La main tendue

A 70 ans, j’ai de nombreux souvenirs. Certains sont douloureux etd’autreslégersetjoyeux, comme tout le monde, je pense. La vie n’est jamais lisse – heureusement !

Nos malheurs nous poussent à rebondir et souvent à mûrir ; les moments de bonheur nous reposent au cours de notre existence. Ils sont des rocs où nous ancrer quand la houle nous malmène.

Charles, mon dernier compagnon, est maintenant dans un au-delà que personne ne connaît. J’ai toujours espéré que la mort n’était qu’un passage vers un autre monde où se retrouvent un jour ceux qui se sont aimés.

Charles est parti en douceur et, depuis un an, j’ai appris à vivre seule. Souvent je lui parle et je vois son sourire illuminer son visage, son regard bienveillant se poser sur moi. Je lui pose des questions auxquelles j’offre les réponses qu’il m’aurait sans doute faites. Je ne suis pas folle. Je fais comme des milliers de gens privés de leur amour.

J’ai choisi de le garder auprès de moi en lui racontant mes journées et en lui partageant mes ressentis. Parfois, je le sens à mes côtés. Son parfum effleure mes narines et je souris.

Je suis seule, mais pas malheureuse. La solitude ne m’a jamais effrayée, peut-être parce que j’ai toujours trouvé mille choses à faire pour ne pas donner au temps une pesanteur douloureuse. J’ai toujours aimé bricoler, tout et n’importe quoi. Charles trouvait ça charmant. Souvent il me disait: « Ma chérie, tu as de l’or dans les mains. » Lui préférait cuisiner. Dans cette nouvelle vie en solo, passé la stupéfaction du deuil, j’ai apprécié un temps de ne plus avoir à respecter les contraintes qu’impose la vie à deux. Enfin, je pouvais me lever quand j’en avais envie, manger à n’importe quelle heure – et n’importe quoi –, m’habiller ou pas… Tout ça m’a plu, jusqu’au moment où j’ai pris conscience que j’étais en train de glisser vers une pente dangereuse. Cette pente qui m’avait toujours laissée dubitative, en voyant ces petits vieux qui se laissent aller, qui ne prennent