Découvrez des millions d'e-books, de livres audio et bien plus encore avec un essai gratuit

Seulement $11.99/mois après la période d'essai. Annulez à tout moment.

Papa raconte-moi une histoire
Papa raconte-moi une histoire
Papa raconte-moi une histoire
Livre électronique430 pages5 heures

Papa raconte-moi une histoire

Évaluation : 0 sur 5 étoiles

()

Lire l'aperçu

À propos de ce livre électronique

Qui y a t’il derrière la réalité apparente de notre vie ?
C’est le mystère que Carla va percer. Celui de sa souffrance. De son identité.
Grâce à l’émergence d’une prise de conscience et à un précieux document laissé par son père.
Elle ouvrira ainsi les portes d’une nouvelle dimension.
LangueFrançais
Date de sortie7 oct. 2019
ISBN9782312068459
Papa raconte-moi une histoire

Auteurs associés

Lié à Papa raconte-moi une histoire

Livres électroniques liés

Fiction générale pour vous

Voir plus

Articles associés

Catégories liées

Avis sur Papa raconte-moi une histoire

Évaluation : 0 sur 5 étoiles
0 évaluation

0 notation0 avis

Qu'avez-vous pensé ?

Appuyer pour évaluer

L'avis doit comporter au moins 10 mots

    Aperçu du livre

    Papa raconte-moi une histoire - Nathalie Bonfils

    cover.jpg

    Papa raconte-moi une histoire

    Nathalie Bonfils

    Papa raconte-moi une histoire

    LES ÉDITIONS DU NET

    126, rue du Landy 93400 St Ouen

    © Les Éditions du Net, 2019

    ISBN : 978-2-312-06845-9

    Chapitre 1

    En cet hiver 2010 je regarde le prodige inhaler l’air spontanément, mu par un effort quasi imperceptible et inné. Tandis que la pulsion de vie s’insinue au plus profond de la postérité éphémère, la poupée de chair sommeille, bercée par l’élan de son souffle fragile.

    Sur le chemin de l’éveil, instinctivement guidée par la vigilance, ses sens apprivoisent à distance le monde dans lequel elle s’incarne depuis peu. La substance s’imprègne de son environnement tutélaire et des éléments souverains, insensiblement. Paisiblement. La réminiscence d’effluves familiers, de bruits mêlés et de nuances en demi-teintes se confond dans l’espace et dans le temps. Déjà l’âme aux confins d’un nouveau monde, lutte en douceur avec les codes en vigueur.

    Non loin, blotti sur lui-même dans le creux de son nid douillet, quasi léthargique et inoffensif, le félin domestiqué ; la peluche vivante, source de tant d’ardeur itou, rivalise de ses atours et veille en secret.

    L’animal et le nourrisson fusionnent dans le silence de leur monde intérieur. Moment d’intemporalité.

    Je regarde l’enfant innocent et dépendant, à la merci d’une dimension mystérieuse, fruit d’un amour que l’on espère éternel.

    Sans soupçonner la portée de son devenir, ce bébé, doté d’une maturité latente, contemplera un jour, avec l’extase et l’étonnement renouvelés, son enfant qui deviendra grand à son tour et suscitera tant d’amour.

    « Élise, en ce mois de janvier qui marque le début d’une saison, celui d’une année, et tes premiers jours sur terre, si je t’écrivais une lettre.

    Quelques notes A cappella…

    Pour te transmettre certaines pensées. Pour que tu saches que l’amour est plus fort que tout, même s’il cherche sa place au cœur d’un monde en souffrance. L’Amour de la vie !

    Ma modeste existence s’évertue à pratiquer la cohérence dont je tire les leçons qui me guident sur le chemin de l’ardeur.

    J’aimerais donc t’avertir dès maintenant. Dépositaire d’un héritage, tu portes en toi le bagage de tes ancêtres, avec leurs talents et leurs maux Et bien plus encore… Il t’appartient de faire valoir ton authenticité au travers des vestiges d’un monde à la fois précieux et obsolète. Tu es reliée à l’esprit créateur. Il œuvre en toi et te guidera à la découverte de qui tu es intrinsèquement. Et de ta mission sur terre.

    La vie s’apparente à un beau voyage, avec ses embûches et ses merveilles qui t’inciteront à évoluer. Le destin y est certainement pour beaucoup. Mais il convient de l’assister. Alors je t’offre une baguette magique, Élise. Elle est invisible pour les yeux, mais tu peux la voir avec ton cœur. Le messager de cet adage angélique est un petit prince. Un roi m’a raconté son histoire lorsque j’étais petite. Ce roi s’appelait Papa. C’était mon papa. Je te souhaite d’avoir un papa qui t’aime autant que le mien m’a aimée et de l’aimer autant que je l’ai aimé. »

    Je regarde l’empreinte sur sa joue délicate. L’ébauche d’une aile infime déposée par une bonne fée.

    Ma main tâte le précieux bijou sous mon pull. Un merveilleux bien-être m’envahit. Je souris.

    Chapitre 2

    Animée par cette étrange impression diffuse et envahissante de mal être, un sentiment quasi omniprésent d’inutilité, de non-conformité – d’incapacité – j’éprouve de plus en plus souvent la sensation de me tenir à côté de ma vie. J’assiste à son déroulement en tant que spectatrice, même s’il m’arrive de jouer le jeu d’un scénario dont je suis également le piètre auteur. Et je me cherche confusément dans le mystère de l’existence.

    Cet état d’esprit me contraint à me demander d’où je viens. A sans cesse éclairer le passé à la lueur de mon discernement. A remettre en cause mon présent. Avec en ligne de mire, l’alternative de changer le cours de mon existence. D’entrevoir un futur différent.

    Qui ne s’est pas posé la question de savoir à quand remontait son plus lointain souvenir ? Certains disent se rappeler de leur naissance, d’autres de leur vie intra-utérine.

    Cette cicatrice au bas de ma lèvre ne me défigure pas mais elle intrigue. A ceux qui osent demander :

    – Comment as-tu fait cela ? en pointant leur doigt vers cette discrète anomalie,

    Je réponds :

    – A cause d’un ours.

    Chapitre 3

    C’est un lointain souvenir.

    Depuis ma naissance, mes nuits sont agitées et j’ai du mal à trouver le sommeil. J’ai besoin de me raccrocher à quelque chose. Une planche de salut sans doute. Mais pourquoi suis-je habitée par ce sentiment d’insécurité ? Les tentatives pour me mettre dans un lit de grande s’étant soldées par des insomnies et des chutes récurrentes, je demeure dans cet enclos sécurisé malgré mes quatre ans révolus.

    Bien à l’abri dans nos lits à barreaux respectifs, je chuchote des mots à Robin. Je m’efforce d’atténuer les peurs de mon frère. De le rassurer. Car dans ces moments-là, s’il n’est plus bercé par le ronronnement de ma voix, il se met à pleurer.

    Et il ne faut pas qu’il pleure. A travers le garde-corps, je tente en vain d’apercevoir son expression. Elle m’échappe dans le noir. Mais j’entends son désarroi.

    – Lala… a peur…

    – Fais dodo Robin. Je lui chante tout bas :

    – Fais dodo Robin mon p’ti frère fais dodo t’aura du lolo…

    – Ouinh !

    – Robin pleure pas…

    – Tédi… Tédi.

    Je réalise que l’ours en peluche de Robin vient de tomber. Eh oui, c’est bien connu, les ours en peluche tombent parfois de leur lit ! N’écoutant que mon courage, malgré ma propre détresse, j’escalade la forteresse en bois. Je plonge au secours de l’ours pour pallier la détresse de mon frère ; et je m’écrase sur le sol de la chambre. Un choc, ça pique, le sang coule. Nous crions et pleurons un long moment avant d’être entendus. Les secours arrivent enfin ! Maman gronde. Papa réconforte. Robin n’en finit pas de pleurer. Et j’ai peur pour lui.

    L’empreinte de cette chute sera indélébile. Son souvenir aussi.

    D’autres bobos jalonneront ma vie ; d’autres épreuves aussi. Parfois même au sein d’événements heureux. Aujourd’hui est fait d’hier et participe de ce que sera demain.

    Les blessures font grandir et souffrir, longtemps après. Les plus coriaces demeurent invisibles pour les yeux. Elles forgent notre personnalité. Sur le chemin de la vie, elles révèlent peu à peu la part de sagesse propre à exacerber notre identité.

    Dois-je en finir avec mes blessures ? Continuer à les enduire de baume ? Ou bien remonter à la source du mal ?

    Chapitre 4

    Paris,

    Avril 2005,

    Lala,

    Jean-Paul II vient de mourir, et j’éprouve de la peine. Je l’aimais bien ce pape ! Pourtant, je pense n’appartenir à aucune religion.

    Tu me parles souvent de jardin secret.

    Dans le mien, je n’ai enterré que l’Artiste. J’ai parfois du mal à vivre avec ceux qui m’entourent, comme toi.

    Nous avons été élevés selon les us et coutumes établis dans les contes de fée : le couple se doit d’être riche, séduisant et vaillant ; belle surtout la femme, fortuné et courageux, le mari.

    Mon ambition, depuis que j’ai eu l’âge d’espérer des conquêtes, était de mettre la main sur la charmante princesse, et de faire en sorte qu’elle n’ait, de près ou de loin, aucune ressemblance avec notre mère. Pour y parvenir, briller, affronter le dragon, avoir des cicatrices, se faire tatouer… souffrir, semblaient faire partie des épreuves incontournables. Encore tout récemment, j’étais sur le dos de mon cheval à sillonner des terres hostiles en espérant trouver le château de la belle et la délivrer de son ignoble père… Et, comme il est de bon ton de s’offrir quelques escapades entre deux quêtes de l’amour suprême, j’abandonnais mon idéal le temps d’assouvir les besoins de la chair. Je rencontrais ainsi la mère de mes enfants.

    Comme le contentement animal se double, sans qu’on le suspecte, de la tendresse, et que l’homme n’est pas qu’une bête, je me liais d’amour avec une belle qui n’avait ni donjon à conquérir, ni dragon à terrasser, et dont les critères étaient loin de calquer aux impératifs du conte de fée. Et me voici depuis deux ans déjà, privé de mon destrier.

    L’autre hurle toujours à la fenêtre de son château, et je crois encore qu’elle s’adresse à moi. Alors parfois, lorsque les gémissements du quotidien se font trop pesants, je retourne à mon songe, revêts mon armure, et fuis ce désespoir qui accompagne le train-train de la vie.

    Et dans ces moments-là, j’en veux aux histoires et à ceux qui nous les ont contées, car le mensonge est énorme. L’itinéraire même des narrateurs le prouve : je n’ai aucun souvenir de nos parents s’aimant !

    J’aurais pu vivre toute ma vie seul ; je m’y croyais destiné, et cela collait au romantisme inaccessible et chimérique dans lequel nous avons baigné (le bonheur existe dans les rêves). Heureusement, je découvre les joies de la paternité et je commence tout juste à apprendre l’humilité. Je tâche de différer de l’image que me renvoie le miroir.

    Mais je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant… Je t’embrasse ma Lala,

    Robin

    Les Marmottes,

    C’est bientôt le printemps,

    Robin,

    Quel aveu terrible et sincère à la fois, vérité criante et constat ontologique de l’être et du paraître, notre éternel cheval de bataille. Et du mensonge aussi, dans cet univers qui s’acharne à saccager le rêve inaccessible et pourtant indélébile à nos esprits !

    Vivons-nous seulement le reflet de ce que nous aspirons à être ? Sans doute. Mais l’important est de nous affirmer en tant que tels, en nous jouant de la réalité et des pièges perpétuels. Rien en tout cas, ne saurait abolir l’amour indestructible qui te lie à tes fils, ni le respect affectif à jamais noué avec sa mère.

    Est-ce Monsieur ta partie qui a besoin d’assouvir ses pulsions animales, lorsque tu revêts ton armure ? Ou ton âme cherche t’elle à combler un vide obscur et avide ? N’as-tu jamais pensé à combattre le dragon à l’intérieur de toi ?

    Plus j’y pense et plus je me dis que le temps qui court et nous vieillit chaque jour un peu plus, nous procure la jeunesse d’une maturité constructive et tolérante.

    Moi aussi je croyais aux contes de fée, et pensais réellement avoir rencontré mon prince charmant ! Probablement nourrissais-je au fond de moi, le désir qu’il s’apparente de près et de loin à notre père (comme tu lui ressembles…). Mais le charme est souvent trompeur, et le parfum de la passion éphémère. Surtout pour celle qui ne connaissait que les balbutiements de l’hymen. Aux jeux de l’amour et du hasard, l’on ne gagne pas toujours, même si le fruit prématuré de cette union s’est transformé en une part de bonheur immuable, un amour maternel inébranlable qui s’est multiplié au fil des naissances. Alors, tandis que les pères de mes chérubins demeuraient inchangés et fidèles à leurs tares, mon moi intérieur évoluait et tendait vers autre chose. Sans doute les avais-je aimés pour ce qu’ils n’étaient pas et quittés pour ce qu’ils étaient. Quelle prétention ! N’est-ce pas ?

    En rupture avec une éducation rationalisée et péremptoire, je m’affranchissais de certains codes sociaux et décidais d’obéir à ma morale.

    Autre chose, quelqu’un d’autre… Avec le désir d’indépendance, des ailes infimes se sont déployées doucement mais sûrement, et l’idée a fait son chemin sur fond de destin utopique.

    J’ai voyagé au gré de tranches de vie chaotiques. Aux méandres à la fois exquis et dépressifs. Mon cœur s’est endurci, et la solitude a pris le relais. En perdition totale, le corps s’est inhibé et la raison a forgé des barrières de plus en plus impénétrables, refoulant à jamais les ersatz princiers. Aujourd’hui, un manque persistant occupe toutes mes pensées et ne peut être comblé. Il me ronge. Tu connais son origine.

    « Un jour mon prince viendra » se trouve relégué aux archives de l’oubli depuis fort longtemps, dans le palais des leurres éternels, au pays de l’enfance à jamais déserté.

    Depuis peu, dans mon jardin secret, poussent des enfants. La terre, leur mère, les nourrit. Le ciel, leur père, les élève. La Nature tout autour les aime et les protège. Penses-tu que je sois folle ?

    Au fait, le prince Rainier de Monaco vient de mourir. Après le pape, un prince. Deux dignitaires mythiques à la tête de royaumes singuliers, de passage sur notre planète. Tout comme nous.

    Dans mon microcosme souverain à Môa, je laisse la séduction opérer, et m’abandonne à la volupté de me savoir désirée, mais je ne suis pas dupe. Ce manque en moi ne peut être comblé par l’autre.

    Tendresses.

    Carla

    Chapitre 5

    – Carla, tu es heureuse au moins ?

    – Oui maman, ça va.

    Être heureuse ou ne pas l’être ; telle est la question ressassée ponctuellement. Machinalement. Et après avoir insisté, une fois rassurée (ou rassasiée), elle va chercher ailleurs une raison de se faire du mauvais sang (en apparence). Ma réponse s’arrête à la porte de ma pensée. Ne se décide pas à franchir le cap de la franchise qui pourrait l’offusquer. Et pourtant, comme j’aimerais oser exprimer mes sentiments. Les vrais.

    Tu sais, maman, je ne suis pas heureuse ou malheureuse. Il y a des moments où je profite de moments heureux, d’autres durant lesquels j’ai de la peine. Mais c’est le lot de chacun. C’est la vie. L’apprentissage du bonheur ne fait hélas pas partie du programme scolaire, et encore moins de l’éducation sentimentale !

    Certains dégagent une image du bonheur tronquée par les faux-semblants. Mais le vrai bonheur est ailleurs. Ces petits riens faits de rires et de connivence glanés au détour d’une rencontre spontanée, une attirance soudaine pour un sourire, un regard, une phrase prononcée au moment opportun, un projet partagé, le bonheur des autres, le plaisir de se confier à une mère attentive et aimante… les joies guidées par l’amour de vivre Sont bonheur ! L’affirmation « je suis heureuse » relève de l’utopie. Et au fond de toi, tu le sais. Es-tu heureuse ? L’as-tu seulement été ? Te préoccupes-tu sincèrement du bonheur des autres ? Tes questions sont-elles destinées à te nourrir du malheur des autres ?

    – Mais tout de même, les pères de tes enfants, tu les as aimés ? Et tu ne vas pas rester toute seule ?

    – Bien entendu que je les ai aimés, mais cela n’a pas duré.

    – Tu pourrais rencontrer quelqu’un de bien, te marier et rester avec lui.

    – J’ai du mal à vivre avec quelqu’un, comme tu dis, sur le long terme. Je trouve cela tue l’amour. Le quotidien annihile le romantisme, et j’ai besoin de gérer ma vie seule. Sans doute n’ai-je pas rencontré l’homme idéal, du fait que je suis quelque peu intransigeante. Et pas du tout idéale moi-même. Est-ce que tu connais quelqu’un d’idéal d’ailleurs ?

    Ce que je ne peux t’avouer, maman, c’est que je ne suis pas celle que j’aurais aimé être ! Est-ce de la prétention ? Sans doute.

    Amoureuse très tôt et pressée de quitter le carcan matriarcal, le mariage s’imposait comme une issue incontournable.

    Alors aujourd’hui, j’ai du temps à rattraper, des projets à réaliser, et il arrive que mon cœur se laisse bercer par un chevalier de passage.

    Et puis il est inutile de me voiler la face. Si je n’ai pas choisi ma famille, ni mon pays, encore moins ma venue sur terre, il est des valeurs aux quelles je ne peux déroger, fondées sur ma propre analyse découlant d’un lourd passif. Entre révolte et tolérance, le retour sur le chemin parcouru interpelle, mais ne peut me réconcilier avec toi. Comme il est difficile à prononcer ce mot. Maman.

    – Tu pourrais faire un effort et te montrer moins difficile Carla. Tu as toujours été très égoïste…

    – … parce que c’est égoïste de fonctionner avec sa personnalité, son intelligence, ses désirs et tout le reste ? C’est égoïste de réagir avec son cœur ? C’est égoïste de vouloir trouver un prince charmant ? Les contes de fée, pourtant, ont bercé notre enfance, à moi et Robin.

    – Tu as fait bouillir l’eau du thé ?

    – Oui.

    – Et bien il ne fallait pas. Je te l’ai déjà dit. Elle doit seulement frémir, sinon le thé est imbuvable. Donne-moi ta tasse que je te serve. Un peu de lait ?

    Bien sûr que non ! Tu le sais très bien. Depuis toujours il me semble. Rien que de le voir dans son petit pot rutilant –la brave petite femme de ménage a dû briquer l’argenterie lors de son dernier passage – j’en ai des hauts le cœur. Aussi parce que dans ton mental de bourgeoise attardée, les petites gens demeurent petits quelle que soit leur taille. Braves et petits.

    Je déteste le lait. L’ai-je jamais aimé ? Cela me paraît d’ailleurs improbable d’avoir tété le lait de ton sein.

    L’origine de ma révolte intérieure a-t-elle pour berceau cette souffrance incurable ? Ce manque indomptable dont tu connais la cause, et dont peut-être, inconsciemment, tu te réjouis en secret ?

    J’ai été heureuse. Mais on m’a volé mon bonheur.

    Chapitre 6

    – Salut Esmée ! J’ai eu envie de faire une halte dans la maison du bonheur. Ma mère est encore là jusqu’à demain et je n’en peux plus. Je te dérange ?

    – Bien sûr que oui, mais hors de question d’être accusée de non-assistance à personne en danger, mon ange ! Café ? Jus d’orange ?

    – Café s’il te plaît. Tiens, il y a un nouveau ! Comme il est joli !

    – Il s’appelle Galipette, je l’ai en pension pendant quelque temps.

    Je ne résiste pas à l’envie d’accorder un peu de liberté au petit rongeur. J’ouvre la cage, l’attrape prestement et le dépose sur la table, au milieu des tasses et du bazar ambiant. La chienne des lieux surgit aussitôt. Elle enfouit sa truffe dans le pelage argenté, tandis que les chats, impassibles, demeurent enroulés au creux des coussins, confortablement installés dans le canapé.

    Je me sens des leurs. Ils m’apaisent. Je les aime. Il me semble qu’ils m’aiment bien également.

    – Demain, Jacques me dépose Guizmo pour trois semaines !

    – Toi au moins tu n’es jamais déçue par les animaux !

    – Raconte-moi tout. Eric t’a quittée, tu l’as quitté ou est-ce que vous avez décidé de vous quitter ?

    – Arrête de te moquer. Je lui avais dit que cela ne pouvait plus durer comme ça, qu’il devait prendre une décision, choisir entre sa femme et moi…

    – … Et aussi que tu ne voulais pas qu’il la quitte pour toi. Je sais, tu me l’as déjà dit… mais tu as craqué et maintenant tu veux de nouveau tout arrêter. C’est ça ?

    – Tu crois vraiment que c’est simple ?

    Esmée, je n’ose te l’avouer, et pourtant, toi seule pourrais comprendre et m’absoudre de ces pêchés qui partent d’un bon sentiment. C’est vrai, je m’étais jurée de ne plus revenir en arrière, de le rayer de ma vie, de ne plus y penser, de ne plus répondre à ses coups de fil, de ne plus exister pour lui. Mais lorsque par malheur (qui se mue en bonheur), je suis amenée à croiser son regard, je ressens son habileté à me transporter dans un état de béatitude, et j’ai du mal à résister.

    – Si tu es bien avec ce lâche, profite et arrête de culpabiliser faussement. Accepte d’avoir un amant. Point.

    – Oui mais, je suis vraiment bien avec lui. Est-ce que cela suffit d’être bien avec son amoureux ? « ça ne suffit pas toujours de s’aimer bien » chante Joe Dassin.

    – Je sais. Parce que « on s’est aimés comme on se quitte. Tout simplement sans penser à demain… »

    – Est-ce que je tiendrais plus à lui s’il quittait sa femme ? Je ne sais pas. J’ai peur de l’avenir. C’est mon côté fataliste. Je ne crois pas en une vie de couple durable. Je ne veux pas d’une relation officielle.

    – C’est un peu confus mon ange. Alors suis ton instinct et ne te prends plus la tête ! En attendant, je vais nous préparer un petit goûter réconfortant.

    – Cool ! Je vais m’empoisonner avec délice !

    – Dis, mon ange, il n’est pas si lâche que cela ton Eric, s’il a décidé de quitter sa femme.

    Chapitre 7

    – Pourquoi est-ce que tu fermes les yeux, Carla ?

    – Pour ne plus te voir.

    – Enlève tes mains, et regarde-moi ! Je t’aime Carla. Tu es mon amour à moi, mon bonheur, tu es toute ma vie ! Ma princesse !

    – Moi, moi, moi, Môa ! Égoïste ! Non ! Tu n’as pas le droit de m’hypnotiser comme ça ! Il ne faut pas que je cède à la tentation !

    – Je t’adore !

    – Il ne faut pas Eric…

    – Mais si, viens…

    Ses yeux bleus me capturent. Je me transforme en prisonnière consentante de ses mains si douces, de sa bouche légère et sensuelle. De sa force. Elle m’assigne en douceur et me berce hors du temps, dans un pays qui n’est peut-être pas le mien. Royaume au nul autre pareil. Sa peau contre ma peau, nos souffles mêlés ; baisers au goût de café, odeurs mélangées ; la sueur discrète, nos parfums évaporés… Le désir s’impatiente. Et le souvenir d’un autre vient se superposer. Lentement, une fois mes réticences domptées, la pudeur s’efface délicieusement. Je deviens terre d’asile. Volcan d’où jaillit l’éruption contenue, lorsqu’à l’unisson nos deux corps exultent d’un plaisir ineffable. Enfin je suis toi, tu es moi ! Dans cette communion voluptueuse, l’excès de bien-être fugitif succède à cette sensation d’urgence, comme une douleur. Est-ce cela l’amour ?

    – Je t’aime Carla.

    – …

    – Dis-moi que tu m’aimes. Repeat after me : I…

    – I…

    – Love…

    – Carla, je t’en supplie.

    – Tu sais ce que je ressens, sinon je ne serais pas là avec toi !

    – Alors dis-le bon sang !

    – I can’t.

    – Mais jusqu’où va ton besoin de liberté ? Jusqu’à te voiler la face, jusqu’à renier ce que nous vivons ?

    – Tu es mal placé pour me sermonner. Et à ta femme, tu lui demandes si elle t’aime ?

    – Tu me fais mal.

    – Je dois y aller. J’ai un reportage qui m’attend.

    – C’est facile de t’en tirer comme ça.

    – … et toi, tu t’en tires comment ? En ménageant la chèvre et le chou ? Mais j’aimerais bien savoir qui joue quel rôle dans cette histoire. C’est facile pour toi, de garder ton petit train-train familial. Tu rentres chez toi, dans une maison bien rangée, avec des enfants bien élevés et une femme bien gentille ! Et quand tu en as envie, tu débarques chez moi et je dois te dire que je t’aime ?

    – Tu veux qu’on vive ensemble ?

    – Je veux que tu fasses un choix. Si tu es mal dans ta vie, quitte ta maison, mais pas pour moi. Fais-le d’abord pour toi.

    – Dire qu’on était si bien !

    – C’est vrai, mais j’en ai assez.

    – Avec le temps, je trouverai un compromis, tout sera plus simple. Je te promets.

    – Un compromis trahirait ton authenticité Eric ! Parce que c’est avec ta vérité que tu te compromettrais, pas avec moi… Essaie avant tout d’être au clair avec toi-même.

    Chapitre 8

    Princesse… Je n’ai pas envie d’être une princesse pour Eric.

    C’est Œdipe qui m’avait décerné ce statut, et mes premières histoires d’amour ont commencé avec lui.

    Il est tard. Les parents sont sortis. Une fois n’est pas coutume, nous avons le droit de nous endormir dans leur grand lit. J’ai six ans. Robin cinq. Et nous goûtons ce privilège quelque peu déconcertant, allongés l’un à côté de l’autre. Il me tient la main, comme s’il risquait de me perdre dans cet espace inviolable. La nounou est assise près du petit bureau ancien. Elle lit à la lueur diffuse d’une lampe de chevet. Nous murmurons pour ne pas risquer l’exclusion de l’alcôve parentale. Robin écarquille les yeux comme s’il découvrait le lieu pour la première fois, avide d’emmagasiner des images, des impressions, des indices. Des souvenirs. Je le suis dans son voyage immobile et préoccupant. Dans sa quête imaginaire. A l’écoute de sa respiration, je sens croître son inquiétude.

    – Lala, il a queque chose derrière les rideaux. J’ai peur moi.

    – Il y’a rien Robin. Et même si y a quelque chose c’est pas grave, ça te fera rien. Je suis là. Fais dodo.

    Il lutte contre la fatigue encore un moment, mais je sens peu à peu son corps se détendre. S’assoupir. Sa main lâche enfin son emprise. J’attends qu’il soit profondément endormi pour me laisser tomber à mon tour dans les bras de Morphée, avec la hantise familière de retrouver mes cauchemars. Lorsque le bruit de la clé dans la serrure suspend mon sommeil, je referme les yeux. J’espère de tout mon petit cœur palpitant, que le prince charmant va m’emporter dans ses bras pour me déposer dans mon lit. Les secondes s’écoulent trop lentement. L’instant se fait attendre.

    Et je l’entends enfin, je le sens. Il est là.

    Mon vœu est exaucé, et je m’abandonne à cet état de princesse éphémère, blottie dans les bras de mon papa chéri. Doux refuge protecteur, nid d’amour volé au temps, au monde entier. Et à maman surtout, tellement avare d’affection.

    – Papa, une histoire… raconte-moi une histoire…

    Je le vois sourire dans la pénombre. Je devine qu’il va m’accorder une prolongation.

    – C’est l’histoire d’une princesse qui avait des talents extraordinaires. Depuis qu’elle était toute petite, elle savait faire semblant de dormir pour que son papa la prenne dans ses bras et…

    – … Non papa. L’histoire de la fée Fève et Tralala et tout ça.

    – « Il était une fois une galette merveilleuse qui avait été préparée avec amour. Le merveilleux pâtissier avait hésité un long moment avant de jeter dans la merveilleuse crème d’amande, une merveilleuse fève choisie parmi la multitude de figurines qui patientaient dans sa merveilleuse boîte. La merveilleuse galette fut livrée au château merveilleux… » Ah tu dors. Fais de beaux rêves ma princesse Tralala.

    Le temps a passé, régi par les lois issues de principes bourgeois (ceux de ma mère) et celles du dehors. Je les jugeais tout aussi cloisonnées, injustes et étouffantes. Heureusement, grâce à la présence de papa, je jouissais d’un statut d’indulgence totalement abusif. J’étais une princesse. Lors de chagrins de passage, il suffisait que je plonge mes yeux noirs et révoltés dans l’océan vert du regard d’Oedipe pour que l’espoir renaisse. Lorsque le mal subsistait, les grands bras de ce père

    Vous aimez cet aperçu ?
    Page 1 sur 1