La groupie du pianiste

Cette fois, c’était la bonne : Elise s’était installée quelque part.

Depuis toujours, elle avait enchaîné les déménagements, au gré de ses mutations, de ses contrats ou de ses envies. Son métier de journaliste à Ouest-France lui permettait de changer de ville comme de saison, vivant de colocation en appartement meublé. Ses parents regardaient de travers son mode de vie bohème, et ses amis prenaient cette instabilité pour une preuve de folie douce.

« Il faudrait penser à construire quelque chose, maintenant », se permettaient de glisser, perfides, certains anciens camarades de classe au détour de dîners entre amis où elle était toujours la seule célibataire au milieu d’une armée de couples qui la regardaient avec une pitié à peine voilée. 30 ans et toujours célibataire ? C’était au mieux une tare, au pire, la marque d’un vice plus grave – alcoolisme, maniaquerie, haine des hommes, bipolarité…, les hypothèses fusaient sitôt que se refermait la porte sur la jeune femme.

On la disait plutôt jolie, avec ses cheveux blonds qui lui tombaient en cascade au creux des reins, sa taille marquée, la petite fossette qui se dessinait sur son visage quand elle souriait, et elle souriait souvent. Ce que ses amis voyaient comme une instabilité chronique, elle en faisait une force – grâce à son travail, elle plongeait au cœur du quotidien de personnes d’origines et d’âges hétéroclites. Elle aimait interviewer un maire le matin, puis le tenancier d’un bar le soir, et raconter leurs petites et grandes histoires dans le journal du lendemain. Les journalistes de devaient accomplir un véritable tour de France avant d’être titularisés dans une ville : en trois ans, Elise avait dansé au son des cornemuses en Bretagne, mangé l’équivalent de son propre poids en galettes à Saint-Malo et passé des week-ends entiers à faire du vélo sur les sentiers côtiers des Sables-d’Olonne. Elle avait grandi à Paris, et ses amis de la capitale ne comprenaient pas son