Poupées de cendres
Par Cécile Welter
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEURE
Originaire du Nord-Est de la France, Cécile Welter est, depuis toujours, passionnée de littérature. Avec Poupées de cendres, elle se prête aujourd’hui, à son tour, à l’exigent exercice de l’écriture en signant son premier ouvrage.
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Aperçu du livre
Poupées de cendres - Cécile Welter
Esther
C’est officiel, demain, c’est la fin du monde !
Tout va s’arrêter dans un grand chaos et nous ne serons plus rien.
Il me reste vingt-quatre heures environ et mon objectif est de ne pas gâcher ces heures précieuses.
Jeudi 7 juin vers 6 heures…
Ce n’est pas le moment de faire la grasse matinée. Je profite de ce début de journée ensoleillée et calme. Rien ne bouge. Le temps semble déjà suspendu. Je me sens seule au monde. La maison est vide. La rue est déserte. À la radio, des mélodies entraînantes s’enchaînent comme s’il fallait absolument maintenir le moral des auditeurs au beau fixe. Même dehors, le chant des oiseaux paraît dire : « Soyez confiants, ça va bien se passer ! ». De mon côté, je me sens toute légère : mes factures impayées, mon petit ami qui m’a laissée tomber comme une vieille chaussette, mon boulot qui ne me plaît pas et toutes les autres petites catastrophes de mon triste quotidien me paraissent tout à coup bien futiles.
Enfin une belle journée qui s’annonce, sans avoir besoin de fuir quelqu’un ou de ne pas répondre au énième appel de mon banquier furieux ou de mon propriétaire qui réclame ses trois derniers loyers. J’ai envie de faire tellement de choses aujourd’hui que je ne sais pas si j’en aurai le temps.
Pour commencer, je vais prendre tout mon temps sous la douche et sortir huiles essentielles et autres produits des grandes occasions, car c’est le moment ou jamais. Devant mon armoire, je choisis « le jean » qui me fait des fesses à se damner et que j’ai mis six mois à me payer tant le prix était indécent. Mais quand j’observe le résultat dans mon miroir, je me dis que ça a tout de même été un bon investissement ! J’y assortis un petit t-shirt trop sexy et surtout qui sait mettre en valeur mon 85A de préadolescente. Une touche du parfum le plus envoûtant que je possède, autant ne rien se refuser.
Avec ma tenue de guerre, je prends la direction du meilleur boulanger de la ville pour y faire le plein de toutes ses plus alléchantes douceurs, du moins, toutes celles que j’arriverai à avaler.
Après ce petit déjeuner royal, pris pour l’occasion sur ma terrasse baignée par le doux soleil de ce début de matinée, je décide une visite à l’institut de beauté pour une prise en charge complète, histoire de dépenser une fortune que je n’ai pas et n’aurai, cette fois c’est sûr, jamais. L’endroit grouille de Barbies siliconées et prétentieuses qui me snobent dès mon arrivée mais qui, quand j’annonce l’étendue des investigations à entreprendre, me proposent avec condescendance une tasse de leur meilleur arabica. C’est fou ce que les gens sont superficiels et petits ! Elles n’ont pas fait tant de chichi, ces pseudos conseillères en esthétique quand je suis venue dénicher un cadeau pour mon amie Eve avec un budget pas plus grand que le tissu d’un string. Elles m’ont toisée et répétée, à grand renfort de mimiques et de sourires malveillants, que je ne trouverais malheureusement rien à la hauteur de mes espérances à un tel prix.
Et toc ! Prends-toi ça dans les dents la miséreuse !
Je me délecte donc, assise dans un immense fauteuil massant qui semble dessiné pour épouser à la perfection les formes de mon corps, des senteurs délicates dont on m’a embaumée. C’est tout de même chouette de pouvoir profiter au moins une fois dans sa vie d’une attention pareille, c’est juste dommage que ça se fasse dans de telles conditions. Oui, sans rire, toutes les femmes devraient se voir infliger ce genre de traitement, pas juste les pimbêches écervelées qui dépensent sans compter l’argent de leur papa ou de leur mari trop riche. Surtout, ce qui me fait jubiler, c’est que finalement ça ne me coûtera rien d’autre qu’une signature au bas d’un chèque en bois. Ainsi, parfaitement manucurée, épilée, maquillée, coiffée, je me sens sur un petit nuage tout bleu. On se retourne sur mon passage dans la rue, c’est bon signe, le charme semble opérer.
Il est presque 11 heures et je n’ai même pas prévenu mon sympathique responsable de mon absence inopinée. Je ne dois certainement pas être la seule… Et puis qu’est-ce que je pourrais bien lui raconter ? « Bonjour ! Étant donné que c’est notre dernière journée sur terre, je me suis dit que je n’allais pas venir perdre mon temps. Mon boulot est si épanouissant et si mal payé que je suis vraiment désolée mais je préfère dépenser tout l’argent virtuel de ma carte bleue et passer du bon temps ! Joyeuse apocalypse, Patron ! Donnez-vous une dernière fois à fond dans votre job si important, on compte sur vous ! »
Il ne faudra donc pas décrocher le téléphone hors numéros identifiés auxquels je daignerai répondre.
Voilà, maintenant que cette journée m’appartient pour de bon, je dois décider du programme.
J’ai mon idée. Je vais sauter dans un taxi, j’ai toujours rêvé de faire ça, et demander qu’il m’emmène à l’exposition de cet artiste de génie. J’en ai envie depuis que j’en ai entendu parler. Bien sûr, ça ne collait ni avec mon budget ni avec mon emploi du temps. Ah, la grande vie ! « Je vais à une expo ! » Ça fait classe de le dire. Au guichet, j’implore les dieux des réseaux informatiques et autres logiciels bancaires de bien vouloir me faire grâce de leurs foudres et d’accepter mon paiement sans provision afin que je puisse me repentir dignement de mon inculture involontaire. Eh ouais, la culture, quand on n’a pas les moyens, on en est un peu écarté quand même malgré ce qu’ils disent à la télé. Et le miracle se produit. Rappelez-moi de réciter une prière païenne, plus tard, quand l’heure sera venue. Je franchis donc les portes et pénètre dans l’antre du paradis terrestre. Ravissement, extase : c’est jubilatoire et franchement mieux que le dernier ersatz d’orgasme qu’a bien voulu m’accorder Machin Chose avant de me larguer en me disant que, bien entendu, ça n’avait rien à voir avec moi mais que c’était lui. Tu parles ! Il était surtout habité de frétillements intempestifs au niveau du caleçon à chaque passage de décolleté ou de mini-jupe. Cessons les digressions inopportunes pour revenir à l’essentiel et ne rien perdre de ces instants bénis. Je m’imprègne de cette atmosphère incroyable. Je suis comme hypnotisée par les dessins, les clichés, les inédits que je découvre et dont j’ignorais l’existence. Je suis aux anges et savoure chaque seconde passée dans ce temple dédié à cette icône aujourd’hui accessible. Je pourrais presque mourir ici, mais le moment n’est pas encore venu. Je sors enchantée de ce lieu merveilleux, extraordinaire, irréel : les mots me manquent, les émotions me submergent. À charge pour moi d’occuper aussi bien les heures qui me restent…
Malgré mon petit déjeuner démesuré, mon estomac me réclame un nouveau repas du même acabit. Eh oui, j’ai toujours eu un solide appétit. Là encore, je passe un seuil inconnu et découvre l’intérieur d’un endroit que je n’ai, jusqu’à présent, pu qu’imaginer en essayant d’apercevoir subrepticement le décor à travers des fenêtres délicatement occultées. J’ai le vertige rien qu’à la lecture de la carte où les intitulés des plats, s’ils laissent rêveur, ne me renseignent absolument pas sur leur composition. Je me prends au jeu et fais mon choix parmi tous ces noms énigmatiques et enivrants car, quoi qu’on me propose, c’est sûr, je ne l’aurai jamais goûté. Le serveur dans son costume trois-pièces impeccable et avec ses gestes assurés et très précis ne s’adresse à moi qu’à coup de « Mademoiselle souhaiterait » ou « Puis-je me permettre ». Je n’avais entendu ces phrases que dans de vieux films. Oh le pied ! Et dire que s’il connaissait l’état de mon compte en banque, il ne m’aurait même pas laissé approcher l’entrée. Après tout, peut-être qu’aujourd’hui tout le monde se fiche de ces considérations matérielles et accepte de fermer les yeux puisque demain ne sera jamais. D’ailleurs, j’ai du mal à comprendre tous ces gens qui malgré tout poursuivent leur routine et se comportent comme si de rien n’était. Peut-être que la majorité des personnes restent sceptiques par rapport à cette nouvelle. Il faut avouer qu’il en a circulé des tas ces dernières années. Enfin, tous les plus grands scientifiques et spécialistes du sujet se sont tout de même accordés et l’issue semble inexorable. Les uns et les autres paraissent quand même plus détendus et enjoués qu’à l’habitude. Pour l’instant, je profite du festin qui m’est offert, apprécie des mets et découvre des saveurs insoupçonnées. Pur bonheur, surtout pour moi qui suis plutôt consommatrice de fast-food et autres établissements où, par souci de rentabilité, on a oublié que manger était un plaisir et cuisiner un art. Je ne boude donc pas mon plaisir. Et puis, il faut dire qu’à part sortir une barquette de mon congélateur, la placer dans le micro-ondes et programmer le temps indiqué sur l’emballage, je n’ai aucune aptitude particulière en matière de cuisine. Pour preuve, ma dernière tentative pour faire plaisir à Machin Chose, s’est soldée par un échec cuisant et l’enfumage de ma cuisine lors de la sortie du four du gâteau que j’avais tenté de préparer et qui ressemblait davantage à un bloc de charbon ou de roche volcanique carbonisée qu’au « moelleux au chocolat façon grand-mère » présenté sur la recette. J’aurais dû lui demander naïvement d’y goûter, si j’avais su… Ça l’aurait peut-être empêché de batifoler le soir même avec Mandy, la standardiste de son bureau. Ce n’est même pas un prénom Mandy ! Plutôt un concept : le stéréotype de la blonde peroxydée sans cervelle et sans culotte, refaite de la tête aux pieds et ayant pour unique fonction, la satisfaction de la libido de l’ensemble de la gent masculine en contact avec elle. Oui, Mandy n’a pas de conscience, pas d’état d’âme ni de regret mais une souplesse à toute épreuve et le sens des relations humaines ! Mais bref, je ne vais pas gaspiller mon temps à ruminer. J’ai mieux à faire, l’heure tourne. En effet, mon festin s’étale et quand arrivent le dessert et le café, l’après-midi est déjà bien entamé. Lorsque je quitte les lieux, le