oilà à quelle heure je reviens du travail, moi, Aurélie Bernard, 28 ans : 21 h 15. Est-ce normal ? Eh bien non ! Je devrais plutôt rejoindre un amoureux, n’est-ce pas ? Malheureusement, depuis la rupture de mes fiançailles, il y a un an, mon emploi du temps surbooké ne m’a pas permis de recoller les morceaux de mon cœur brisé. Aucun amoureux en vue ! Quoique. Ces derniers temps, lorsque je reviens du bureau, je croise souvent un inconnu qui balade son chien, une boule de poils blancs. Si je n’ai jamais osé lui parler, cet inconnu me fait fantasmer. Et, malgré moi, à cette minute, en attendant au feu rouge, je scrute la rue sombre et déserte qu’éclairent à peine des réverbères jaunâtres. Vais-je le voir ce soir ? Ce serait génial, car j’ai bien besoin d’une petite consolation. Oh là là ! Quelle journée de boulot… horrible ! Mes oreilles en bourdonnent encore. Assistante d’un producteur de musique qui aime découvrir les artistes en live plutôt que de façon virtuelle, j’ai dû affronter cette épreuve : l’audition d’une dizaine d’apprentis chanteurs et apprenties chanteuses. Et pas un qui valait la peine d’être écouté ! Ou bien ils braillaient au rythme de guitares grinçantes, ou bien leurs voix mourantes chuchotaient péniblement dans le micro. « Rien à en tirer », a été le verdict de mon patron, Jean Gallet, un grand type de 35 ans, à l’oreille absolue et aux opinions tranchantes, qui m’impressionne beaucoup. La preuve : je ne réussis pas à l’appeler par son prénom. Il a créé lui-même sa boîte où il officie seul, et je lui donne tant bien que mal un coup de main. Il n’est pas toujours facile avec moi, il me rabroue même souvent. Je le supporte parce qu’il le faut bien : je dois gagner ma vie comme tout le monde. Et puis, j’aime la musique. Enfin, quand elle est bonne !
Alors que je m’apprête à traverser… Ooooh ! Le cadeau inespéré ! Je l’aperçois sur le trottoir d’en face avec son petit chien blanc, mon inconnu. Un garçon de mon âge, ou à peine plus, élancé, les cheveux longs châtains, assez beau me semble-t-il !