Fréquentations terrestres

Par Charlotte Munich

Paris, le soir d'Halloween. 

 

En sortant de son entretien annuel avec le Grand Saint Pierre, l'ange Doriane est désabusée. Elle vient de se fracasser une fois de plus contre le plafond de verre et en plus, son épée de feu est toute déchargée. Elle a déjà deux mojitos dans le nez quand un démon vient s'asseoir à côté d'elle au bar… 

 

Un conte mystico-rebelle avec des alliés improbables, une révélation éblouissante et une voie hiérarchique calamiteuse. 

• Langue: Français
• Éditeur: Charlotte Munich
• Date de sortie: 28 oct. 2022
• ISBN: 9782493641076

Aperçu du livre

1

En temps normal, j’évite d’être dehors sur terre la nuit du 31 octobre. Ça me rappelle trop de souvenirs, bons et mauvais, que je ne suis plus équipée pour gérer depuis cinquante ans que je fais partie des équipes du Bon Truc Là-Haut.

Mon psy dit que j’ai du mal à appréhender les contours flous et les règles du jeu pas claires, qu’il me manque une boussole émotionnelle pour gérer les entre-deux. D’après lui, c’est normal que cette fête me mette aussi mal à l’aise, parce qu’elle brouille les codes et les frontières entre les mondes.

Mon psy pense aussi qu’il peut me localiser sur le spectre autistique et il se goure complètement, mais bien sûr je ne fais rien pour l’éclairer sur mon cas, à cause du secret professionnel. Ça me fait du bien de parler mais c’est vrai que parfois j’aimerais bien pouvoir être vraiment honnête avec quelqu’un. Le problème c’est que ce serait une faute lourde, et que le Bon Truc Là-Haut et ses N-1 n’y vont pas toujours avec le dos de la cuiller quand ils gèrent les erreurs du staff. Et j’aime bien mes ailes, j’ai envie de les garder.

Bref ; je ne suis pas fan d’Halloween, Samhain, Samonios, Dia de Los Muertes, etc., mais ce soir j’ai vraiment besoin de me bourrer la gueule à Paris.

Je sors de mon évaluation annuelle avec le Grand Saint-Pierre et j’ai du mal à digérer l’humiliation. Après avoir orchestré un rendez-vous informel au café, le patron m’a expliqué par le menu comment je suis super-top à tous égards, sauf peut-être mon auréole qui pourrait être un peu plus brillante, ça me permettrait de recharger plus vite mon épée, mais il sait bien que ça ne se contrôle pas, ces trucs-là, et que je fais déjà tout ce que je peux, donc il ne va pas m’en tenir rigueur.

Mais quand même, comme tous les postes sont déjà pourvus et qu’il n’y a pas beaucoup de place pour de nouvelles promotions, ça l’aurait aidé à me « vendre » si j’avais eu le moindre talent particulier. Comme cet autre ange de ma promo qui était encore un peu vert lui aussi, mais qui montre une sensibilité étonnante aux auras et qui peut même lire les auras des objets ! Un type aussi talentueux, on ne pouvait pas le recaler, a indiqué le Grand Saint-Pierre en fourrageant dans sa grande barbe blanche avec un sourire gêné.

J’ai pris sur moi et j’ai étouffé dans l’œuf la jalousie qui voulait me dévorer vive. L’ange qui a eu la promotion ne m’a rien fait personnellement, l’espèce d’enflure. J’ai dit à Saint-Pierre que je souhaitais que la valeur soit reconnue, que je trouvais ça normal. Mais ma valeur à moi ? Est-ce qu’elle n’est pas elle aussi indéniable ?

Le deuxième problème, a enchaîné le Grand Saint-Pierre, c’est que tous ces mecs à l’ancienneté bien plus importante doivent être promus avant moi sinon ils vont se démotiver et ils vont déchoir. Je ne voudrais pas obtenir ma promo à ce prix, quand même ?

Il y avait tellement de bugs dans ce raisonnement que ça m’a donné le vertige. Mais bien sûr, si je disais au Grand Saint-Pierre le fond de ma pensée à ce sujet, je me prenais un blâme et je retournais direct à la circulation. Plutôt crever une deuxième fois, et pourtant c’était déjà pas marrant la première.

Perchée sur un tabouret inconfortable au comptoir de bois sombre de ce bar