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Espèce de Surdoué
Espèce de Surdoué
Espèce de Surdoué
Livre électronique291 pages4 heures

Espèce de Surdoué

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À propos de ce livre électronique

« Espèce de Surdoué » est un témoignage autobiographique qui narre tout mon parcours de vie, mon parcours de « surdoué » (diagnostiqué à la petite enfance).

« Espèce de Surdoué », car je suis une espèce de surdoué, représentatif et à la fois singulier, et aussi parce que si être un "intello" peut être une insulte dans une cour de récréation, "surdoué" c'est encore le cran au-dessus, l'intello à un niveau extrême ou pathologique.

Le tout est conté sous l'aspect psychologique, sans auto-censure, avec toujours le regard subjectif de qui j'étais au moment relaté. L'essence de l'ouvrage interroge la communication humaine. J'ai conçu cet ouvrage comme une version longue des conférences que je fais régulièrement, notamment en ouverture des colloques et salons « Surdouessence » que j'organise, et où interviennent des personnalités telles que Christel Petitcollin, Carlos Tinoco, Saverio Tomasella et Smaïn. "Surdouessence" est aussi une association que j'ai créée qui oeuvre à l'année dans l'accompagnement des surdoués, et qui intervient notamment en milieu scolaire.

Lorsque je fais des conférences, qu'elles soient orientées sur les surdoués, je suis toujours surpris de voir le public avec émotion trouver dans mes propos un exemple faisant écho à ce qu'ils connaissent, d'où le point de départ de l'écriture de cet « Espèce de Surdoué » qu'un certain nombre de personnes m'ont réclammé.

— Alban Bourdy

LangueFrançais
Date de sortie20 juil. 2018
ISBN9781770767317
Espèce de Surdoué

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    Espèce de Surdoué - Alban Bourdy

    Alban Bourdy

    Espèce de Surdoué

    Copyright © Alban Bourdy, 2018

    Publié aux Éditions Dédicaces.

    Tous les droits sont réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée ou transmise sous quelque forme ou par quelque moyen que ce soit, électronique, mécanique, photocopie, enregistrement, numérisation ou autre sans l’autorisation écrite de l’éditeur. Il est illégal de copier ce livre, de l’afficher sur un site Web ou de le distribuer par tout autre moyen sans permission.

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    Second edition

    ISBN: 978-1-77076-731-7

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    1

    L'alpha et l'oméga

    Ce que je m’apprête à vous raconter a été à deux doigts de ne pas avoir lieu. Il est toujours vertigineux de réaliser combien tout un tas de choses découlent de quelque petite oscillation, presque imperceptible, à un moment précis.

    Cette histoire que je m’en vais vous conter, c’est l’histoire d’une vie, la mienne. Je m’appelle Alban Bourdy, et je suis né le jeudi 13 octobre 1983, ce qui ne s’est pas fait sans mal.

    Au moment où j’allais sortir au monde et voir le jour, mon existence s’est retrouvée proche d’être étouffée dans l’œuf. Dans toute l’ambivalence du treize, ce jour de ma naissance a bien failli également être celui de ma mort prématurée.

    J’avais quatre jours d’avance sur le terme annoncé, et pourtant, malgré cette légère précocité, je n’arrivais pas à sortir véritablement. Je me suis arrêté à mi-chemin, peut-être saisi d’un doute ou trouvant la difficulté trop grande, je ne sais. En tout cas, j’étais coincé dans le passage, dans ce fameux tunnel reliant la mort et la vie.

    J’étais en mauvaise posture, en train d’étouffer petit-à-petit. Je suis mort cliniquement, provoquant la panique du personnel soignant s’affairant autour de ma mise au monde.

    Je me présentais par la tête, et l’équipe au chevet de ma mère disait que j’avais la tête trop grosse, ce qui causait mon extrême difficulté à émerger au royaume des vivants.

    Alors que mon signal de vie avait été perdu et que plus personne n’y croyait, le destin a finalement basculé. Mon cœur a battu à nouveau et j’ai trouvé la force d’arpenter les quelques centimètres qui me séparaient du dehors.

    À peine sorti, et débarrassé du cordon ombilical, on m’a assis. Et là, exposé au monde et à la lumière criarde de l’hôpital de Courcouronnes, j’observais partout, aux dires de ma mère, avec une vive interrogation un peu incrédule, avant de régulièrement manifester un sonore mécontentement.

    On me diagnostique de la fièvre. On m’arrache à ma mère qui ne m’a vu que très brièvement, et on me place sous couveuse.

    La fièvre tombe vite, et je n’ai pas de symptôme particulier, mais on me laisse pourtant quatre jours dans cette couveuse, sous perfusions. Ma mère est trop faible pour pouvoir se déplacer vers moi durant tout ce temps. Mes premiers repas terrestres sont des antibiotiques, ma première couche est de verre, tout mon premier environnement est artificiel et impersonnel.

    Ce monde dans lequel j’arrive ne me prodigue pas un accueil chaleureux.

    2

    We are all made of stars

    Les premiers souvenirs que j’ai de ma vie terrestre, ce sont paradoxalement des images de ciel étoilé.

    Couché dans le lit de mes parents, je regarde le ciel par la fenêtre du septième étage en me disant que je viens de là, que je suis d’ailleurs toute cette voûte, et que cet être que l’on dénomme Alban n’est rien, qu’il est comme une création de mes parents, ces immenses créatures étranges qui semblent tellement dépendantes de moi.

    Je n’arrive pas à comprendre la finitude et ce que pourrait représenter quelque chose qui existe de façon délimitée, sans hier ou sans demain.

    En regardant le ciel et les astres brillants, j’essaye de m’imaginer ce que pouvait être l’avant, avant ma naissance. Quelque chose m’y appelle presque constamment. J’arrive à toucher un sentiment de rien, un sentiment de ce qui pourrait être ce que je suis avant qu’Alban n’existe. Ce sentiment est à la fois un vide et un plein. Il me réconforte, il me repose, je le recherche, et à la fois il m’effraie.

    Je vais en grandissant perdre l’accès à cet état que j’ai pourtant touché chaque soir pendant au moins plusieurs mois. Mes efforts pour le retrouver resteront vains.

    3

    Fleurs sur le chemin

    Depuis la naissance, je rejette la viande de mes repas de bébé, recrachant tout ce qui est carné, que ce soit petits pots ou préparations maison. Et ce malgré les subterfuges imaginés par mes parents pour m’en faire ingérer de façon déguisée. Je suis ainsi viscéralement végétarien avant même que le mental ne rentre en jeu.

    Comme tous les enfants de trois ans, on me mène à l’école maternelle. Né en fin d’année, je n’ai d’ailleurs pas encore trois ans, mais qu’importe. On me dit que c’est une étape obligatoire. Cet univers scolaire me tétanise. Il faut dire que je n’ai jamais mis les pieds dans une crèche, ma grand-mère maternelle vivant à la maison et ne travaillant pas, elle est toujours là pour s’occuper de moi.

    Dans cette journée de première rentrée ressemblant pour moi à une longue punition incompréhensible, je vais voir arriver un tourbillon rose m’entraînant avec lui.

    Ce tourbillon, c’est Lucille, une petite fille de ma classe qui est mon aînée de quasiment six mois pile et qui habite ma cité.

    Je ne l’avais jamais vue auparavant et ma rencontre avec elle ce jour-là est épique. On dirait qu’elle me connaît déjà. Elle m’a tout de suite repéré, et dès que l’occasion se présente elle vient vers moi et me chipe la peluche de Schtroumpfette que j’avais emmenée avec moi comme seul réconfort en ce jour sinistre aux allures d’exécution capitale.

    Je suis blessé par ce rapt et suis sur le point de pleurer. Cela s’ajoute à mon incompréhension totale de ce qui est en train de se passer dans cette journée où tout semble déraper comme dans un cauchemar. Je suis désemparé, je me demande quel est cet étrange monstre qui s’est permis un tel affront alors que je ne lui ai rien fait.

    Je finis par protester de façon larmoyante. Le monstre en question est d’apparence plutôt charmante. Lucille est une gracieuse petite blonde à lunettes, un peu pâlichonne, semblant très sûre d’elle et faisant rapidement de moi ce qu’elle veut. Elle sourit devant ma réaction à ce qu’elle a fait, elle se sert de ce qu’elle a volé pour me conduire à elle. Elle me rend l’objet du délit et se sert du chagrin qu’elle a causé pour me consoler et me prendre dans ses bras. Elle va devenir presque instantanément mon amoureuse, j’ai l’impression que c’est une évidence, comme si cette fille m’attendait.

    C’est la deuxième présence féminine gémellaire à mes côtés au cours de ma petite enfance. La première et incontournable, c’est Sarah. Sarah est une des cousines germaines du côté de ma mère. Elle a le même âge que moi, elle aussi quelques mois en plus. Nous grandissons côte à côte, un peu comme jumeaux, même si nous ne nous voyons que le week-end, un week-end sur deux lorsque nous allons chez elle à Dijon, ainsi que pendant les vacances d’été.

    Me marquent particulièrement les samedis soirs passés avec elle à jouer au jeu de 7 familles sous la table de son salon, table où finissent de dîner nos parents, ma grand-mère, et parfois des oncles et tantes.

    En bruit de fond, il y a la télé sur Canal + qui diffuse le Top 50. Tout en jouant et en savourant d’être avec ma cousine-jumelle, j’arrive à suivre tout le classement du nouveau top 50 et les évolutions dans celui-ci, ainsi que toutes les conversations d’adultes qui animent la tablée.

    4

    Le tourbillon de la vie

    Je fais presque chaque nuit des cauchemars terribles. Souvent le même. Celui où je suis poursuivi par le grand-méchant Loup des spectacles de Chantal Goya. J’ai très peur de ce personnage qui incarne pour moi le mal absolu.

    Dans ces songes, je cours à bout de souffle dans le grand et large couloir de notre appartement. Une angoisse horrible me tenaille. J’essaye de m’échapper, mais je sais que c’est vain. Je sais qu’il viendra un moment où je ne pourrai rien faire, qu’il m’aura rattrapé et qu’il va devoir me manger. Ce poursuiveur est bien trop grand et fort par rapport à moi. Des fois, je m’abandonne à ses assauts dans un coin en début de nuit, en espérant qu’une fois qu’il m’aura dévoré il me laissera tranquille, ayant gagné et eu ce qu’il voulait. Je pense alors pouvoir passer une nuit paisible, ce qui n’est pas toujours le cas. Je ne saurais pas expliquer ce qui se passe quand je me « laisse manger », c’est comme un vide, une coupure de quelques instants, puis la lumière revient et c’est comme si je ressuscitais.

    Il m’arrive de ne pas faire la différence entre le songe et la réalité, et je cours souvent dans le couloir, pensant, en ayant vu une ombre, être poursuivi par ce loup. Je ne me sens jamais en sécurité dans cet immense couloir sombre, c’est comme si c’était une zone où personne ne veille et où la lumière n’entre jamais, laissant pulluler les pires choses qui règnent en maître. Je sais que je ne peux même pas crier, ma grand-mère regarde la télévision et ne m’entend pas à travers les murs épais sur lesquels se cogner la tête fait très mal et dans lesquels on ne peut enfoncer la moindre punaise. Je me réfugie parfois dans la penderie de l’entrée, j’y suis resté un jour un bon moment en refusant de sortir. Je m’étais couché dans le fond, sur les couvertures entreposées, la tête dans les vêtements sur cintres.

    J’ai appris à lire et à écrire sans apprendre. Un jour, alors que j’avais à peine quatre ans, mes parents se sont rendu compte que je savais lire lorsque j’ai lu à haute voix un panneau de circulation où il était inscrit « Massy-Palaiseau », un panneau bleu d’autoroute. Incrédules, ils m’ont demandé de lire toutes sortes d’autres panneaux, tous ceux qui se présentaient. Ils pensaient irrationnellement que j’avais dû repérer précisément le premier en passant plusieurs fois par ici. Ils blêmissaient alors que je leur lisais tout. Ils étaient éberlués lorsqu’ils ont dû se rendre à l’évidence. Je ne savais pas si c’était une bonne chose ou une mauvaise de savoir lire, ça semblait tellement étonnant pour eux alors que ça me semblait naturel.

    Ils avaient pourtant commencé déjà à se douter de quelque chose un peu avant, quand je repérais les moments où ils avaient oublié de me lire une bulle dans une bande dessinée, mais ils pensaient que je me rendais juste compte qu’ils n’avaient pas lu la réplique du personnage dessiné sous cette bulle. La même chose se passait des fois sur des textes sans dessin, ils pensaient alors que je jugeais de l’oubli en fonction du rapport entre le volume du texte et ce qui avait été lu. Demeurait quand même chez eux l’impression que je suivais le texte en même temps qu’eux sur la page, je les avais entendus en parler entre eux.

    J’ai quatre ans, et je fais des puzzles de 1000/2000 pièces, normalement réservés aux dix ans et plus.

    Je vais pour la première fois au cinéma voir Le Livre de la Jungle de Disney, d’après le livre de Kipling que j’ai lu en Folio. Je n’arrive pas trop à apprécier le film. Nous sommes au grand cinéma de l’Agora d’Évry, et je trouve l’endroit glaçant, trop grand, trop peuplé, trop sombre. J’ai peur. Je n’irai plus dans un cinéma avant d’avoir dix ans.

    J’ai soif de tout apprendre. Je n’aime pas rester sur une question sans réponse, je veux toujours comprendre davantage, savoir davantage. Je vis de passions qui me brûlent et occupent tout mon temps. Ma première passion est une passion pour les animaux. C’est d’abord de tout connaître des espèces, de leurs aspects et de leurs modes de vie, puis c’est de les protéger. Je ne peux pas comprendre comment le sort des animaux sur Terre puisse être si abominable sans que personne ne semble vraiment s’en soucier.

    J’écris des lettres à certains présidents de la république pour leur demander de prendre des mesures fortes pour sauver les espèces en danger sur leurs territoires. Je m’adresse au président de la Chine pour exiger de celui-ci qu’il veille au sort des pandas, à celui du Zimbabwe pour qu’il protège les éléphants, et à quelques autres encore. Je suis dur dans mes mots. Je ne me contente pas de leur demander de faire des choses, je leur reproche aussi leur attitude jusqu’ici. Mes parents s’inquiètent un peu de la réaction que pourraient avoir ces régimes peu enclins à la critique et à la rigolade.

    Quand j’arrive à l’impression d’avoir fait le tour de la question des animaux, ma passion change d’objet et devient le jazz. Je choisis des disques à la médiathèque de Corbeil-Essonnes que mes parents empruntent pour moi. Je fais du saxophone, je veux en jouer du ténor ou du baryton, mais on me dit qu’un petit garçon de cinq ans comme moi ne peut jouer que de l’alto. Le professeur contacté confirme et m’impose l’alto, «au moins pour commencer» dit-il, «le temps que je grandisse». Je suis très déçu. L’alto ne m’intéresse pas et me frustre. Et d’après ce que je comprends, il me promet le ténor plus tard pour ne pas trop me décevoir, mais il me faudra attendre d’être adolescent pour toucher l’instrument désiré. Je ne peux pas attendre si longtemps, je n’ai pas que ça à faire.

    L’alto en plus, c’est Charlie Parker. Et Parker me fait plutôt peur, surtout depuis que j’ai vu le film Bird de Clint Eastwood à la télé. Je n’ai pas compris grand-chose à ce film, mais c’était sombre, asphyxiant, un univers duquel on ne peut vouloir que fuir. Je n’aime pas les films sur les musiciens, le Amadeus de Miloš Forman m’a également traumatisé et a refroidi mes ardeurs en ce qui concerne Mozart, et encore plus en ce qui concerne Salieri bien évidemment. Et de toute façon, je n’aime pas la tonalité trop aigüe du sax alto. J’aime la chaleur, l’ampleur et le velouté d’un saxophone plus grave. Je veux jouer comme John Coltrane, Stan Getz ou Gerry Mulligan.

    Mon professeur Antoine Beauchamp me croit l’oreille musicale parce que je suis très fort en dictée de notes. En fait, je triche. Je connais le solfège et les claviers, et je vois sur quelle touche il appuie. Ce professeur est assez mal à l’aise avec moi, il n’a jamais eu un élève si jeune. Mon père lui téléphone le matin de Noël 1988 pour lui signifier que j’arrête les cours avec lui, le pauvre est tout endormi au bout du fil et met du temps à comprendre. C’était une idée fixe pour moi en ce jour sacré de m’assurer que plus jamais je n’irai à ces cours insipides.

    Je retrouverai Antoine Beauchamp plus tard comme professeur de musique, en classe de 5ème 8 dans l’établissement public Paul Éluard de Sainte-Geneviève-des-Bois.

    J’essaye aussi la trompette, mais malgré mon enthousiasme je n’arrive pas à des résultats concluants. J’ai la chance d’emprunter une trompette, je la garde à la maison pendant trois semaines. Je ne parviens pas à placer ma bouche convenablement dans le bec de l’instrument, et ne réussis qu’à me faire mal aux lèvres. Il reste que j’aime l’objet avec une dévotion religieuse. Je me balade dans l’appartement en permanence avec le lourd instrument que je tiens à bout de main, tandis que ma sucette physiologique est à mon cou attachée par un collier de perles bleues. J’aime que cette sucette, ma « titiche », soit bien froide. Je ne sais pas m’endormir sans la téter. Lorsque je n’ai pas besoin d’elle à mes côtés, je la mets au congélateur. Il y a aussi dans ce congélateur un autre objet qui me tient beaucoup à cœur, c’est un petit cœur en plastique rose contenant de l’eau (presque tout est rose dans ce que j’aime vraiment, j’adore cette couleur !). Si j’ai cette addiction à la cheule, en revanche je n’ai aucun souvenir d’avoir un jour sucé mon pouce.

    En ce début d’année, l’objet de ma passion cesse d’être le jazz et devient l’Histoire de France. Cette nouvelle passion se focalise vite spécifiquement sur la Révolution. Ce qui tombe à point nommé, nous sommes l’année du Bicentenaire cher à Jack Lang.

    Me gagne une véritable obsession fiévreuse sur la Révolution Française. Je me fais offrir des petits sujets à l’effigie des principaux protagonistes de cette épopée sanglante, et dévore d’imposants ouvrages sur le sujet, des livres très lourds sous lesquels mes coudes bien souvent s’effondrent.

    Je continue de voir régulièrement Lucille, quand bien même je vais fort peu souvent à l’école maternelle. Chaque fois que mes parents se font violence pour m’y envoyer malgré mes protestations, je me mets à développer des maladies pour ne pas y aller. Mon corps se rebelle et prend le relais lorsque mes mots n’arrivent plus à se faire entendre. Ce sont d’abord des otites à répétition, avec forte fièvre. Puis ce sont des sinusites carabinées évoluant en angines, toujours avec forte fièvre. Jusqu’à ce que je finisse par développer un dysfonctionnement mystérieux, je me mets à boiter sévèrement comme si j’avais une hanche déboitée. Ma mère se met alors vraiment à paniquer et me retire définitivement de l’honni établissement. Une fois qu’elle a pris cette décision, je me remets inexplicablement à marcher normalement.

    La sieste est mon premier grief contre cette école maternelle Robert Desnos. Ces siestes que l’on nous impose chaque après-midi, je ne les supporte pas, comme si on ne pouvait pas dormir chez nous. On nous entasse couchés dans le noir pendant plusieurs heures, c’est pour moi de la torture. Je n’ai aucune envie de dormir, je déborde d’énergie et de choses à penser.

    Je ne supporte déjà pas de devoir dormir le soir, ce n’est pas pour dormir l’après-midi dans ce bagne surchauffé à l’atmosphère confinée irrespirable. Je n’apprécie pas non plus que l’on puisse nous faire dormir sur commande, j’ai du mal à concevoir une chose pareille. Normalement, on dort parce qu’on a sommeil. Et de manière générale, j’ai toujours du mal avec cette notion d’obéir lorsque je ne comprends pas le bien-fondé.

    Durant ces moments d’astreinte dans un sac de couchage, je passe mon temps à écrire. J’écris du bout de mon doigt dans l’espace ou sur la surface lisse extérieure du sac de couchage. Mais je vois à peine le bout de mon doigt, je le devine tout juste dans le faisceau lumineux venant de la salle où le personnel de l’école bavasse en prenant le café.

    C’est dans ces moments que j’invente la Kellermannie, un continent surpeuplé que je situe dans l’Océan Atlantique entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Une sorte de réminiscence gargantuesque de l’Atlantide ou du continent Mu.

    Je m’enivre perpétuellement d’activité cérébrale me poussant toujours plus loin, je déprime dès lors que je n’ai plus de carburant à mon esprit. Je ne supporte pas de devoir aller me coucher le soir, je ne comprends pas pourquoi l’on est condamné à cette espèce de mort quotidienne, qui en plus pour moi est synonyme de cauchemars devant lesquels je suis impuissant. Je veux toujours avoir de nouveaux champs de pensée, je ne peux pas comprendre qu’on puisse perdre son temps à dormir alors qu’il y a tant à découvrir, tant à apprendre.

    Et pourtant, j’ai déjà la chance d’avoir des parents qui, le soir, ou travaillent ou se couchent très tard parce qu’ils sont complètement décalés par leurs horaires de nuit. Ce qui fait que je ne me couche jamais aux horaires seyant aux enfants de mon âge. Je me couche toujours très tard, jamais avant minuit, jamais avant l’heure où terminent les deuxièmes films de la soirée que ma grand-mère ne manquerait pour rien au monde. Je ne veux pas dormir, même lorsque mon corps me trahit et que mes yeux se ferment. J’essaye de retarder au maximum l’heure fatidique, voire de la contourner. J’ai tendance à croire aux miracles et pense toujours que je peux gagner la bataille contre le sommeil. Je freine des quatre fers pour ne pas basculer, bien sûr en vain.

    Je ne peux pas me résoudre à accepter cette phase de repos, je ne comprends pas comment on peut accepter que l’activité cérébrale puisse s’arrêter, voire même diminuer. Cela me fait peur et me déçoit. Comment tout ça peut-il retomber, ralentir ? Alors qu’il ne faut jamais cesser de croître, qu’il faut grandir en tout et progresser. J’ai l’impression de tout perdre chaque soir en m’endormant et en plongeant dans cet abîme inévitable.

    Je ne comprends pas pourquoi tout ce temps perdu. Et tout ce temps où nous perdons conscience, comment compte-t-il ? Comment peut-on construire quelque chose s’il faut en perdre le contrôle chaque soir ? Pourquoi vivre s’il faut la moitié du temps dormir ? Vit-on lorsque l’on dort ? Est-ce une mort dont on ressuscite chaque matin ?

    Je cherche tout le temps à augmenter la vitesse et l’intensité des circuits de ma pensée et de mon raisonnement. J’arrive à des états d’ivresse impressionnants en progressant dans cette voie, me grisant de vitesse et de volume de pensée. J’essaye de rendre cette ivresse permanente, ivresse que je prolonge parfois physiquement par une masturbation simultanée.

    La seule viande que je mange, ce sont des cervelles de mouton. J’aime manger cela, les gober, j’ai l’impression que je vais avoir plus de cervelle et ainsi tout assimiler de tout ce que je veux impérieusement apprendre.

    J’adore les chansons d’Alain Souchon que j’écoute en boucle, particulièrement Bidon, Jamais content, Allô maman bobo, Poulailler’s song, Saute en l’air, Papa Mambo et Manivelle. J’enregistre sans arrêt des cassettes audio avec ces titres que je mélange entre eux dans tous les sens. J’aime cette façon d’être adulte et intelligent tout en ayant un langage et un émotionnel d’enfant. Cet homme qui a le même prénom que mon père, et qui a aussi comme lui les cheveux frisés, me fascine singulièrement. J’aime cette façon d’être un homme tout en prenant le contre-pied en étant anti-frime. Je n’arrive pourtant pas à m’identifier vraiment à lui. Je le trouve assez physiquement repoussant, son air triste même quand il est rigolo, son côté un peu roux aussi peut-être. J’aime également la musique de Laurent Voulzy qui accompagne la voix et les mots de la Souche, une musique que je n’entends pas comme le produit d’instruments mais comme une orchestration entre les éléments. On y entend le vent souffler, les bateaux voguer, les mâts s’entrechoquer, les trains sillonner la campagne, les feuilles s’agiter, le feu crépiter, l’océan rouler, les grenouilles coasser, les oiseaux chanter…

    Une fois débarrassé de l’école maternelle, j’acquiers un rythme de croisière où je noircis plusieurs cahiers par jour, parfois des 388 pages. J’aime particulièrement les cahiers Clairefontaine dont le papier est si doux, si lisse.

    Je veux avoir un cochon, particulièrement un cochon du Viêt-Nam, ils sont tellement beaux, tellement doux, tellement craquants. J’adore les cochons, ce sont les animaux les plus attendrissants et ceux qui semblent le plus proche de nous, les plus émouvants, les plus intelligents, les plus sensibles. Je demande à mes parents d’avoir un cochon comme animal de compagnie, ils ne me répondent jamais oui, mais pas non non plus. Je les soupçonne de ne pas vouloir me contrarier et d’entretenir l’espoir en moi alors qu’ils n’envisagent pas du tout la chose. À chaque Noël, j’attends en vain que l’on m’apporte un petit cochon. Je l’appellerais Gaston. Je précise qu’il n’y a pourtant pas encore eu le phénomène Babe qui ne viendra que quelques années plus tard. Et nous sommes encore plus loin de la parution du Père de nos pères de Bernard Werber, suggérant

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