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Eros Agora: Roman
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Livre électronique240 pages4 heures

Eros Agora: Roman

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À propos de ce livre électronique

Joss est au fond du trou, noyé dans la dépression et dans les regrets, lorsque des nouvelles rencontres le feront vivre à nouveau, mais à quel prix...

Comment un type banal, la quarantaine, sombrant entre dépression et regrets, peut vivre des situations extraordinaires ?!?
Il a suffi à Joss de quelques rencontres providentielles pour que sa vie s’emballe à nouveau, et le porte vers des chemins improbables…
De Samantha en passant par son ex-femme ou Djamila, tout en côtoyant Paul, Jipé, ou Gérard, Joss va se redécouvrir et en cela prendre en main sa destinée… À moins que ce soit elle qui le guide malgré lui ?!?
La limite entre courage et folie est parfois mince, mais c’est bien la mise en danger qui fait que la vie vaut d’être vécue…
Joss en saura quelque chose, lui qui passera d’une attitude moribonde sur son « futon pourri », à des prises de risques inévitables…
Du bitume parisien aux décors marocains, sera-t-il à la hauteur des nouveaux défis qui le bousculent ?!?

Jean-François Rousseau nous présente la vie de Joss, homme d'une quarantaine d'années, qui sort de dépression pour se lancer dans d'incroyables aventures, guidé par sa destinée, son courage voire sa folie...

EXTRAIT

Je me suis retrouvé dans ce salon de coiffure, j’ai transpiré comme jamais, j’ai repris goût à la diction des mots, j’ai retrouvé la saveur de les distiller et non plus de les regarder, je les ai heurtés à nouveau après les avoir cachés, ils se sont à nouveau bousculés dans ma bouche après avoir été malaxés si souvent sous mes doigts. J’ai le sentiment, aujourd’hui, que mon métabolisme s’est remis à niveau. Je respire à nouveau normalement, le poids de la culpabilité s’élimine peu à peu pour laisser place à de la compassion. M’accepter tel que je suis, sans me juger trop gravement, ça sert à rien d’ailleurs d’être trop dur avec moi-même, les faits ont parlé, les constats ont dicté leur vérité, à moi de vivre avec maintenant, de cohabiter avec mes excès.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Né en 1969, Jean-François Rousseau travaille dans le domaine des assurances. C’est à travers la musique, au sortir de l’adolescence que lui est venue cette magie de la poésie, des vers, et des mots…
L’éclectisme est son choix… C’est dans cet exotisme que s’est construite sa passion des mots…
LangueFrançais
Date de sortie8 nov. 2019
ISBN9791037700384
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    Aperçu du livre

    Eros Agora - Jean-François Rousseau

    Jean-François Rousseau

    Eros Agora

    Roman

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    © Lys Bleu Éditions – Jean-François Rousseau

    ISBN : 979-10-377-0038-4

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants causes, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    La pluie repousse les rêves, je regarde tomber ces gouttes sans fin, sans espoir, sans chemin, sans but précis si ce n’est de s’écraser comme moi, triste similitude, lucide constat. À quarante-huit balais, il me reste l’insomnie, la pluie, et la nuit. C’est le moment où je ressens un semblant de calme, où je peux redevenir ce looser alcoolique et obsédé sans honte ni remords. Je m’affronte devant ces éléments qui n’ont rien à m’envier. Cet espoir de fin du monde me réconcilie avec moi-même, avec ce que je suis devenu par la force des choses, surtout par la force de ma libidineuse conviction. À travers cette boueuse clarté, j’aperçois mon visage défait, lice de n’être qu’une merde, sans relief ni contour, juste une infirmité sans forme ni fierté.

    Sale période ! Je me dis. Spéciale, spatiale même tant elle est incontrôlée, bordélique, sans but ni dénouement, sans valeur réelle, formelle, officielle. C’est juste un marasme de l’âme, un ouragan psychologique, un tourbillon des sentiments, un tsunami émotionnel, l’idée fixe d’être un moins que rien, un laid perdant, une loque affreuse. J’ai depuis plusieurs mois cette incapacité à passer à autre chose, à positiver la moindre seconde. À vouloir respirer le meilleur, j’ai soufflé le pire, et c’est bien fait pour ma gueule. Comment une fille d’à peine vingt-quatre ans peut s’enticher d’un vioc du double de son âge, si ce n’est pour lui pomper un max de blé et en profiter plein gaz avant de le laisser sur le bas-côté de la route ?! Et dire que pour cette pétasse, j’ai laissé ma femme et mes enfants. Pas la peine de préciser qu’ils ne veulent plus entendre parler de moi par les temps qui courent, j’ai bien essayé, mais en vain. J’ai plaidé comme j’ai pu devant eux le démon de midi, le côté fulgurant des corps et non attirant des cœurs, mais rien n’y a fait.

    J’ai tout essayé, même rampé comme une couleuvre soumise, pas une once de compassion ni de pardon. Je les comprends, je ne mérite pas de repentance, ils me le rendent au centuple et je le vaux amplement. Qui mériterait qu’on le relève alors qu’il a laissé les siens K.O debout ?! Personne ! Et certainement pas moi. Le pire, c’est que si j’arrivais à me dire qu’ils ont leur revanche ça voudrait dire que je compte encore un peu pour eux, mais c’est bien plus grave que ça. C’est de l’indifférence, du mépris à mon égard, pas un brin de jubilation devant mon malheur, juste aucune réaction, les portes sont restées closes comme les portables décrochés. Le coup le plus dur à encaisser fut le jugement du divorce il y a environ six mois, l’ironie du sort a voulu que ce soit au moment où ma pétasse s’est barrée !!

    Ça fait plus de deux ans maintenant qu’ils m’ont soustrait à leur vie, période faste s’il en est pour moi, l’abruti que je suis fondant de faux espoirs auprès de ma pétasse au point d’acheter un appart, et de dilapider mon plan d’épargne entreprise comme un gros looser que je suis. Que d’épreuves depuis, mais c’est le divorce qui fut vraiment le coup de grâce, l’arrêt de mort, l’arrêt de tout espoir, juste l’abîme devant moi, ça m’a laissé sur le carreau. Les seuls à m’avoir soutenu jusqu’alors sont les litres de gin. Trop lâche pour en finir dignement, il faut que la déchéance s’en mêle et m’aide à finir la distance.

    Je sais pertinemment que tout le monde pense que j’ai ce que je mérite, et que je suis pitoyable de minauder sur mon sort, mais c’est juste que je pense sincèrement tout ce qui m’arrive, que j’ai l’intime conviction que je ne m’ouvre qu’à l’improbable, à l’impalpable, à l’incapable. Je ne suis flexible que pour le désordre et le désarroi affectif, et c’est bien la nuit que je me sens le plus à ma place, c’est le seul moment où je peux m’accepter. Comme un vampire, le jour m’effraie, je le fuis comme la peste, et cette fuite est une manière de m’éviter, de ne pas avoir à me regarder dans une glace. Le répit que m’octroient l’obscurité et l’alcool m’aide à me sortir de moi-même, à m’enfouir hors de moi pour m’épanouir la gueule dans les chiots et l’estomac exsangue de ne manger que des glaçons.

    Quelquefois, j’alterne le menu, et j’avoue que savourer des mots est aussi un bon moyen de m’oublier. Je lis jusqu’à m’abrutir et j’écris jusqu’à m’épuiser. Au petit matin, ivre de rasades métaphoriques, je m’affale sur le futon défraîchi que j’ai victorieusement échangé aux puces contre un canapé hi Tech en cuir que j’avais acheté grâce à ma pétasse, au temps de ma splendeur. Putain, s’il y avait eu que le canapé ! Le seul truc que je n’ai pas cramé de cette période de ma vie est le frigo dernier cri qui fabrique de la glace pilée, bien utile pour mes gin-fizz nocturnes.

    J’ai troqué ou flambé tout le reste, ça fait un bien fou d’ailleurs de voir ses souvenirs merdiques partir en fumée, tiens, peut-être une idée si je veux en finir avec ma ganache pathétique. J’ai tout viré, car je ne voulais plus que Mme la pétasse hante mon appart, car bien sûr c’est mon appart, comme c’était mes meubles, mon fric. Le seul truc qu’elle possédait, c’était son cul, magnifique d’ailleurs ! Qu’elle maniait avec une dextérité certaine et redoutable, une dextérité à faire perdre les pédales à tout bon mari et bon père de famille.

    Je vis aujourd’hui avec l’anxiété de n’être que moi-même, véritablement imparfait, bancal, banal, atrophié de cette expérience qui a détruit ma vie. Il est dur de se dire que tout à coup on ne contrôle plus rien, on n’est plus sûr de rien, on perd toute confiance en soi. Tout ce que l’on a mis des années à construire, la manière dont on a façonné son image à coup d’expériences instructives, son être profond que l’on a bâti à force d’abnégation et de patience, tout se dissout dans le doute, encouragé par l’infamie et le dégoût de soi. Tout ce dont j’étais si fier, mon charisme, ma gouaille, mon élan, mon envergure séductrice, tout ce qui me définissait comme l’élu dans le cœur de mon ex-femme, tout a disparu ! Le dandy que j’étais, chargé de formation d’une des banques les plus renommées, qui électrisait son assistance, maîtrisant son show parfaitement, galvanisé par le simple fait de se retrouver en salle. L’égo gonflé à l’hélium s’est rapidement rétamé comme un vulgaire ballon de baudruche.

    Il fallait me voir à l’époque, distillant de précieux conseils à tous ces débutants friands d’anecdotes et de savoirs, surtout les débutantes ! J’étais devenu le Casanova des stagiaires excitées, le charmeur des galbes épilés, l’agitateur de tout ce qui porte jupes ou talons, l’explorateur des grandes, des petites, des brunes, des blondes, des maigres, des grosses, des maquillées peu ou prou, des sophistiquées plutôt ou pas, des effarouchées vierges ou presque, des expérimentées gourmandes ou rassasiées, enfin, tout ce qui représentait la gent féminine dans son extraordinaire généralité me stimulait ! Le pire, c’est que je n’avais aucune envie de les faire succomber, le seul but était de jouer un peu, la séduction comme un platonisme de situation assez poussé pour que mon égo s’en nourrisse, et retourne bien sagement dans ses draps mariés le soir venu.

    Un mec quoi, fier et fort de ne tromper que les icônes qu’il couche sur le papier, un mec qui prend soin de plaire pour une satisfaction purement esthétique, égocentrique, égoïste, mais toujours inoffensive. Un mec fier de voir dans les yeux de sa femme tout l’amour qu’elle lui témoigne à travers son magnétisme. Fier de voir qu’elle n’en jalouse aucune, car sûre de sa fidélité au fond, il joue avec toutes, mais c’est avec elle qu’il vit.

    La confiance que ma femme me témoignait fut à la hauteur de sa rancœur et de son dédain sitôt l’accroc, le coup de canif que j’ai planté dans notre contrat nuptial. Le plus dur, ce qui m’a vraiment achevé, est de ne plus compter aux yeux de celle qui m’a toujours idolâtré. De voir l’amour se tarir à la source de ses sentiments, de voir qu’il n’y a plus de flamme, de magie, d’attirance, que du dédain, du mépris, du dépit. Le coup de grâce est de ne plus se sentir désiré, et de fait ne plus désirer.

    Toute ma carrière professionnelle s’est traduite à travers ses encouragements. D’aspect timide au départ, j’étais un apprenti sorcier qui tâtonnait et essayait de trouver sa place devant un auditoire, je suis devenu ensuite un charmant expert, domptant l’espace, dominant le ton, contrôlant l’emphase, captivant l’attention. Tout ça a bien entendu fini par se payer, à force d’en voir défiler sous mon nez, de jouer avec le feu, je me suis brûlé au cul de cette pétasse qui m’a cramé à petit feu pour ensuite m’immoler à grosses flammes, billet première classe direction l’enfer que je vis aujourd’hui.

    J’ai l’impression à ce stade que je suis devenu un autre, aussi déliquescent et transparent maintenant, que brillant et incontournable avant. Je ne désire plus, je ne supporte même plus mon ombre, je succombe petit à petit, me dégrade, me désintègre. Au début, on ne comprend pas trop et on perd confiance peu à peu, pour perdre carrément son boulot au final. Alors on descend, on tente de s’oublier tellement on s’exècre, et on attend de tomber lentement, mais sûrement.

    J’ai l’impression que mon existence est un labyrinthe inextricable où chaque issue n’est qu’un leurre, où chaque direction que j’emprunte m’égare un peu plus. J’ai même menti à mes parents, leur laissant croire que tout aller bien ! C’était toujours une torture de rester devant ma mère, le winner que je représentais à ses yeux. Et que dire de mon père, sans cesse à m’ériger en exemple à suivre. Quel bel exemple tient, même pas capable de dire à ses parents que je suis une merde, trouvant des excuses pour éviter de les voir, pour ne plus les voir carrément depuis le divorce et le départ de la pétasse. Solitaire, misérable, et lâche, incapable de tout leur avouer, c’est vers mes enfants qu’ils ont trouvé la vérité. Au moins, ça me permet maintenant de ne plus leur mentir et du coup, ne plus avoir véritablement de contact avec eux, tellement j’ai honte.

    Être seul est mon salut, mis à part la visite d’une seule personne que j’accepte et qui m’aide un tant soit peu à garder le cap. Une âme charitable qui m’alite de ces tuyaux affectueux, j’ai nommé la fabuleuse et non moins truculente Mme Da Cerva, la concierge de mon immeuble, qui, de bonne grâce, vient de temps en temps remettre de l’ordre dans mon taudis. C’est le cerbère lusitanien qui me sépare du gouffre, qui stigmatise, cristallise, et immobilise par de petits plats salutaires, la cirrhose que je me construis prudemment.

    Elle a été le témoin privilégié de ma déchéance, de mon installation enthousiaste avec la pétasse à notre séparation pathétique, elle a toujours été là. Du premier jour où j’étais fier comme un Roméo pléthorique, jusqu’au moment où j’ai glissé vers l’aversion de moi-même. Pour boucler ses fins de mois, elle fait le ménage et le repassage pour les proprios et tout naturellement pour nous, vu que ma pétasse n’en était pas au point de s’abîmer les ongles avec une serpillière. Comme une mère, elle est restée préoccupée par mon sort, une sorte de connivence filiale s’est instaurée entre nous à partir du moment où elle venait, et vient toujours, deux fois par semaine.

    Toujours présente, plus encore depuis que je suis reclus où plus rien ne me raccroche à la réalité, elle continue le ménage, mais, en plus, s’improvise cuisinière à domicile quand elle vient, ce qui me change des pizzas surgelées. C’est la seule personne que je vois, que je supporte. C’est réconfortant de voir que je peux me raccrocher à ses branches maternelles, si minces et usées soient-elles.

    En attendant, j’ai besoin de dérouiller, la souffrance comme un expiatoire, le purgatoire comme l’ultime villégiature qui m’héberge, qui m’aide à y voir clair avec moi-même. Je reste dans cette prison que je me suis façonnée, geôlier intime et sadique, condamné à ma propre sentence, accusé suicidaire. Je me fortifie de ces barreaux pénitentiaires pour mieux m’ensevelir, remparts punitifs nécessaires devant le lynchage collectif, cellule carcérale qui me laisse à ma répugnante personne, seul avec mes tourments que j’ai essayé d’analyser au début.

    J’ai juste eu le temps de m’apercevoir que sous mes airs d’athéiste revendiqué, j’applique le bon vieux schéma ecclésiastique qui consiste à expier ses fautes à travers l’auto-flagellation de circonstance, moi et mes convictions purement judéo-chrétiennes ! Comme quoi le diable ne m’a pas encore tout pris. Enfin, triturer mes émois dans tous les sens ne m’a pas aidé à grand-chose. Aujourd’hui, je reste fataliste devant le poids écrasant qui m’assaille, je ne réfléchis plus, je laisse le temps faire le reste. Cette affliction, que je m’octroie, me permet de continuer à vivre avec ma carcasse ambulante, avec le fardeau apocalyptique de mon âme en feu qui déverse sa lave à coups de mots repentis d’être à ce point salvateurs et libérateurs.

    Oui, dans le bouillonnement de mon être il n’y a qu’une issue réparatrice, l’écriture. Elle me permet de convertir la peine en chagrin, de sublimer l’amour en mélancolie, d’excommunier la souffrance en tristesse, d’exorciser les blessures en cicatrices. Les métaphores choquent le soupçonnable, le coupable, l’irrévocable, et tout ceci enfante une dose nébuleuse de supportable, d’acceptable, de soutenable. Les mots pour aseptiser l’insupportable, l’alcool pour cautériser les plaies. Vivre avec en repoussant l’atrophie des conséquences, toutes les phrases comme des barricades à ma mémoire accusatrice, et le gin comme un voile opaque sur les images stigmatisant mes fautes.

    Qu’ils soient lus ou écrits, les paragraphes sont indissociables, inséparables, d’une résonance sans fin, d’une complémentarité indéfectible. Il faut que je m’abreuve de syllabes pour ensuite les distiller, les faire miennes, qu’elles me soient proches avant qu’elles me soient propres. J’ai toujours eu cette attirance pour l’écriture, mais là, j’avoue que c’est mon salut, le seul aspect de moi qui me mérite encore, le moment génial où justement je sors de mon être pour rentrer dans leurs âmes.

    Je deviens le récit, les personnages parlent et agissent à mon corps défendant, à mon insu, ils manient le stylo à leurs guises, et s’inventent eux-mêmes pour mon plus grand plaisir. Que de mots étalés, de feuilles éparpillées, pas le temps de ranger, d’agencer, non, écrire encore et toujours ! Des nuits entières à dévorer des lignes ou en fabriquer, à les disséquer ou les créer. Mes livres et mes écrits, voilà tout ce qui me reste et me rattache encore à la vie, c’est le seul lien entre l’avant et l’après, et je sais pertinemment que si je dois être sauvé, ce sera par les armes métaphoriques et les remparts syntaxiques qui m’auront protégé et épargné. Le tout distillé par l’alcool qui m’aide à digérer le peu qui me reste encore en travers de la gorge. Je m’oublie à travers les mots qui amenuisent les souvenirs, et je me noie à travers le gin qui dévaste les cauchemars, bref, mes deux afflictions m’aident à vivre avec le coupable, à le repousser juste pour ne pas le renier, à l’accepter juste pour continuer à respirer un tant soit peu, vivre en se laissant souffrir, et mourir en se laissant ressusciter.

    ****

    Le jour se pointe vers les six heures. C’est le moment où je m’écroule, ivre de mélanges chimériques. Le réveil comme tous les jours dans l’après-midi, un supplice où je fonce aux chiottes, l’estomac complice, mais plus qu’irrité, le foie conciliant, mais plus qu’abusé. La sonnette de l’entrée me pousse à me sortir la gueule d’entre la cuvette. La mère Da Cerva certainement, j’ouvre désabusé, la mine déconfite, torse nu et le pantalon en vrac. Je tombe alors non pas sur la mère, mais sur la fille Da Cerva !!?? Samantha, une minette d’une vingtaine d’années à peine, m’expliquant avec toute l’aisance et le sans-gêne qu’elle dégage, qu’elle remplace sa mère pour les ménages, elle en a de plus en plus, elle la soulage en partie, ce qui lui permet en même temps de gagner son argent de poche en bossant à domicile sans plus être obligée de payer ses études en s’échinant dans les cuisines d’un fast-food.

    Elle reste surprise comme amusée de me surprendre à moitié à poils ! Non pas que le spectacle soit digne d’un chippendales affûté, au contraire, ça fait des lustres que je n’ai pas fait la moindre seconde de sport. Du temps de ma splendeur passée, je me devais de donner le change, vingt années d’écarts avec ma pétasse, il fallait bien que mon corps réponde à ses critères de jeune vieux beau. Deux soirées par semaine de suées intensives dans une salle de gym hyper tendance, où le stretching se mesurait au cardio-training, autant dire que j’avais séché quelque peu ma bouée abdominale digne d’un quarantenaire bien dans sa peau simplement préoccupé de ne pas finir bedonnant, et surtout préoccupé de donner le change, de diminuer autant que faire se peut l’écart d’âge, dérisoire quand j’y repense.

    Encore un peu, et elle m’aurait traîné chez un chirurgien esthétique pour me cisailler le visage, j’aurai alors fini la gueule lisse et sans plus aucune expression comme tous ces adeptes en mal de jeunesse ! Après mon régime monastique gin-pizzas, j’ai récupéré un corps digne de mes quarante-huit balais, plus cachalot naissant que baleine accomplie, un corps qui a vécu, bon gré, mal gré, et puis je m’en fous. Aujourd’hui, le paraître est bien le dernier de mes soucis, comme son regard d’ailleurs, qui semble s’attarder sur mes tatouages, lubie entamée avec mon ex-femme comme un signe commun, une envie partagée, le premier comme l’ultime.

    C’était sans compter sur la fougue de ma pétasse qui s’est empressée d’en rajouter une poignée. Le haut des deux bras peints, vestiges du jeune vieux beau, me rappellent sans cesse au bon souvenir de ma conne comme l’humiliation suprême, indélébile autant que débile, grotesque aujourd’hui autant que grandiloquent hier. J’ai compris à quel point je me suis renié, je crois qu’il n’y a pas pire que de vouloir camoufler son âge, maquiller la vérité. J’ai gagné ça aujourd’hui, je fais sans problème ma quarantaine bien trempée, les tempes grises sondant des cheveux longs parsemés de blond d’être à ce point hirsute, la gueule ravagée de cernes que le chagrin a creusés comme des sillons, fagoté comme un clochard dépravé, je suis défait, mais tellement en phase avec celui que je suis réellement. Elle rentre sans y être invitée, s’avance d’elle-même vers la cuisine avec quelques compliments du style.

    Sympa les tatoos ! Surtout le tour de bras ! J’arrête pas de tanner mon copain pour qu’il s’en fasse un, mais ce n’est pas son truc ! C’est où les produits d’entretien ? Waouh, je suis plus habitué à tant de vie d’un coup, ça va trop vite pour moi, d’autant qu’elle enchaîne d’un sujet sur l’autre. Je reste quelque peu interdit, elle n’a pas froid aux yeux je me dis, elle est simple et directe comme sa jeunesse le lui impose, elle me fixe étonnée de me trouver sans réaction. Je me reprends pour lui indiquer le placard à balais. Son regard s’attarde à nouveau sur mon torse avant qu’elle ne s’affaire courbée sur les produits d’entretien. Son jogging taille basse se détend alors quelque peu, juste le temps que je remarque à mon tour le large tribal qui orne ses hanches.

    Pas mal le tien aussi ! Fis-je en désignant d’un geste son tatouage. Ça m’est venu comme ça, machinalement, mes yeux suivant ses fesses s’agenouillant devant les détergents. Je me détourne impassible, un bien amusé de l’acuité toujours improbable de mon regard. Mais, ça ne la gêne pas le moins du monde au contraire, elle me jette un petit regard rieur et satisfait, pas mécontente de constater que ses courbes de post- adolescente peuvent attirer un vieux briscard comme moi.

    Je préfère me

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