Romantique La pie voleuse
Si je ne possédais pas à Genève de résidence secondaire, c’était tout comme. La cathédrale Saint-Pierre n’avait plus aucun secret pour moi. La vieille ville, les jardins et le port gardaient encore les traces de mes pas des années précédentes. Les musées me faisaient un prix d’ami. Bref, je me trouvais en terrain conquis, réglé sur le rythme monotone de l’horlogerie suisse.
Tous les deux ans, bijoutiers, joailliers, orfèvres et diamantaires se retrouvaient le temps d’un week-end pour un congrès professionnel où chacun rivalisait d’inventions et de richesses et, autour de buffets presque aussi richement pourvus que le tour de cou de ces dames, parlait boutique. Ces gens-là étaient mes pairs, nous partagions le même langage, sinon la même langue, et jusque-là je me sentais avec eux comme un poisson dans une rivière de diamants.
Seulement jusque-là, je réservais à l’hôtel une chambre pour deux personnes. Monsieur venait avec madame. Et cette fois-ci, j’étais seul. Après une vingtaine d’années de bons et loyaux services sur fond d’amants de passage, Elisabeth avait rendu son tablier de satin pour retrouver « un peu de cette passion qu’elle sentait encore vivante en elle » – je cite ses propres termes. Et cette passion, elle avait préféré la faire fructifier avec un autre. Je ne lui en voulais même pas, les dés étaient jetés depuis longtemps et malgré un tirage défavorable, je n’avais même pas cherché à les relancer. J’aurais dû être plus présent, plus attentif, meilleur amant aussi, que sais-je ? Le résultat n’était pourtant pas complètement négatif puisqu’il comprenait deux enfants maintenant presque adultes, deux passerelles qui nous relieraient à jamais l’un à l’autre, quoi que l’on puisse ressentir l’un pour l’autre.
Ce que je ressentais moi, c’était d’abord un étourdissement, qui avait laissé place à de la souffrance quand j’avais pris conscience qu’à 46 ans j’allais devoir refaire ma vie, comme un jeune homme déjà fatigué.
– Vous n’avez pas l’air dans votre assiette, Belvaux...
