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La drollesse
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Livre électronique342 pages4 heures

La drollesse

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À propos de ce livre électronique

Pauvre Christelle !
Abandonnée par David, son prétendu amoureux. Un flic qui préfère la compagnie des millions d’euros qu’il a détournés à celle de la jeune femme ! Suspectée de complicité avec David, elle est suspendue de son travail et s’est claquemurée dans l’appartement de ses parents en bordure du Bassin d’Arcachon ! Elle qui déteste la mer !
Pauvre Christelle !
Vautrée dans un canapé, elle soigne son vague à l’âme en regardant sur son ordinateur des vieux films insipides. Son seul compagnon d’infortune : Tagada, son ours en peluche qui ne la quitte pas depuis sa naissance, tapi dans les méandres de son autisme Asperger.
Mais un jour l’espoir renaît sous les traits d’une jeune détective privée, Agathe, qui se porte à son secours. Heureusement pour Christelle car ses déboires ne connaissent pas de répit. 
La sympathie entre les deux femmes est réciproque et de tendres sentiments ne tardent pas à les unir.
Mais Agathe découvre que Christelle ne dit pas la vérité. La police ne la soupçonne pas, David n’est ni flic ni voleur et le maître-chanteur est imaginaire…



À PROPOS DE L'AUTEUR


Comment avec ce pseudonyme, Dy Vagh, ne pas aimer raconter des histoires ? Le plaisir est de toujours retrouver le chemin des mots dans le labyrinthe des phrases. Son présent se compose de mots qu’il s’amuse à déplacer à longueur de romans. 

LangueFrançais
Date de sortie13 sept. 2022
ISBN9782383851004
La drollesse

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    Aperçu du livre

    La drollesse - Dy Vagh

    I

    Sur l’échelle de Christelle, quelle graduation est-on capable d’atteindre quand on est amoureuse ? Un niveau élevé, je suppose, celui qui correspond aux cataclysmes. Ai-je moi-même battu un record ? Possible…

    L’échelle de Christelle ? L’échelle de la stupidité…

    Incroyables, ces aberrations de l’amour ! Les deux plus évidentes et certainement les deux plus dangereuses : on est sûr de soi et de son choix, on se croit invincible. La plus incompréhensible : personne n’est jamais pris au dépourvu, personne n’ignore les conséquences.

    On récite sur le bout des doigts tous ces lieux communs qu’il véhicule. Une émotion divine. Un miracle. Un don du ciel.

    Un cadeau empoisonné, oui ! Comme la flèche enduite d’un venin qui traverse le cœur et laisse exsangue. Un cadeau empoisonné comme celui que je me suis offert pour le dernier Noël…

    On a moins lu les études des penseurs de tout poil. Pourtant j’adore me plonger dans les bouquins. Avec une préférence, j’avoue, pour les policiers et le dictionnaire.

    Forcément. Ils sont si nombreux, ces prétendus théoriciens, à avoir réfléchi sur l’art d’aimer. Les connaîtrions tous, cela modifierait-il notre façon de partir à la découverte de l’autre ?

    Et moi, qu’ai-je à voir dans tout ce désordre amoureux ?

    J’ai réussi à décrocher le pompon, à me fourrer dans une de ces galères, même si les errements de mes sentiments ne sont pas l’unique cause.

    Et à y demeurer ! Ah ! Si j’avais eu une petite idée des catastrophes qui m’attendaient…

    Le pire. Je crois que j’aurais agi de la même façon.

    Je crois ? J’en suis sûre ! Car au cœur du déluge d’amertume et de détresse est apparu un merveilleux rayon de soleil.

    Si merveilleux que je ne retrancherais pas un iota à cette histoire.

    Et des iotas, ils ne manquent pas. Par où commencer ?

    Pourquoi pas par l’antiquité que je regardais sur mon ordinateur ? Un film de presque vingt ans d’âge. À l’époque de sa sortie dans les salles, je balbutiais encore mon adolescence.

    II

    — C’est une bonne situation, ça, scribe ?

    L’une de mes séquences préférées ! Claude Rich qui joue le rôle de Panoramix dans Astérix, Mission Cléopâtre², interroge Otis.

     Mais, vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonne ou de mauvaise situation. Moi, si je devais résumer ma vie aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d’abord des rencontres, des gens qui m’ont tendu la main, peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j’étais seul chez moi. Et c’est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée…

    Combien de fois ai-je déjà regardé cette scène, celle où Édouard Baer qui interprète le scribe se lance dans une tirade qui me ravit. Je ne sais plus…

    Si, je le sais. J’en suis à ma huit cent quarante-troisième écoute. Dire que je la connais par cœur serait un euphémisme. D’ailleurs je coupe le son pour remplacer Édouard. Je suis parfaitement synchrone avec le mouvement de ses lèvres. Je n’aurais pas été mauvaise comme comédienne de doublage. Pourquoi pas comédiennes une tout court ? Mission impossible !

    — Parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l’interlocuteur en face, je dirais, le miroir qui vous aide à avancer. Alors ce n’est pas mon cas, comme je le disais là, puisque moi au contraire, j’ai pu ; et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie… Je ne suis qu’amour !

    Ah ! L’amour ! Qu’est-ce que cette faridondaine ? J’ai oublié.

    Moi, oublier ? Amusant !

    Heureusement Édouard Baer est là pour combler mon vague à l’âme. Je prends Tagada dans mes bras, je le sers fort contre moi et je poursuis :

    — Et finalement, quand beaucoup de gens aujourd’hui me disent : « Mais comment fais-tu pour avoir cette humanité ? », eh ben je leur réponds très simplement, je leur dis que c’est ce goût de l’amour…

    Je m’arrête brusquement. Non, l’amour ne me crée pas de trou de mémoire. J’en suis incapable ! J’aimerais pourtant parfois que la grisaille de mes souvenirs se confonde avec l’ombre de l’absence…

    La cause de l’interruption de la tirade d’Otis, interprétée par mes soins, se situe à quelques mètres de moi. Le carillon de la porte d’entrée s’est brusquement manifesté.

    Qui a l’outrecuidance d’interrompre ce délicieux spectacle sans passer par l’étape de l’interphone situé dans le hall du rez-de-chaussée ? Malheureusement en cette saison, l’entrée de l’immeuble est souvent en accès libre et les visiteurs se permettent quelques privautés. Le judas fêlé que je n’ai pas encore eu le courage de changer — non, pas du courage, plutôt ni l’envie ni la nécessité — ne me facilite pas la tâche pour visionner l’intrus.

    L’intruse.

    Une femme, semble-t-il, patiente derrière les dix centimètres d’épaisseur de bois ne se doutant pas que je commence à pleurer à force de coller mon œil contre le cul d’un chien. Mon père a eu la délicate idée de placer l’autocollant de l’arrière-train d’un affreux toutou à l’endroit stratégique. Un cadeau d’un copain, paraît-il. Un cadeau de très mauvais goût reconnaît mon père gêné. Mais un copain demeure un copain… Je pense que ma mère ne tardera pas à le glisser discrètement dans la poubelle. Pas mon père. Ni son copain. L’autocollant !

    Qui est-ce ? Certainement pas une amie venue me remonter le moral. La seule qui compte s’est placée entre parenthèses. Des parenthèses qui s’étirent à longueur de mois et qui ressemblent de plus en plus à des murailles… Je ne suis pas du genre non plus à étaler sur les réseaux sociaux mes états d’âme ni à signaler les endroits où je pose mes fesses. Je ne supporterais pas de recevoir des satisfecit parce que, par exemple, j’ai décidé de passer mes vacances à Knokke-Le-Zoute. Je hais les likes !

    Personne donc n’est au courant que je squatte l’appartement de mes parents pendant leur voyage à l’autre bout de l’Europe. Le temps libre ne me manque pas, aussi me suis-je proposée pour venir garder le petit chat et pour éviter par la même occasion de gaspiller les aliments périssables dans le réfrigérateur. En réalité je ne me prélasse pas dans la station balnéaire de Knokke-Le-Zoute en Belgique, mais dans une autre, légèrement plus au sud en France.

    Il n’est pas question de la recevoir. Malgré l’heure tardive — l’après-midi est commencée depuis belle lurette — je me balade toujours en chemise de nuit. Plutôt, je me vautre sur le canapé, uniquement vêtue d’un horrible et long t-shirt au tissu si fatigué qu’il a rendu l’âme et qu’il offre des trous béants au niveau des aisselles. Cette relique, je la porte pour dormir quand je suis seule. Et la journée quand je déprime devant l’écran. Toujours aussi seule.

    En réalité, je ne le suis jamais, seule. Tagada me tient compagnie.

    Le carillon insiste. Le tintement de trop. Celui qui bouleverse mon destin.

    Un imprévisible sursaut de curiosité finit par l’emporter sur la morosité. Je m’entends crier :

    — Une seconde !

    Je regrette mon impulsion, mais il est trop tard pour jouer le grand numéro de l’appartement vide. Il est impensable pourtant de lui ouvrir dans un tel accoutrement. Je me précipite dans la salle de bains en ôtant ma gueille, comme dit ma mère quand mon père ose se balader avec un vêtement usagé. Je m’asperge de déodorant tout en attrapant un short bleu que j’enfile à même la peau. J’empoigne dans le placard un débardeur blanc et constate avec horreur dans la glace que la pointe de mes seins saille effrontément. Qu’est-ce qui leur prend ? Ai-je le temps d’enfiler un soutien-gorge ? J’opte pour le plus rapide : une liquette brodée beaucoup trop évasée que je regrette d’avoir achetée sur un site chinois et que je boutonne en râlant. Retour devant le miroir. Le plus pénible à présent : dompter ma tignasse. Je n’ai évidemment pas les heures nécessaires pour réussir un tel exploit et je tourne la poignée de la porte, pieds nus et sans le moindre maquillage.

    — Madame Yane ?

    — Oui.

    — Bonjour. Agathe Amourous.

    Je lui réponds par un sourire qui manque malheureusement de naturel avant d’ajouter :

    — Je suppose que vous désirez parler à ma mère. Désolée, elle est absente en ce moment.

    La jeune femme marque un infime temps d’arrêt. Ma réflexion, pourtant logique, ne semble pas correspondre à son attente.

    — Je vous ai appelée hier. Je souhaitais vous rencontrer, vous, Christelle Yane. Pas votre mère. Nous avions convenu d’un rendez-vous… Cette après-midi… Le moment serait-il mal choisi ?

    Ma tête des mauvais jours, ou plutôt des mauvaises semaines, lui offre-t-elle un spectacle particulièrement repoussant ? Certainement ! Quand je croise par hasard mon reflet, je ne me reconnais plus, perdue au milieu de tous ces cernes et de ce visage fané. Adieu, mon pouvoir de séduction. De toute façon, l’idée de plaire est tellement éloignée de mes préoccupations. Quelles préoccupations ? En ai-je encore ? Oui, continuer de déprimer tranquillement.

    Depuis quelque temps, j’ai tendance à me fondre dans le néant de mon existence. Les excuses ne me manquent pas.

    Je n’ai donc guère envie de me fendre d’un nouveau sourire pour répondre à celui, certes avenant, que m’offre cette Agathe Amourous. Je n’ai aucune intention non plus de me montrer désagréable même si ses raisons pour me rencontrer m’échappent totalement. Serait-ce une démarcheuse qui cherche à me vendre une cagade quelconque ? L’isolation de l’appartement ? La rénovation de la salle de bain ? Trop tard ! Cette pièce vient de retrouver une nouvelle jeunesse et mes parents sont certainement déjà passés à la caisse. Je soupire :

    — Malgré les apparences, vous ne me dérangez pas. J’avoue que notre conversation téléphonique a légèrement pris un chemin de traverse dans mon esprit. Pourtant ce n’est pas dans mes habitudes d’égarer mes pensées.

    Et sans lui réclamer le moindre éclaircissement complémentaire sur sa venue mystérieuse, une nouvelle impulsion irraisonnée me pousse à m’effacer pour lui céder le passage. J’ajoute même :

    — Soyez la bienvenue.

    Où la recevoir ? Dans cet appartement particulièrement en désordre depuis mon arrivée et l’inviter à s’asseoir sur le canapé que j’occupe à longueur de temps en contemplant Astérix et Cléopâtre ou un magnifique navet particulièrement insipide ?

    Lui offrir ainsi le désarroi de mon intimité. Pas question ! Direction le balcon. Je ne m’y rends jamais et son aspect relativement propret sied mieux à ma convive. Mes parents, à la retraite, ont vendu leur vieille maison arcachonnaise, boulevard Deganne, pour acheter à crédit un petit appartement sur le front de mer. Appartement qu’ils désertent quand l’afflux des touristes est trop important. Ils apprécient le Bassin, beaucoup plus que moi, à condition de l’avoir pour eux tout seuls !

    Cette Agathe Amourous aurait quelques années de moins que moi que cela ne m’étonnerait pas. Et une élégance naturelle dont j’ai toujours rêvé. Que je dois paraître pataude à côté d’elle ! Sa courte robe tunique en soie légère, couleur pêche, imprimée de fleurs, à la coupe parfaite, semble avoir été cousue à même sa longue et mince silhouette presque androgyne. Je serais ridicule si je portais ça. Tout le contraire d’elle, si délicieusement fraîche malgré la canicule et… Je préfère ne pas poursuivre la description tellement j’ai honte de mes vêtements achetés à la friperie ou en Chine ! Juste un mot sur sa courte chevelure sage, agrémentée d’une frange si voyageuse et facétieuse qu’elle accompagne chaque mouvement de la tête d’une vague brune adorable. Elle encadre une agréable frimousse, au léger maquillage, qui accroche le regard.

    Du charme inné, de la discrétion dans le raffinement. Je ne regrette pas ma décision. Pourquoi ne pas perdre quelques agréables instants en sa compagnie même si je commence à culpabiliser ? Le raffinement, j’avoue, je ne connais pas trop en ce moment…

    — Nous avons donc fixé un rendez-vous… En effet, maintenant que vous me le dites…

    En réalité je suis d’une totale mauvaise foi. Les intonations de la voix de cette fille ne me sont pas inconnues. Je les ai entendues une fraction de seconde hier quand mon téléphone a vibré. Malheureusement j’étais déjà plongée dans Astérix et, trop pressée de me gaver d’images d’Otis, je n’ai plus prêté la moindre attention à ce que mon interlocutrice racontait. Je l’ai expédiée en lui balançant n’importe quoi…

    Pas exactement n’importe quoi. Au bout d’un moment j’ai repris mon smartphone que j’avais posé pendant qu’elle parlait et j’ai conclu l’appel par ses mots :

    — Très bien. Au revoir, Madame.

    Et je suis retournée à mes occupations palpitantes.

    Heureusement le résultat de ma désinvolture est loin d’être catastrophique. Cette Agathe Amourous ne se doute de rien, je ne sais cependant qu’ajouter pour me dédouaner de mon attitude et je lui sors :

    — Je n’ai malheureusement ici à ma disposition que mon cabinet d’aisances qui porte mal son nom, car il serait malaisé de nous y installer toutes les deux.

    Le feu s’empare de mes joues. Comment est-il possible de balancer une telle énormité ? Mon Dieu, que j’ai honte ! Quel langage trivial en présence d’une inconnue ! Comment pourrait-elle comprendre mon prétendu trait d’esprit ? J’ai associé le rendez-vous à une visite chez le médecin qui reçoit dans son cabinet de consultation.

    Pourquoi avoir pensé à un médecin ?

    Je n’arrive pas parfois à contrôler mon vocabulaire. Un de mes symptômes… Je tente maladroitement de m’excuser :

    — Pardonnez-moi pour cet humour douteux. Je crois que certains jours il serait plus sage de m’abstenir de toute plaisanterie.

    Elle ne semble pas choquée et se contente d’un sourire.

    Quel sourire ! Il illumine tout son visage. Cette fille commence à me plaire. Voyons ce qu’elle espère me vendre :

    — Et pourquoi désirez-vous me parler ?

    — Je suis enquêteuse privée.

    Une enquêteuse privée ? Décharge d’adrénaline. N’aurais-je pas agi trop inconsidérément en l’accueillant ? Sa venue aurait-elle un rapport avec…

    — Une enquêteuse privée ? Mon Dieu ! Ai-je commis un nouveau crime que j’ignore ? Que cela ne m’empêche pas de vous proposer un rafraîchissement, à moins que vous ne préfériez un thé, un café ?

    Je la prie de s’asseoir dans un fauteuil en rotin en réalisant trop tard qu’il est particulièrement inconfortable si on a les cuisses nues. Ce qui est son cas.

    — J’accepterais volontiers une tasse de café, merci. Ah ! La queue de la baleine a encore changé de couleur cette année.

    Je n’ai pas remarqué, trop obnubilée par mes vieilleries cinématographiques. Si j’excepte l’intrusion sympathique de cette jeune femme, je ne suis pas très sensible à la beauté en ce moment. La sculpture de la queue en résine polyester de la baleine qui mouille entre les deux jetées est le cadet de mes soucis. De toute façon, je préfère la montagne !

    — La vue est magnifique sur le Bassin. Vous avez beaucoup de chance, surtout par cette chaleur.

    Beaucoup de chance ? Elle ne me sourit pas spécialement ces derniers mois, la chance…

    Je me sens obligée de rétablir la vérité. Je ne tiens pas à passer pour la snobinarde bourrée de fric alors que toutes mes fins de mois sont difficiles.

    — En réalité je n’habite pas ici. Je m’occupe de l’appartement de mes parents pendant leur absence.

    Non, pas beaucoup de chance. Pourtant, papoter avec une personne réelle n’est pas désagréable. Depuis combien de temps cela ne m’est plus arrivé ? Si on m’avait soutenu, un quart d’heure auparavant, que je sortirais ce genre de banalités, je ne l’aurais pas cru. J’ai beau être sauvage, la solitude, même en compagnie de Tagada, commence certainement à me peser.

    Nouvelle rapide escale dans la salle de bains, rénovée récemment donc, avant de préparer le café. Dès que je m’aperçois devant la glace, j’abandonne immédiatement l’idée de toute amélioration. Des heures et des heures de boulot pour reprendre l’apparence humaine. Cette enquêteuse privée me prendra comme je suis. Une enquêteuse privée… Je suppose qu’elle ne s’est pas pointée ici pour bavasser sur la canicule… Que me veut cette Agathe Amourous ? Et comment s’est-elle débrouillée pour me dénicher ?

    — J’enquête sur le vol d’une pierre précieuse, m’explique-t-elle dès mon retour sur le balcon avec les tasses et deux coussins pour atténuer les désagréments de nos fauteuils. Une affaire assez machiavélique qui me prend la tête.

    Je souffle. La douleur sourde qui s’était insinuée dans mon ventre à l’annonce de sa profession s’efface. Cette fille n’a aucun rapport avec mes embrouilles.

    Sa voix est calme, douce, légèrement grave, agréable à écouter, mais elle m’intrigue. L’impression étrange que cette Agathe lit dans mes pensées. Je lui balance une petite grimace pour accompagner ma réponse :

    — Je n’ai pas la tête en ce moment à dérober ce genre de babioles. Encore moins les moyens d’en acheter. Je suis désolée.

    Elle a la courtoisie de m’offrir à nouveau son adorable sourire malgré ma mauvaise plaisanterie moins catastrophique cependant que la précédente. J’insiste :

    — Êtes-vous sûre de vous adresser à la bonne personne ?

    — Sûre. Votre don m’intéresse.

    — Mon don ? Vous me connaissez un don ?

    — Même si vous avez prétendu avoir oublié notre rendez-vous, vous êtes réputée pour avoir une mémoire prodigieuse et cette faculté m’intéresse beaucoup.

    — Réputée ?... Comment êtes-vous au courant ?

    — Je suis enquêteuse.

    — Et qu’espérez-vous ?

    Échange de regards. Le sien, d’un gris envoûtant, distille une douceur surprenante comme si la colère ne l’avait jamais effleuré. Je comprends brusquement sa signification et je ne suis pas surprise quand elle reprend :

    — Votre collaboration.

    Que lui répondre ? Elle ajoute :

    — Je n’ignore pas vos déboires actuels.

    — Même si j’ai une mémoire prodigieuse comme vous le prétendez, je n’ai aucune compétence particulière. Il est possible qu’un jour je devienne inspectrice… Mais des impôts. Uniquement des impôts ! Pour l’instant je me contente du métier de contrôleuse. J’épluche la comptabilité des particuliers et des entreprises. Alors les vols de bijoux… D’autre part je vis une période difficile. Je connais, disons, quelques déboires. Je suis suspendue de mes fonctions. Je n’ai plus le droit de travailler.

    — Je vous demande juste un petit coup de main. Rien ne m’interdit de bénéficier de vos talents. Ils me seraient très précieux. Associés aux miens dont vous avez commencé à remarquer la spécificité, notre collaboration serait particulièrement fructueuse.

    Surprise par sa réflexion, je répète ce :

    — Fructueuse ?

    Et j’éclate de rire. Moi, éclater de rire ? J’en suis donc encore capable… Un doute m’effleure :

    — La police et la justice apprécieront-elles...

    — Pourquoi pas ? Si tout se passe dans les règles. Vous aurez le statut de consultante ponctuelle.

    — Consultante ponctuelle ?

    — Oui, une personne compétente que l’on utilise le temps nécessaire pour glaner des informations spécifiques.

    — Comme à la télé quand on appelle un spécialiste à la rescousse pour déblatérer sur n’importe quoi ?

    — Vous, vous m’aideriez.

    À glaner des informations spécifiques ? Je préfère me taire. Agathe attend ma réaction et, devant ma moue dubitative, assène l’argument de masse :

    — Généralement la rémunération d’un consultant est toujours intéressante et rares sont celles ou ceux qui ne sautent pas sur cette opportunité pour agrémenter leur quotidien.

    S’ils ont des finances aussi pitoyables que les miennes, je ne vois là rien de très surprenant. Je poursuis cette fois ma pensée à voix haute :

    — Ne devrais-je pas envisager le métier d’enquêteuse privée moi aussi ? Payer grassement ce genre de collaborateur ne semble vous causer aucun problème.

    J’ai droit pour toute réponse à un léger sourire toujours aussi gracieux et, me semble-t-il, un tantinet mystérieux.

    — Et en quoi consisterait véritablement mon travail ? À vous prêter main-forte pour retrouver des bijoux ? Vous n’avez peur de rien !

    III

    — J’espère qu’un jour une délicieuse souffrance réchauffera ton cœur sans vie, commence Tagada.

    À qui s’adresse-t-il ? À moi, évidemment ! Il adore me raconter des nounourseries. C’est-à-dire qu’il me tient compagnie. Il me console quand je suis triste, me dit des vers ou en invente quand j’ai l’âme poétique, sort le plus souvent de nombreuses stupidités pour m’entendre râler.

    — Dans tous les cas, tu pourras toujours compter sur ma patte sans peluche pour soutenir ta main sans le moindre poil disgracieux.

    Ses propos sont en effet parfois surprenants.

    Après le départ de cette enquêteuse privée, je ne suis pas retournée me prélasser devant la suite des exploits cinématographiques d’Édouard Baer. Je n’ai pas eu le temps. Tagada est tout de suite intervenu…

    Oui ! Accrochez-vous, il me parle. Si… si… Enfin pas véritablement puisque mon ours en peluche que j’ai depuis ma naissance n’est pas de nature bavarde. Aussi suis-je obligée de l’aider. Il s’adresse à moi au travers de mes lèvres. Comme à un médium. Sauf que je ne le suis pas. Je m’amuse simplement à donner une voix, que je tente de rendre grave, à mon nounours en imaginant des scénarios loufoques à partir de mots, de phrases, de vers que j’ai lus et entendus.

    Agathe a raison, ma faculté de mémorisation est prodigieuse. Possible que je sois un tantinet Asperger sur les bords… et en profondeur ! Bref il me suffit d’entendre une fois des paroles pour les retenir et les ressortir quand ça me chante. Ainsi les propos tenus par Tagada sont un délire à partir d’un poème tiré d’Alfred de Musset que j’ai découvert quand j’étais au lycée.

    Et pourquoi avoir choisi Tagada pour m’accompagner dans cette galère ?

    Adolescente, j’ai été amoureuse d’un copain de classe qui ressemblait à un gros nounours. Enfin d’après mes parents.

    — Oh ! Putain ! La drollesse, elle s’est entichée de Tagada !

    Cette exclamation de mon père est restée gravée en moi. Ce terme de drollesse, je l’avais souvent entendu dans sa bouche. Je l’acceptais sans vraiment le comprendre. Ce jour-là, j’avais été bouleversée. Il osait me traiter de drôlesse parce que j’aimais un garçon qui avait une allure de nounours. Ma colère avait explosé ! Heureusement vite calmée par les explications maternelles. La drollesse du Sud-Ouest n’a rien de comparable avec la drôlesse de la langue française. Une drollesse, ainsi appelle-t-on une gamine. Un drolle, un gamin. Une déformation, paraît-il, du néerlandais troll, lutin. N’étais-je pas moi-même un être féérique, merveilleux ? Avant d’être à la retraite, ma mère était prof de lettres au lycée Grand Air à Arcachon. Mon père aussi enseignait le français, quelques kilomètres plus loin, à Gujan-Mestras, au Lycée de la mer.

    Je ne suis pas restée longtemps avec Tagada, je veux dire avec mon amoureux de l’époque. Par contre avec mon nounours si.

    Au fil des mois et des années, la drollesse a réservé au véritable Tagada en peluche d’autres rôles que celui de confident. Il est devenu son copain, son conseiller, son amoureux même quand elle n’a plus personne à se mettre sous la dent. Et comme elle est assez bavarde quand elle est en confiance, elle le saoule

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