L'eau de rose: Un roman familial émouvant
Par Laurence Martin
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À propos de ce livre électronique
« Elle me pointe un petit carnet qui gît le long du caniveau et murmure :
- Dites-leur pour moi que je les aime.
Je demande :
- À qui ?
Elle convulse.
Je pleure.
- À qui ?
Elle est partie.
La femme qui sortait du cimetière est venue mourir dans mes bras... Je souffle « Je le leur dirai » comme une promesse indestructible.
Rose ne sait pas que cette promesse va bouleverser son existence.
Au fil des pages de ce carnet, elle remettra en question sa solitude. Elle ira chercher ses réponses, contestera les lois familiales qui érigent le silence sur sa mère disparue il y a vingt ans. Elle apprendra combien la vie peut être belle et l’amour un nouveau départ. Mais, quand l’adversité s’entête, la peur reprend parfois ses droits et la mort ses prérogatives.
Rose trouvera-t-elle sa vérité ? Osera-t-elle enfin le bonheur ? »
Découvrez une intrigue familiale émouvante, dans laquelle une femme prend un nouveau départ et cherche des réponses.
EXTRAIT
Je m’appelle Rose, tout comme la fleur.
Une longue tige acérée d’épines, voilà ce qu’on peut dire de moi.
Un mètre quatre-vingts courbé, le regard fuyant vers le sol, occupée à ne pas tomber sur un visage croisant le mien.
Dans ma famille, j’ai grandi seule, appris sagement à disparaître, à me faire petite, invisible, appris dans le regard de Georges qu’il ne fallait pas faire de vagues, qu’il fallait me faire oublier.
J’avais dû faire une grosse bêtise, puisqu’il ne me souriait jamais, me parlait peu ou m’ignorait ; comme une sorte de punition sans qu’elle ne soit jamais levée.
Longues années ternes et perdues à tenter d’être à la hauteur d’un regard ou d’une attention, à espérer qu’il pousse ma porte, vienne demander comment j’allais et pardonne, enfin, cette erreur dont personne ne m’avait parlé.
Une chose secrète et innomée, une chose vieille de plus de vingt ans, dont l’intuition me faisait craindre d’en être en partie responsable.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
L'eau de Rose de Laurence Martin est un roman déchirant, un sublime hymne à l'amour ! - Soukiang, Babelio
Une lecture que je n'avais pas envie de finir tant elle fait du bien. Ce livre, j'ai envie de l'offrir à tout le monde, il donne le sourire et réchauffe le cœur… Il s'agit d'un bijou, à consommer sans modération ! - Wolkaiw, Babelio
À PROPOS DE L'AUTEUR
Laurence Martin est née en 1969 à Paris. Rédactrice et journaliste dans divers magazines, l’écriture est son évidence. Elle nous offre ici un roman à la fois émouvant et fort sur la réparation de soi. Son livre est celui d’une révolte, d’un cri d’amour, d’une mutation. L’auteure y tient une aussi jolie promesse à son lecteur qu’à son personnage principal.
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Aperçu du livre
L'eau de rose - Laurence Martin
Laurence Martin
L’eau de Rose
Je savais que la vie n’est pas un chemin facile…
Mais je savais aussi que le bonheur existe, qu’on peut le créer,
et que l’espoir n’est pas seulement une illusion.
–Martin Gray
À ma fille.
1
Je m’appelle Rose, tout comme la fleur.
Une longue tige acérée d’épines, voilà ce qu’on peut dire de moi.
Un mètre quatre-vingts courbé, le regard fuyant vers le sol, occupée à ne pas tomber sur un visage croisant le mien.
Dans ma famille, j’ai grandi seule, appris sagement à disparaître, à me faire petite, invisible, appris dans le regard de Georges qu’il ne fallait pas faire de vagues, qu’il fallait me faire oublier.
J’avais dû faire une grosse bêtise, puisqu’il ne me souriait jamais, me parlait peu ou m’ignorait ; comme une sorte de punition sans qu’elle ne soit jamais levée.
Longues années ternes et perdues à tenter d’être à la hauteur d’un regard ou d’une attention, à espérer qu’il pousse ma porte, vienne demander comment j’allais et pardonne, enfin, cette erreur dont personne ne m’avait parlé.
Une chose secrète et innomée, une chose vieille de plus de vingt ans, dont l’intuition me faisait craindre d’en être en partie responsable.
Les mornes années de l’enfance puis d’adolescence solitaire m’ont bâtie sans confiance en moi, ni aucune estime de moi-même.
Georges avait été un médecin affectionné de ses patients, au diagnostic toujours très fiable, dont l’acharnement au métier présageait du leurre patenté, que le travail peut tout soigner, et le sien pouvait y prétendre.
Un homme à la pochette unie, aux costumes gris, aux bonnes manières, à la physionomie rondelette qui inspirait la bonhomie.
Un homme à qui l’on se confiait et dont on respectait l’avis, mais qui n’avait pas été père, n’avait pas même tenté de l’être.
Derrière la grande façade bourgeoise de la maison de notre enfance et les bonnes apparences données, ma sœur et moi crevions d’oubli, de non-dits et de mal-aimance. Chacune en avait pris acte, chacune de nous avait choisi la meilleure façon de survivre.
Anna convoquait notre père sur le seul des terrains possibles, celui de la pathologie, tandis que je disparaissais dans une jeunesse rasant les murs.
Ma scolarité fut correcte, jamais un mot sur mes carnets, pas un reproche d’une seule maîtresse, hormis celui d’être discrète et de ne pas participer.
J’étais devenue une enfant « neutre », une enfant dont on ne dit rien, transparente, facile, sans problèmes, une enfant comme le voulait Georges.
J’aurais tellement voulu lui plaire, tellement voulu le rendre heureux.
Je m’appelle Rose, j’ai 22 ans, je ne connais pas le bonheur.
En revanche, j’aime le regarder, le toucher du doigt, l’approcher, pour cela, j’ai mes habitudes.
Chaque soir, la même sortie d’école, la même petite fille, et j’attends. J’attends ce flot de bonheur rare, cette jubilation enfantine, ce trépignement intérieur que je n’ai jamais ressenti. Je plonge dans son regard inquiet, je la regarde scruter la foule, chercher sa mère dans l’assistance. J’attends l’instant où elle la voit, celui où elle lui fait un signe, où son visage, soudain, s’allume, et ses prunelles se font plus grandes.
On peut tout voir dans un regard, même un cœur éclater de joie.
Puis je l’observe supplier la permission de s’en aller et courir droit, sans s’arrêter, jusque dans les bras maternels.
Quand l’école ferme pour les vacances, c’est dans les gares que je le cherche ; le bonheur traîne au bout des quais.
Souvent, c’est une femme qui l’arbore. Sur une femme, c’est plus repérable.
Elle arrive sous le tableau noir, fouille la liste des arrivées, mordille ses lèvres, cherche le quai, fait les cent pas et s’impatiente. Puis finalement, le train arrive, les gens descendent, la femme s’approche. Elle se hisse sur la pointe des pieds, s’agrandit, contorsionne son corps, affronte la foule qui la menace. Enfin, elle le voit, il est là, elle aussi, elle court droit vers lui, pour elle aussi, le même regard, le même son du cœur qui éclate. Elle court, et il ouvre les bras.
Le temps suspend son triste vol chaque fois que les amants s’embrassent, peu importe qu’ils soient bousculés, houspillés de « pardon » pressés, fustigés de regards jaloux, ils sont heureux et seuls au monde.
Ça doit être ça, le bonheur, sentir les battements de son cœur accélérer dans sa poitrine, avoir l’impression qu’il éclate, qu’il inonde son corps de chaleur jusqu’au plus petit des recoins. Peut-être l’ai-je vécu un jour. Mais c’est si loin que je ne sais plus.
Pour l’heure, je vis les joies des autres, volées aux autres, subtilisées, et je les tiens à bonne distance, c’est bien plus sûr que de les vivre. Je les apprivoise comme des chiens dont on sait qu’ils pourraient vous mordre.
Des joies qui ne s’éternisent pas, ne s’habituent pas à ma vie, que je vis par procuration, servent aux illustrations des livres d’enfant que j’écris. Des joies que je couche sur papier, dessine et peins dans mes ouvrages, des joies délavées, détrempée, fondues de couleurs, aquarelles.
Mon héroïne se prénomme Lise, elle est ma projection heureuse, ma part d’enfance revisitée, elle est cette petite fille ouverte à qui je permets le sourire. Et à en croire mon éditeur, Lise a les faveurs du public. Un « très joli succès d’estime », aime-t-il à dire en me souriant. « Les enfants adorent votre Lise ! »
Toujours à croire mon éditeur, j’ai les moyens de m’installer, d’avoir un loyer parisien. Alors, je vais quitter Vincennes, je vais quitter la grande maison, Georges et Anna, mes habitudes, la petite fille de Saint-Joseph au 13 de la rue Daumesnil, celle dont j’allais voir le bonheur éclater au fond du regard.
Je m’appelle Rose et je m’en vais.
*
J’ai trouvé un petit deux pièces près d’un parc pour les enfants, fenêtres ouvertes sur les arbres, les bacs à sable et tourniquets, la course folle des chérubins.
Une infinité de bonheurs à observer sans même sortir !
Georges m’a aidée pour la caution et Anna pour l’emménagement.
Je me suis acheté un bureau, un lit, une armoire, l’essentiel, rien qui soit ostentatoire, trop déco, tendance, inutile, sauf une plante verte, une plante immense qui monte au plafond et tapisse les murs de mon nouveau logis.
Pendant que je boucle mes sacs, dans la chambre de mon enfance, Anna tourne en rond dans la pièce, ses mains se tordent en moulinets comme pour réchauffer ses phalanges, mais en vrai ils ne réchauffent rien, ils sont le symptôme d’un état, d’une nervosité retenue, d’une agressivité latente.
Je connais bien cette Anna-là, celle avec qui l’on ne discute pas, celle qu’il vaut mieux ne pas défier.
Ses questions claquent tout comme des fouets qu’elle manierait contre des fauves.
« Tu pouvais pas rester ici ? T’étais pas bien, que tu t’en vas ? »
Je pense, sans oser lui répondre, non Anna, je ne suis pas bien et toi non plus, tu ne l’es pas. Je pense, sans pouvoir le lui dire, toi aussi tu devrais partir, quitter Georges et son cabinet, son secrétariat médical, ses prises de rendez-vous, ses notes. Anna, les filles de 27 ans sont parties de chez leurs parents. Pourquoi restes-tu ? Qu’attends-tu ?
Mais elle ne pourrait pas l’entendre, ma sœur est fragile, inflammable, c’est une bombe à retardement.
Trop longtemps qu’elle est amorcée, que les crises restent sous contrôle, domestiquées par les calmants, bâillonnées par les hypnotiques.
Trop d’années qu’elle cherche à faire face et parfois semble réussir, s’offre quelques mois de répit, pose ses angoisses, dort de nouveau.
Mais chaque fois, la chute est plus dure, les cris reviennent encore plus forts, les cauchemars reprennent comme avant, et les purges se font plus drastiques.
Déjà vingt ans qu’Anna s’épuise à garder quelque chose en elle, cette même chose qu’on ne m’a pas dite. Et ça, je l’ai compris toute seule en regardant Anna grandir, se terrer parfois dans son lit, des journées entières sous les draps, hantée par je ne sais quel souvenir. Je l’ai compris en l’observant essayer d’être une sœur modèle, une petite maman acceptable, puis d’un seul coup n’être plus rien qu’indifférence et agression. Ça, je l’ai admis en voyant Anna assouvir ses pulsions chaque nuit qu’une crise la réveillait.
Le long des placards de cuisine, accrochée au montant des portes, Anna conjurait ses angoisses, nourrissait le vide par l’excès, laissait libre cours à sa faim sans qu’aucune satiété n’arrive, jusqu’à ce qu’elle décide la purge, oblige l’estomac à tout rendre.
Je me glissais dans la pénombre et m’approchais de la lumière, à peine un filet d’éclairage sur le dos de ma sœur penchée, secouée de soubresauts muets.
Je l’ai appris de ses cauchemars, de sa main tendue hors du lit comme pour atteindre une autre main, de la même phrase qu’elle répétait : « Papa a dit c’est pas ta faute. »
« C’est pas ta faute, c’est pas ta faute », scandait Anna, sans même me voir, dans un mouvement de métronome dont elle seule pouvait se défaire.
La tête enfermée dans ses mains, comme pour éviter qu’elle éclate, les doigts pressés contre ses tempes, Anna contenait sa folie, s’imaginait pouvoir l’occire en la comprimant dans ces lieux.
Je n’ai jamais vraiment compris de quelle faute elle voulait parler, si c’était ma faute ou la sienne, si elle parlait d’elle ou de moi. Tant de nuits marquées de souffrance ont jalonné mon univers qu’en descendant l’escalier de la maison de mon enfance, je n’éprouve aucune nostalgie, aucun regret, même en cherchant.
Ici, je n’ai pas été enfant, je n’ai pas couru dans l’allée en rentrant chaque soir de l’école, ni dessiné à même la terre une marelle pour lancer des pierres. Ici, je n’ai pas joué, pas ri, pas invité d’amies de classe. Là, je ne me suis pas cachée dans les placards pour qu’on m’y trouve, n’ai pas forcé les interdits pour aller fouiner au grenier, ni écouté derrière les portes. Aucun recoin de cette maison ne recèle de souvenirs heureux.
Anna me suit sans rien me dire, court vers la cuisine en criant : « Attends, j’ai quelque chose pour toi ! » Elle arrive avec un bouquet de roses qu’elle a fraîchement cueillies, et je me dis qu’il y en a un, au moins, un bon souvenir, ici : la roseraie plantée par ma mère.
Là-bas, j’allais rêver des heures dans l’odeur entêtante des roses, là-bas, mon père n’allait jamais, bien qu’il ait entretenu le lieu.
J’y avais caché ma maman, une photo d’elle sur laquelle elle souriait, une photo que j’avais volée dans un des tiroirs paternels. Le seul souvenir qu’il me restait, auquel j’accrochais ma mémoire, je le fixais obstinément sans ciller des yeux, un instant, jusqu’à ce qu’ils piquent atrocement. « Un, deux, trois » qu’ils me brûlent aux larmes. « Quatre, cinq, six, je ne t’oublierai pas. »
Anna me serre, Anna m’embrasse, renifle mon cou puis s’en va, elle prendra sans doute deux cachets parce qu’aujourd’hui je suis partie.
Je remonte l’allée vers la grille, je croise un patient de mon père qui soulève son feutre avachi et me fait bonjour de la tête.
Combien ai-je croisé de regards sur cette allée gravillonnée ? Combien de sourires bienveillants, contrits, mielleux ou de pitié qui sans cesse me rappelaient l’absence ?
Le cabinet est dans l’aile droite, il fait partie de la maison, tout comme ma sœur, Georges et son mal. Son mal de vivre qui nous fit mal, nous amputa de notre enfance, décida de la double peine. Son mal de vivre qui me fit mal, me pointa du doigt, me fit taire, censura ma mère, me priva, fit de moi cette jeune femme murée, sans reconnaissance, douloureuse, transie de peurs et sans attaches.
Ce mal de vivre que je quitte et fuis, de peur qu’il ne me broie, qu’il n’extermine le faible espoir qu’un jour le bonheur soit possible, n’anéantisse à tout jamais l’instinct de survie qu’il me reste, ne finisse par le débusquer tapis au fond de son terrier, et ne l’achève sans un remords. L’instinct de survie, supprimé !
Ce départ est le soubresaut, l’infime rebond de l’existence, l’ultime conviction qu’il faut suivre : détaler,
