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Livre électronique279 pages4 heures

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À propos de ce livre électronique

« Je l’aimais encore assez pour croire que ma docilité l’amènerait à plus de douceur et de respect. Comme j’étais naïve ! Un homme comme celui-là ne peut pas être doux. Un homme comme celui-là ne peut pas être respectueux. »



À PROPOS DE L'AUTRICE


Dany Thierelle, heureuse maman et institutrice, a été une femme épanouie le jour et une épouse victime d’un pervers narcissique la nuit. Elle n’a pas su dire « non » dès la première insulte ni dès la première gifle, car elle tenait absolument à ce que ses enfants vivent comme les autres enfants, avec un papa et une maman. Pour se libérer des chaînes du passé et profiter pleinement de la vie, elle écrit Pourquoi ?
LangueFrançais
Date de sortie20 juil. 2023
ISBN9791037794116
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    Aperçu du livre

    Pourquoi ? - Dany Thierelle

    Pourquoi ?

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    © Lys Bleu Éditions – Dany Thierelle

    ISBN : 979-10-377-9411-6

    Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

    À Jean, mon tendre amoureux,

    et à Nicolas, mon thérapeute si attentif, merci.

    1er janvier 2021

    Pourquoi ? Question que j’ai posée tout au long de ma vie. Question que je me suis posée tout au long de ma vie. Questions multiples auxquelles personne ne m’a jamais répondu.

    Pourquoi Maman ne m’a pas prise dans ses bras après m’avoir mise au monde ?

    Pourquoi Maman ne m’a-t-elle jamais embrassée ?

    Pourquoi Maman ne m’a-t-elle jamais touchée, sauf pour me donner une gifle ?

    Pourquoi a-t-elle réussi à me persuader que je ne valais rien, que je ne vaudrai jamais rien ?

    Pourquoi le premier homme que j’ai aimé m’a-t-il lancé une première insulte le jour de notre mariage ? Pourquoi y a-t-il eu des milliers d’insultes après cette première ?

    Pourquoi n’ai-je pas protesté à la première gifle ? Parce que j’avais déjà compris que c’était la suite logique aux mauvais traitements psychologiques que j’avais subis depuis notre mariage ?

    Pourquoi n’ai-je pas été étonnée quand les coups de poing, les coups de pied sont tombés, pour un oui ou pour un non ?

    Pourquoi me suis-je ingéniée, pendant douze ans, à cacher les traces de coups sous des pulls à manches longues et col roulé ? Pour couvrir mon bourreau ? Pour cacher ma honte ?

    Pourquoi est-ce que je n’ai eu aucune réaction, à part le dégoût de moi-même, quand il est passé, pour combler son impuissance, à des viols quotidiens, des viols avec n’importe quoi pourvu que ça ressemble à un sexe d’homme en érection ? Pourquoi avoir accepté tout ça, sans un mot, sans une larme, sans un cri, sans un geste de révolte ?

    Pourquoi suis-je tombée en dépression lorsque tout s’est arrêté ?

    Pourquoi me suis-je montrée incapable de vivre une vie normale ? Pourquoi est-ce que je ressentais un manque alors que j’aurais dû me sentir libérée ? Mon corps, maltraité pendant douze ans, avait-il besoin, pour continuer d’exister, de sa dose quotidienne de coups, d’humiliations, de viols ?

    Pourquoi m’a-t-il fait subir tout ça ? Quelle faute avais-je commise pour mériter d’être corrigée de cette manière ?

    Pourquoi, plus de cinquante ans après, ce que j’ai vécu perturbe encore ma vie et m’oblige à entreprendre régulièrement une thérapie libératrice ?

    Un homme, Jean, mon Nano, m’a donné de l’amour vrai, de la tendresse à foison, pendant dix années. Comblée par cet amour, le premier vrai amour partagé, je me suis laissé envahir par un bonheur auquel je ne croyais plus, un bonheur dont je ne savais même pas qu’il pouvait exister.

    Le même homme a veillé sur moi avec autant d’amour, lorsque les démons du passé ont resurgi avec une telle violence qu’ils m’ont enfoncée dans une profonde dépression, m’obligeant à renoncer à mon travail, faisant de moi une loque, insensible à ce qui se passait autour d’elle, tout entière tournée vers ce qui se passait dans sa tête. Dix ans ! Jean a veillé sur moi pendant dix ans, sur moi et sur mes enfants. Dix années pendant lesquelles il a probablement beaucoup souffert, sans protester, m’entourant de la tendresse si nécessaire à ma vie. Doucement, tendrement, patiemment, il m’a menée à la guérison. Avec amour, il a banni tous mes démons et retrouvé la femme qui s’était perdue, la femme qui l’avait oublié dans sa confusion.

    Pourquoi ce brusque changement dans ses comportements après vingt années de vie commune ? Pourquoi, soudain, m’a-t-il refusé cette tendresse qui m’était tellement nécessaire et à laquelle il m’avait habituée ?

    Pourquoi toujours la même réponse à ma question « Pourquoi ? »

    Pourquoi n’ai-je obtenu que des « C’est comme ça » ?

    Pourquoi, à deux reprises, m’a-t-il laissée partir, parce que je ne pouvais plus supporter le fossé qui se creusait entre nous ? Et pourquoi est-il venu me rechercher avec de belles promesses ? Promesses oubliées au bout de quinze jours, me laissant encore plus désarmée.

    Pourquoi le fossé s’est-il creusé davantage pour devenir ravin, puis précipice ?

    Pourquoi m’a-t-il laissée au bord de ce précipice dont le fond m’attirait de plus en plus, inexorablement ?

    Tant de « pourquoi » restés sans réponses ? Qui me répondra ?

    11 février 2021

    J’ai voulu écrire mon histoire, surtout le compte rendu de la nième thérapie que j’ai commencée en 2018, alors que je n’arrivais plus à gérer seule les difficultés que je vivais douloureusement à cause de la distance que Jean, mon mari adoré, avait installée entre nous depuis de nombreuses années.

    Je garde peu de souvenirs de cette thérapie, sauf que je sentais que le psychologue me comprenait et qu’il trouvait le comportement de Jean intolérable. Des recherches de solutions pour alléger ma souffrance, beaucoup de larmes pendant les entretiens qui ne m’ont menée à rien. Il m’arrivait parfois de regretter l’existence que j’ai connue lors d’un premier mariage, même si des bribes de souvenirs douloureux d’un passé vieux de plus de cinquante ans me revenaient régulièrement. Au moins, pendant ces années, le traitement que je subissais me donnait l’impression d’exister. Je ne devrais pas dire de telles monstruosités, mais je me sentais tellement morte auprès de Jean !

    Une pause de quelques mois à essayer de résoudre seule mes problèmes. Mais plus j’essayais de m’en sortir, plus je m’enfonçais dans la dépression. Plus j’essayais d’oublier mon passé, plus des images incompréhensibles, sorties de je ne sais où, venaient me submerger et me conduisaient insidieusement vers la folie et l’idée d’en finir avec cette vie. Gérer l’angoisse provoquée par ces retours quelque cinquante ans en arrière, gérer en même temps la colère face aux comportements incompréhensibles de Jean, ça m’épuisait, j’étais incapable de faire face, je sombrais une fois de plus dans la dépression.

    C’est pourquoi je suis retournée vers ce psychologue qui avait su m’écouter, qui avait su me pousser dans mes derniers retranchements pour que je vomisse ma douleur. J’aurais pu tomber sur un de ces charlatans ou un de ces psys… quelque chose que j’ai rencontrés lors de mes différents épisodes dépressifs. J’ai eu la chance de trouver celui qui me convient. Il sait écouter, aller au fond des choses, pour m’aider à décortiquer ce qui m’encombre encore le cerveau. Je sais qu’il comprend ma souffrance, je sais qu’il la partage. Je ne sais pas encore si je lui confierai les sévices que j’ai subis. Comment réagira-t-il ? Mes mots le révolteront-ils ? Ma colère deviendra-t-elle sienne ? M’accompagnera-t-il jusqu’à ce que j’aie fini de vomir ma haine envers mon bourreau ?

    J’ai pris l’habitude de transcrire le contenu de nos entretiens pour qu’il reste quelque chose de cette collaboration basée sur une confiance réciproque, très proche de l’amitié. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de ces écrits. Je sais seulement que j’aimerais qu’ils soient lus au moins par une femme, une femme parmi ces milliers de femmes qui subissent les violences de leur compagnon, de leur conjoint, du père de leurs enfants.

    J’aimerais que cette femme sache qu’il faut dire « non » dès la première claque, car systématiquement, la deuxième s’abattra, suivie de centaines d’autres, de milliers d’autres.

    J’aimerais que ce que cette femme découvrira dans ces lignes lui donne le courage de crier sa révolte. Je n’ai pas eu ce courage, j’ai subi pendant douze longues années des attaques de plus en plus violentes, de plus en plus dégradantes, dont le souvenir me ravage aujourd’hui. Des souffrances tellement insupportables que mon cerveau les avait englouties pour me les restituer en flashs incompréhensibles, qui m’ont fait penser que je perdais la raison. Des images qui semblaient n’avoir aucun rapport les unes avec les autres, mais que je m’obstinais à vouloir comprendre.

    Et lorsqu’enfin, avec l’aide de Nicolas, mon psychologue, j’ai réussi à resituer, dans le temps et dans l’espace, l’histoire horrible que ces images racontaient, je me suis sentie dévastée par divers sentiments, la honte de la femme asservie que j’ai été, qui a tout accepté, tout et surtout n’importe quoi. Avec la honte sont venus la haine et le mépris pour le bourreau. Et puis l’interrogation : pourquoi, pourquoi a-t-il éprouvé le besoin de me traiter comme il l’a fait ? Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ? Qu’est-ce que je n’ai pas fait ? Aurais-je un jour les réponses à ces questions ?

    Merci à Nicolas qui accepte de tout entendre, même l’indicible. Merci à lui de ne pas me juger. Merci à lui de me tenir la main pendant ce long parcours dont j’espère sortir grandie.

    Merci à toi, petite sœur de misère qui me lira peut-être et trouvera la force de dire NON. Je t’aime.

    15 février 2021

    Après un séjour en psychiatrie de quelques semaines et un retour à la maison, affaiblie, mais pleine d’espoir. Jean, l’amour de ma vie, m’a promis qu’il serait plus présent et m’entourerait de la tendresse dont j’ai tant besoin. Pour consolider les bienfaits de mon séjour à l’hôpital, j’ai appelé le psychologue qui m’aidait à supporter les difficultés de ma vie avant mon hospitalisation.

    Bien que nous nous connaissions, le dialogue s’est rétabli difficilement, j’avais trop à dire, j’étais trop en colère contre Jean qui, une fois de plus, une fois de trop, manquait à sa parole. Envolées les promesses ! Ma déception était énorme et j’ai commencé à voir surgir dans ma mémoire d’autres moments douloureux, ceux que j’ai connus avec mon premier mari, Bertrand.

    Quand toute cette histoire douloureuse a-t-elle commencé ? Combien de temps ai-je été aveugle ? Savait-il, en unissant sa vie à la mienne, qu’il avait trouvé la victime idéale ? Je pense que j’aurais pu être alertée le jour même de notre mariage. Plusieurs signaux auraient dû m’ouvrir les yeux. Mais non, j’étais une jeune femme amoureuse qui vivait le plus beau jour de sa vie.

    Voilà, nous sommes mariés, unis pour toujours. Nos familles, nos amis nous entourent, nous félicitant et nous souhaitant tout le bonheur du monde. Un peu étourdie par tant d’attentions, il me semble que je plane. Sans doute est-ce cela qu’on appelle « être sur un petit nuage » ? J’oublie pour un moment ma crainte de l’entendre dire « non » à la question posée par le maire de mon petit village. Pourquoi cette crainte ? Il était tellement furieux tout à l’heure lorsqu’il a découvert que mon visage était légèrement maquillé. « Va m’enlever cette peinture, tu as l’air d’une pute. » Je ne m’étais jamais maquillée, c’était une idée de mon amie Josette. Je n’ai rien pour me démaquiller, à part de l’eau et du savon… Et les larmes qui coulent de mes yeux. Je promets de ne plus jamais recommencer, implorant son pardon. Il a pardonné puisqu’il a dit « oui ».

    Après cette cérémonie des félicitations et d’offrandes de cadeaux, chacun s’installe à table pour partager le délicieux repas que mon adorable belle-mère a préparé. Je remarque que Bertrand mange peu, mais qu’il boit beaucoup, beaucoup trop…

    Une image surgit… Celle de mon père, sortant d’un repas trop arrosé, qui rentre à la maison avec quelques copains. C’est la première fois que je le vois ivre. Justement ce jour-là, où un évènement a bouleversé ma vie. Pour la première fois, j’ai vu des traces de sang dans ma culotte. Devant mon inquiétude, Maman m’a dit : « Ce sera comme ça tous les mois jusqu’à ce que tu meures ». Mon esprit de petite fille de dix ans comprend que ce sang qui sort de mon corps me fera mourir. Je pense que Maman et moi avons enfin un secret de femme à partager et ça calme un peu mon angoisse. Mais au lieu de garder ce secret, elle ne trouve rien de mieux que de l’annoncer à mes frères et à ces hommes ivres qui me taquinent de plaisanteries que je ne comprends pas. Quant à mes frères, ils prennent l’habitude de m’appeler « la puante ». Je ne comprendrai que dix ans plus tard les raisons de ces saignements. Et pendant dix ans, je m’empêcherai de dormir pendant mes règles, de peur de mourir pendant mon sommeil.

    Un baiser dans le cou me ramène dans le présent. La fête bat son plein. Les rires fusent à chaque histoire drôle, les enfants courent ou se traînent à quatre pattes, à la conquête des ballons de baudruche qui décorent la salle, les toasts sont portés l’un après l’autre. Et toujours ce vin qu’il avale, verre après verre. Son regard devient de plus en plus vague, il bafouille des inepties concernant la nuit que nous allons vivre. Cette nuit que j’imaginais merveilleuse, à l’image de ses baisers qui faisaient naître des frissons délicieux dans mon ventre pendant nos fiançailles. Mais tout cet alcool déjà ingurgité alors que la fête ne fait que commencer !

    Mon père se rappelle la promesse qu’il m’a faite de réaliser mon rêve : celui de me faire danser une valse viennoise en robe longue. Moment de rêve qui me fait oublier toutes les mauvaises pensées qui m’ont traversé l’esprit avant que Papa ne m’entraîne sur la piste. Rêve brisé lorsque Bertrand vient nous séparer pour se lancer dans un rock alors qu’il ne tiendrait même pas debout pour exécuter le slow le plus lent ! Moment de honte où nous sommes l’objet de tous les regards, réprobateurs pour lui, empreints de pitié pour moi. Je me rends compte que l’homme dont je suis amoureuse n’est pas celui que je connaissais jusqu’à présent. Étais-je aveugle pour ne pas voir ce que je découvre depuis ce matin ? Comment expliquer ses comportements d’aujourd’hui ?

    Je me sens un peu perdue. Je me promets de faire en sorte, cette nuit, qu’il oublie dans mes bras tout ce qui peut le tourmenter. Peu importe si cette nuit ne m’apporte pas la félicité qu’une jeune mariée est en droit d’espérer. Je me dis que cette personnalité que je découvre est un accident de parcours dû au stress, au regret de devoir renoncer à sa vie de jeune homme aimant faire la fête. Je lui pardonne tout, d’avance, je veux le voir heureux de m’avoir choisie pour partager sa vie. Et si cette nuit ne répond pas à mes attentes, tant pis, il y aura d’autres nuits, des milliers d’autres nuits !

    Je ne m’attendais pas à vivre un tel enfer. Son haleine alcoolisée qui me lève le cœur, sa violence lorsqu’il arrache mes vêtements, son acharnement à essayer de trouver le chemin dans mon corps écartelé, ses insultes : « T’es vraiment bonne à rien. Qu’est-ce qu’on t’a appris ? C’est tout ce que tu sais faire ? Je vais t’apprendre. Fais tout ce que je te dis et tu seras une bonne épouse. »

    Et il s’endort. Je pleure sur ma déception. Je pleure sur ma robe de mariée en lambeaux. Je pleure sur la douleur de mon sexe malmené pendant des heures. Je pleure en me disant que Maman avait raison lorsqu’elle me disait que je ne serais jamais bonne à rien.

    27 février 2021

    Douze années de mariage… douze années de mauvais traitements… et parmi ces douze années, sept ont été les plus difficiles que j’ai connues. Et parmi ces sept années, deux très particulières où je me retrouve complètement dépendante du bon vouloir de Monsieur, si tant est que Monsieur ait un jour eu l’intention de me vouloir du bien !

    En 1973, mon troisième fils vient au monde au printemps ; mon congé de maternité se termine début juin. Nouvelle organisation, surtout le matin. Un biberon à donner pendant que les deux « grands », âgés de deux et trois ans, prennent leur petit-déjeuner. Changer le bébé, débarbouiller les grands, les aider à s’habiller. Préparer un repas à réchauffer pour le midi. Une dose de café entre deux tâches à accomplir. Pas le temps de manger. Déposer bébé chez la nourrice et les autres à l’école maternelle de notre village. Et aller rejoindre mes élèves qui m’attendent dans la cour de récréation. Heureusement, j’ai droit à un logement de fonction, je ne perds donc pas de temps sur les routes. Le soir, je cours moins : récupérer les enfants, petits et grands, câlins, goûters, jeux, rires, bains, repas à préparer, dernier biberon, tout le monde au lit après une histoire. Ma journée de maman est terminée. Ma journée d’institutrice se poursuit dans les corrections des exercices du jour et les préparations de la journée du lendemain. Je ne suis pas tranquille, il n’est pas encore rentré. Dans quel état sera-t-il ? De bonne humeur ou prêt à saisir n’importe quel prétexte pour me chercher chicane ? J’ai du mal à me concentrer sur mon travail, je regarde partout, cherchant ce qui pourrait déclencher sa colère. Moi, je ne vois rien, mais lui trouvera…

    Quatre semaines de ce régime où il me faut vivre à cent à l’heure, je vois les grandes vacances arriver avec soulagement et, en même temps, avec appréhension… Comment vont se dérouler ces journées ? Il va être présent plus souvent, il trouvera plus facilement des motifs pour me corriger. « Je te corrige, parce que tu es nulle et bonne à rien. Il faut que je t’apprenne à être une bonne épouse, une bonne baiseuse. » Il a depuis longtemps abandonné les gifles qui laissent des marques. Les coups de poing dans la poitrine, les coups de pied dans le ventre et le dos, des coups de tuyaux de gaz en caoutchouc sur la tête, ça laisse des traces, mais personne ne les voit. Tout est caché par des pantalons et des pulls à col roulé, par n’importe quelle saison. Parfois, il compte, avec un plaisir évident, les bleus visibles sur mon corps, mais il ne voit pas les bleus qu’il imprime à mon âme. Il ne voit pas les mots de haine qui s’inscrivent dans mon cerveau à mesure que sa violence s’accroît. C’est mon secret.

    Tout au début juillet, il arrive à la maison tout de suite après sa journée de travail. Je me mets à trembler, la soirée va être longue. Apparemment, il n’est pas ivre, pas autant que d’habitude. « Tu as devant toi le plus jeune directeur d’agence bancaire de toute la région. » En le félicitant, je l’imite mentalement en me disant : « Tu as devant toi le directeur d’agence bancaire le plus con et qui va très vite se casser la gueule ! » Il prévoit un déménagement pour la fin du mois, sa prise de fonction étant prévue pour le 1er août. C’est de la folie, préparer un déménagement en un mois avec trois jeunes enfants qui demanderont tous mes soins ! Et mon travail ? Il faut que je demande ma mutation. Y a-t-il un poste vacant dans le village où nous allons nous installer ? Ou dans le village voisin ? Il ne m’a jamais autorisé à passer le permis. « Tant pis, de toute manière, je vais gagner plus que tu ne rapporterais, tu ne pourras plus dire que je gagne moins que toi, tu t’occuperas des gosses et tu te tiendras comme il faut, j’aurai un rang à tenir, je ne veux pas être l’objet de critiques à cause de ma bonne femme incapable. » Voilà, tout est dit. Monsieur a décidé. Madame n’a plus qu’à s’exécuter. Je demande un congé d’un an pour convenances personnelles, en espérant qu’un poste se libère pour que je puisse y prétendre. Je trie, j’emballe, je console les petits chagrins des grands qui se chamaillent, excités par ces bouleversements, je donne des biberons, je change des couches, je raconte des histoires, j’attends ma raclée quotidienne… Les jours se suivent et se ressemblent, il arrose sa promotion avec ses nombreux copains de beuverie. Comment a-t-on pu lui accorder un poste de cette responsabilité ? Personne ne s’est donc aperçu qu’il n’est qu’un ivrogne ?

    Nous visitons l’appartement de fonction qui lui est accordé. « Maintenant, tu es chez moi ! » Je repère cinq chambres et, espoir, je calcule : une pour chacun des garçons, une pour lui et une pour moi. Naïve que je suis. Il a prévu d’occuper une pour s’en faire un bureau qu’il a d’ailleurs déjà équipé : bureau, siège ergonomique, armoires, mini-bar… Une déception de plus, il faudra que je continue à partager son lit et ses relents d’alcool. Dire que ce bureau, il ne l’occupera jamais ! Sauf pour boire un coup !

    Commence alors une longue période où je dépends complètement de son bon vouloir. Je n’ai plus

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