ENTRE LES FANTÔMES
Ce matin, en rangeant ses affaires, Sophie est tombée sur la chemise bleue qu’elle portait ce soir-là au Bataclan, et tous les souvenirs enfouis ont soudain remonté à la surface. Elle voudrait pouvoir la remettre, cette liquette, ou s’en débarrasser, « prendre une décision, quoi », mais elle n’y arrive pas. D’ailleurs, elle pose sa tasse de café, se lève, ouvre une grande armoire blanche, en retire « la chose » suspendue à un cintre, immaculée et bien repassée. « J’aimerais la porter lors du procès, dit-elle en ajustant ses lunettes en écailles. Et après, je pourrais enfin la jeter. » Le 13 novembre 2015, Sophie a réussi à sortir de la salle de concert en passant par une issue de secours. Comme des centaines de rescapés, elle tente depuis de continuer à vivre. Et ce n’est pas toujours facile.
Rencontrer les survivants du 13-Novembre, c’est pénétrer dans un univers parallèle d’angoisses nocturnes, d’idées noires, de colères rentrées et de questionnements infinis. Six ans après le drame, personne ne s’en étonnera, les miraculés des attentats qui ont ensanglanté la capitale sont encore obsédés par ce qu’ils ont vécu. À chaque instant, une image, un son, une odeur suffisent à les ramener à cette nuit d’horreur. Pour leurs amis, leurs voisins, leurs collègues, la vie a depuis longtemps repris son cours. Eux restent hantés par l’épouvante, happés par un indicible sentiment de vide. Le procès des terroristes pourrait apporter certaines réponses aux questions posées par l’enquête. Mais il ne leur dira jamais pourquoi ils ont été pris pour cibles ni pourquoi ils ont survécu. Pour tenir le coup, ils doivent apprendre à apprivoiser le doute.
La honte,
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