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C'est une fille: Récit autobiographique
C'est une fille: Récit autobiographique
C'est une fille: Récit autobiographique
Livre électronique205 pages2 heures

C'est une fille: Récit autobiographique

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À propos de ce livre électronique

Toute naissance s'accompagne d'une vague d'émotions et de perceptions, transmise ici par l'écriture.

Ainsi se déroule une vie : en continuité et en fragments. Tranches de lignes droites, événements marquants, prise de décision. Il y a le fil réel, linéaire : les faits et les actes que l'on peut situer, classer, dessiner sur une frise chronologique. Et, il y a le fil émotionnel : le vécu intérieur. Ce dernier est plus flou, plus abstrait, plus confus à délimiter et à cerner. Toute naissance est une inscription à la vie et, si cette dernière est marquée par des faits concrets, elle est également faite des perceptions qui nous font ressentir. C'est par l'écriture que j'ai cherché à transcrire ce vécu invisible. Comme les organes sont recouverts par la peau, le récit aura servi de trame pour tenter de révéler les émotions cachées.
J'ai voulu rendre compte des méandres dans lesquels, parfois, ce vécu ancien nous perd. Cependant, nous sommes en perpétuelle modification, nous nous redéfinissons sans cesse. De quoi se dire, quand tout est au plus noir, que nous ne pouvons qu'attirer la lumière.

Entre prose et vers, suivez le fil émotionnel complexe et fascinant qui accompagne la naissance et l'enfance dans ce récit autobiographique touchant.

EXTRAIT

J’ai tout fait pour réparer ces femmes, les animer de la vie : ma grand-mère et ma mère, le fantôme de Marguerite. Les faire vivre, réparer leurs manques, leurs chagrins, combler leur vide. Devenir TOUT pour investir en elles une raison de vivre. Cela marche, parce qu’effectivement, dans leur inconscient, je suis cette petite fille venue au monde pour redonner de la joie, pour panser les plaies. Je suis l’enfant adorée. Mais ne suis-je pas cette poupée que l’on sacralise comme un talisman intouchable ? Gardée pour soi, non séparable de la matrice ? Ne suis-je pas finalement que cette chose – que l’on aime, sans la prêter ? Un Tout-objet devant remplir le vide, le manque, apaiser les angoisses, la dépression – la faille narcissique ? Momentanément, les faire céder à la joie avec mon arrivée divine. Rien n’est moins sûr et pourtant, ne suis-je pas là, enfin là, afin de déjouer la mort ?
Je crois que je suis cet heureux événement qui conjure la mort de Marguerite. En offrant une petite-fille à sa mère, ma propre mère redonne du sens à cette dernière. S’en donne un également. Je suis leur possession, leur bien, leur bijou. Et, dès ma naissance, cette petite fille que je suis se trouve déjà chargée d’une lourde responsabilité : celle d’incarner la perfection de cette morte idéale. Je dois la leur rendre, je suis donc redevable. Je dois être celle qui va continuer à faire exister une lignée de « femmes-mères » toutes puissantes et exceptionnelles, mises sur un piédestal. Voilà dans quel contexte je nais. Et peut-être que, des années plus tard, je l’ai bien incarné cette morte dont on m’a dit qu’à l’exhumation on avait retrouvé les bijoux.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Stéphanie Broyer est née en 1980, C’est une fille est son récit autobiographique. Elle a déjà publié un recueil de poésies Incarnation aux éditions L’Harmattan, en janvier 2018.
LangueFrançais
Date de sortie14 juin 2019
ISBN9782851135858
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    Aperçu du livre

    C'est une fille - Stéphanie Broyer

    Prologue

    Je possède au fond de moi un recoin noir, un récit infernal sur des années d’errance et de délabrement. Je possède une meurtrissure. Il me semble, parfois, être derrière une meurtrière d’où j’observe l’ombre que j’étais, d’où je monte la garde contre qui voudrait me voler mes maux et mes mots. Tissage d’araignée duquel je suis une survivante – toujours en lutte – dans une attaque offensive contre l’amnésie totale. Je me plonge dans cette histoire, celle qu’est ma vie : puits sans fond de désespoir et de bonheur. Alternance de dépression, d’exaltation, de sursauts d’espoirs puis, soudain, le vide.

    Il m’a toujours semblé que la réalisation de moi passerait inévitablement par l’écriture. Je veux écrire tous ces visages que je croise et qui me font exister, toutes ces parties de larmes où je suis seule devant la glace. Ces rires avortés et ceux qui se déploient parce qu’ils sont partagés. Je veux me produire en écriture parce que c’est là encore que je deviens immortelle. J’écris parce qu’il est nécessaire que sorte de mon esprit la tyrannie qui me fait osciller entre la dépression latente et le désir de vivre débordant...

    Comment déterminer la part de soi qui, aujourd’hui, souffre du passé ? Le début commence toujours avec une question. Je ne sais pas quand, tout a dérapé. Je ne peux pas définir un point particulier, une date, un événement. A-t-il eu lieu et que je ne m’en souviens plus ? Qu’il s’est inscrit dans ma mémoire inconsciente ?

    C’est un coucher-papier qui me tient au corps, qui me remplit le cœur. Je ne sais pas si j’arrive maintenant à regarder avec justice, justesse celle que je suis à présent ? Avec l’apaisement ? Il me semble que je suis toujours dans une sorte de torture morale ou physique qui ne me laisse pas totalement tranquille. Une part de moi s’est allégée, une autre reste tourmentée, fragilisée. Quelques parasites entrecoupent celle que je suis aujourd’hui par des flash-back revécus en apnée émotionnelle. Comme si je cherchais toujours ma propre respiration. Je me déconnecte involontairement du présent et je suis projetée dans la souffrance des années passées. Alors, tout se mélange. Parfois, cela prend des heures pour trouver la continuité, l’apaisement nécessaires ; pour retrouver le présent avec ses nouvelles données.

    Ce que je dois dire aussi, c’est que j’ai gagné des luttes, d’abord celle de la vie – mais pas seulement. Il y a encore beaucoup de choses que je traverse avec mes armes, c’est à dire comme je peux. D’autres périodes sont plus calmes et moins entravées par les irruptions du temps révolu.

    Peut-on parler réellement de temps révolu quand le présent implique ce que nous avons été, ce qui nous a aussi été donné de vivre alors que nous n’étions pas encore nés ? Que le passé s’encastre avec force dans notre présent pour faire de nous, non pas seulement un Être résumé à ce qu’il est, mais portant en lui tout ce qu’il y a aussi du poids de ce qui a précédé ? En cela nous ne connaissons des personnes de notre vie, qu’une parcelle visible de l’iceberg. Le reste pouvant être confié, raconté. Mais dans des tranches de vie, nous ne sommes que cette photographie visible. Nous ne sommes jamais un Tout, ni un ensemble qu’à nos propres yeux. Cela a quelque chose de précieux et de terriblement effrayant. Nous mourons tous, sans exception, seuls. Sans personne pour témoigner de notre intégrité entière et juste. Nous sommes seuls garants de nous-mêmes. La solitude est universelle. Nous enterrons avec nous exactement tout ce que nous avons été pour nous-mêmes, tout ce qu’a été notre vie.

    Tout prend racine dans le corps. Ce corps qui fait que nous existons, que nous sommes visibles. Tout prend racine dans le corps quand bien même nous ressentons aussi avec notre esprit. Mais n’est-ce pas dans le ventre que nous ressentons les émotions les plus vives ? Lorsque les mots ne sont pas énonçables, les maux prennent alors le relais. J’ai voulu raconter mon histoire. Mon histoire qui a repris son propre cours. Mon histoire qui a repris vie après s’être longtemps égarée dans les méandres de ce que l’on m’avait léguée.

    Mon but n’est pas de transformer mon enfance en enfer, de dessiner un tableau noir avec des méchants et des coupables. Si c’était cela, je me mettrais en colère, je sentirais cette colère mais elle est dépassée.

    Je veux juste, par l’écriture, remettre un peu d’ordre dans la confusion.

    Première partie

    Aliénation

    1980-2001

    « J’ai pensé qu’écrire, c’est peut-être exactement cela :

    forger une langue capable de nous ramener d’entre nos morts ;

    la langue de nos confins où nous nous croyons muets ».

    Valentine Goby, Je me promets d’éclatantes revanches

    1

    Petite enfance

    « Je ne sais pas vraiment ce qui pousse les gens à écrire,

    sinon, peut-être, la solitude d’une enfance. » 

    Marguerite Duras, La passion suspendue

    Il y a ma toute petite enfance : de ma naissance à 7 ans. Ma vie avec mon père et ma mère, teintée d’insouciance, de gaîté, de découvertes. Une ouverture sur le monde extérieur. Mon cocon me permet de faire des allées et venues entre le monde qui m’entoure puis de revenir calme et heureuse. J’ai des souvenirs teintés de joie lorsque je pense à ces sept premières années de vie. Je revois mon père jouant avec moi et je rigole. Je peux encore ressentir cette joie de jouer avec lui. Nos parties de chat à s’attraper dans l’appartement. Maman et papa me mettent dans le creux du drap, ils en font un hamac et ils me balancent de gauche à droite à mon plus grand bonheur ! Mon père se déguise en lapin et cela me fait éclater de rire. Mon père fume avec moi lovée sur ses genoux. Cette vie douce dans laquelle je me sens être une petite fille à son papa. Maman est plus rigoureuse sur les horaires du coucher et des repas, mais elle est là, et je l’aime. Mais surtout, oui, mon père, mon roi, mon papa chéri dans les bras duquel j’aime me blottir et me réfugier.

    Je fais un rêve idyllique de notre vie à trois, de ma maison, de mon école. Oui, c’est mon petit monde. Mais est-ce qu’il est dit que j’ignore pourquoi papa ne rentre pas le soir et que je pleure à n’en plus pouvoir respirer ?

    J’écris des petits poèmes dans un cahier fleuri. Dès que je peux prendre un crayon ou un stylo, je gribouille sur des cahiers de brouillon. Je fais des ordonnances. Je me visualise « grande » tout en me sachant petite. Je me prends très au sérieux dès que je prends place au bureau à 3-4 ans. C’est encore ce temps d’insouciance parce qu’il y a papa, et papa est fier de moi. Pour maman, je ne suis jamais assez performante. Sur un plateau du jeu de l’oie, maman entreprend de me faire apprendre les chiffres au-delà de 15. Je bute et confonds 16 et 18. Je me trompe inévitablement. Cet après-midi d’acharnement de maman, des heures assises toutes les deux sur la moquette rose. Je dois faire entrer dans ma tête les nombres jusqu’à 21. La défaite de maman qui s’énerve. Je pleure. J’ai mal au ventre. J’ai 4 ans et demi. Je pleure et je me déçois car, je vois dans les yeux de maman, que je ne vaux rien.

    Et puis cette première fracture du divorce. Je ne mets pas de nom dessus. Je sais que mon père n’est plus là. Peu à peu, la peur remplace l’insouciance, l’insécurité, la chaleur. L’angoisse se faufile dans le creux de mon ventre et me fait verser des larmes dont j’ignore la raison exacte. Je sens quelque chose que je ne peux pas définir, qui me fait peur, qui me donne un sentiment de solitude angoissant.

    Je vois des images précises associées à des sensations particulières. C’est net. C’est ma vie avec maman. Seule avec ma mère. Les années qui précèdent sont plus floues mais, il m’en reste beaucoup d’impressions, de flashs.

    La vie seule avec maman est une vie silencieuse. Ordonnée. Cadrée. Ma vie prend un tournant à ce moment. Je ne sais pas si mon père me manque. Je ne sais pas dire ce que je ressens. Peut-être même que je ne me sens pas trop mal ? Cependant, ce n’est plus comme avant, et je le regrette au fond de moi.

    Le poids de ma peur quand une note n’est pas suffisamment bonne pour que maman en soit fière. Jours d’été à vouloir être à l’école pour échapper à maman. Être pourtant en admiration devant maman merveilleuse. Belle. La plus belle. Divine. À en être presque effrayante. Ma mère dont la blondeur paraît presque insupportable à regarder tant il y a cette notion de déesse intouchable. Cette déesse devant qui se plier, s’effacer, se soustraire pour ne pas contredire ni déplaire. Oui, ne surtout pas déplaire. Ne pas montrer de faiblesse à l’effort ni de lacune au savoir. Magnétophone, touche REC… Je répète sans relâche ma leçon, ma poésie. Je redis les mots inscrits sur les feuilles de classeur. Tout doit être absorbé. STOP. PLAY… Écouter ma petite voix d’enfant, qui ne paraît pas être la mienne, dans ce magnétophone qui recrache tout par cœur comme une voix imbécile qui ni ne se comprend ni ne se reconnaît.

    Si maman approuve alors, tout ira bien. Je prendrai mon repas. J’aurai le droit de lire un chapitre ou deux. Puis ce sera l’heure d’éteindre la lumière et de dormir. Mais ce n’est pas fini. J’ai peur de ne pas réussir à m’endormir. Car le monstre peut resurgir alors. J’aimerais un moment de tendresse. Bien sûr que j’en ai. Avant d’éteindre, maman vient me faire un bisou, me serrer dans ses bras et me dire qu’elle l’aime. Mais pourtant je sens un manque que je ne sais pas expliquer. Quelque chose de la peur qui reste coincée dans mon ventre et qui me fait trembler le cœur. Je dors rarement dans mon lit. Le plus souvent, je dors avec maman. Je ne me souviens presque jamais de quand maman vient se coucher. Mais parfois, les jours où il n’y a pas école et que je me trouve être réveillée avant maman, alors j’écoute sa respiration. Je ne sais pas ce que je ressens. C’est confus : la respiration de maman contre l’oreiller...

    2

    Le poids du passé

    Je suis sous la douche, nue, l’eau coule sur mon corps, me lave, me calme. J’ai toujours eu avec l’eau un rapport d’unité. Comme si cela était mon élément. Mais, n’est-ce pas là d’où nous venons ? De la poche utérine, un doux nid humide, fait à notre taille. Nous découvrons notre corps sans le mesurer vraiment. Nous percevons le battement du cœur de notre mère, celle que nous n’avons jamais vue, celle que nous ne connaissons que par le bruit de sa voix devenue familière.

    Nous existons par elle, seulement par elle. Nous existons parce qu’elle nous porte, parce qu’elle nous nourrit par le cordon ombilical qui nous attache à elle. Nous sommes portés par l’eau de la mère, l’eau de mer. Nous sommes comme un poisson plongé dans son élément et qui ne connaît rien d’autre ; qui est menacé de mourir s’il est expulsé. Mais, pour nous, il faut bien naître un jour, venir au monde.

    Naître est-ce que, par instant, cela signifie n’être ? N’être pas ? Est-ce qu’un nourrisson peut choisir involontairement de n’être pas ? Vivre en restant collé de longues années à la mère, comme s’il avait senti, en elle, la peur de le perdre ? Comme s’il savait qu’aussi petit qu’il soit, il comble une faille, une béance que la mère n’a, auparavant, pas su combler par autre chose ni par quelqu’un d’autre ? Comme si le n’être pas n’était que dans un « tout entier de réparation ». Un pansement.

    Alors, le bébé sait qu’il devra sacrifier le moi intime afin de nourrir sa mère, de la maintenir vivante par son rôle de maman auprès de son tout petit. L’enfant né ainsi est un prétexte Il donne, par sa réplique silencieuse, une contenance à la mère. Le corps du bébé, cette instance du corps est, à elle seule, langage qui donne à la mère sa valeur personnelle. Il vient colmater les manques antérieurs. Il vient abolir l’absence de sécurité ; en le protégeant, la mère

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