Mon père est mort deux fois
Par Eva Durigau
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À propos de ce livre électronique
Cette histoire fait naviguer entre les fragilités psychologiques familiales, les petites épreuves quotidiennes et l’envie de s’en sortir coûte que coûte jusqu’à ce qu’un événement tragique arrive.
C’est au travers de la relation à son père que l’autrice a souhaité raconter son parcours qui aurait été tout autre, sans doute, si cet homme n’avait pas occupé une place prépondérante dans la famille.
Ce récit raconte 25 ans de vie, d’une petite fille intrépide, à l’adolescente fragile ayant l’espoir de devenir un jour une femme avec l’esprit libre et la tête haute.
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Aperçu du livre
Mon père est mort deux fois - Eva Durigau
PREAMBULE
Ce soir tout est vide, c’est certainement pour cela que je décide de mettre des mots sur cette histoire de vie.
Ça fait longtemps que j’y pense sans jamais oser sauter le pas, sans vraiment vouloir prendre le temps.
Je suis qui, moi, pour écrire un livre ? En quoi mon histoire peut-elle avoir de l’intérêt ? Après tout, tout le monde vit des histoires gaies, des moins gaies, des traumatismes, des changements.
Et à quoi cela va servir ? N’est-ce pas totalement narcissique comme démarche ?
J’ai essayé de répondre à ces questions et j’en suis arrivée à la conclusion que ce besoin d’écrire, qui me trotte dans la tête depuis des années, aujourd’hui j’ai juste envie d’y répondre.
Elle va bien rigoler ma copine Ch, elle qui a été le témoin de mon incroyable incapacité à lire durant toute ma vie scolaire et au-delà.
Et oui, me voilà maintenant à aligner des mots pour faire lire les autres ou du moins mes proches curieux et mes enfants.
Je l’écris aussi en hommage à mes parents et j’envoie plein de remerciements à ceux et celles qui ont toujours été là pour moi et qui le sont encore aujourd’hui, physiquement ou juste dans mon cœur.
Je suis une personne introvertie (je l’ai compris il n’y a pas longtemps) et il reste encore des choses que je n’ai jamais osé dire. Certains passages peuvent choquer de par leur véracité, une véracité dont je n’ai pas toujours eu le courage de faire preuve.
Ce livre est une autobiographie que j’ai volontairement orientée au travers de ma relation paternelle et en second plan maternelle. Évidemment beaucoup de sujets ne sont pas traités, des sujets qui, pourquoi pas, feront l’objet de prochains livres, si ce premier opus ne m’en a pas découragée.
Ceci est mon histoire, celle que ma mémoire me restitue au fil des ans qui passent. Les personnes et personnages de cette histoire sont ceux de mon souvenir et de mon prisme, avec la déformation qui est la mienne.
En aucun cas, si des personnes se reconnaissent ou reconnaissent des gens de leur entourage, je ne veux déformer la réalité de leurs vécus ou de leurs ressentis. Chacun a droit à sa lecture et à sa romance.
Le temps de la désinvolture
Je suis une petite fille du Sud de la France, chez les catalans comme ils aiment le dire là-bas, c’est là-bas que je suis née.
J’ai onze mois tout pile quand John Lennon se fait assassiner (ça c’est juste pour ne pas vous donner la date exacte et pour penser à lui par la même occasion).
Je vis dans un lotissement récent, aux prémices des cités que l’on connaît aujourd’hui. Mon immeuble, je le reconnais du haut de mes quatre ou cinq ans grâce aux balcons couleur vert pomme flashy. Rattaché aux autres immeubles, ils bordent une rambla rouge de petits graviers où déambulent les vieux.
J’adore regarder dehors, les yeux dans le vide et je rêve que je suis dans une destination tropicale. Les palmiers présents partout sur les ronds-points et les trottoirs m’ont toujours fait croire que je vivais dans un pays exotique, sur une sorte d’île magnifique où beaucoup rêvent d’aller.
On passe notre temps à jouer sur un terre-plein entre deux barres d’immeubles. Quand je dis un terre-plein, en fait plus que ça, il y a de l’espace, des buissons pour se cacher et des pins avec leur odeur de sève. On s’envoie des cailloux à la gueule et on part à la chasse aux pignons.
On, ce sont les copains des immeubles d’en face, les voisines de l’étage et mes sœurs. Un joyeux bazar quand j’y repense.
Avec le recul je me dis que c’était une autre façon de vivre, avec tout le bruit, des cris, des mobylettes, des rires et l’écho que ça faisait entre les tours.
Ce que j’aime, quand on descend, c’est cette sensation de liberté, on y passe des heures à inventer des histoires et à vivre des aventures de dingue.
Enfin, les histoires de gosse, c’est surtout vrai pour moi. Mes sœurs, elles, sont déjà en âge de fumer des clopes en cachette pour l’une et de commencer à tester son pouvoir de séduction pour l’autre.
Un jour un p’tit gars joue avec nous, je ne le sens pas, il crie à tout va et à vrai dire il m’effraie un peu. Il passe son temps à jeter tout un tas de choses, des missiles sans doute, dans son histoire de combattant de l’extrême.
Et voilà qu’un missile vient tout droit sur moi avec une vitesse telle que je ne pus l’éviter. C’est la douleur qui me fait réaliser que son missile, un vulgaire morceau de cagette, vient de s’enfoncer dans ma voûte plantaire droite.
Alerte rouge ! Alerte rouge !
Tout le monde aux abois, vite il faut rapatrier la blessée !
Tout ce sang qui coule laisse une trace derrière mon passage à mesure que mes sœurs me conduisent bras dessus, bras dessous vers notre appartement.
Je n’ai jamais oublié la réaction de ma mère, toute paniquée de voir mon sang couler à flots.
Et, entendant tout le chahut venant du couloir de l’entrée, mon père arrive tel un super héros sorti de nulle part ou certainement du fond de son canapé, pour gérer la situation. Il repousse ma mère et s’enferme avec moi dans la cuisine pour me soigner et ne pas m’effrayer davantage. Il a des mots rassurants, c’est vrai, je vois bien qu’il va me sauver.
Sur le coup je le trouve dur avec maman. Elle, elle s’inquiète pour moi et réagit de son émotion de maman qu’il a balayée en deux secondes.
Lui, il réagit comme un homme
, cet être fort qui intervient quand la situation vacille… C’est comme ça que je l’ai perçu toute ma vie d’enfant et d’adolescente.
Il avait raison dans le fond, il faut à ce moment-là gérer l’urgence et laisser ma mère prendre sur elle.
Alors, il m’assoie sur la table de la cuisine en sommant ma mère : rapporte-moi la trousse à pharmacie, bandages, ciseaux, désinfectant…
Ma mère s’exécute sans un mot, elle sait qu’il vaut mieux qu’elle se taise. Son devoir c’est de répondre aux ordres et elle le fait bien.
Cela me rassure que maman soit là, tout près, parce qu’il faut dire que si lui a les gestes qui sauvent, elle, elle a tout le reste. Un simple de ses regards de tendresse, un mot de courage sorti de sa bouche sont les seules choses qui m’ont toujours réconfortée réellement.
Il s’en est passé des choses folles en bas de l’immeuble. C’est là que j’ai appris à faire du vélo aussi, vous savez ces vélos cross, il était rouge, quelle fierté !
Apprendre à faire du vélo, c’est aussi un rôle pour papa. Sa technique, très simple :
–Tu vois la petite descente le long des garages ? Eh bien, tu vas te mettre là-haut et quand je te dirai
pédale, tu pédales !
.
Non sans appréhension, mais avec toute la retenue de circonstance, je m’exécute. Hors de question de montrer mon inquiétude et de passer pour une petite fille peureuse. J’ai envie que tu sois fier de moi, papa. Ça y est, j’y suis, je suis en haut. Il met sa main sur le derrière de la selle, donne une grande impulsion, mon vélo s’élance et il crie :
–Pédale, pédale !!
.
Dans ma tête je n’entends que le silence de mes neurones qui se connectent pour gérer ce stress, garder la tête haute et aussi l’équilibre.
Soudain le silence laisse place à:
– Freine, freine, appuie sur les freins !!
Un éclair me transperce le corps, vous savez cette sensation de danger imminent qui vous enjoint de réagir.
Trop tard pour cette fois, je finis par perdre le contrôle et tomber au sol. Alors là c’est la honte, je me relève aussitôt, même pas mal. On en reste là, il me tape sur l’épaule pour m’encourager, c’est sa façon à lui de me rassurer et de faire en sorte que je persévère.
J’ai fini par apprendre à faire du vélo seule, à m’entraîner tous les jours qui ont suivi pour que cette expérience soit tout de même gravée dans mon esprit comme le départ de mon apprentissage.
C’est important pour moi que ce soit mon père qui m’ait appris à faire du vélo, c’est pour la vie.
Les heures passées en bas auront été riches d’apprentissages et d’expériences. Le meilleur souvenir est sans aucun doute, un instant : l’heure du goûter. On entend ma mère crier par la fenêtre nos trois prénoms… Attention, tout le monde s’écarte! et BAM, un sac envoyé du deuxième étage contenant biscuits et gourdes en plastique. Vous savez ces gourdes en plastique de la marque pour laquelle pas mal de ménagères des années quatre-vingt participaient à des réunions. Ma mère en faisait partie d’ailleurs, je n’ai jamais compris comment on pouvait se prendre d’intérêt pour des ustensiles de cuisine.
J’adorais ce moment, la découverte magique, du goûter qui finissait toujours divisé en douze pour que tout le monde en profite. Mais la gourde c’était la mienne, elle avait ma couleur et ma grenadine à l’intérieur et elle avait un bon goût de plastique de ces années-là.
Ma mère était vraiment cool, la seule contrainte c’était de rentrer pour le dîner.
Bon oui, ce n’était pas tous les jours comme ça, uniquement le week-end