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Schyzos, petites histoires de gens lambda: Nouvelles
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Schyzos, petites histoires de gens lambda: Nouvelles
Livre électronique79 pages1 heure

Schyzos, petites histoires de gens lambda: Nouvelles

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À propos de ce livre électronique

Des sept nouvelles qui composent ce recueil, se dessine un monde d’absences où les lieux rétrécissent et les miroirs se brisent. De Schyzos se dégage une atmosphère d’angoisse, de solitude, d’intérieurs physiques et psychologiques ravagés. La maladie, la mort et le désespoir habitent des personnages qui se dédoublent dans leur métamorphose. Dans une sorte de brouillage temporel, la fête côtoie le macabre ; l’amour la décrépitude ; la meunière le noir ; la présence, ses fantômes ; la mémoire, ses trous.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Tarik Taouche est né en 1979 à Bab El Oued. Biologiste de formation, il a reçu le premier prix pour le concours de la nouvelle Arts et Culture en 2006. Schyzos est son premier recueil de nouvelles.
LangueFrançais
ÉditeurChihab
Date de sortie1 déc. 2021
ISBN9789947394410
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    Schyzos, petites histoires de gens lambda - Tarik Taouche

    Schyzos.jpg

    SCHYZOS

    TARIK TAOUCHE

    SCHYZOS

    (Petites histoires de gens lambda)

    Nouvelles

    CHIHAB EDITIONS

    © Chihab Éditions, Alger, octobre 2010

    Isbn : 978-9961-63-784-5

    Dépôt Légal: 1925/2010

    Lectrice de journal

    A l’abri de la pluie qui a commencé à se faire in­sistante, elle s’est recroquevillée dans une position fœtale et s’est recouverte du feuillet de journal qu’elle était en train de lire. Les nouvelles vont au vent, au gré des humeurs des lecteurs qui aban­donnent les rumeurs du quotidien à même le sol. Il s’occupera d’étaler tout le mensonge avéré.

    Son ouïe était altérée. Le temps passé dans les rues d’Alger avait fini par la rendre sourde et tribu­taire des vibrations qui venaient de partout. Alors que les bruits constituent la source d’innombrables désagréments pour nos oreilles, les vibrations étaient pour elle un repère, un point d’ancrage. Le soir, le crépitement des voies d’adduction d’eau ou d’assai­nissement tambourinait dans sa tête. Elle prenait alors le journal et elle lisait. Il lui arrivait de repren­dre la même page plusieurs fois.

    Parfois, très rarement, elle tombait sur la page des jeux ; elle jouait quand même et il lui arrivait de remplir la grille des mots croisés. Les mots étaient son refuge, et les phrases la transportaient loin des chuintements des faux sentiments. Les regards in­différents ont un son strident.

    Elle en est à sa troisième grille quand la pluie commence à tomber. Elle est morte de fatigue et le froid venu d’au delà du Bastion 23 lui frigorifie les extrémités. Sa position en chien de fusil lui permet de se protéger. Elle sombre, elle s’endort. Il n’est que seize heures. Ne peut-elle pas choisir une autre heure pour dormir ?

    Elle les voit passer. Seuls, par binômes ou en groupes. Enfants, ou adultes. Elle les fixe des yeux, perdue dans une méditation et hypnotisée par ces sujets ou leurs mouvements ; peut-être même les deux. Elle a déjà pitié d’eux, les sentant gênés lorsqu’ils se dérobent à leur devoir d’aider l’incon­nue. L’inconnu est devant eux et peut-être qu’un jour ils endosseront cet habit.

    Certains laissent par mégarde tomber des effets personnels, des photos qu’ils viennent chercher au magasin dont les murs constituent un support pour la jeune femme. Elle a pu ainsi récupérer depuis tout ce temps passé dehors, des multitudes de visa­ges jusqu’à constituer une collection. Tantôt char­mée, tantôt intriguée par tant de laideur. Ils pourraient faire partie de sa mémoire ; un jour elle reconnaîtra l’un d’eux.

    A dix-huit heures, on ne dort pas. Les bruits sont insistants et signifient qu’elle doit se résoudre à s’adosser encore quelques heures. Ils passent. Elle reçoit un autre journal, neuf celui-là. Elle commen­ce aussitôt à le feuilleter et le vent qui souffle l’aide à tourner les pages. Un petit carré qui semblait opa­que au premier abord, glisse. Elle s’en saisit. C’est un cliché négatif qu’elle lève au ciel pour chercher le visage qui se dessine dans un pan de sa mémoire. C’est lui !

    — C’est toi !

    — Je pourrais l’être. Oui

    — Je serais heureuse de pouvoir te retrouver enfin.

    — Qu’est-ce qui te fait croire que c’est moi.

    — Ta fossette, tes joues, cette chevelure …

    — Mais j’ai changé depuis.

    — Ta maman ne peut pas t’oublier.

    — Je t’ai oubliée. Je ne suis qu’un vague souvenir. Penses-tu vraiment pouvoir me reconnaître parmi des milliers de gens ?

    — Je suis ta maman.

    — Je suis dans ton rêve alors que tu es toujours éveillée, fixant ce journal qui ne te donnera aucune information.

    — Je ne suis pas folle ! Viens !

    Elle tendait ses deux bras au ciel cherchant la vé­rité dans la maigre lumière de cette fin d’après-midi. Les badauds la dévisageaient comme si elle était l’in­carnation de leur désespoir. Son front était-il assez large pour que l’image positive du carré s’y impri­me ? Malgré le froid et sa morsure, elle n’a d’intérêt que pour son petit carré magique.

    Toujours adossée, son regard se fait vide. Noire est son amnésie. Elle se rappelle de cela. Elle lit le journal pour se remémorer la date. Celle de ce jour où elle se fraya un chemin dans le monde de la folie. Elle pourrait crier à tous qu’elle n’est pas folle ; les fous n’ont pas conscience de leur différence, ils sont emmurés dans leur souffrance. Elle a besoin de le retrouver et de faire comme si de rien n’était. Pourquoi a-t-il été si facile de partir, en laissant der­rière une muraille impossible à franchir. Sa mémoire se fait obscure jusque dans les détails de la dispa­rition. Elle ne sait pas d’où elle vient. Croit-elle réellement qu’il a une fossette, des joues empour­prées, une frimousse rappelant… un bébé ?

    Elle garde dans sa main droite le cliché, et dans l’autre un vieux morceau de journal qu’elle n’arrive pas à lâcher. Elle est fébrile malgré le vent glacial qui la transperce. Ils marchent, ne la voient pas, ne la sentent pas, ne l’imaginent pas ayant une histoire. Tout s’efface jour après jour et son journal est la preuve qu’elle existe. Elle le prend avec elle là où elle va. Il est son acte de renaissance, son seul appui et son point d’ancrage dans une chronologie fractu­rée. Il faut qu’elle le relise maintenant. Elle pleure.

    Le vent ne s’arrête pas. Elle se saoule de la lecture de ces colonnes. Enfin sûre qu’elle a bien existé avant le vingt-deux septembre mille neuf cent quatre-vingt-dix-sept. Ses souvenirs sont flous ; elle entend des cris, elle voit des effusions de salive ; gorge nouée et goût de sang. Les sons sont oubliés, les images sont blanches. Elle est debout, personne ne la connaît. Seul témoin de son existence, un journal. Du désespoir de n’être qu’une parenthèse ou toute autre typographie de faits divers, elle est justement là,

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