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Agoraphobe et journaliste: Biographie
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Livre électronique337 pages5 heures

Agoraphobe et journaliste: Biographie

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À propos de ce livre électronique

Un récit de vie chaotique qui vous fera voyager dans le temps !

Ce livre évoque mes souvenirs qui remontent à ma plus tendre enfance joyeuse, baignée au son des rythmes arméniens chez mes grands-parents paternels ayant échappé au génocide de 1915. J’ai vécu une jeunesse dorée dans les années 60 puis la descente aux enfers au cours de la décennie suivante.
Enfant fragile, psychologiquement et physiquement, choyé, protégé puis soudainement abandonné dans la nature, sans le moindre repère à la préadolescence, tous les dangers me guettaient à 20 ans ! De crises en malaises, de peurs terrifiantes en moments d’égarement, de grandes paniques en gigantesque solitude, d’abandon en fuites éperdues, tous les précipices s’ouvraient sous mes pas.
Autodidacte, sans le moindre bagage ni relation, j’ai réussi grâce à une bonne plume, de la chance et une passion pour le sport, à pénétrer le monde si fermé du journalisme. Malgré de grandes périodes d’angoisse et de dépression, mon joli parcours dans le difficile métier de journaliste n’en a été que plus merveilleux au fil de rencontres inoubliables.
Ma vie professionnelle, sentimentale, mon bonheur de père, ma relation difficile avec ma mère, mon combat contre l’agoraphobie, mes voyages et mes aventures amoureuses, sont au centre de cet ouvrage.

Reparcourez les grands événements de l'histoire de la France en entrant dans la vie d'un journaliste autodidacte

EXTRAIT
Grâce à l’école, je découvre l’étranger. Mes deux premiers séjours m’emmènent à Londres en 71, puis à Bruges et Ostende. Avec mes cheveux longs, mon collier « Peace and Love », je suis en phase avec l’époque, la fin des années 60. Le souvenir que je conserve de l’Angleterre, c’est une nourriture limite consommable, l’absence de sodas, et d’eau plate. En deux jours, nous admirons quand même la relève de la Garde à Buckingham Palace, les boutiques de Piccadilly Circus, nous pique-niquons dans l’un des nombreux parcs de la cité, et nous bénéficions d’un tour en bus qui permet de découvrir Londres et son architecture. En plus, l’aller-retour en ferry me laisse un excellent souvenir. De Bruges, je ne garde en mémoire que la promenade en bateau dans les canaux et la beauté de cette cité lacustre, surnommée à juste titre « » La Venise du Nord ».

À PROPOS DE L'AUTEUR
Philippe Traversian est né en 1957 à Saint-Maur-des-Fossés dans le Val-de-Marne. Il travaille 35 ans de journalisme puis devient biographe familial.
LangueFrançais
Date de sortie4 oct. 2019
ISBN9782851139405
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    Aperçu du livre

    Agoraphobe et journaliste - Philippe Traversian

    Prologue

    Pourquoi écrire sa biographie ?

    J’ai un côté mégalo c’est vrai, mais je suis également très objectif et lucide sur ma part d’ombre, mes grandes failles, mes faiblesses, mes défauts.

    Non, c’est pour d’autres raisons plus nobles, je pense. Pour m’expliquer auprès de mes enfants d’abord et puis pour raconter l’histoire de notre famille à ceux qui en font partie et à d’autres si cela les intéresse.

    Parce que j’ai choisi après 30 ans de journalisme de mettre mon modeste savoir-faire de rédacteur (je ne me suis jamais pris pour un écrivain), de conteur, au service des autres. Afin qu’ils couchent sur papier les grands moments de leur existence. Il était donc logique que j’en fasse de même pour moi.

    Mais ma grande motivation vient plutôt d’un besoin, d’un désir d’expliquer ce qui m’est arrivé et pourquoi sans doute, je suis devenu ce que je suis aujourd’hui.

    J’ai voulu témoigner, raconter un parcours de vie, qui est selon moi très intéressant, non pas en raison de ma réussite professionnelle, financière ou sociale, mais plus pour une forme d’exemple qu’il peut susciter chez certains. Je parle de résilience, de chemins chaotiques franchis, d’espoir, de grandes difficultés psychologiques et physiques surmontées, de défis réussis, de résultats tellement positifs revenant de si loin.

    Enfant fragile, psychologiquement et physiquement choyé, protégé puis soudainement largué dans la nature, sans le moindre repère à la préadolescence, tous les dangers me guettaient.

    Un diagnostic de « Névrose d’angoisse » qui m’évita le service militaire tomba comme un couperet sans que je me rende compte de ce qu’il signifiait vraiment à 20 ans !

    De crises de panique en malaises, de peurs en moments d’égarement, de grandes peurs en gigantesque solitude, d’abandon en fuites éperdues, tous les précipices s’offraient à moi. L’agoraphobie n’avait pas encore de nom.

    Je pense tout de même avoir eu le grand privilège de me sentir extrêmement protégé, en totale sécurité durant les dix premières années de ma vie. Les voyages en voiture constituaient de véritables îlots de bien être au pays des merveilles, rien ne pouvait m’arriver, je baignais dans un paradis ouaté. Lorsque nous rentrions des soirées hebdomadaires chez Jeannot et Marie à Villejuif, son cousin germain, papa me portait sur son épaule, endormi, et son odeur, le contact agréable avec le tissu de son manteau, sa chaleur rassurante, sa protection absolue me plongeaient dans un délicieux rêve de tranquillité, de bien être, de bonheur total.

    La présence de mon père m’a toujours énormément rassuré, apaisé, plus tard, lorsque les angoisses sont apparues, il me répétait sans cesse, « c’est nerveux ». Il se sentait impuissant et en même temps, il me calmait parson amour, sa proximité, son écoute.

    C’était merveilleux, tout simplement.

    Un peu plus tard, ce fut à mon tour de terriblement m’inquiéter pour lui, sa santé fragilisée, l’ombre du drame, planant au-dessus de nos têtes.

    Les dix premières années de notre vie sont capitales pour la suite de notre existence. Elles constituent nos fondations. Lesmiennes étaient solides et c’est pourquoi je m’en suis sorti. C’est grâce à cette base initiale bien plantée dans le sol que j’ai pu transmettre de belles valeurs à mes enfants et leur donner cet équilibre fondamental à leur bon développement futur. Ce qu’ils sont aujourd’hui le démontre pleinement.

    Car rien ne m’angoissait plus que de transmettre d’une manière ou d’une autre cette« gêne », ce handicap, ces terreurs qui vous paralysent totalement. Mais ils ont échappé à cette condition laborieuse, une forme de malédiction telle celle de l’alcoolique, condamné à lutter sans fin, contre cette épée de Damoclès planant au-dessus de notre tête.

    En période de doute, de difficulté, face à des situations difficiles à surmonter, des choix de vie délicats, le mal est là, terrible, qui guette, vous taraude, surgit sans prévenir, et peut vous abattre sans remords.

    En dépit de ce handicap, je n’ai jamais hésité à sortir de ma zone de confort, heureusement, car elle était très limitée, notamment sur le plan géographique. L’agoraphobe étant très mal à l’aise, voire très mal tout court, loin de chez lui, de ses bases proches, de ses repères et de ses habitudes !

    L’orgueil a toujours été un moteur pour moi, à la fois qualité et défaut, il m’a poussé à me dépasser et à lutter.

    Je me propose donc de « parcourir les rayonnages de ma bibliothèque intérieure », comme le dit si bien l’écrivainvoyageur Sylvain Tesson.

    Lu

    L’écriture a cela de magique qu’elle oblige à une authenticité. Les mots deviennent majestueux et imposants parfois cruels et insoutenables, car ils sont le miroir de l’âme.

    L’écriture met à distance de soi-même, et oblige à une introspection impudique de son être ».

    Comme dans le théâtre Nô, écrire sur les siens, c’est en quelque sorte rejouer ce qui a eu lieu, afin que les spectres puissent enfin trouver la paix », écrit Christophe Boltanski (Prix Fémina 2015 avec La Cache, « Le biographe passe un pacte avec le lecteur, par lequel il s’engage à tout dire ».

    Je ne suis pas pudique, j’ai peu à cacher, mais je ne dirai pas tout, d’abord et avant tout pour protéger mes enfants que j’aime par-dessus tout. Pour préserver mes proches, éviter de les blesser, de faire mal, mais y parviendrai-je ? Choquer n’a jamais été mon intention, je souhaite simplement me dépeindre tel que je suis et les évènements comme je les ai vécus, souvent avec difficulté puisque l’être très sensible, lucide, et plein d’empathie est rarement épargné.

    Le journaliste tient par ailleurs à tout prix à dire sa vérité, à s’approcher au plus près de ce soleil brûlant et parfois mortel, quitte quelquefois à se brûler les ailes.

    Pour s’en sortir dans la vie, les fautes doivent être reconnues de part et d’autre (Parole de psy à propos des rapports parents-enfants)

    « Il faut tout espérer, au risque d’être déçu. Il faut tout éprouver au risque d’être blessé, tout donner au risque d’être volé. Ce qui vaut la peine d’être vécu vous met forcément en danger. » - Gilles Legardinier

    « Je n’ai pas la nostalgie de mon enfance, mais j’ai le plaisir de m’en souvenir » (Agnès Varda, réalisatrice de la Nouvelle Vague)

    « Boris cyrulnik : « C’est dans la souffrance qu’on est contraint à la création »

    Moi, je ne « tourne pas les pages »… je n’oublie rien, je ne zappe rien, je ne renouvelle pas ma vie comme si rien n’avait existé. Elle est un fil continu que je tisse, je ne gomme personne, je suis faite de mes souvenirs, de mes amours, je suis un PATCHWORK vivant de moments de vie, je suis faite des autres… chacun m’a construite ou meurtrie… Je ne tourne pas les pages, je les écrisCharlotte Valandrey

    Alfortville, ma jeunesse

    Comment, en quelle année, mes grands-parents paternels, Garabed et Osannah sont-ils arrivés en France ? De quelle façon ont-ils survécu, fui le génocide des Arméniens perpétré en 1915 par Enver, Talat Pacha et sa clique de gangsters ? Je l’ignore encore à bientôt 60 ans. Ils sont décédés depuis longtemps.Anna avait 6 ans et Baboug 21 lorsqu’en 1915 le génocide des Arméniens a débuté.

    Je suis la troisième génération de ces survivants.

    Petit je ne parlais pas l’Arménien, et eux s’exprimaient difficilement en Français, surtout ma grand-mère. Je parlais peu avec eux, trop jeune, de toute façon, auraient-ils raconté leur épouvantable expérience ? J’en doute, à l’image des rescapés des camps nazis en 1945. Il fallait au moins une génération pour tenter d’oublier ces pans d’histoire innommables. Échappés du massacre, à quoi songeaient-ils ? À vivre tout simplement, à oublier, à construire une nouvelle vie, loin des atrocités, dans cet Eldorado que représentait la France. Il fut nécessaire d’attendre les années 80, pour voir la troisième génération se lever, et commencer à réclamer justice, à organiser des mouvements, une révolte, pour émettre le son des voix anéanties depuis l’horreur. Des copains du foot furent parmi les membres d’une jeunesse révoltée. Nous avions une vingtaine d’années, ils étaient politisés, convaincus de leur noble cause.

    Il a fallu que je revienne vivre avec ma mère, à près de 55 ans pour en apprendre plus. Pour découvrir des choses ignorées.

    Elle m’a confié ici et là des souvenirs, totalement « tabous » à l’époque de son secondmari Claude :

    "Lorsque je suis arrivé chez les grands-parents à la naissance de Béa en 1953, ils avaient déjà la télévision. Ton grand-père, Baboug, était un homme très intelligent, il était au fait des choses, à la pointe de ce qui sortait. Il m’a même acheté une machine à laver Laden pour nettoyer notre linge. Il fréquentait le hammam dans le 13e arrondissement. Il aimait beaucoup la vie, son regard bleu perçant était impressionnant mais il était très gentil, c’était un homme festif.

    « Son épouse soumise était plus sournoise », se souvient maman, « jojo ne s’entendait pas trop avec sa mère car il était le préféré de Baboug, elle défendait Nazare qui était l’aîné de la fratrie, moins vif d’esprit.Il préférait de beaucoup Jojo qu’il gâtait beaucoup, il faisait de la danse, de l’escrime, son père lui payait des tas de choses. Thérèse sa sœur était quelqu’un de très gentil également ».

    Traversian n’est pas notre vrai nom !Palouian peut-être.

    Le génocide a bouleversé tant de choses. Ma grand-mère s’appelait Anna Tchamachirdjian. Elle est née le 10 avril 1909 à Tokat.Mon grand-père ? Je l’ignore. On parle de changement de patronyme au passage d’une frontière. Qu’en est-il vraiment ? Le saura-t-on jamais ? De vieuxpapiers jaunis donnent quelques indications sur leurs lieux de naissance.

    Mon grand-père Garabedest né à Brousse en Asie Mineure le 17 juin 1894, il est le fils de Ohannès et de LoussinéHagopian.Ils se sont mariés à l’église arménienne rue Jean Goujon, le 3 août 1929.Ma grand-mère Osannah, dont j’ai donné le prénom à Julia, lisait dans le marc de café, comme toute bonne mamie arménienne. Un rituel amusant et tellement convivial. Une fois le café avalé, avec le marc resté au fond, on retourne la tasse. Des dessins apparaissent et votre destin…

    J’ai su depuis peu que de nombreux termes utilisés par Osannah étaient turcs et non arméniens. Aman par exemple qui signifie Mon Dieu, ou aïdé, qu’on traduit par allez, elle dit aussi très souvent Merasfaz, Merké, le pauvre, etc.

    De nombreuses expressions m’ont marqué à vie comme ‘quézi gue silem » », je l’écris phonétiquement, ne connaissant pas la langue, qui signifie « je t’aime »,‘’Inchou’, qui veut dire « pourquoi », ‘Inchspéssés ? », comment vas-tu, Tchoukali, le pot de chambre,valdic, la culotte, os égoul, viens ici, tékal, la cuillère. Osanah avait un regard doux et m’observant elle disait souvent ‘’Rélazié’, il est intelligent ou ‘’Keyfetsilem’, j’aime ton bien être, ton bonheur. Je pense qu’elle m’aimait bien, mais c’est Béa, arrivée quatre ans plus tôt, qui fut leur petite fille chérie, la plus proche d’eux. D’ailleurs, Béa parlait Arménien et partait en vacances en leur compagnie à La Ciotat.

    ‘’Opa, ‘des expressions qui expriment le bien être, ou qui lancent les moments de danse, la fête, chère aux Arméniens. Des tas d’autres qui me reviennent périodiquement quand je commence à songer à cette époque. Espèce de Kurde, qui correspond à une insulte, comme ’Pézévenk, très grossier, enc…, Amoté, honteux…

    Il y a‘’Uff’, le signe d’un ras le bol, d’une lassitude. « Pari égak », bienvenue, formule bénie de partage, de bienveillance et de bonheur. Symbole de fêtes, marque d’affection, d’hospitalité, notre maison vous est ouverte, venez partager avec nous ce moment d’humanité, de plaisir à boire, manger ensemble autour d’une table toujours bien garnie. C’est ça les Arméniens.

    Au foot à l’UJA, on emploie aussi pas mal de mots comme tseké (laisse), topeudourr (donne la balle), Kézié (c’est à toi), car à l’époque il était interdit de parler sur le terrain.

    Ma mère a vécu chez ces Arméniens à moins de 16 ans. « C’est ton grand-père qui achetait mes culottes ».

    En totale immersion dans cette famille orientale, elle a même appris la langue !

    Ce qui encore aujourd’hui sidère totalement les cousins de mon père. Elle servait à l’épicerie, mangeait Arménien, vivait Arménien.Baboug possédait une forte personnalité, il jouait du oud (la guitare bombée orientale), des yeux bleus perçants, le crâne chauve, il était tout simplement impressionnant. Mais il était d’une très grande gentillesse, extrêmement généreux. Mon père a hérité de cette qualité. Un passage de témoin tout naturel.

    Babougrecélait des dons relationnels, c’est grâce à cette qualité, qu’il a obtenu beaucoup de choses comme de planquer son fils(par le piston d’un client voisin Monsieur LeGuen militaire de métier), et du coup, le cousin Jeannot, au Ministère de la Marine place de la Concorde où ils ont effectué leur service militaire.

    Mon père partira en Algérie en 1955 (il sera chargé de caréner un bateau durant les évènements), il reste une année. Revenu en permission, il ne veut plus repartir au-delà de la Méditerranée. « On a eu toutes les peines du monde à l’expédier de nouveau là-bas », se souvient maman. Je serai conçu dès son retour !

    Origines…Arménie

    Et dire que comme chez tous les Arméniens, le destin était programmé pour notre père. Une épouse choisie, fille de bottier, mariage organisé, arrangé, entre enfants de la diaspora.

    Celui de notre mère l’était beaucoup moins. Fille de boucher, élevée dans un milieu modeste qui ne lui convenait pas, très tôt, elle fera tout pour s’échapper à sa condition, pour fuir un chemin trop mal tracé.

    Ayant vendu la boucherie à Vichy pour venir s’installer à Maisons-Alfort, le couple Bletteryallait exploser dans la banlieue parisienne. Si bien que ma grand-mère Marie-Antoinette, dont le cœur balançait entre un tripier-livreur et un cafetier voisin, et sa fille Michèle, s’installèrent dans un petit hôtel situé à quelques centaines de mètres de l’épicerie Traversian sur les bords de Marne… avenue Georges Clemenceau. Elle choisira Jean Lagneau l’Ardéchois.

    Michèle passant devant le commerce pour se rendre à l’école, elle ne tarda pas à croiser le beau Georges, qui ne laissait pas les jeunes filles indifférentes.Et bien que son cœur soit promis, il tomba lui aussi sous le charme de la jeune provinciale.

    Elle n’avait pas froid aux yeux, et enjambait le balcon de l’hôtel pour rejoindre son amoureux. « J’avais un sacré caractère », raconte maman, « je savais ce que je voulais et j’étais très déterminée. En cela,Julia ma petite fille me ressemble beaucoup, je me reconnais en elle. Il m’arrivait de rejoindre jojo et de ne pas rentrer de la nuit. Ma mère était folle. J’étais assez terrible ».

    Georges (Meguel) lui ayant avoué que seul un enfant pourrait contrecarrer le projet parental, la déterminée Michèle, tomba rapidement enceinte, au grand dam de la famille Traversian. Le destin bifurquait vers un autre horizon.

    Refusant d’avorter malgré la pression des parents, Michèle mit au monde à 16 ans, la petite Béatrice. Et tout ce petit monde vint habiter dans la maison du patriarche Baboug. « Votre papa dormait dans une chambre et moi dans le salon » se rappelle maman, « il n’était pas question que l’on dorme ensemble alors que j’étais enceinte ».

    Sous le regard courroucé de ma grand-mère, Osannah, maman apprit en quelques mois la langue arménienne.

    « On est allé se marier tous les deux à la mairie de Maisons-Alfort et l’après-midi, je travaillais comme si de rien n’était à l’épicerie ».

    Plus tard, le mariage à l’église d’Alfortville se fera en famille, puis une fête sera organisée au Moulin brûlé, sur les quais de la Marne pas loin de l’épicerie, en allant vers Charenton.Lorsque maman prendra la boutique à Alfortville, l’arrivée de la télévision, la mienne, ainsi que le travail ne leur permettront plus ce genre de sorties ludiques.

    Quatre ans plus tard, j’arrive au monde. Je n’ai que neuf mois lorsque les parents s’installent à Alfortville, dans un petit appartement au-dessus du magasin. Béa est déjà là depuis quatre ans. Elle a baigné dans l’Arménité, très proche des grands-parents à Maisons-Alfort

    Marie-Antoinette, ma grand-mère maternelle, fait la connaissance de Jean qui tient un café rue Marc Sangnier…là exactement où mon fils, Antoine, s’est acheté un appartement. Le destin emprunte des raccourcis étonnants, Il ne connaît absolument rien de toute cette histoire familiale et je la découvre moi-même sur le tard ! J’ai appris que mon grand-père maternelavait effectué son service militaire dans les chasseurs alpins à Briançon.

    Durant les années maisonnaises, entre1954 et 1957, papa et maman, vont chaque lundi soir au cinéma sur les grands boulevards au Grand Rex, toujours célèbre aujourd’hui, notamment pour sa splendide coupole. : « On voyait les comédies américaines, » se souvient maman, « les films avec Fred Astaire, les stars de l’époque ».

    Ma sœur née dans ce contexte dormait dans un cageot, quoi de plus normal chez des épiciers ! Au début des années 50,le confort n’était pas encore entré dans les maisons. Il n’allait pas tarder à s’installer. Pendant quatre ans, elle allait être l’unique enfant, la petite reine des grands-parents.

    En août 1957, je pointe le bout du nez, à la clinique Gaston Métivetde Saint-Maur, Béa était née là aussi, un établissement tout proche de la ligne dechemin de fer et de la mairie.Maman avait senti mon arrivée proche dans la queue du cinéma. « Nous avons regardé le film quasiment jusqu’à la fin », se souvient maman. « J’ai perdu les eaux au KremlinBicêtre chez les cousins, nous allions toujours au cinéma avec eux le lundi et nous dînions chez eux ensuite. Nous avons foncé à la clinique, papa est allé chercher des affaires ensuite ».

    Je suis né vers 19 heures. Jeannot et Robert, les cousins étaient là, évidemment.L’Arménie a été très présente dans ma petite enfance. D’abord parce que mes quatorze premières années, je les ai passés à Alfortville première grande terre d’accueil des réfugiés après Marseille puis Lyon.En quelque sorte, la « sous-préfecture » de la diaspora hay exilée en France.

    Lire le bottin de la commune dans les années 80, c’était comme chercher dans les listes de nom, un patronyme ne finissant pas par ian, signe distinctif de notre communauté, comme le sont les ic pour les Yougoslaves, les ov pour les Russes, ou les i pour les Italiens !

    Nous ne fréquentions que la famille arménienne ou presque. Hormis les parents de maman, nous passions nos week-ends et même des soirées en semaine avec la sœur de mon père Thérèse, son mari Jacques, et leur fils Guy mon cousin germain, dans leur ville d’Argenteuil.

    Avec les deux cousins germains de mon père, Robert et Jeannot, à Villejuif, leurs parents, des cousins de l’Hay les Roses, etc.

    Des dimanches de fête, souvent à Argenteuil où mon oncle Jacquot (le mari de ma tante Thérèse) possédait un grand magasin de peinture, papiers peints. Dans l’appartement juste au-dessus situé sur l’artère principale de la commune, où l’on dégustait la cuisine arménienne, où l’on dansait. Ma sœur se débrouillait bien sur les rythmes orientaux, elle jouait gracieusement avec ses mains, et Jacques, en bon oriental, lui glissait des billets un peu partout.

    Mais comme à la maison, on ne parlait pas Arménien, je n’ai jamais réussi à suivre les conversations, à réellement entrer en communication avec mes grands-parents paternels et je le regrette aujourd’hui !J’ai toujours conservé cette oreille qui me permet de reconnaître un Arménien, et quelques mots au passage.Alfortville, c’est toute ma jeunesse et tout naturellement mes premiers émois de garçon.

    Tout aurait-il commencé avec Ida ? Notre petite voisine arménienne, dont le grand-père tenait la cordonnerie juste en face de la boutique de maman à Alfortville ?Nos parents respectifs voulaient nous marier dès notre plus jeune âge, enfin j’imagine qu’il s’agissait de sa mère à elle, Marie-Claire. En fait, chez les Arméniens, les marieuses et les mariages « arrangés » ont longtemps fait partie de la culture. Aujourd’hui encore, alors que je viens de fêter mes 55 ans, ma grande cousine, Marie, me cherche toujours une fiancée dans le cercle de la communauté arménienne.

    Nous avions cinq ou six ans, et nous jouions souvent au docteur…jusque dans le local à poubelles situé dans la courette du magasin. J’ai encore les odeurs qui me tournent la tête. Une cabane au plafond très bas, plongée dans le noir, remplie de poubelles rondes en plastique de l’époque. On aimait s’y cacher, s’y toucher, se sentir surtout. Je conserve en mémoire son odeur de lait, sa peau très douce, son petit corps.

    Nous étions toujours ensemble, dans la grande maison située dans la rue d’à côté, la rue Roger Giraudit. Ils avaient un grand jardin, avec des allées, des fleurs, une balançoire au bout. Ils travaillaient dans le sous-sol, comme la plupart des ateliers de confection des parents de mes petits copains arméniens dont les aînés tiraient l’aiguille.

    Mon pote Garo avec lequel j’étais en classe de CM1 à Étienne Dolet, jusqu’en 6e au collège Montaigne, vivait la plupart du temps dans ce sous-sol avec sa mère. Nous y goûtions, et d’ailleurs leur cuisine était installée là, tandis que l’entreprise de boutons du papa se trouvait au premier étage.

    Avec Garo, nous passions notre temps à jouer au foot dans sa cour, juste devant sa maison, sur la rue.

    Curieusement, alors qu’il n’avait pas un grand talent footballistique, son excellent physique de marathonien, son mètre quatre-vingts, son caractère accrocheur et son sérieux lui ont permis de joueur en équipe première du club de l’UJA, Union de la Jeunesse Arménienne, mais ce sera dans le chapitre foot.

    Revenons à mes premiers émois, à mon attirance pour les femmes…

    Le sexe féminin m’attira très tôt, ce mystère m’était apparu déjà très clairement dans les petites classes et je me souviens très bien d’une maîtresse ravissante qui stimulait violemment mes fantasmes de petit garçon. Je cherchais à voir ses jolies jambes, ses cuisses, j’essayais d’apercevoir son intimité, sa petite culotte et j’y parvins un jour où je rampais sous les tables. Une vision fabuleuse, son petit slip blanc rentrait dans la raie de ses fesses, c’était indescriptible tant j’étais excité et fasciné.

    Quelques années plus tard, les camarades de classe de Béa vont encore plus stimuler mon imaginaire et activer ma « libido » naissante.

    Mon « idylle » avec Ida s’acheva brutalement le jour où son grand-père nous surprit dans une chambre de leur grande maison. Nous devions être un peu déshabillés et sûrement proches l’un de l’autre ; Si bien que le papy s’emparant d’une épée en plastique, un jouet, me frappa allègrement l’arrière-train et les mollets.

    Alfortville, c’est le temps de l’enfance, des jeux. Le foot dans la rue devant la boutique. Béa qui me tire avec une ficelle, je suis assis sur mon nounours….Je me transforme en cow-boy et je tombe touché par une bastos. Je fais le mort allongé sur le trottoir, ma mère sort du magasin,affolée. J’adore les soldats, je dirige de grandes batailles.

    On s’amuse bien à cet âge-là !Les voitures sont si rares dans la rue, que l’on a le temps de tirer dans les buts entre deux passages de véhicule.

    L’époque des pionniers de la télé noir et blanc, de l’unique chaîne de télévision, des feuilletons inoubliables comme Zorro, dont je connais encore à 59 ans la chanson générique par cœur, Thierry la Fronde, les émissions devenues culte comme 5 colonnes à la Une de Pierre, Lazareff, Desgraups, Dumayet, Igor Barrère, Sport dimanche de Raymond Marcillac, Roger Couderc, la voix du rugby et son chantre pour l’éternité. Les inoubliables Léon Zitrone, Pierre Tchernia encore présent sur les plateaux aujourd’hui, le dernier des dinosaures.

    Le dimanche, nous sortons peu, c’est la télé, et des films d’action qui déchaînent ma passion. Je saute sur les fauteuils, je suis le héros de l’Ouest américain face aux méchants Indiens, car dans les années 60, et jusqu’à « Little big man » le premier film pro indien avec Dustin Hoffmann, les peaux rouges sont les très méchants. Amateurs de scalps, violeurs de femmes, cruels, sanguinaires, sauvages, leurs cris suscitent d’emblée l’effroi, l’angoisse, que seul le clairon de la cavalerie arrivant au triple galop est en mesure d’apaiser !

    Le bon temps. Simple : Les gentils, les méchants, le héros qui gagne à la fin.

    Floriane, Danielle, Noëlle,les copines de ma sœur, seront autant de « jouets » avec lesquels je vais découvrir le désir, le plaisir, la subtilité des rapports hommes-femmes…

    J’adore pardessus tout attacher Danielle au radiateur brûlant de la chambre de mes parents à Alfortville !!Je la maltraite, je la saucissonne, la ficelle, la pince,et cette tendance au sadisme aurait peut-être pu mener aux plus odieuses perversités. Par chance, je n’ai jamais ressenti par la suite dans ma vie, le besoin d’exercer ce genre de sévices sur mes compagnes. Ouf !

    Mais peut-être que Danielle aimait ces rapports de son côté, je n’y avais pas songé avant d’écrire ces lignes. Est-elle devenue une adepte du sado-masochisme ?Une chose est sûre, elle aimait venir nous voir et se prêtait volontiers à nos joyeux chahuts.

    La jolie Floriane déclenche des pulsions tout autres chez moi. Elle aime susciter le désir des hommes, attirer leurs regards, elle aime séduire et sans doute provoquer. Ses mini jupes exercent sur moi une grande fascination. Ses jolies jambes aimantent mon regard lorsqu’allongés sur mon lit avec Béa, nous regardons la télévision.

    Noëlle vient chez mes grands-parents arméniens à Maisons-Alfort, elle aussi exalte mes sens. J’imagine qu’elle était ma fiancée, je rêve d’elle.Ma toute première fiancée, je l’ai connue lorsque j’avais 14 ans, elle s’appelle Françoise, brune avec des cheveux longs, très ronde et particulièrement gentille. Elle habite Maisons-Alfort, le long des quais de la Marne, je dois être en troisième ou en quatrième.

    Le premier baiser avec la langue que nous échangeâmes me marqua profondément tant il était délicieux, agréable, doux, il me transporta dans un univers d’ouate et de coton indéfinissable.

    Je suisau paradis, heureux, mon visage est devenu brûlant, mes joues écarlates, quel bonheur.Elle possède un très beau visage, de longs cheveux noirs, une forte poitrine et je me plonge avec ravissement dans cette généreuse offrande.Je ne me souviens pas de son corps nu, je crois que nous sommes restés habillés.

    Le foot, les copains

    J’ai donc vécu, comme je l’ai dit plus haut, les belles années de ma jeunesse dans ce qui a été longtemps la ville la plus arménienne de France. Au 141 de la rue Paul-Vaillant Couturier, l’entrée de l’immeuble n’a absolument pas changé en 2017 !Je me souviens bien du téléphone noir en bakélit accroché au mur dans le magasin, juste avant la porte en verre qui donne sur la cuisine, pièce à vivre, où nous passons l’essentiel du temps, et même le numéro, Entrepôt 79-46 !

    Baboug dit un jour à maman qui désirait acheter un logement, « avec un appartement, tu ne pourras pas acheter un magasin, mais avec un magasin, tu vas pouvoir acheter un appartement »…Un pragmatisme typiquement arménien, des gens travailleurs et souvent intelligents.

    Il a lui-même une épicerie à Maisons-Alfort où bien plus tard, papa nous installera dans un pavillon superbement rénové.Avec le million d’anciens francs mis de côté grâce au travail de papa comme vendeur de voitures, pendant que maman travaille à l’épicerie, et une aide de baboug,maman va donc ouvrir son bouclard comme on disait à l’époque avenue Paul-Vaillant Couturier à Alfortville. Pendant que papa vend des voitures chez le concessionnaire Citroën Piguet avenue d’Italie, maman va mettre du beurre dans les épinards avec son commerce de peinture, papier peint, revêtement de sol.

    Le réseau arménien fonctionne,

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