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Heureuse à en mourir
Heureuse à en mourir
Heureuse à en mourir
Livre électronique272 pages3 heures

Heureuse à en mourir

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À propos de ce livre électronique

« Je n’ai pas vu la première gifle arriver. Pourtant, je l’avais bien méritée… C’est vrai, j’avais un peu trop souri à son ami Quentin. J’avais peut-être adopté une attitude ambiguë, sans même en avoir conscience. Il faut que je fasse attention. Je ne suis plus célibataire ; je ne dois donner de faux espoirs à personne. Cette première gifle aurait donc dû être la seule, j’avais bien compris la leçon… Tout était de ma faute. » Chaque mardi soir, quelques femmes se réunissent autour de Margaux S., médecin, et de Graziella L., psychologue, formant ainsi un groupe de parole. Au fil de quatre séances, douze d’entre elles nous livrent un fragment de leur histoire. À travers ces récits intimes et bouleversants, nous plongeons au cœur de la mécanique insidieuse des relations toxiques. Peu à peu, la parole se libère, brisant le silence, l’isolement et la peur… le tout orchestré par une présence troublante et un fil rouge qui nous confrontent à une réalité saisissante.

À PROPOS DE L'AUTRICE 

Enseignante de formation et psychologue clinicienne, Fabienne Cerda consacre son écriture aux voix souvent réduites au silence. Ainsi, dans "J’ai huit ans", sa première publication, elle aborde avec justesse la question des maltraitances infantiles. Ce second roman donne, quant à lui, la parole aux femmes confrontées aux violences conjugales, poursuivant ainsi son engagement littéraire et humain.
LangueFrançais
ÉditeurLe Lys Bleu Éditions
Date de sortie1 août 2025
ISBN9791042275914
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    Aperçu du livre

    Heureuse à en mourir - Fabienne Cerda

    Margaux S., médecin

    DRING… DRING… DRING…

    « Chéri, je suis sous la douche ; tu peux décrocher ?...

    Juste le temps de m’essuyer rapidement, j’attrape le téléphone…

    « Allô !

    Je repasse en deux secondes mon agenda dans ma tête.

    Arthur me regarde, l’air interrogatif.

    « C’est Graziella Luciani, tu sais, la psy dont je t’ai déjà parlé. Elle veut me voir. Nous déjeunons ensemble demain midi. Je me demande bien ce qu’elle a à me dire.

    — Ah, juste avant d’aller au lit, ce n’est pas cool ça ; j’espère que ça ne va pas t’empêcher de dormir ! »

    Il me connaît bien, mon chéri, mais même si ma curiosité est en éveil, je suis fatiguée et je m’endors rapidement dans ses bras, on verra bien demain…

    Quelques mois auparavant…

    J-1 avant l’ouverture de mon cabinet…

    Médecin généraliste ! Ça y est ! Je viens de poser ma plaque ! Je ressens comme un frisson qui me parcourt le corps. Je suis sur un petit nuage. Oui, tous ces sacrifices, toutes ces nuits blanches à réviser, tous ces stages en hôpital où vous finissez par confondre le jour et la nuit… J’ai saisi la perche que me tendait mon parrain pour venir remplacer Marco, son collègue qui part s’installer dans son île natale, à Ajaccio. Il y a trois ans déjà, Parrain, enfin le docteur Gustave Laporte, a créé un très bel espace de soins dans un endroit qui était un vrai désert médical. Nous y sommes donc deux généralistes mais pas que : il y a aussi un kiné, une orthophoniste dont j’ai fait la connaissance au pot de départ de Marco, et une psychologue, Nina, que j’apprécie beaucoup puisque c’est mon amie d’enfance. Elle a fini ses études il y a déjà cinq ans et après avoir exercé deux ans en Centre Médico-Psychologique, elle s’est installée dans ce local flambant neuf. Parrain connaissait Nina, évidemment, et c’est sans une seule hésitation qu’il lui a confié les clés de son nouveau bureau. Je suis tellement heureuse de rejoindre cette super « team ».

    Pour moi, c’est demain le grand jour, l’ouverture officielle de mon cabinet ; j’ai hâte de recevoir mes premiers patients mais je ressens malgré moi une certaine appréhension : serai-je à la hauteur ?

    En fait, malgré cette apparence de jeune femme gâtée par la vie, entourée d’une mère et d’un père aimants qui m’ont accompagnée dans toutes mes décisions en me faisant une confiance absolue, je n’ai jamais été sûre de moi. Peut-être trop choyée ? Trop protégée ? J’ai eu cette drôle d’impression de vivre dans un cocon doré, un endroit confortable mais dans lequel je me sentais prisonnière, incapable de m’envoler sans avoir peur de blesser mes parents, de les abandonner. Alors non, je n’ai jamais fait de vagues, jamais dépassé les limites.

    Toute petite, j’avais compris qu’ils avaient vécu un drame. Ils n’en parlaient jamais devant moi mais je les surpris à plusieurs reprises se consoler l’un l’autre en se prenant dans les bras comme le font les gens tristes. J’accompagnais souvent maman au cimetière ; j’apportais des fleurs à cette jolie petite fille qui souriait sur cette plaque collée au-dessus de son prénom. Je lui souriais en retour, déposais les roses blanches dans le vase prévu à cet effet et lui disais au revoir en lui envoyant des baisers et en lui promettant de revenir bientôt.

    Elodie était ma grande sœur ; elle était née cinq ans avant moi et décédée peu de temps avant ma naissance en s’étouffant avec une saucisse cocktail devant les amis et la famille, tous réunis pour la « gender reveal party », cette fameuse fête venue tout droit des États-Unis, organisée pour dévoiler le sexe du futur bébé, c’est-à-dire Moi. Personne ne put délivrer ma sœur de ce morceau de charcuterie coincé dans sa gorge, pas même Mathilde, la copine infirmière de maman qui, encore aujourd’hui, ne peut évoquer ce terrible accident sans culpabiliser. Quand les pompiers arrivèrent, Elodie avait déjà rejoint les anges et les invités, quittant un à un la maison, ne se soucièrent plus du tout de moi…

    Les quelques mois qui séparèrent ce décès de ma naissance furent pour mes parents d’une tristesse infinie. Seuls mes premiers cris sortirent ma mère de sa torpeur, l’obligeant à briser le silence dans lequel elle avait sombré depuis l’enterrement de ma sœur. Mon père m’accueillit comme une résurrection et c’est peut-être aussi ce que je lisais, quelque temps après, dans les yeux de ma mère.

    Je ne sais pas si je me suis sentie comme « la remplaçante » mais en tout cas, je compris très vite que je devais faire tout ce qui était possible pour rendre le sourire à ces parents dévastés et inconsolables. Jamais ils ne me dirent ni ne me firent ressentir ce rôle qu’ils m’avaient inconsciemment attribué mais j’en sentais néanmoins le poids à chaque seconde. Je devais être à la fois Elodie et Margaux, Margaux et Elodie.

    Lorsque je fus un peu plus grande et que j’intégrai dans mon petit cerveau la place de ma sœur dans la famille, je compris à quel point nous étions différentes elle et moi. Je profitais de ces moments de « retrouvailles » au cimetière pour poser des questions à ma mère. Je ne reçus au début que quelques mots, puis des phrases, puis des histoires où elle me racontait Elodie. Maman s’animait et finissait par sourire en me narrant les bêtises de ma sœur. Je compris que malgré tout l’amour que mes parents me donnaient, je n’arrivais pas à combler ce trou béant qu’elle avait laissé dans leur cœur. Discrète, je me faisais discrète. Je ne voulais en aucun cas les décevoir, jamais.

    Mon enfance fut donc assez monotone jusqu’à ce que Nina débarque dans ma vie. Un jour pas fait comme un autre, un jour où tous les anges vous sourient, elle arriva dans mon école, dans ma classe où elle s’assit à côté de moi. Ce fut le début d’une amitié forte qui dure encore à ce jour. Elle fut mon rayon de soleil dans cet univers feutré mais triste dans lequel j’évoluais.

    Nina venait d’un pays où l’on parle une langue de la couleur des rubans qu’elle portait, exotique*. C’était une fée, tout ce qu’elle touchait se transformait en or. Jamais je n’avais rencontré une personne comme elle et je fus immédiatement subjuguée par sa beauté, son intelligence, sa force de caractère. Nous passâmes de l’école élémentaire au collège sans même nous en apercevoir. Pour elle, je bravais l’interdiction de ramener quelqu’un à la maison en l’absence des parents. Je l’invitais à goûter et nous passions des moments délicieux… jusqu’au jour… jusqu’au jour où Nina disparut des radars…

    … Deux jours avant, il s’était passé un drôle d’incident. Tous les mardis, notre classe se rendait à la piscine où nous nous entraînions pour passer notre brevet de natation. C’était un moment très joyeux et surtout loin des problèmes de maths et des exercices de français. Nina avait refusé de se baigner et s’était réfugiée dans les vestiaires d’où elle était ressortie quelques minutes après, rhabillée, en compagnie de notre professeure de sport, Mme Genêt, qui semblait vraiment très contrariée*.

    Sur le chemin du retour, Nina ne dit rien ; elle resta murée dans son silence jusqu’au lendemain où, hors de moi, alors que je l’avais invitée à la maison pour qu’elle me raconte ce qui s’était passé à la piscine, qu’elle se confie enfin, elle baissa son pantalon et me dévoila ses jambes meurtries. MOI, SA MEILLEURE AMIE, JE N’AVAIS RIEN VU !

    Le surlendemain, j’appris avec stupéfaction qu’elle était partie avec sa mère, sans crier gare, dans un endroit sécurisé, bien à l’abri de son père qui les maltraitait depuis toujours.

    Mon amie n’était plus là ; certes, elle était désormais en lieu sûr mais elle me manquait terriblement. Ma joie de vivre avait disparu avec son départ. J’avais bien quelques copines mais aucune pour la remplacer dans mon cœur. Les semaines passèrent ; je n’eus plus aucune nouvelle d’elle… Jusqu’au jour où j’eus l’énorme surprise de trouver Nina dans notre salon.

    Mes parents savaient à quel point son absence me pesait ! Je pense qu’eux aussi s’étaient attachés à elle et qu’ils étaient aussi heureux que moi de la revoir. Quel miracle s’était-il produit pour qu’elle soit là, en face de moi ? Aucune importance, elle était maintenant dans mes bras et c’est tout ce qui comptait. Depuis ce jour et malgré les aléas de la vie, plus jamais nos chemins ne se séparèrent.

    Alors, oui ! Est-ce que j’avais trouvé en Nina cette sœur fantôme que je n’avais jamais connue et qui me manquait tant ?

    Peut-être, mais cette belle amitié illumina mon quotidien et m’encouragea à poursuivre le but que je m’étais fixé : un jour, je serais médecin…

    Jour J : ouverture de mon cabinet…

    Je suis très en avance ce matin. Nina n’est pas encore là mais je sais qu’elle ne va pas tarder. Lorsque j’ouvre la porte de mon cabinet, j’aperçois Monsieur T., mon premier patient. Il entre et commence par me demander des nouvelles de Marco ; je m’y attendais ! Je sais que les habitués vont tous m’en parler mais ils s’adapteront…

    Ce premier jour est encourageant… Puis les semaines défilent, les patients se détendent, reviennent.

    Je consulte la plupart du temps sur rendez-vous mais je garde deux après-midi pour les consultations libres. Je commence à connaître les familles, la confiance s’installe.

    De petits bobos, de gros bobos, des petites maladies, des maladies graves, de bonnes nouvelles, de mauvaises nouvelles mais je ne m’attendais pas à entrer si facilement dans l’intimité des familles, à ce que chacun me raconte ses soucis, ses angoisses, et ça, à la fac de médecine, on ne nous y prépare pas, mais alors… pas du tout. Je comprends maintenant, même si je ne l’excuse pas, la froideur de certains médecins qui vous reçoivent sans un sourire, allant à l’essentiel, en expédiant la consultation en un quart d’heure chrono. Carapace ou machine à délivrer des ordonnances ? On est là pour soigner le corps, c’est ce qu’on a appris, ça, on sait faire, mais soigner l’âme…

    Quelle chance pour nous, médecins, d’avoir une psy sous la main ! Et pas n’importe laquelle ! Du coup, cela me soulage de pouvoir diriger les patients vulnérables ; c’est plus facile pour eux de franchir la porte d’un thérapeute lorsqu’il vous est recommandé par votre médecin de famille et qu’il est juste là, sous votre nez.

    Nina a déjà une très belle réputation ; lorsque je regarde du côté de sa salle d’attente, je constate qu’elle ne désemplit pas. Nous finissons souvent en même temps, tard le soir, et nous faisons quelques pas ensemble jusqu’à nos voitures respectives. C’est toujours un réel plaisir de parler avec elle, rien n’a changé depuis l’enfance, notre amitié est intacte.

    Lorsqu’il nous arrive d’avoir un peu de temps entre deux patients, nous aimons nous retrouver dans la petite salle de repos où nous dégustons ensemble un petit chocolat dans les tasses en porcelaine que j’ai empruntées à maman, celles de notre enfance quand nous nous amusions à jouer les grandes dames en y touillant délicatement nos cuillers en argent*. Il ne manque que les fauteuils en velours pour revivre nos dix ans ! Quelle délicieuse parenthèse ! Les échanges avec Nina sont toujours aussi intenses et j’en ressors chaque fois reboostée…

    … Ce jour-là, un mercredi, c’est un jour de consultations libres, la salle d’attente est bondée ; je reconnais quelques visages mais j’en aperçois aussi de nouveaux. Je suis toujours étonnée par la diversité des profils que je rencontre, cela va du patient qui ne consulte jamais, voire en extrême urgence, à celui qui prendrait presque un abonnement chaque semaine pour obtenir des ordonnances pour des pathologies qu’il n’a pas. Je dois réserver le même accueil à chacun, rester bienveillante et professionnelle même lorsque les demandes sont farfelues, elles cachent toujours quelque chose et ce n’est pas à moi d’être juge, je suis là pour soigner, un point, c’est tout.

    Amélie a la cinquantaine, enfin c’est ce que je crois avant de lui demander sa date de naissance. Elle n’a pas l’habitude de consulter, elle n’est « jamais malade ». Mais depuis une semaine, elle tousse jour et nuit à s’en « arracher les poumons », elle a fini par prendre sa température, a attendu qu’elle descende mais cela fait presque quatre jours qu’elle est à plus de 39° et qu’elle ne se sent pas bien. Elle voudrait « juste un petit truc » pour faire tomber la fièvre et arrêter de tousser. Cela a l’air pourtant vraiment sérieux, sa toux est vilaine. Il y a une épidémie de pneumonies depuis un mois dont certaines se sont finies aux urgences. « Ôtez votre chemisier, je vais vous ausculter. » Je vois alors Amélie remettre son manteau, attraper son sac : « Non, non, c’est pas grave, j’vais m’débrouiller. »

    Je reste muette quelques secondes. Je dois pourtant réagir immédiatement, prouver à ma patiente qu’elle peut me faire confiance.

    « Je vous en prie, ici vous êtes en sécurité, je suis soumise au secret médical. Rien ne sortira de cet endroit mais il faut vous soigner, vos symptômes sont sérieux. »

    Visiblement, elle ne s’attendait pas à cette réaction. Elle hésite, se retourne, me regarde puis fond en larmes.

    « Venez, retirez votre corsage que je puisse vous examiner. »

    Alors sans lâcher mon regard, elle ôte ses vêtements. Je ne dis rien mais ce que je vois me rappelle les bleus que j’avais vus sur mon amie lorsque nous étions enfants ; des images oubliées me remontent à la surface, les jambes de Nina couvertes d’hématomes… nous n’avions que douze ans !*

    Je l’ausculte, je soupçonne une pneumopathie. Je lui prescris un traitement antibiotique et des radios des poumons. Puis, l’air de rien, je lui parle de Nina, la psychologue, de cet espace neutre et bienveillant qui est là, juste à côté de mon cabinet : « Votre mari n’en saura rien, dites-lui que vous devez me revoir mais prenez rendez-vous avec ma collègue psychologue, je vous en prie. »…

    Cette patiente avait réveillé en moi tout ce que j’avais tenté d’oublier depuis de si nombreuses années. En une fraction de seconde, le corps abîmé de mon amie Nina m’était revenu en mémoire. Sonnée, c’est l’effet que cela m’avait fait, comme une gifle que l’on n’attend pas… je ne devais pourtant rien montrer à cette femme, ma patiente : rester professionnelle, gagner sa confiance, l’aider…

    Depuis cette consultation, Amélie s’invitait dans mes rêves, enfin, dans mes cauchemars : je lui tendais désespérément une main qu’elle n’arrivait pas à attraper. Je me réveillais en nage ne sachant comment me débarrasser de ce poids qui venait m’oppresser chaque nuit. Enfant, je n’avais rien soupçonné de la maltraitance que subissait mon amie Nina et aujourd’hui encore je me sentais coupable de n’avoir rien vu, de n’avoir rien fait. Tout se mélangeait dans mes rêves, les deux femmes n’en faisaient plus qu’une, comme une hydre à deux têtes : Amélie/Nina… Nina/Amélie…

    La culpabilité, celle qui me rongeait depuis tant d’années… je pense que c’est ça, ce sentiment-là qui me fit accepter d’emblée la proposition de Mme Luciani, une psychologue que j’avais rencontrée un jour chez des amis et qui m’avait tout de suite plu et ça, ça ne se commande pas ; alors quand elle me donna rendez-vous au café pour me proposer le poste d’accueillante dans un groupe de parole pour femmes battues, je ne pris pas deux secondes pour accepter. J’y vis l’opportunité de pouvoir peut-être en finir avec cet affreux sentiment de culpabilité qui me gâchait la vie depuis si longtemps. Ce serait difficile, certes, mais je trouvais enfin l’occasion de me racheter de ce que je n’avais pu faire pendant mon enfance ; je n’avais pas aidé mon amie mais je m’occuperais des femmes victimes de maltraitance. Peut-être qu’enfin Amélie me laisserait dormir tranquille ?

    J’étais donc très enthousiasmée par ce projet, flattée que cette femme ait pensé à moi mais tout de même un peu stressée. Serais-je assez forte pour entendre tout ce qui allait se dire dans cet endroit ?

    J’allais bientôt le savoir…

    Graziella L., psychologue

    Un lundi par mois, depuis déjà dix ans, je déjeune avec Anita, mon amie et collègue psy. C’est devenu un rendez-vous incontournable, un rituel, une sorte de respiration mais aussi un moment d’échanges où tout peut se dire, dans une confiance et un respect absolus. Nous évoquons nos réflexions, nos questionnements sur tel ou tel patient, mais pas que ; au fil de nos rencontres, l’amitié a surgi, d’un coup, sans crier gare, comme une évidence.

    Ce lundi pourtant, elle semble différente ; je vois bien que quelque chose la préoccupe. J’ai l’impression qu’elle tourne autour du pot. Tout à coup, elle se lance :

    « Dis-moi, Graziella, qu’est-ce que tu dirais de prendre ma suite à l’Assoc ? »

    Je ne m’attendais pas à ça ! Elle a bien manigancé son coup, la coquine, je n’ai rien vu venir…

    Je sais qu’Anita doit prendre sa retraite mais pour moi cela n’était encore qu’un vague projet qu’elle remettait sur la table chaque année, jusqu’à aujourd’hui. Cette fois-ci pourtant, ça a l’air sérieux, elle semble vraiment décidée ; entre la poire et le fromage, elle me propose tout simplement de la remplacer dans le groupe de parole qu’elle anime depuis quinze ans déjà, un groupe pour les femmes victimes de violences conjugales, et ce… dès la rentrée prochaine !

    Un groupe de parole, oui, ça me rappelle évidemment quelques cours et T.D. que j’ai suivis à l’université. J’ai même pu en diriger un avec mon psychologue référent lors de mon stage de dernière année. C’est vrai, cela m’a beaucoup plu mais j’ai choisi une autre spécialité et cette expérience me semble très lointaine. Pourtant lorsqu’Anita me parle d’en animer un, je suis tout de suite enthousiasmée, c’est l’occasion pour moi de sortir de mon cabinet. Cela fait maintenant une vingtaine d’années que je l’ai ouvert. La ville où j’exerce manquait énormément de psychologues et les collègues débordés par les demandes m’avaient accueillie comme le Messie. Mais depuis quelque temps, je ressens une espèce d’enfermement et cette proposition tombe à pic. Je dois absolument rafraîchir ma mémoire et me replonger dans mes cours, l’expérience clinique fera le reste. Reprendre derrière Anita ne sera pas chose facile mais elle compte visiblement sur moi et ne doute pas un seul instant de ma réponse.

    Les femmes victimes de violences conjugales, j’en ai reçu quelques-unes au cabinet et je les incite toujours à rejoindre les discussions dans cette association faite pour les femmes, entre femmes. Je sais que la clé de ces échanges est de faire émerger une certaine complicité, un partage que seules les victimes peuvent ressentir entre elles, parfois même, sans ouvrir la bouche. Le sentiment d’appartenance au

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