Ma sœur, ma bataille

Les gens ont l’habitude de vouloir dresser un portrait de vous en vous posant des questions sous forme de choix : quel est votre plat préféré ? Votre de prédilection ? Si vous deviez partir seule sur une île, quels sont les trois objets que vous emporteriez ? Je ne sais jamais quoi répondre, je n’ai pas ou si peu de certitudes. Pourtant, si l’on me demandait quelle a été la journée la plus difficile de mon existence, je choisirais sans hésiter celle où j’ai dû annoncer à Mylène que Benjamin venait de se tuer dans un accident de voiture.

Parler de la mort avec ma sœur, c’était comme imaginer une plage de Tahiti recouverte de grosse neige poudreuse : tout bonnement in-con-ce-vable.

Ma soeur était la joie de vivre incarnée dans cent soixantecinq centimètres de grâce et de vivacité. Je connais des personnes âgées, ou des gens plus ou moins malades, qui m’ont confié, à l’époque, que dix minutes de conversation avec Mylène valaient une cure de thalassothérapie.

Je n’avais aucun mal à abonder dans leur sens. Si j’étais devenue pour elle comme une seconde maman au décès de notre mère – alors qu’elle frôlait les 10 ans et moi les 15 –, c’est ma jeune sœur qui, à travers son sourire et le pétillant de ses yeux bleus, avait soutenu toute notre famille. Benjamin était son premier amour et, affirmait-elle, son dernier. Sa mort brutale, imprévisible, tache de sang obscène sur la blancheur immaculée de leurs projets matrimoniaux, elle ne parvint pas à l’accepter. C’était une épreuve de trop que lui réservait la vie et sa réaction, proche de l’effondrement total, se ressentait sans doute du contrecoup de la disparition de maman, que la gaieté ostentatoire de ma sœur s’acharnait peut-être à masquer. Le lutin aux cheveux en fils d’ange avait laissé place depuis trois ans à une ombre pâle qui ne vivait plus qu’au ralenti.

Et moi, depuis le même nombre d’années, je m’obstinais à lui démontrer que la vie