes doigts. Je ne respire plus, j’ai peur. Pas de ma mort, je l’ai vécue si souvent, mais de la sienne. De sa non-existence, de son néant. Tu ne le comprends peut-être pas parce qu’à l’heure où tu lis ce livre, il se pourrait que tu ne l’aies pas encore rencontré.

    Chaque seconde, chaque heure de cette vie furent plus longues parce qu’il n’était plus là. Il est parti et moi, je suis restée. Mais pas pour longtemps, je le sais, je devrais partir bientôt moi aussi mais j’ai peur de ne pas le retrouver. L’Univers m’accorde ce sursis et me laisse le temps de t’écrire tout cela, alors je le fais.

    En le regardant mourir, j’ai enfin osé me dire que tout devait s’arrêter et j’ai voulu mourir avec lui.

    J’ai décidé de consigner ma mémoire dans ce livre pour toi. Je sais qu’un jour, Louise, ta curiosité s’éveillera et que tu viendras le lire.

    Louise, voici ma mémoire, notre mémoire.

    Première partie

    Chapitre 1

    Le Temps des Louise

    Paris, 2 janvier 1840

    « C’est arrivé un jour où je peignais des roses.

    J’eus l’impression que j’avais oublié de respirer une fraction de seconde et de me réveiller en sursaut avec la certitude d’avoir échappé à la mort. Les battements de mon cœur, affolé, me rassurèrent, prouvant, en se fracassant comme des vagues sur mes côtes, que j’étais bien vivante. Je vis mon reflet dans la fenêtre. J’étais brune et j’avais les yeux verts. Je n’étais pas trop grande et plutôt maigre. Je ne pus m’empêcher de me sourire, me trouvant stupide et cherchant à vérifier si ce sourire que j’arborais bêtement était convaincant. Et il me semble qu’il l’était. Étrange sensation que de se regarder et de ne pas se reconnaître.

    Je devais avoir environ dix-sept ans.

    Puis ma main, après quelques hésitations, se mit à peindre les ombres, les lumières, à mélanger les couleurs avec frénésie jusqu’à obtenir la teinte exacte de ces fleurs que j’observais pourtant si peu. Elles renaissaient sous mes doigts et ne pourriraient plus. Je me suis vue peindre et presque admirée. J’ai ressenti un bonheur immense m’envahir, en souhaitant que cette vie-là soit longue.

    Puis la peine est revenue. Tout entière. Presque aussi vite que mon pinceau touchait la toile. J’ai ressenti le manque, le froid et cette solitude qui me retenait prisonnière et à laquelle je ne pouvais pas échapper. Et j’ai pleuré sans que je ne puisse rien y faire. Pourtant je connaissais ce trouble, ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait.

    Clothilde, la petite bonne, arriva, me sortant de ma torpeur, chargée d’un plateau trop grand pour elle. Il était rempli de fruits, de biscuits, de tasses qu’une théière obèse qui fumait encore faisait dangereusement cliqueter. Je séchai rapidement mes larmes et comme je m’en doutais, Clothilde m’appela « Mademoiselle Louise ». Ma mère arriva avec ma petite sœur, emprisonnée dans un drap de lin, mais confortablement installée contre sa poitrine.

    Mon frère courrait derrière elle, fier de ses nouvelles bottes et de sa nouvelle épée qu’on venait de lui offrir. Il tournait autour de la table, combattant toute une armée et la terrassant à lui seul. Il avait donc déjà cette vocation ? Où était-ce la force de conviction familiale qui s’était installée en lui si profondément qu’il agissait déjà, sans s’en rendre compte, dans une obéissance totale à ce diktat. Sans doute qu’il penserait naïvement que cette passion et ces idées guerrières venaient de lui.

    Nous étions une famille anoblie par Louis XIV ; un de nos ancêtres ayant, par des faits d’armes courageux et d’envergure, gagné cet honneur à la sueur de son front et par la perte d’une jambe restée pourrir quelque part sur un champ de bataille où nous avions encore une fois affronté l’Angleterre sans la vaincre. Mais mon père, malgré cette nouvelle condition, avait repris l’entreprise familiale et continué à vendre et fabriquer ses tissus de luxe.

    J’avais un frère aîné, Paul, qui était à l’Université. Ma petite sœur, âgée d’un an, qui se blottissait contre ma mère, s’appelait Léopoldine ; mon frère de treize ans, le valeureux guerrier, s’appelait Samuel et en voyant le ventre s’arrondissant déjà de ma mère, je compris que la famille n’était pas au complet.

    J’étais une jeune femme qui avait tendance à poser trop de questions, à trop parler et à envahir la conversation à partir du moment où le sujet me plaisait. On me trouvait bête parce que j’étais trop intelligente, c’est ce que me disait toujours Paul. On me trouvait impertinente parce que je contredisais. Mais si je contredisais, c’est parce que je savais.

    J’avais dix-sept ans et en ces temps où la vie était courte, c’était un âge plus près de la maturité que de l’enfance, alors on me laissait parler un peu plus. On mariait les rois et les reines très jeunes, mais pour les femmes de l’aristocratie ou de la bourgeoisie, c’était différent. La dot étant le principal frein aux mariages précoces, on reculait l’échéance afin de préserver le porte-monnaie familial. Ce qui me laissait quelques espoirs d’avoir un certain nombre d’années de liberté avant le jour fatidique de mon mariage.

    Car ce ne serait pas un mariage d’amour mais arrangé par les affaires de mon père et ce même si elles étaient fructueuses.

    Par chance, on ne m’avait pas envoyé au couvent. Et je devais cela à ce don que j’avais pour la peinture et l’incroyable modernité et ténacité de ma mère. Elle avait eu cette peur, singulière pour l’époque, qu’une éducation conventuelle aurait pu anéantir ce don au profit d’une vocation pour le Divin qu’elle jugeait terrifiante.

    Elle s’était donc chargée de mon éducation avec un précepteur gris et austère. Mais il avait eu du mal à m’apprendre autre chose que ce que les femmes étaient censées apprendre à l’époque et se refusait trop souvent à me transmettre certains savoirs. Quand elle le comprit, ma mère s’attacha, heureusement pour moi, à me faire lire les philosophes de l’antiquité et même Voltaire ! Ce qui provoqua la démission immédiate de mon précepteur qui avait, avant de partir, convaincu mon père que trop de connaissances seraient nocives pour une femme. Mais Jeanne, à force de témérité pour ne pas dire d’entêtement, d’assauts contrôlés et répétitifs à tout moment de la journée, de cris et de scènes de ménage volontairement violentes devant les domestiques, vit son époux céder tant par lassitude que par besoin de paix.

    Ainsi j’avais eu le droit de m’instruire comme je le voulais pendant que mon frère Paul avait été bien trop vite envoyé chez les Jésuites. Quant à Samuel, la chose était entendue, il serait militaire et serait engagé d’ici un ou deux ans dans l’armée. La petite Léopoldine ne souffrait pas encore de l’ambition dévorante mais bienveillante de Jeanne, mais elle trouverait bien quelque chose pour elle, c’était à n’en pas douter.

    Voilà ce dont je me souvenais et ainsi serait cette vie. La peinture et, à moins que je ne réussisse à trouver chaussure à mon pied avant que mon père ne le fasse pour moi, un mariage forcé, des enfants, des domestiques et des soirées mondaines. Comme je n’avais pas soif d’aventure ni de grandes histoires, je pris la décision, ce jour-là, que cela me convenait. »

    ***

    Avec ces quelques phrases, je commençais le premier chapitre du récit de cette vie. Je n’allais pas plus loin pour aujourd’hui. Mes yeux fatiguaient vite maintenant. Et puis j’étais émue. La décision que j’avais prise venait en ces quelques lignes s’inscrire dans une réalité angoissante. En commençant à écrire, je les avais tous vus devant moi et les avais fait revivre. Tous ceux que j’avais tant aimés et qui étaient partis ou ne tarderaient pas à partir. Je décidais de garder le prologue pour plus tard, de toute manière Agathe, ma petite-fille, allait arriver.

    J’avais encore du temps devant moi, quelques semaines tout au plus, mais elles seraient suffisantes. Je connaissais ma vie par cœur et il ne me faudrait pas plus que cela pour l’écrire même si elle fut très longue et chargée de joies, de malheurs et de péripéties incroyables.

    Il était tard. Je me levais et éteignais le gaz de la lampe, cette invention me terrorisait. Je préférais de loin la lumière des chandeliers qui était plus rassurante et plus confortable. Je m’installais dans mon fauteuil et attendis en faisant revenir mes souvenirs qu’Agathe arrive.

    Chapitre 2

    Vigée

    Château des La Magdaleine, 28 septembre 1775

    Sous la lumière du soleil filtrée par les sycomores, notre jardin ressemblait à une peinture de Monet d’où s’évadait une impression de bonheur vibrante.

    Ma mère Jeanne était assise en face de moi et me regardait peindre. Évidemment, je me gardais de donner à ma peinture cette touche impressionniste qui ne serait pas créée avant cent ans et laissait à ses peintres toute la gloire qu’ils méritaient en ne bouleversant pas le cours des choses. Je me contentais donc de rester académique sous l’œil avisé de Jeanne.

    — La comtesse de Bazignan a demandé à votre père de lui présenter des satins et des soies pour sa nouvelle garde-robe. Je me suis dit que vous pourriez lui dessiner quelques modèles. Vous accompagnerez votre père. Je veux qu’elle voie votre peinture. Louise, vous m’entendez, ma fille ?

    Elle avait de l’ambition, ma mère. Ou alors croyait-elle trop en moi. Ou alors, faisait-elle partie de ces mères qui, devant une vie sans saveur et gâchée, reportaient tous leurs espoirs sur leur enfant et leur faisait vivre une existence qu’elles auraient souhaité avoir. Se transformant en tyran et balayant d’un coup de rêve ceux de sa progéniture qui, malheureusement, aspiraient à autre chose. Elle faisait partie de ces femmes dont les obligations familiales et les grossesses à répétition avaient affaibli le corps mais pas l’esprit. Elle avait eu l’envie de réussir autre chose que des enfants, de s’accomplir autrement que dans les gestes du quotidien d’une maîtresse de maison mais avait rapidement renoncé. Aussi, par rébellion, elle avait refusé de nous mettre en nourrice malgré la désapprobation et l’indignation de tous. Je ne comprenais pas encore pourquoi, mais je savais que le temps des femmes viendrait, mais qu’elle ne le verrait pas…

    — Votre père vous en parlera à son retour. Cela vous intéresse, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas le choix, de toute manière.

    Je m’approchai et me serrai contre elle. Elle sentait la rose et le jasmin. Ses bras fragiles, protégés par une petite étoffe de soie blanche étaient rassurants. J’avais la sensation qu’avec elle, rien d’autre que le bonheur ne pouvait m’arriver. Ses grands yeux noirs pétillaient, sa peau diaphane était douce comme un velours fin et sa petite mouche, naturelle au-dessus de ses lèvres généreuses et roses lui donnait un air coquin et renforçait l’intelligence de ses yeux. Elle repoussa derrière ses oreilles ses mèches brunes et épaisses que la brise dérangeait et m’embrassa sur le front. En me tenant par les épaules, elle m’annonça avec toute la tendresse du monde dans le regard.

    — Paul arrive demain.

    — Combien de temps reste-t-il ?

    Dans l’absolu, je ne connaissais pas vraiment Paul, mais je ressentais cet amour et ce lien qu’il y avait entre lui et moi sans pour autant savoir pourquoi. Cette force du sang et cette complicité de toujours qui nous unissait sans que cela ne nous ait demandé le moindre effort.

    — Une semaine. Il sera accompagné d’un ami, et j’espère que vous vous tiendrez correctement, Louise, car c’est un comte ! me taquina-t-elle.

    — Mère, je ne ferais jamais rien qui puisse gêner mon cher Paul.

    — Le comte d’Abeline est un ancien militaire et lieutenant des Mousquetaires noirs du Roi. Il se remet d’une grave blessure. C’est un jeune homme très agréable, séduisant et qui a déjà eu son lot de problèmes mais c’est un coureur de jupons.

    — Ce sera un plaisir de le rencontrer malgré cela.

    — Ne soyez pas trop pressée, ma Fille, nous en avons déjà parlé, vous et moi.

    — Je resterai sage, Mère.

    — Il n’est pas homme facile à convaincre et ne semble pas pressé de se marier. Il vient de refuser la main de la fille de la duchesse de Fourniron Bressac ! Pouvez-vous l’imaginer ? Refuser une alliance avec la famille royale ! Quelle audace !

    — Peut-être préfère-t-il les sentiments à l’arrangement financier…

    Elle me regarda d’un air circonspect dans lequel transparaissait pourtant une certaine forme de satisfaction.

    ***

    Après le thé, j’eus l’envie soudaine de redécouvrir le domaine. Comme si je les voyais pour la première fois, certains recoins du jardin m’apparaissaient féeriques, d’autres plus hostiles et d’autres plus familiers. Ma mémoire revenait au fil de ma promenade. Le parc était immense et l’automne encore timide commençait à avoir raison des feuilles des arbres les plus fragiles. L’herbe verte devait cette bonne santé au jardinier qui s’épuisait à l’arroser coûte que coûte. C’était une époque où l’on s’acquittait de ses tâches sans se demander si on aimait à les faire, car bien trop heureux d’en avoir.

    La lumière était déjà rasante et m’empêchait de voir plus loin que la haie que des rosiers liane formaient au fond du jardin. Je savais que derrière, il y avait un parc où des arbres centenaires, offraient une ombre bienfaitrice à ceux qui en avaient besoin. Prise d’une nostalgie étrange, je décidais de m’y rendre. J’étais seule. Soudain un flot de larmes vint s’imposer comme une évidence. Je les laissais couler.

    Le soleil tentait de se coucher mais il était si large et rouge de colère qu’il n’y parvenait pas. Une silhouette se dessina en ombre chinoise et vint vers moi. Je me cachais derrière un cèdre au tronc suffisamment large pour m’y aider. Un homme passa devant moi, lisant une lettre qu’il chiffonna pour la mettre immédiatement dans sa poche. C’était un militaire. Les couleurs de son uniforme s’étaient assombries à cause de la lumière déclinante si bien que je ne pouvais savoir à quel corps d’armée il appartenait ni même s’il était un soldat de Sa Majesté. Un rayon de soleil traînant me fit finalement entrevoir un rouge très vif, il me sembla reconnaître l’uniforme des Red Coats anglais mais je n’en étais pas certaine.

    Je me souviens de ses yeux. Je m’en souviendrai toujours.

    Il ne s’aperçut pas de ma présence et je crus comprendre qu’il pleurait. Il avait traversé le parc, cherchant certainement le chemin le plus court pour se rendre à son but au plus vite. Je le vis s’éloigner avec l’impression envoûtante que je le recroiserais.

    ***

    Je me réveillais lentement, subjuguée par la lumière du jour et par la poussière qui s’élevait dans une multitude de paillettes d’or comme aimantée par un rayon de soleil prétentieux. J’entendais les domestiques s’affairer, Clothilde n’allait pas tarder à entrer. Mon regard se posa sur un portrait de moi fait au pastel datant de l’année dernière. Pourtant, je ne me souvenais pas avoir posé pour cette artiste à la technique que je jugeais irréprochable et même avant-gardiste. Mes cheveux avaient bruni, mais mes yeux s’étaient ouverts. Je ne pus m’empêcher de toucher le pastel. Le trait était si fluide et léger, si sûr et mouvementé qu’il en devenait fascinant. Une signature était apposée en bas à droite, celle de l’artiste qui s’appelait Vigée.

    Un étrange malaise s’empara de moi et le portrait d’une reine au teint parfait, aux joues roses portant une perruque poudrée et floue sous un chapeau de plumes, me revint en mémoire. Sa robe bleue, éclairée de dentelle blanche, s’ajustait parfaitement à sa taille et sa poitrine. Un nœud aux rayures bleues la remontait avec bienveillance tout en la dévoilant, elle se dressait fièrement et conduisait le regard jusqu’à une main fragile tenant une rose pâle. Puis je vis une tête brandie par un bras ensanglanté de haine et un rictus de victoire sur le visage de l’homme qui venait de la sortir d’un panier posé sous une guillotine. Et cette main élégante et fine qui avait tenu la rose pendait au bout d’un poignet qui ne portait plus de perles mais les traces de liens serrés trop fort.

    Je manquais d’air. Je posais ma tête dans mes bras appuyés sur la petite coiffeuse en bois d’olivier installée au-dessous du pastel. Quelques instants après, je me regardais dans la glace et ne me reconnaissais plus, à nouveau. J’étais donc folle. Au fond de moi je savais pourtant que tout ce que je vivais était bien réel et que je devais continuer à me taire comme je le faisais depuis si longtemps. Étrangement, cette pensée m’apaisa, c’était la seule solution que j’avais trouvée et qui avait fait ses preuves. Se taire. Le calme revint dans mon esprit et la peur qui m’avait prise au ventre s’en alla lentement.

    — Mademoiselle Louise, vous devez vous préparer, Monsieur votre Père vous attend pour aller chercher vos couleurs et vos toiles, et quand vous reviendrez, Monsieur votre Frère sera là. C’est une belle journée.

    Je laissais Clothilde faire ma toilette et m’habiller. Incapable de regarder ailleurs que dans ce miroir. Je me dévisageais. Mon visage, encore une fois, ne semblait plus m’appartenir et la jeune femme qui tendait les bras pour aider Clothilde à serrer son corset était une inconnue.

    Le corps est fragile mais sa machine est puissante, les courbes d’un visage sont à ce point complexes qu’il semble impossible qu’elles puissent former un tout. Et pourtant.

    Et l’esprit, la pensée, l’être ? Ils voyageaient de corps en corps, d’années en années de siècles en siècles et je ne pouvais que le confirmer.

    Chapitre 3

    Le Nécessaire à peinture

    Château des La Magdaleine, 29 septembre 1775

    J’avais un peu maigri. Je portais une robe à la française, mauve en satin de soie, brochée de fleurs de chardon dont le vert et violet rehaussaient le manteau. à plis « Watteau », il s’ouvrait en « v » sur un jupon façonné dans un lampas raffiné. Ma poitrine s’arrondissait dans un corsage à compères lacés et mes bras flottaient légèrement dans les manches droites. Je me trouvais fanfreluchée.

    Clothilde coiffait mes cheveux avec patience et me laissait à mon silence. Je remerciais le ciel de l’avoir à mes côtés car je n’aurais jamais réussi à me rappeler dans quel ordre je devais enfiler les différentes chemises, paniers, bas et corsets qui constituaient cette tenue envahissante. Je n’aurais d’ailleurs pas pu me coiffer non plus. Je comprenais en regardant Clothilde me coiffer à quel point les souvenirs, qu’ils soient bons ou mauvais, donnaient une légitimité et une valeur à l’existence, et ce que devait être une vie privée de passé. Mais le mien était déjà bien trop chargé et mes épaules n’avaient pas la carrure pour le porter. Peut-être était-ce pour cela que j’avais oublié certaines choses. Après un petit-déjeuner que je voulus frugal, Clothilde m’accompagna devant le porche et je montais dans la calèche où m’attendait mon père.

    Il était beau, mon père, et encore si jeune. Plus passionné par le travail que par la paresse que des rentes quotidiennes offraient aux nobles, il laissait tranquillement les commérages se faire puis se défaire, au sujet de sa situation qui pour certain était une certitude. Si cet homme travaillait c’est qu’il avait en charge une famille cachée du monde ou qu’il était trop amateur de Bassette¹ et qu’il était endetté.

    Mon père ne portait que du noir et du gris. Il expliquait cette austérité par le fait qu’un habit trop coloré l’emporterait sur les tissus qu’il présentait à ces dames. Il nous racontait très souvent et de façon si réaliste qu’on aurait pu penser qu’il l’avait vécu, l’histoire de Fouquet qui, ayant blessé l’orgueil du Roi en étalant trop de richesse, s’était vu embastillé à vie. Mon père en tirait une conclusion sage et sans contradiction possible : il ne devait pas être mieux habillé que ces Dames et paraître plus riche qu’elles.

    Assis en face de moi et secoué par les remous de la voiture, il m’observait intensément et, comme j’étais pudique, je regardais par la fenêtre pour ne pas croiser son regard. Je ne savais pas quoi lui dire. Une retenue simple s’était installée entre nous, empêchant de nous dévoiler l’un à l’autre et c’était bien confortable.

    Les rues de Paris n’étaient pas encore toutes pavées et une boue malsaine formée d’urine, de déjections tant animales qu’humaines et de terre battue, dégageait une odeur pestilentielle. Il pleuvait comme souvent dans cette ville. J’observais dans toute mon impuissance la misère incrustée sur les vêtements de certains, la faim sur les pommettes des femmes et la gangrène sur les jambes de soldats abandonnés par Louis XV, notre roi défunt. Nous étions en automne et Louis « le bien aimé » qui ne l’était plus depuis des années, avait cédé, il y avait plus d’un et demi, devant une variole putride, sa place à Louis XVI.

    Je sentais toujours le regard de mon père posé sur moi. Il semblait soucieux comme s’il avait une mauvaise nouvelle à m’annoncer et qu’il ne savait pas comment s’y prendre.

    La calèche s’arrêta rue Saint-Honoré. Le valet qui nous accompagnait se précipita pour dérouler la petite marche qui nous aiderait à descendre. Mon père passa devant puis me tendit la main par courtoisie. Je m’empressai de la saisir car j’étais trop encombrée de jupons pour ne pas tomber en descendant.

    Une porte s’ouvrit sur une gouvernante austère qui s’inclina de mauvaise grâce pour nous saluer. Il nous fallut monter un escalier qui n’avait plus de certitude et n’arrivait pas à se décider s’il s’inclinait trop à gauche ou trop à droite. Mon père se tenait à la rampe, conscient que la cire que la bonne avait appliquée avec soin sur les marches constituait, un danger immédiat et particulièrement criminel. En ce qui me concernait, tomber ne me faisait plus peur et j’en profitais pour regarder autour de moi, toujours à la recherche d’une image à garder en mémoire pour la peindre sur mes toiles.

    Des dizaines de portraits accompagnaient notre ascension prenant garde pour nous aux marches glissantes ou attendant simplement une chute qui égayerait les heures qui s’écoulaient inexorablement devant leurs yeux, depuis des siècles.

    Mon père attendit que le majordome annonce notre arrivée.

    — Monsieur de la Magdaleine et sa fille sont arrivés, Maître, fit-il simplement.

    Sans attendre de réponse, il nous fit signe d’entrer. Un grand salon bien plus riche que l’entrée de la maison nous accueillit dans une odeur de cigare délicieuse. Des centaines de livres s’entassaient sur le sol, n’ayant plus de place sur les étagères pour s’y reposer. Le bois du plancher scintillait d’un brun profond car la lumière blanche du jour glissait dessus comme sur de la glace. Un vert émeraude recouvrait fièrement les quelques morceaux de murs qui ne supportaient pas de bibliothèques. Les meubles austères mais robustes qui agrémentaient la pièce étaient eux aussi envahis par ce qui paraissait être la passion de l’homme que nous venions voir, les livres.

    Je ne comprenais pas pourquoi nous étions là. Nous devions aller chercher des pigments et des toiles. Mon père posa un regard autoritaire sur moi, m’ordonnant de me taire. Je plongeais donc en silence dans la contemplation de cette pièce étrange mais où je me sentais bien.

    Une multitude d’objets venaient se caler contre les livres. Des petites statuettes africaines de femmes au ventre arrondi toisaient ce que je savais être des statuettes égyptiennes, un piège à rêve indien aux plumes encore fournies se balançait au bout d’une canne sculptée de berger bavarois. Un bouquet de fleurs séchées des colonies françaises tentait de survivre malgré le temps moins clément de la France et des broches de highlanders étaient épinglées sur des tartans tendus sur un immense cadre. Une harpe celte attendait devant son tabouret, profitant du soleil français, même faible, pour se réchauffer loin de l’humidité de son pays natal. Mon père interrompit mon errance en me secouant légèrement le bras. Il répéta une phrase que je n’avais pas entendue, tant les merveilles dont regorgeait cette pièce avaient happé mon attention.

    — Louise, je vous prie de saluer Maître Sarangdon comme il se doit ! Allons, ma Fille, vous rêvez ?

    Je m’inclinais dans une petite révérence disgracieuse, témoin de ma honte, de ma surprise et de mon inexpérience.

    — Laissez-la donc, Jacques, elle a l’éblouissement de la jeunesse, et les rêves que procurent toutes ces choses autour de nous lui sont encore possibles. Ne venez pas gâcher son plaisir.

    Je n’osais pas regarder mon interlocuteur dans les yeux. Je baissais la tête pour découvrir deux souliers noirs sobres et des bas de soie grisés par le temps dont l’un enfermait un pied bot. Lentement, j’osai relever le menton, accrochant mon regard à celui de l’homme qui me souriait.

    Il était sévère, mais bon. Ses dents étaient inhabituellement blanches pour l’époque et son âge et demeuraient toutes en place. Il passa son doigt sur le bout de son nez et je découvrirais plus tard que c’était un tic chez lui, prouvant qu’il était satisfait ou s’interrogeait.

    Je pris soin de m’éloigner le plus possible des deux hommes afin de les laisser parler mais mon père me demanda de prendre le fauteuil qui était au plus près de Maître Sarangdon. Je m’exécutais, tentant de vaincre les métrages de tissus et les paniers qui m’encombraient et me servaient de robe, pour enfin m’asseoir sur le bout des fesses.

    — C’est inconfortable, n’est-ce pas ? me demanda l’homme.

    — Je vous demande pardon ? osai-je

    — Votre tenue… C’est inconfortable d’avoir à porter tout cet attirail… continua le Maître.

    — Effectivement, dis-je en trouvant la question étrange voire culottée.

    Mon père ne disait rien, il laissait naître entre cet homme et moi une proximité que ma mère aurait jugée inconvenante et je m’en étonnais.

    — Jacques, comment va Jeanne ? demanda-t-il, détournant son attention de mes jupons.

    — À merveille, Maître, nous serons très bientôt un de plus dans la famille et je m’en réjouis.

    — Je n’ai malheureusement pas eu ce bonheur avec Aisling…

    — Puis-je vous demander de ses nouvelles, Maître ?

    — Elles sont toujours les mêmes… Peut-être viendra-t-elle nous rejoindre. Je vous offre un vin de Porto ?

    — Volontiers.

    Maître Sarangdon se leva. Malgré son infirmité, sa démarche était dansante et entraînait ses épaules à gauche puis à droite dans un balancement serein et l’homme, habitué, était alerte. Il tira sur un ruban de velours qui eut pour conséquence immédiate l’apparition du majordome dans le salon. Il tenait un plateau à la main portant déjà la bouteille de porto et trois verres en cristal qu’il déposa devant nous.

    Maître Sarangdon me tendit le premier, fit signe à mon père de se servir et but le sien d’une traite. En le reposant sur la table, il me fixa tout en s’interrogeant pendant que je buvais une petite gorgée de vin.

    — Alors ce sont ses mains qui nous ravissent si souvent de belles toiles ? Montrez-les moi.

    Je les tendis vers lui, les paumes dirigées vers le ciel, puis les retournais pour lui permettre d’en voir aussi le dessus. Il les inspecta longuement, faisant glisser ses pouces sur mes poignets, puis les relâcha.

    — Je savais que vous étiez douée, mais je voulais m’en assurer, expliqua-t-il. Je voudrais que vous fassiez le portrait de ma femme Aisling, tant qu’elle est encore valide et parmi nous.

    — Ce sera avec plaisir.

    — Il faudra venir vivre ici. Aisling ne peut pas se déplacer, sa santé n’est pas régulière. Vous aurez une chambre, une domestique à votre disposition, pendant tout le temps qu’il vous faudra pour peindre le portrait.

    Je regardais mon père cherchant dans son regard une lueur rassurante me prouvant qu’il n’accepterait pas cette folie qui était, à mes yeux, une trahison.

    — Vous reviendrez passer les fins de semaines avec nous, Louise, tenta-t-il.

    — Mais je ne veux pas ! Et Paul qui arrive aujourd’hui, je veux le voir !

    — Vous vous installerez ici quand Paul sera parti. Maître Sarangdon s’occupera bien de vous, Aisling son épouse est charmante et ce n’est que pour quelques mois.

    — Quelques mois !

    — Maître Sarangdon s’est engagé à vous donner des cours dans toutes les matières que vous souhaiterez aborder quand Aisling sera en repos. Vous voyez tous ces livres ? Toutes ces connaissances que vous pourriez acquérir ? C’est inespéré, Louise. Mère est d’accord, on ne peut pas rêver meilleur professeur pour vous que Maître Sarangdon, croyez-moi, ma Fille.

    — Je vous paierai, ajouta Maître Sarangdon.

    — Ce qui n’est pas commun, Louise, vous le savez. C’est un honneur que Maître Sarangdon vous fait, en êtes-vous consciente ?

    J’en étais consciente mais je m’en moquais et la situation me rendait folle de rage. Je me sentais dépossédée de toute liberté, je n’arrivais pas à m’y résoudre, oubliant soudainement que celle que j’avais connue n’était pas de ce siècle. Des larmes vinrent me brûler les yeux mais je réussis à les contenir par fierté. J’en voulais à mon père de m’avoir tendu ce piège, d’oser m’abandonner aux mains d’un étranger qui voulait me débarrasser de mes jupes ! Et cette épouse, Aisling, que je ne connaissais pas et qui ne s’était pas montrée ! J’enrageais. Je me levais brusquement, emportant dans mes jupons le plateau d’argent et la bouteille de porto. Les verres en cristal se brisèrent contre le plancher dans un bruit aussi strident que ma colère. Je me dirigeais vers la porte cherchant à m’enfuir, n’ayant pas peur du scandale que je venais de faire éclater ni de la correction que mon père allait m’infliger après cette scène que je jugeais déjà grotesque.

    Soudain on entendit un cri. Je me retournai pour voir se jeter sur moi une sorte de corneille ou un corbeau, aux ailes déployées, si longues et larges que je ne m’expliquais pas comment il pouvait évoluer dans la pièce sans tout renverser sur son passage.

    Il ralentit son vol en s’approchant de moi et, dans un élan plumé, vint se poser au-dessus de la bibliothèque à droite de la porte.

    Les deux hommes me regardèrent en silence, n’essayant même pas de me retenir, comme si cette scène leur était familière. Il n’y avait que moi pour croire que ma petite rébellion serait entendue. Ils me laissèrent donc éclater, renverser un guéridon et deux chaises sur mon passage et ouvrir la porte du salon pour m’enfuir.

    Je descendis tant bien que mal les escaliers avec l’oiseau à mes trousses. Je tentais d’ouvrir la porte d’entrée mais en vain. Mon père et Maître Sarangdon ne m’avaient pas suivi, ils attendaient probablement que je me calme et retrouve ma lucidité.

    Alors que je me demandais pourquoi j’avais réagi aussi violemment, une porte s’ouvrit sur le premier palier de l’escalier. Une femme sortit, jeune mais paraissant déjà trop fatiguée. Elle me regarda gentiment et me tendit la main. Je me calmais avec la certitude de trouver en elle une alliée. Je tirais sur mes jupes, rajustais mon corset pour retrouver un peu de dignité et remontais les escaliers, obéissant à cette main tendue que je jugeais bienveillante. Elle me fit entrer dans sa chambre fermant la porte au nez de l’oiseau noir qui voulait lui aussi entrer. Elle resta quelques instants dans un silence apaisant, me tendit un mouchoir qu’elle avait sorti de sa manche et attendit que je sois prête à parler.

    — Les hommes ont parfois une façon bien étrange de nous imposer les choses, tant et si bien que même si on sait que c’est pour notre bien, on se refuse à le voir.

    J’acquiesçais timidement et déjà un peu honteuse de moi en me mouchant bruyamment.

    — Ce portrait, c’est moi qui l’ai demandé à Augustus. Et je voulais que ce soit vous qui preniez les pinceaux car j’admire votre peinture. Je suis égoïste, futile, bien prétentieuse et très exigeante mais quand on va mourir on peut tout se permettre. C’est bien là le seul avantage d’une mort annoncée.

    Je restais silencieuse.

    — Il s’agira d’un portrait grandeur nature pour qu’Augustus m’ait toujours à ses côtés. Alors, évidemment, il vous faudra plusieurs semaines pour le réaliser. Je ne pourrai de toute évidence pas vous en accorder plus.

    Je regardais Aisling, magnifique malgré l a maladie qui rongeait même ses yeux. De longs cernes noirs les encadraient et les rendaient encore plus verts. Un vert si beau et lumineux que je ne savais pas comment j’allais m’y prendre pour le peindre.

    — Vous serez bien avec nous, je vous le promets. Et Augustus a beaucoup à vous apprendre. Son enseignement, que j’ai suivi avant de l’épouser, est un des plus enrichissant que je connaisse. Et puis nous pourrons discuter toutes les deux et même inviter quelques amies pour le thé. Ce sera divertissant, vous verrez.

    Elle se leva péniblement et ouvrit le tiroir d’une commode aux hanches rondes et parées de sculptures dorées. Puis elle me montra une grande boîte en bois de noyer rouge et me demanda de la poser sur le lit. Je m’exécutais, ma curiosité ayant pris le dessus sur mon chagrin adolescent.

    — C’est pour vous, ouvrez-la.

    Je passais mes doigts sur les incrustations de nacre et de bois qui ornementaient la grande boîte. L’objet était d’une rare beauté, peu importait son contenu, c’était à lui seul une œuvre d’art de marqueterie réalisée par le célèbre Reisener.

    — Ouvrez-la. Elle vous appartient, que vous décidiez de faire mon portrait ou pas. C’est un cadeau. De ma part, précisa-t-elle. Car vous pouvez refuser de m’aider, ils ne vous l’ont pas dit, mais moi, je vous le dis. Augustus n’osera pas aller contre ma décision, je suis trop… mourante pour cela, fit-elle avec un petit rire triste mais plein de réalisme.

    Elle alla s’asseoir dans une bergère mais avant cela, elle resserra la ceinture de sa robe de chambre de satin bleu canard que des perroquets aux couleurs flamboyantes contaminaient de toute leur joie. Elle enleva son petit bonnet de dentelle qui retenait sa chevelure et la chiffonna en passant énergiquement ses mains dans d’abondantes boucles auburn qui suscitèrent immédiatement ma jalousie, en même temps qu’une envie irrésistible de les peindre.

    Je levai les petites fleurs finement ciselées et dorées qui fermaient les serrures du couvercle et appuyai mes deux mains sur les côtés pour le soulever. Un velours noir se mit à scintiller autour d’une multitude de petits compartiments retenant chacun un pot en verre contenant des pigments. Des liens de satin noir retenaient une trentaine de pinceaux classés par couleur, de formes et de poils différents. Cinq mines de plomb et cinq mines de graphite attendaient sagement dans un petit compartiment qui leur était réservé sur les côtés de la boîte. Comble de la modernité, un cube de trois centimètres carrés de gomme à effacer, représentant à lui seul plusieurs mois de salaire et de labeur d’une bonne, était enveloppé dans un petit échantillon de soie aux côtés de flacons d’huile de lin. Une palette généreuse qu’un petit trou parfait pour mon pouce déséquilibrait, attendait dans une poche à soufflet.

    Tant de luxe et de beauté me parurent soudain trop beaux pour être honnêtes et je compris que ce coffret m’était surtout destiné pour me faire faiblir et accepter de mon plein gré cette retraite forcée. Je le repoussais me sentant insultée par une telle tentative de corruption. Je jugeais pourtant mon hôte bien trop intelligente pour penser qu’il aurait sur moi l’effet escompté. En réalité, c’était le cas, j’en avais terriblement envie et étais en train de reconsidérer les choses, mais je me gardais bien de le lui dire. Pour ne pas avoir l’air séduite, je fis la moue en refermant le couvercle et en remettant en place les petits loquets d’or pour m’assurer de sa fermeture définitive.

    Je repris ma place devant la porte de la chambre. Aisling me regardait fixement en souriant.

    — C’est bien Louise, vous n’êtes pas dupe et volontaire, c’est pour cela que je voulais que vous veniez peindre mon portrait. Je sais maintenant que vous serez honnête et ne tenterez pas de m’embellir comme ils le font tous. Le coffret est à vous, que vous acceptiez ce travail ou pas. Faites-moi au moins le plaisir de l’emporter avec vous. En souvenir de notre trop brève rencontre. Vous pouvez partir, je dirais à Augustus que j’ai changé d’avis devant votre tristesse.

    — Mais c’est faux.

    — Il ne le saura pas. Je demanderai à Vigée de venir, comme cela, je pourrai prendre l’excuse qu’elle est déjà plus célèbre que vous. Il ne verra que du feu dans cet excès de futilité qui me caractérise si souvent.

    Piquée par le fait que Vigée pourrait peindre ce portrait à ma place, j’hésitais à partir. Je ne sais pas si c’était la douceur de cette femme ou si c’était l’envie de ce coffret ou celle de défier Vigée qui me motivait le plus. Ce qui était certain, c’est que je ne méritais pas le coffret.

    — Vendez-le et faites un don à l’Hôtel-Dieu ou à la Salpêtrière. Je ne peux pas partir avec ce coffret que je n’ai pas mérité, tentai-je sans vraiment croire en ce que je disais.

    Aisling enferma le coffret dans sa commode et en se retournant continuait à me sourire.

    — Je vais le garder encore deux semaines après cela, je le vendrai et ferai le don que vous voulez.

    Je restais interdite sur le pas de la porte, attendant qu’elle me retienne. Je cherchais un prétexte pour prolonger notre entretien et ne trouvais pas grand-chose d’intelligent à dire.

    — Vous êtes irlandaise ?

    — J’ai un accent ? demanda-t-elle.

    — Non, répondis-je bêtement.

    — On m’a dit que ma mère était irlandaise et que mon père était écossais, se contenta-t-elle de répondre en regardant la porte et en me proposant par ce regard de sortir.

    J’entrais avec le culot qui me caractérisait dans le salon de Maître Sarangdon et donnais un ordre à mon père oubliant encore une fois dans quel siècle j’étais.

    — Père, nous pouvons y aller maintenant !

    Jacques sursauta, regarda Augustus Sarangdon sourire plus qu’il ne le devait et visiblement charmé par mon aplomb. Il posa la main sur le bras de mon père qui abandonna tout reproche et velléité à mon égard.

    — Au plaisir, Mademoiselle, se contenta de dire Maître Sarangdon.

    — Ce ne sera pas le mien ! lançai-je pour tenir la ligne de conduite que je m’étais fixée.

    — Attendez-moi dans la calèche, je vous rejoins, ma Fille. Nous parlerons pendant notre voyage de retour de vos effronteries.

    J’attendis une quinzaine de minutes que mon père daigne sortir de cet horrible immeuble. J’étais en colère contre moi et regrettais mon comportement. Aisling était si belle et magnétique que c’était un défi que de réussir à rendre en peinture une telle grâce. Défi que j’aurais dû relever si je n’étais pas aussi bête et bornée. Quelque chose en elle m’attirait ou était-ce tout simplement le coffret qui finalement avait atteint son but. Voilà que je découvrais avec stupeur que j’étais bel et bien vénale et facile à soudoyer.

    Je présentais mes excuses à mon père dès qu’il entra dans la voiture. Sa mine sévère ne disait rien de bon et je sentais déjà la douleur des coups de ceintures qu’il allait m’administrer en rentrant. Il était en colère mais une lueur de satisfaction autant que d’inquiétude venait la briser et me laissait l’espoir de ne pas recevoir la correction attendue.

    — Allez-vous me punir et me battre ?

    — Vous pensez donc le mériter.

    — Oui. Mais si c’était à refaire…

    — Vous serez effectivement punie, Louise.

    — Vos coups ne me font pas peur ! J’ai connu bien pire, pensais-je.

    — Il ne s’agira pas de ce genre de punition. Vous ne pourrez pas voir Paul pendant deux jours et je vous retire vos toiles et vos peintures jusqu’à nouvel ordre. Vous passerez tout l’hiver en étude. Et si vous avez encore une fois un tel comportement, je vous envoie au couvent. Suis-je clair ?

    — Je préfère les coups, répondis-je encore trop fière.

    — C’est pour cela que vous n’en aurez pas. Et je ne suis pas une brute. Rien que le fait que vous puissiez penser que moi, votre père, je puisse lever la main sur vous me rend malade et me confirme que vous n’avez pas confiance en moi et que vous ne me connaissez pas.

    — Père, je vous en prie, je veux voir Paul, cela fait si longtemps…

    — Je raconterai à Paul en détail votre petite scène chez Maître Sarangdon et il décidera lui-même s’il a envie de vous voir. Il ne sera pas fier de vous, croyez-moi.

    Et je ne l’étais pas non plus. Quans la voiture entra dans la cour du château, je sortis en courant me réfugier dans ma chambre.

    Et j’y restais jusqu’au soir.

    Chapitre 4

    S’enfuir

    Château des La Magdaleine, soir du 29 septembre 1775

    Je tournais en rond, me malaxant les mains et essayant de trouver une solution pour rétablir la situation. Me promettant de ne plus jamais défier l’autorité d’un homme de ce siècle, m’accusant de toutes les stupidités et de manque de clairvoyance.

    Vers dix-huit heures, une voiture entra dans la cour. Mon frère Paul arrivait. Il sauta de la calèche encore en mouvement, ne pouvant plus attendre pour nous serrer dans ses bras. J’entendis qu’il me demandait et mon père lui montra la fenêtre de ma chambre. Paul leva les yeux, je me cachais honteuse derrière le rideau.

    Un homme sortit à son tour de la voiture. Il était grand et avait l’élégance d’un prince. De là où j’étais, je distinguais des boucles brunes dépassant de son catogan et de son chapeau qui m’empêchait de voir ses yeux. Quand il s’inclina devant ma mère, j’aperçus un sourire large et rassurant surplombant une mâchoire carrée, armée d’une fossette. J’enrageais à l’idée qu’il serait mis au courant de mon impertinence de ce matin et j’avais encore plus honte.

    Ils entrèrent dans la maison et je ne revis plus personne.

    Je m’ennuyais. Puis, prise d’une énième crise de colère, j’enfilais une robe simple, défis mon lit et nouant les draps un à un, je me fabriquais une corde solide pour m’enfuir. Je ne savais pas encore où aller mais il fallait que je sorte, je n’en pouvais plus. Je ne voulais plus vivre ici. Je voulais être libre et sans attache. J’avais décidé de prendre mon destin en main et de ne m’en prendre qu’à moi-même, si j’échouais. Et la fuite me sembla être la meilleure solution.

    Pas une seconde l’idée ne m’était venue que j’étais libre de sortir par la porte de ma chambre qui n’était pas fermée à clé pour rejoindre ma famille et que ce qui me retenait prisonnière, c’était moi, mon entêtement et ma culpabilité. Je pris quelques bijoux dans mon coffret que j’enfermais dans la doublure de mes jupons, avec l’idée de les vendre pour acheter un billet de bateau pour partir très loin. En Amérique peut-être, ou alors en Angleterre…

    J’ouvris la fenêtre et le froid qui s’engouffra dans la chambre me rappela que je ne pouvais pas partir sans une cape. L’automne commençait à peine mais jetait déjà sur ses nuits toute la cruauté de l’hiver. Je pris ma petite valise, un ancien coffret de peinture dont j’avais vidé le contenu pour y mettre quelques affaires. J’avais ajouté au dernier moment trois petites toiles, quelques pinceaux et les couleurs primaires que j’avais déjà broyées, me disant que je pourrais peindre une ou deux toiles pour me faire un peu d’argent.

    Je jetai ma valise par la fenêtre dans le petit parterre de pelouse dont l’épaisseur retint le bruit de la chute,

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