Le cri du Yéti: Un court roman poignant
Par Brigitte Guilbau
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À propos de ce livre électronique
À ce moment précis, Clémence ne peut encore imaginer que pour la liberté d’une jeune femme, elle sera prête à déplacer des montagnes.
Le Cri du Yéti est un concentré d’émotions et de prise de conscience en nos propres capacités.
Il nous pousse à nous dépasser et à ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure.
Un parcours initiatique émouvant qui mêle une trame philosophique aux ressorts du roman policier.
EXTRAIT
- Enfin chérie, peux-tu arrêter de vociférer comme ça et avoir un discours cohérent, s’il te plaît ! Tu m’énerves !
- J’ai un discours cohérent et je ne vocifère pas !
- Oh que si et d’ailleurs tu me casses les oreilles. Nous sommes venus ici pour passer un bon moment et j’ai mal de tête.
- Désolée !
- S’il te plaît, ne joue pas en plus la carte de l’hypocrisie !
- La totale on dirait...
- Je dois sortir les violons ? C’est ça que tu veux ?
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Ce livre est court mais très intense. C'est un récit à fond philosophique, révoltant, poignant et même déchirant. - Delex, Babelio
À PROPOS DE L'AUTEUR
Petite fille, née en hiver d’un père d’origine bretonne et d’une mère ardennaise, j’ai affiché très rapidement un caractère trempé.
Aujourd’hui, je suis professeur de cours philosophiques. Active et engagée, mes objectifs pédagogiques et mes travaux d’écriture sont tous tournés vers la réflexion humaniste, certains avec force et désespoir, d’autres avec l’ironie propre aux vrais sensibles, mais toujours avec le même dénominateur commun : la condition de l’Homme, ses espoirs et ses doutes.
Cet engagement citoyen m’a valu la reconnaissance de mes pairs avec le prix de la Fondation Reine Paola pour l’enseignement, le prix de la Communauté Française de Belgique et le prix Condorcet-Aron. En 2003, j’ai été Namuroise de l’Année et reconnue « Enseignant Entreprenant ». Certaine que les actes prévalent sur les paroles, j’affiche une attitude résolument anti-tartuffe en disant qu’il n’est pas nécessaire d’avoir une face de Carême pour défendre la vie car défendre la vie c’est l’aimer. J’apprécie cette réflexion de Zola qui dit qu’il faut savoir où on veut aller, que c’est bien... mais que c’est encore mieux de montrer qu’on y va et il m’arrive d’ajouter « Tu veux du bonheur? Donne du bonheur... »
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Aperçu du livre
Le cri du Yéti - Brigitte Guilbau
Chapitre premier où quand ce qui abat, accable et détruit irrémédiablement, c’est la médiocrité.
- Enfin chérie, peux-tu arrêter de vociférer comme ça et avoir un discours cohérent, s’il te plaît ! Tu m’énerves !
- J’ai un discours cohérent et je ne vocifère pas !
- Oh que si et d’ailleurs tu me casses les oreilles. Nous sommes venus ici pour passer un bon moment et j’ai mal de tête.
- Désolée !
- S’il te plaît, ne joue pas en plus la carte de l’hypocrisie !
- La totale on dirait…
- Je dois sortir les violons ? C’est ça que tu veux ?
Clémence ne savait plus quelle attitude adopter. Le discours de son compagnon de table lui semblait incohérent et Clémence avait toujours eu des problèmes avec l’incohérence. Surtout quand on lui dit que l’incohérente, c’est elle ! Dans ces cas-là, elle avait toujours eu tendance à se taire.
Évidemment, ça ne serait pas compliqué si son voisin de table n’était que voisin de table. Non, le problème, c’est qu’il était également son voisin de matelas. Laurent et Clémence étaient fiancés. Et tout le problème résidait là ; il lui avait toujours été impossible, sans qu’elle comprenne pourquoi, de lui rabattre le clapet. Quand il devenait désagréable, c’est elle qui se taisait.
Elle enchérit :
- Et ce que tu me dis te semble normal ?
- À moi ? Oui, évidemment, ce que tu extrapoles, c’est ton problème. Pas le mien.
- Un peu facile, non ?
- Non, c’est l’abc.
- L’apprentissage de l’indifférence surtout…
- L’empathie ça peut servir, la sympathie c’est stérile.
- Et bla et bla et bla…
Clémence but une gorgée d’eau. Elle eut à nouveau cette envie de vomir qui la poursuivait depuis quelques mois, de rendre les côtes d’agneau sauce je-ne-sais-plus-quoi-et-que-je-m’en-fiche ingérées il y a quinze minutes dans ce restaurant à la mode avec le désir pointu que les morceaux de dégorgé éclaboussent sa chemise impeccable et sa cravate BCBG.
Clémence leva les yeux et le regarda. Ça faisait trois ans qu’elle le trouvait beau et là, maintenant, elle devait le dire à l’imparfait. Elle avait le sentiment qu’il disparaissait derrière les choses qui le paraient et en faisaient quelqu’un, avant.
Elle le trouvait ridicule aujourd’hui, bouffée par le « paraître ». Elle le regarda avec le sentiment de le voir s’éloigner. D’ouvrir les yeux et de voir un étranger.
Alors l’envie de vomir la reprit. Parce qu’il s’éloignait et qu’elle ne savait pas si elle en souffrait ou si elle voulait le voir disparaître plus vite.
Peut-être aussi parce qu’elle n’avait pas le courage de lui envoyer à la tronche son verre d’eau pétillante comme cette femme dans la pub à la télé.
Peut-être aussi parce que lui ne voyait pas qu’elle avait envie de vomir et que ça éclabousse sa chemise et sa cravate et qu’il continuait son discours sans même se rendre compte qu’elle souffrait et qu’elle avait envie de le voir disparaître avec la gueule trempée d’eau pétillante.
Il continua :
- Où est le problème ?
- Il n’y en a pas, tout est logique. La semaine dernière, tu m’annonces qu’à ce dîner d’affaire Lebland a amené une jolie rousse, tailleur élégant, escarpins audacieux et regard hautain de la belle qui cherche un pigeon friqué dans la Hight. Tu me dis qu’après le repas elle s’est éclipsée vers d’autres gibiers car personne ne semblait lui convenir. Tu avais même ajouté que tu détestes ce genre de femme et tu l’as qualifiée de prostituée de la finance.
- C’est exact.
- Tu me la présentes donc comme une aventurière.
- C’est ce que tu penses.
- Oui, c’est ce que je pense, effectivement. Et maintenant, tu m’annonces qu’elle t’a invité à dîner samedi soir chez elle et que tu as accepté.
- Oui.
- Pourquoi ?
- Pourquoi pas ?
- Mais nous sommes ensemble, nous nous aimons.
- Oui et alors ?
- Mais…
- Mais quoi ?
- Que penses-tu qu’elle cherche ?
- Moi.
- Alors pourquoi y vas-tu ?
- Parce que j’en ai envie et que je lui plais.
- Tu trouves ça normal ?
- Une relation c’est comme le jeu de la Bourse, Darling, on est tous des acteurs d’un marché, on analyse les indices et on cherche la meilleure part. La Bourse a un rôle primordial. Ici le vendeur vend un nombre précis de titres nouveaux dont le prix est à fixer, c’est le prix d’émission, il n’y a rien d’autre à comprendre.
Il ajouta, compendieux :
- Lebland m’intéresse car je veux travailler avec lui, rencontrer cette fille est dans l’ordre logique puisqu’elle travaille pour lui. C’est une pétasse mais c’est un milieu qui ouvre des portes. Tu es gentille et je suis bien avec toi mais tes préjugés ne te sortiront pas de l’ornière. Le monde dans lequel j’évolue t’est inconnu et je veux faire du fric.
- À n’importe quel prix ?
- Tu es hors sujet ma chérie !
Clémence sourit furtivement à cette réflexion qu’elle entendait souvent et qui clôturait toujours les débats, parce que « qu’est-ce que vous voulez répondre à ça ? »
Ça faisait longtemps qu’elle se sentait médiocre à côté de lui. Au début de leur relation, elle se trouvait insignifiante face à sa dégaine et son assurance doublées de ses connaissances. Bien sûr, elle le jugeait un peu trop vaniteux mais le trouvait brillant, toujours tiré à quatre épingles, le pantalon impeccablement repassé, la chemise amidonnée, la cravate assortie, le cheveu gominé, le stylo Mont-Blanc, le mocassin Rockport, l’organizer Filofax, l’ordinateur portable et la valisette en cuir, la gourmette en or, la montre extra-plate et des certitudes dont il faisait des vérités…
Elle devait bien reconnaître qu’elle avait été séduite.
Mais la médiocrité a plusieurs facettes et de nombreux niveaux et elle se vêt souvent de plumes et d’or.
Aujourd’hui, Clémence se sentait pitoyable parce qu’elle ne pouvait pas lutter contre une rousse incendiaire, croqueuse d’arrivistes et que son guerrier de la finance la trouvait insignifiante. Peut-être parce que les escarpins s’assortissent mieux avec les mocassins ; le sac Vuitton avec la valisette en cuir ; le stylo Mont-Blanc avec le compte en banque… Peut-être que la vanité se marie mieux avec l’orgueil… Le « paraître » avec l’« avoir ».
Et si on suit cette logique, alors il semble tout à fait normal que la simplicité soit modeste et que l’« être »… lui… reste seul.
L’être et le néant… Un chouette titre pour un livre de Sartre nettement moins drôle et dont elle se souvenait l’avoir lu pour ses examens de classe terminale… Le traité d’ontologie phénoménologique. Déjà le titre, Clémence ne le comprenait pas. Mais qui comprendrait ça à part les ontologues¹ ou les phénoménologues² ?
Clémence sourit.
De quoi y était-il question déjà ? Remember…
Ah oui ! Il y était question des bases élaborées de l’existentialisme laïque. C’est un pléonasme, non ? Il y aurait un existentialisme religieux ? Impossible. Clémence sourit de plus belle.
Il n’y a pas d’ascète³ gourmand, se dit-elle.
Il n’y pas de terroriste humble.
Il n’y a pas de pingre mécène.
Il n’y a pas d’archer manchot !
Logique !
Et puis Sartre y expose que l’homme naît libre et responsable et qu’il se définit à chaque instant par ses actes parce qu’il sait qu’il est libre, parce qu’il a conscience de cette liberté face à celui qui n’a pas cette compétence, le nase !
L’autre, l’être en soi, se comporte comme un objet qui n’a pas conscience d’exister. Avouez qu’il y a de quoi le plaindre ! Pauvre homme qui se contente de sa chope du samedi soir, de sa moitié qui ne sait pas qu’elle n’a qu’à se satisfaire des 50/50 parce que ça pourrait être pire et qui rigole à qui pisse le plus loin.
Le troisième larron est celui qui se définit par rapport aux autres, du style « j’ai de plus belles fesses qu’elle », « zavez vu mes escarpins », « je suis un vainqueur » ou « ma femme est provinciale »…
Clémence ne sourit plus. On peut sourire quand on a mal, pas quand on est blessé.
Laurent enchérit :
- À quoi penses-tu ?
- À mes cinquante pourcents.
- Explique.
- Tu te souviens de Sartre ? L’être et le Néant ?
- Tu dérailles ma chérie !
- Il appelle « mauvaise foi » l’attitude de celui qui se cache sa liberté, s’abrite derrière un quelconque déterminisme pour ne pas avoir à assumer ses actes ou ses responsabilités.
- Je te dis que tu es hors sujet ! Tu m’écoutes quand je te dis quelque chose ?
Mais Clémence continuait. Non, elle ne l’écoutait pas. En fait, elle ne l’écoutait plus. Elle venait de comprendre qu’elle n’avait plus envie de se taire pour avoir la paix.
- Tu sais qu’on peut considérer que la mort peut être envisagée de deux façons ? Soit comme un point final à la vie mais aussi comme une suite logique dans le processus de la vie. De même, si l’être aimé se transforme en automate, l’amant se sent seul. Tu te sens seul Laurent ?
- C’est quoi cette question Clem ?
- Je te demande si tu te sens seul ? C’est simple comme question, non ?
- Je n’aime pas le regard que tu as.
- Je n’ai que celui-là en stock mon chéri.
- Bien sûr que non, quelle question !
- Comment le sais-tu ?
- J’ai la Bourse, le bureau, mes projets. Enfin, Clémence, tu le sais.
- Et c’est tout ?
- Non, évidemment, j’ai toi.
- Alors pourquoi acceptes-tu cette invitation ?
- Quelle invitation ?
C’est pas vrai, se dit-elle, il a déjà oublié. Je suis restée scotchée sur cette fille qui veut l’attirer chez elle pour des raisons qui sont sans équivoque et lui, comme un benêt il y va, il m’écartèle le cœur et le ventre et il a déjà oublié. Serait-il très con ?
- L’invitation chez cette rousse !
- Mais parce que ça va m’ouvrir des portes !
- Ça va surtout ouvrir celle de sa chambre !
- Tu es jalouse !
Laurent rit, d’un rire de bonne blague ou de farce spirituelle, il s’amusait. Il continua :
- Je n’ai pas encore accepté.
- Alors pourquoi m’en parles-tu ?
- Tu voulais que je te le cache ?
- Non, j’aurais voulu que l’idée ne t’effleure même pas. Que, par exemple, tu parles de moi à cette fille.
- Ton attitude est infantile.
- Vive l’enfance !
- Descends d’un cran, s’il te plaît, les autres tables vont t’entendre. Tu as toujours besoin d’être hystérique quand tu es stressée.
- Je te demandais si tu te sentais seul Laurent ?
- Et je t’ai répondu. Tu sais très bien que j’ai besoin de contacts pour mes affaires et qu’en plus j’aime les relations sociales, ça me détend.
- Ah pour sûr, celle-là va te détendre !
- Débile ! Je ne désire plus t’écouter, tu es à côté de la plaque !
- Comme