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La femme banale: Quatre saisons en Ardèche
La femme banale: Quatre saisons en Ardèche
La femme banale: Quatre saisons en Ardèche
Livre électronique291 pages3 heures

La femme banale: Quatre saisons en Ardèche

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À propos de ce livre électronique

Une semaine de Juin en Ardèche.

Répondant à l'appel de son vieil ami Justin, Claudie arrive en catastrophe à Joyeuse où elle n'est pas revenue depuis quatre ans. La petite commune est en émoi : une mère de famille a disparu sans explications. Pour la gendarmerie, le départ volontaire reste l'hypothèse la plus probable. Mais pas pour Justin qui, uniquement guidé par les allées et venues d'un énorme chien errant, suit ses propres déductions. Pourtant revêche à ses méthodes peu orthodoxes, Claudie se retrouve entraînée dans la quête.
Tous deux plongent alors dans le passé du petit village, déterrant de lourds secrets de famille.
Mais toutes les vérités honteuses ne sont pas bonnes à dire.
LangueFrançais
Date de sortie30 avr. 2019
ISBN9782322129652
La femme banale: Quatre saisons en Ardèche
Auteur

Véra Herthé

Véra Herthé est un nom d'emprunt ; elle vit dans le Sud de la France et travaille dans le médical. L'Ardèche, et plus particulièrement Joyeuse, est un lieu où elle aime se ressourcer loin des bruits de la ville.

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    Aperçu du livre

    La femme banale - Véra Herthé

    Véra Herthé est un nom d’emprunt pour cet auteur du dimanche qui vit dans le Sud de la France, avec ses filles et son mari. Elle travaille dans le milieu médical mais occupe son temps libre à coucher sur le papier ses histoires.

    Ce roman est le second après Une semaine ordinaire, qu’elle publie dans la série Quatre saisons en Ardèche, fière de mettre à l’honneur cette région si chère à son cœur.

    Elle vous souhaite, ami lecteur, un bon voyage entre ses pages et souligne encore une fois que ses histoires, la plupart des lieux et surtout ses personnages n’existent pas, qu’ils sont le pur produit de son imagination débordante et que toute ressemblance, avec des faits existants ou des personnes réelles, passés ou présents, serait le fruit d’un pur hasard.

    « Il ne faut pas comprendre,

    il faut perdre connaissance. »

    Paul Claudel

    C’est une grande pièce carrée, profondément creusée sous terre et sous la maison. On y accède par un escalier de béton raide. Les murs et le plafond sont particulièrement bien insonorisés, recouverts de plaques épaisses d’isolant dur ; les sons semblent s’y étouffer. Le sol est en béton brut, un système d’évacuation sommairement fermé par une grille dans un angle, à côté d’un robinet d’eau et d’un tuyau d’arrosage plastique craquelé.

    Un lieu désolé et oublié par le temps. Il n’y a bien entendu pas de fenêtres ni de lucarnes, la seule lumière possible étant une grosse ampoule au plafond, que j’allume. Elle illumine alors brusquement de sa lueur vive et crue le centre de la pièce où trône un fauteuil d’obstétrique, tout de cuir et de métal froid, dont les pieds ont été boulonnés au sol.

    Autour, il n’y a rien d’autre, la pièce est vide.

    Mais d’un vide qui semble « habité » comme dense et épais, peuplé peut-être de fantômes, d’esprits et de ténèbres.

    Ma première sensation est instinctive et viscérale : FUIR. Mes poils se sont hérissés sur mes bras, un long frisson glacé descend le long de ma colonne, et je sens tout mon corps prêt à bondir en arrière, hors de ces murs qui suintent le malheur et la tristesse. Je ne sais pas encore à quoi ont servi ces lieux mais une perception glacée et malsaine se colle à ma peau.

    Pourtant je ne bouge pas.

    Quelque part, ces lieux m’appellent.

    J’y reste de longues minutes cette première fois et j’y reviendrai souvent après. J’y reviendrai avec de plus en plus de plaisir, avec bonheur et délectation, l’esprit enfin apaisé, comme si quelque part, là était ma place en ce monde, comme si depuis toujours j’avais été à sa recherche et qu’enfin ma quête avait trouvé son ultime finalité.

    La sensation de plénitude en rejoignant mon nid, comme l’enfant trouve sa place dans le ventre de sa mère, bercé par la lumière des lieux et les bruits feutrés.

    Oui, j’y reviendrai souvent.

    Mais je ne le sais pas encore.

    Comme je ne sais pas encore qu’ici viendra la mort.

    Sommaire

    Chapitre I

    Chapitre II

    Chapitre III

    Chapitre IV

    Chapitre V

    Chapitre VI

    Chapitre VII

    Chapitre VIII

    Chapitre IX

    Chapitre X

    Chapitre XI

    Chapitre XII

    Chapitre XIII

    Chapitre XIV

    Chapitre XV

    Chapitre XVI

    Chapitre XVII

    Chapitre XVIII

    Chapitre XIX

    Chapitre XX

    Chapitre XXI

    Chapitre XXII

    Chapitre XXIII

    Chapitre XXIV

    Chapitre XXV

    Chapitre XXVI

    I

    Un dimanche de juin 2014.

    Claudie referme son coffre d’un coup sec et monte dans sa petite voiture, jetant un dernier regard sur ses volets fermés, au second d’un petit immeuble de Montpellier. Elle démarre et ravie, les cheveux au vent, entame la route vers Joyeuse, petit village ardéchois.

    La jeune femme secoue pour la énième fois la tête, comme pour la vider de ses pensées. Une petite voix lui suggère qu’elle fait n’importe quoi, qu’elle part sur un coup de tête, qu’elle devrait attendre un peu. Mais sa décision est prise, voilà trop longtemps qu’elle rejette l’évidence, qu’elle s’obstine à ne pas retourner là-bas, à ne même pas y penser, alors qu’au fond, elle en crève d’envie.

    Quand c’est le moment, impossible d’y échapper. En réalité, elle attendait juste une bonne raison, une bonne excuse ou une invitation. Et l’invitation, elle l’a bien eue, hier, sous la forme d’un coup de téléphone plus que succinct.

    Elle se souvient…

    En ce samedi matin, elle petit-déjeunait tranquillement lorsque la sonnerie stridente de son téléphone fixe s’était mise en marche, la sortant brusquement de sa torpeur. La jeune femme avait grogné et hésité longtemps avant de décrocher ; qui appelle encore sur un fixe en 2014, à part la publicité ? Mais elle ne pouvait supporter plus longtemps la musique aiguë qui lui vrillait la tête. En pestant contre son interlocuteur qu’elle allait congédier le plus respectueusement possible, elle décrocha et lança d’une voix peu amène :

    ‒ Allô ?

    A l’autre bout de la ligne, soudain, des hurlements :

    ‒ Claudie !! Il faut que tu rappliques !!! En vitesse !!! Il est revenu !!!

    La jeune femme fronça les sourcils, semblant reconnaître ce timbre de voix :

    ‒ Justin ? C’est toi Justin ? demanda-t-elle enfin.

    Ça grésillait sur la ligne, elle ne distinguait que des borborygmes. Mais craignant tout à coup le pire, elle se mit elle aussi à hurler :

    ‒ Qu’est-ce qui se passe ? Où es-tu ?

    ‒ Je t’attends, il faut que tu rappliques ! Je l’ai vu ! cria son interlocuteur, surexcité.

    ‒ Justin ? Mais de quoi tu parles ? Je ne comprends rien !

    ‒ Le CHIEN, Claudie !! Le CHIEN !! Il est revenu !! Fais ta valise et viens ! Je t’attends !

    Et il raccrocha.

    La jeune femme regarda longuement son combiné, comme s’il allait lui exploser au visage et éclata de rire.

    Sacré Justin ! Comment avait-elle pu l’oublier celui-là ? Voilà si longtemps qu’elle n’avait plus de nouvelles de cet hurluberlu ! Et au bout de tout ce temps, il appelait enfin pour lui intimer de venir illico presto sur place !

    Et comble du risible, revenir pour un chien ?

    « Ce type est complètement fou » conclut-elle en reposant le combiné sur sa base.

    Elle ne l’avait pas revu depuis quatre ans, pas revu depuis les quelques jours qu’elle avait passés à Joyeuse dans l’Ardèche pour y enterrer le dernier membre de sa famille : sa grand-tante Alice. Elle se rappelait très bien le moment où leurs chemins s’étaient croisés : elle était tranquillement attablée à la terrasse d’un café, après la cérémonie, empêtrée dans ses pensées, à devoir choisir de garder ou pas la maison qu’Alice lui léguait à Joyeuse, quand brusquement, ce grand type maigre aux cheveux longs et crasseux avait littéralement fondu vers sa table et s’était installé sans façon. D’abord choquée, elle était restée coite et l’autre lui avait alors fait part de ses soupçons concernant le décès de sa grand-tante et surtout de l’enquête qu’il avait décidé de mener : il suivait les pérégrinations d’un chien errant, persuadé que celui-ci le menait vers de vieux crimes oubliés et impunis, et le gros chien avait été vu sur la propriété de la morte.

    Claudie se souvenait d’avoir voulu fuir ce type qui sortait de nulle part, puis de l’avoir écouté sans broncher, avant de réaliser qu’enfant, elle le fréquentait quand elle venait passer l’été chez Alice. Et déjà, petit, il était étrange. Alors, amusée, elle avait échangé ses souvenirs de jeunesse. Puis, ensemble les jours suivants, ils avaient rencontré les rares personnes qu’Alice fréquentait. Au final, le doux dingue avait mis au jour le passé de la grand-tante, un passé tortueux et sombre, empli de mensonges, qui avait plongé Claudie dans une grande tristesse.

    Pourtant, elle ne lui en voulait pas, ils avaient formé un bon tandem, mais depuis, elle avait fait son chemin, refermé ses plaies et Justin n’avait plus donné signe de vie. Elle n’était pas retournée non plus dans la maison chérie qu’elle avait décidé de conserver au final : un joli petit mas entouré de vignes. Elle avait peur, quelque part, qu’y retourner ne fasse que rouvrir ses plaies.

    Et il y avait ce chien aussi… Une bête énorme et brave, abandonnée, errante, qui était venue lui tenir compagnie quelques jours, qu’elle avait prénommée Cerbère, comme le dieu des enfers. Puis l’animal avait disparu un soir, comme il était venu.

    Claudie secoua la tête en souriant : sacré Justin et ses chimères !

    Alors elle chassa l’opportun de ses pensées, pour continuer son train-train. S’il voulait vraiment la revoir, il rappellerait et elle verrait bien… Si elle avait le temps, si elle trouvait le courage, peut-être. Mais là, elle avait des choses plus sérieuses à accomplir que les élucubrations de ce grand échalas : il lui fallait répondre à ses mails, payer quelques factures et elle avait rendez-vous avec une librairie dans l’après-midi. De plus, ses derniers articles pour le journal local étaient en relecture et elle devait finir l’écriture de son prochain bouquin.

    Et surtout, elle avait promis à Isabelle, une collègue de travail, journaliste comme elle, de la rejoindre en ville le soir dans un bar, pour fêter l’arrivée de l’été. Étant sa seule véritable amie, Isabelle comptait beaucoup pour Claudie, bien plus qu’un type rencontré voilà quatre ans, en Ardèche, qui ne se manifestait jamais depuis.

    Sans remords, la jeune femme s’attela à sa paperasse et ses rendez-vous, reléguant au loin l’appel du Justin.

    Le soleil brillait haut encore dans le ciel lorsque Claudie rejoignit Isabelle au centre-ville. D’un commun accord, elles avaient choisi un bar à vin tranquille, où la musique en sourdine permettait les conversations sans avoir à hurler dans l’oreille de son vis-à-vis. Les deux jeunes femmes ne se voyaient pas souvent mais toujours avec la même joie ; à la différence de Claudie, Isabelle était une personnalité solaire qui attirait facilement les regards sur sa silhouette féminine et soignée, et elle avait une vie sociale bien remplie. Mais toutes les deux, elles se comprenaient sans un mot. Peut-être que les silences de Claudie la reposaient de toute son agitation quotidienne ?

    ‒ Bon alors quels sont tes projets pour les mois à venir ? demanda Isabelle, son verre de rosé à la main.

    ‒ Aucune idée, si ce n’est de bosser, bosser et encore bosser sur mon prochain bouquin ! répondit Claudie en souriant.

    ‒ Ma pauvre, ta vie ne fait pas rêver ! Et ce n’est surtout pas comme ça que tu rencontreras le prince charmant !

    ‒ Sauf s’il tombe du ciel dans mon salon ! Tu as raison… Et en même temps, tu parles pour moi mais le tien, où est-il ?

    ‒ Vilaine ! Je suis toujours avec mon brave Stéphan, mais ce soir y avait match de foot pour lui et ses copains, et moi, ma petite Claudie esseulée…

    ‒ Mais je t’assure, je vais bien.

    Isabelle fit une petite moue et reprit :

    ‒ Et c’est quand que tu nous invites dans ta résidence secondaire ? Moi j’en rêve ! On pourrait aller y passer quelques jours toutes les deux et je suis sûre de t’y trouver un type sympa !

    Claudie éclata de rire et répondit :

    ‒ Alors là, merci bien ! Pas besoin d’aller en Ardèche pour ça, je te le garantis ! A part les baba cool du coin… Tiens c’est marrant, ce matin j’ai même reçu l’appel d’un Ardéchois…

    ‒ Sans blague ? Raconte !

    ‒ Figure-toi que Justin m’a téléphoné ce matin. Tu sais le type bizarre d’il y a quatre ans ? Il gueulait comme un veau pour que je rapplique parce qu’il a encore vu son fameux chien ! Comme si j’avais que ça à faire…

    ‒ Il est pas net ce type. Mais tu vas y aller ? Ça fait un bail quand même.

    ‒ Je crois que je ne suis toujours pas prête à y retourner mais je l’avoue, ça me trotte dans la tête de temps en temps.

    ‒ Moi, à ta place, je n’attendrais pas ! Tous ces mystères ! Bon alors qu’est-ce qu’on mange ? Sinon je vais finir saoule et là, je ne réponds plus de rien ! Elles s’étaient empiffrées de tapas, avaient changé de bar pour retrouver d’autres collègues de boulot et fini la soirée bien pompettes et hilares. Claudie, insouciante et heureuse, avait passé un bon moment.

    Mais c’était sans compter sur le pouvoir de nuisance du Justin qui, tel un mauvais génie, flottait dans les méninges de la jeune femme, depuis son appel empressé. Si elle avait réussi à s’endormir rapidement grâce aux vapeurs d’alcool, le lendemain matin, bien réveillée malgré une puissante migraine, la conclusion s’imposa d’elle-même : elle avait très envie de rejoindre ce fou et ses mystères, de retourner sur ces lieux liés à son enfance.

    « Allez Claudie, bouge-toi ! » se dit-elle en rejetant les draps d’un grand geste.

    Avant de foncer tête baissée, elle décida tout de même d’appeler Brigitte Pichon, l’ancienne dame de compagnie de sa grand-tante, une femme adorable à qui elle avait confié les clefs de la maison en partant. Un peu gênée de la contacter après un si long silence, elle se demanda comment expliquer son arrivée soudaine :

    ‒ Allô, Brigitte, c’est Claudie.

    ‒ Ça alors ! Ma petite Claudie ! Comment vas-tu ?

    ‒ Euh très bien, justement, je pensais venir quelques jours…

    Mais Brigitte la coupa :

    ‒ Bon Justin est passé nous voir hier tout énervé, tu vois de quoi je parle, car il voulait que je prépare la maison pour ta venue, il répétait que tu allais arriver d’une minute à l’autre et qu’il fallait qu’on se bouge avec Hervé ! Non mais celui-là, quel phénomène ! Parfois il nous inquiète quand même, car c’est vrai quoi, il lui passe de ces lubies dans la tête, enfin, tu vois ce que je veux dire… Bref, moi je lui ai répondu que de toute façon, tu m’appellerais certainement avant de débouler comme ça ! Et je ne me suis pas trompée ! Alors tu arrives quand ? Surtout que notre Justin trépigne, il reste des heures devant chez toi, depuis hier en guettant ta voiture !

    ‒ Ben je sais pas, dans l’après-midi probablement car j’ai encore des choses à régler…

    ‒ Mais c’est parfait ça ! Je vais aller de suite aux courses pour te remplir le frigo et j’irai ouvrir les fenêtres pour aérer un peu car depuis tout ce temps ça doit sentir le renfermé.

    ‒ Tu es adorable Brigitte.

    ‒ Mais non ! Allez, on est bien contents tous de te revoir ! Tu nous as manqué quand même ! Et puis le village et Justin ont besoin de toi, quand tu seras là, ça ira mieux.

    Claudie éclata de rire :

    ‒ Sans blague, tu exagères quand même… Tu as encore peur de Cerbère ?

    ‒ Mais de quoi parles-tu ?

    ‒ Ben du chien, de Cerbère !

    ‒ Comment ça du chien ? Alors Justin ne t’a pas prévenue ?

    ‒ Euh, il m’a hurlé que Cerbère était revenu et pas plus.

    Brigitte laissa échapper un petit « ho » et continua : ‒ Justin et ses mystères ! Non, oui, le chien, je ne sais pas, moi je l’ai même pas vu, lui peut-être… Mais il y a bien plus grave ! Personne ne comprend rien ! Depuis hier matin tout le village est en émoi, et avec Hervé, on ne sait pas quoi faire pour aider. Tu comprends, c’est une jeune femme du village, nous la connaissons tous, et quelle jolie famille ils forment avec son mari… Non c’est trop affreux, tout le monde se fait beaucoup de souci. Y en a même qui veulent faire des battues, mais comme on ne sait pas vraiment où chercher, je ne vois pas où on pourrait faire la battue !

    Claudie parvint à couper le flot de lamentations brutalement :

    ‒ Mais de quoi parles-tu Brigitte ?

    ‒ Oh c’est affreux, répondit Brigitte, Patricia, une jeune maman du village a disparu… C’est très grave ça. Il faut que tu viennes, Claudie ! Justin est en alerte maximale et il t’attend ! Oh mais je parle trop, mon dieu, il est déjà tard. Je vais devoir aller aux courses avant que cela ne ferme, alors ne roule pas trop vite ma petite Claudie, nous sommes bien contents de te revoir !

    Et Brigitte Pichon raccrocha.

    Était-ce une habitude de Joyeusain de raccrocher au nez de ses interlocuteurs téléphoniques?

    Soudainement électrique, Claudie sortit ses valises et commença à les remplir méthodiquement, de tout et de rien, de ce qui lui tombait sous la main. Elle n’avait jamais su faire une valise.

    « En même temps, je voyage jamais non plus ».

    Elle pensa tout de même à son maillot de bain, à des shorts et des sandales, quelques pulls et un jean. Elle enfila un pantacourt de toile fine et ses boots en peau de lapin bien confortables pour la route, quoique trop chauds pour la saison.

    Les derniers mots de Brigitte lui trottaient en tête tandis qu’elle descendait ses bagages jusqu’à sa voiture, après avoir bien tout fermé.

    Il lui fallait se presser pour rejoindre Justin qui l’attendait, semble-t-il, fébrilement ; elle ne comprenait pas bien encore pourquoi, mais il saurait lui expliquer.

    Elle, elle ne connaissait aucune Patricia.

    Au fond de la vigne, un gros chien noir s’immobilise soudain. Un gros chien massif, un mètre au garrot, et surtout une gueule énorme, large, signe de mâchoires puissantes.

    Il lève sa truffe au vent et hume l’air chaud et sec.

    Ses narines palpitent : là, parmi toutes les odeurs de l’été, il y a ses parfums préférés, en suspens depuis tant d’années.

    Un sourire s’affiche sur sa gueule de clébard et la masse brune, encore invisible à l’abri des feuilles de vigne, se met à trottiner joyeusement vers l’habitation.

    Je connais toute l’histoire de Patricia, puisque je l’accompagne aujourd’hui jusqu’aux enfers. L’histoire d’une femme simple, banale et heureuse.

    Mais parfois la haine s’en mêle…

    Notre histoire commence un soir de 2009.

    Patricia est fatiguée. Assise au chevet de sa mère mourante, dans le silence, elle réalise que ses journées sont trop chargées et qu’elle ne sait pas si elle va pouvoir tenir encore longtemps à ce rythme. Elle passe ses nuits dans cette pièce auprès de sa mère, si frêle, à la veiller, la soigner, à répondre à ses moindres désirs. Ces derniers temps, la vieille dame dépérit de plus en plus vite malgré tous ses efforts.

    Et quand arrive le matin, Patricia doit se préparer et repartir accomplir sa journée : elle a un mari, deux petites filles, une maison à tenir, des repas à préparer et un travail prenant, avec d’autres malades, elle, l’infirmière du village.

    Elle ne se plaint pas, elle aime sa vie ; mais elle est si fatiguée…

    Patricia passe une main sur son visage et ferme les yeux ; dans le calme de la pièce, elle sombre doucement vers le sommeil, bercée par la faible respiration de sa mère, lui tenant sa petite main dans la sienne.

    Et soudain, la petite main resserre sa prise frénétiquement. Brusquement en éveil, Patricia ouvre les yeux et se penche vers sa mère :

    Je suis là, maman, n’aie pas peur, je suis là. As-tu mal ? Veux-tu boire un peu ?

    Le petit visage pâle lui sourit et la regarde tendrement. Les deux femmes se rapprochent, collant leurs deux fronts l’un contre l’autre. La vieille dame ouvre la bouche enfin, en haletant :

    Ma pauvre petite, je te donne bien de la peine… Mais ce sera bientôt fini, tu sais. Si, si, je le sens. Il ne faut pas être triste, c’est ainsi. Mais avant, je dois te confier quelque chose de difficile…

    Patricia ne dit rien, elle regarde avec tendresse la malade reprendre son souffle.

    Je voulais te dire comme tu as été une brave petite et comme je suis fière de toi…Je t’aime tant, je t’ai toujours aimée, même si je ne le montrais pas bien, et ton père aussi… Tu as été un don du ciel pour nous… Le silence se fait, les deux femmes se regardent si proches, Patricia sourit à la malade qui hésite, mais reprend :

    Ton père et moi t’avons adoptée quand tu étais encore tout bébé. C’est ton

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