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À vendre ou à louer: Thriller
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Livre électronique318 pages4 heures

À vendre ou à louer: Thriller

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À propos de ce livre électronique

Qui n’a pas rêvé de posséder les clefs des plus beaux appartements de Paris pour y vivre sans attaches ? Jean-Baptiste, agent immobilier, y retrouve ses conquêtes d’un soir et jouit de cette vie nomade et sans accrocs jusqu'au jour où le destin surgit dans l'une de ses garçonnières, sous les traits d’une inconnue agonisante, qu’il sauve in extremis et qui s’évapore aussitôt.
Le monde de Jean-Baptiste déraille alors inexorablement et il se retrouve bientôt pris au piège entre chantages, enlèvements et le charme vénéneux d’une journaliste ambitieuse.
Au cœur d’une conspiration diabolique, il est contraint de retrouver l’inconnue à tout prix pour sauver sa vie, et peut-être celle de beaucoup d’autres.
L’auteur touche ici, dans ce roman à suspense – d'aucuns diront thriller –, à des questions éthiques et de société.

À PROPOS DE L'AUTEURE

Valentine de le Court est Belge et juriste. D’aucuns prétendent qu’elle a usé dix-sept paires de chaussures sur des parquets de danse, c’est dire si elle peut parler avec expérience de choses futiles!
Explosion de particules est son premier roman.
Ont suivi Vacances obligatoires en famille et Une maison bruxelloise.
LangueFrançais
ÉditeurMols
Date de sortie8 mai 2020
ISBN9782874022609
À vendre ou à louer: Thriller

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    Aperçu du livre

    À vendre ou à louer - Valentine de le Court

    À vendre ou à louer

    Valentine de le Court

    À vendre ou à louer

    Roman

    © Éditions Mols, 2020

    Collection Autres Sillons

    www.editions-mols.eu

    À tous les fanatiques de la Tardanne.

    La société est un grand moulin où, sans cesse, des hommes broient des hommes pour le compte d’une Humanité prochaine.

    Edmond Thiaudière

    CHAPITRE I

    PROLOGUE

    Les collègues, Jean-Baptiste ne commence à les apprécier qu’après plusieurs verres. Sobre, leur conversation l’insupporte. Du foot, de la politique et encore du sport. Surtout cet abruti de Bruno. Quelle merde les discussions de mecs! Il cesse de les écouter et savoure infiniment le plaisir d’être serré à une petite table, entouré de visages rieurs. À cet instant-là, c’est presque comme avoir des amis.

    Bouillonnante de mozzarella, brillante de chorizo, la pizza s’étale, indécente, entre le couteau et la fourchette. Jean-Baptiste engloutit cette nourriture régressive à grandes bouchées. Un estomac rempli de nourriture italienne standardisée lui procure une impression brûlante d’humanité. Il fait descendre le tout à larges lampées de vin rouge, cuvée du patron. Son teint rosit à la lueur des bougies qui tremblotent dans des verres écarlates.

    Ses compagnons parlent de plus en plus fort et les rires deviennent gras. Après un limoncello offert par la maison et un Italian coffee, ceux que leurs femmes n’ont pas appelés plus de quatre fois pour exiger leur retour au bercail se mettent en route vers un bar.

    La nuit est encore à ses débuts mais le bar de la rue Princesse déborde déjà de corps jeunes qui se pressent autour du comptoir. Les femmes s’agglutinent pour fumer le long du trottoir défoncé par le passage des scooters. Jean-Baptiste embrasse le patron, néglige la queue, commande une bouteille et six verres, dépose un billet sur le zinc, n’attend pas la monnaie.

    Il salue au passage ses vieux comparses de sorties nocturnes, évite scrupuleusement, par sa technique de slalom de dos, une ex-hargneuse et une ancienne target trop sérieuse et rejoint sa bande.

    Ses collègues ont déjà bien progressé vers l’objectif: trois jeunes filles les ont rejoints et discutent, en leur soufflant au nez une haleine chargée de champagne et de tabac mentholé. Émoustillé, Bruno trémousse son arrière-train adipeux.

    Ce genre de filles là n’intéresse pas Jean-Baptiste. Trop gâtées, trop convenues, des femmes compliquées qui veulent des sentiments, des dîners, des soupirs. La gent féminine lit trop de romans. Même à l’heure du tout numérique. Une plaie pour les consommateurs d’un soir. Très mauvais pour le réalisme des relations homme-femme. Il jauge l’assemblée tel un cow-boy qui, à l’aube, choisit la première vache à marquer.

    Cible verrouillée. Une femme, petite, fesses bombées admirables, cheveux frisés, courts (on ne peut pas tout avoir), nez mutin, yeux verts, peau veloutée. Un vrai raton-laveur, avec un sourire permanent sur une dentition de fille de dentiste. Entourée de copines, comme elles le sont toujours. Jean-Baptiste tend l’oreille et surprend leur conversation.

    — C’est ma tournée les filles, lance une blonde décoiffée.

    — Attends ma biche, je t’accompagne, répond sa voisine, grande perche brune.

    Sa proie est condamnée à rester seule sur le trottoir, sa cigarette Vogue est à peine entamée. Les clopes fines sont l’apanage des filles faciles, a toujours affirmé son père. Jean-Baptiste l’aborde dès que ses amies s’éloignent. Le créneau est serré.

    — Si je vous pose une question que personne ne vous a jamais posée, lui déclare-t-il, vous acceptez de me laisser vous offrir un verre?

    — C’est déjà gagné dans ce cas.

    Il en reste sans voix. Juste un instant. Une femme avec de la répartie, c’est Noël avant l’heure.

    — On dirait bien.

    Il dégaine un verre et incline sa bouteille.

    — Même sans question j’aurais accepté. Je ne dis jamais non, le vendredi soir.

    — Pour un verre ou en général?

    Elle sourit, la blancheur de ses dents détonne sur ses lèvres foncées. Le verre plein, elle le porte à la bouche.

    — Donc, vous abordez les inconnues, dit-elle en se passant la langue sur les lèvres. Vous êtes serveur ici?

    — Non, mais j’apprends vite, on ne sait jamais, si je devais me recycler un jour.

    — Tu m’as bien l’air d’être le genre de personne à toujours retomber sur tes pattes. Oh, on se tutoie, au fait.

    Sur ces mots, elle avale le verre d’un trait, écrase sa cigarette du pied droit, tourne les talons et disparaît dans la foule. Jean-Baptiste en reste les bras ballants.

    Personne ne lui prête la moindre attention. Ses collègues ont l’air très occupés avec les autres filles. L’une d’elle a posé la main sur l’épaule de Bruno. Grande, anguleuse, genre mannequin raté. Une girafe.

    Son ex est toujours là. Elle l’a vu. Il mime une sorte de vague rictus navré et repère son joli raton-laveur. Accoudée au comptoir, elle a rejoint ses amies et rit aux éclats en avalant des shoots d’un liquide vert vif. Il lui touche l’épaule, prêt à lui lancer quelques mots bien sentis.

    À sa grande surprise, elle l’accueille comme un vieil ami et lui tend un verre minuscule. Sans réfléchir, il avale la boisson poivrée d’un trait. Sa gorge s’enflamme, il tousse et crache. Elle le regarde, se mordant la lèvre inférieure, les yeux coquins. Puis lui attrape le menton et l’embrasse, au milieu de la musique tonitruante et de ses amies qui applaudissent, excitées comme des collégiennes en goguette.

    — On va ailleurs?

    Murmure délicieux d’une femme qui prend les choses en main. Jean-Baptiste hésite un instant, par manque d’habitude. Et si c’était une cinglée? Il jette un coup d’œil aux autres, dehors, introuvables. Ils ont quitté le bar pour un autre peutêtre, sans le prévenir.

    — D’accord, dit-il en déposant un baiser à la commissure de ses lèvres. Tu aimerais prendre un verre?

    — Oui, répond-elle, chez toi ou chez moi?

    Elle n’a pas froid aux yeux. C’est excitant.

    — J’habite tout près, lui promet-il.

    Essentiel d’ailleurs, la proximité géographique. Combien de fois une fille n’avait-elle pas changé d’avis en dernière minute? Jean-Baptiste connaît toutes les techniques pour déjouer ce revirement de fin de soirée: parler sans arrêt, détourner l’attention et éviter qu’elle ne réfléchisse ou qu’une vieille morale désuète ne reprenne le dessus, juste avant la fermeture de l’ascenseur.

    À deux pas d’ici, le petit appartement, qu’il venait de rentrer en Airbnb, serait parfait. Il repense à la vieille dame qui le lui a confié. Merci madame Froberville de faciliter, à votre insu, la vie sexuelle des jeunes célibataires parisiens.

    — Passons juste par la voiture, propose-t-il, j’ai un truc à reprendre dans mon coffre. Elle est garée en face.

    Ils marchent à la lueur blafarde des lampadaires. Sa conquête est jolie, même sous la lumière crue. Il aimerait passer la main comme un peigne dans ses cheveux, voir si elle glisserait entre les boucles serrées.

    Vite, meubler le silence qui s’est installé depuis qu’il a repris son sac de voyage et son trousseau de clefs. Ils discutent musique. Sujet non polémique. Elle parle de son métier aussi. Elle est infirmière. Jolie profession.

    En chemin, Jean-Baptiste lève les yeux. Devant le numéro trois, de la musique sort du toit. Des voix parlent fort, s’interrompent. Une fête. Il comprend immédiatement. L’appartement est occupé ce soir. Madame Froberville a une nuée de petits-enfants. L’un d’entre eux a dû s’installer sans prévenir.

    La jeune fille n’a rien remarqué. Surtout faire semblant que tout est normal. Où aller? Il faut une solution de repli dans le quartier. Sa conquête ne va pas tarder à prendre peur, quelqu’un qui ne sait plus où il habite, c’est suspect. Eurêka. L’hôtel particulier, à trois rues d’ici. Il est deux heures du matin, les Kazakhs qui l’ont loué pour la soirée ont dû plier bagages.

    — Oups, je parlais tellement que j’ai pris le mauvais chemin, tu me troubles décidément, euh…

    — Alice.

    — Jean-Baptiste.

    Elle rit, presque saoule. L’air est tiède, elle est en baskets, elle s’en fiche de marcher encore et l’enlace. Il l’embrasse dans les cheveux. Elle sent la noix de coco. Tiens, il avalerait bien un Bounty. La drague donne faim.

    Elle raconte des anecdotes de malades aux urgences, des cancans salaces avec les bouteilles de verre coincées dans des endroits inavouables. Elle est drôle et elle lui caresse les fesses au travers de son jean. La nuit sera exquise. Il lui pose des questions indiscrètes. Elle répond sans détour. Une super nana.

    — Alors, dis-moi, tu es célibataire depuis…

    — Oh je ne sais pas, le week-end dernier peut-être? elle rit à nouveau.

    Ils ont l’alcool gai et cette ivresse légère les mène jusque devant la belle demeure, le joyau de son portefeuille immobilier. Cette dernière est sombre, silencieuse.

    — C’est magnifique. C’est chez toi?

    — Chez un ami, ment Jean-Baptiste, il me prête une chambre au quatrième. Il n’utilise pas tout l’espace.

    — Sympa.

    — Ne faisons pas de bruit, il ne faut pas le réveiller, d’accord?

    Aucune lampe n’est allumée. Parfait, la maison semble vide. Ils tâtonnent dans le hall, trébuchent dans l’escalier, se raccrochent l’un à l’autre, se grignotent les lèvres, pouffent en silence. S’embrassent encore. La langue d’Alice pique un peu le tabac.

    Jean-Baptiste tend l’oreille, il n’entend rien. La fête des Kazakhs a dû tourner court.

    Tous les deux font pas mal de tapage. Ils gloussent en glissant leurs mains sous leurs vêtements. Au niveau du deuxième étage toutefois, Jean-Baptiste perçoit un son étouffé. Puis, quelques instants plus tard, une porte qui claque au rezde-chaussée. Un départ tardif?

    Serrés l’un contre l’autre sur le palier à la lueur de la lampe de poche du portable, ils restent immobiles. Sans un bruit, Jean-Baptiste tend l’oreille, ce sont des gémissements qui proviennent d’une des pièces qui donnent sur le couloir étroit. Il sourit, complice, à sa conquête.

    La fête n’a donc pas été annulée et elle prend un tour plutôt coquin. Un retour à la mode des soirées « Eyes wide shut » peut-être.

    — Ils prennent du bon temps on dirait.

    C’est de bon augure. Jean-Baptiste descend la main vers les fesses d’Alice.

    — Sympa les potes, dit-elle avec un clin d’œil.

    Il lui prend la main pour continuer l’ascension vers le dernier étage. Il existe de petites chambres d’amis meublées là-haut. Elle résiste.

    — Bon, on monte? s’impatiente Jean-Baptiste qui commence à sentir la fatigue. On ne va pas rester plantés là comme des radis dans l’escalier froid.

    — Ils ne font pas l’amour. C’est différent comme halètement.

    Elle s’écarte de lui, sérieuse tout à coup.

    — Les infirmières sont expertes en coït maintenant?

    — C’est ma spécialité, répond-elle avec aplomb, ça et les plaintes pour harcèlement sexuel, tais-toi maintenant. Encore une minute et je te suis.

    Elle repousse sa main qui tente de lui toucher la cuisse.

    — C’est trop bizarre. Allons jeter un œil.

    — Tu es folle, Alice.

    — Je veux en avoir le cœur net. Désolée. J’ai l’impression que quelqu’un souffre là-dedans.

    Très mauvaise idée, de ramener une jeune infirmière obnubilée par sa conscience professionnelle. La prochaine fois, promis, il se choisira une copine faisant une carrière purement égocentrée, la mode par exemple. Il bougonne et la suit dans le couloir du deuxième étage.

    Le parquet craque, la moquette ne suffit pas à adoucir le bruit de leurs pas. Le gémissement s’est fait de plus en plus diffus. Ils l’entendent à peine. Puis plus du tout.

    — C’est fini, ils se sont endormis, partons Alice.

    — Je ne vois aucune lumière sous les portes.

    — Justement, ils ne veulent pas de public. Viens maintenant, s’impatiente Jean-Baptiste.

    Alice ne l’écoute pas, elle ouvre les portes les unes après les autres. Tourne les commutateurs. Les chambres sont vides. La troisième porte dévoile une salle de bains. Lumière jaune, murs sombres, blancheur choquante de la faïence.

    Sur le sol, une boîte de fard à paupière d’une marque de luxe git, éclatée. La poudre s’est répandue partout. Des traînées brunes et vertes se dessinent sur le sol humide, au milieu de traces de chaussures d’homme. Une vraie palette de peintre dépressif.

    Une baignoire trône, à l’ancienne, au milieu de la pièce. Le rideau de douche est à moitié arraché. Une jambe blafarde, marbrée de bleu, pend par-dessus le rebord du bain.

    Jean-Baptiste ne peut détacher les yeux des ongles peints. Rose vif.

    NOTES PERSONNELLES

    Un coton dans chaque main, je me démaquille lentement. Les morceaux de tissu se colorent de brun rouge, puis de noir quand j’ôte la poudre foncée qui décore mes paupières.

    L’éclairage autour du miroir est indiscret. Sans fond de teint, je peux deviner quelques rides au coin de mes yeux. Heureusement, c’est invisible avec un bon sérum et une lumière douce.

    Démaquillant, nettoyage, crème hydratante, fluide correcteur. Les cotons souillés s’accumulent dans la corbeille.

    Quelle humoriste avait répondu en interview à Ardisson que son secret de jeunesse était l’obscurité? Ils avaient ri, les autres. Les hommes.

    Les bougies sont les meilleures amies des femmes dans la quarantaine. Après, il ne reste que les diamants.

    Je regonfle un peu mes cheveux. J’adore la couleur qu’Osvaldo donne à ma chevelure. Je masse mon visage du bout des doigts, je tire ma peau vers les oreilles et retrouve un instant mes vingt ans.

    Une version de mes vingt ans. Je suis plus belle aujourd’hui. Un bon dentiste et un chirurgien plastique hors de prix m’ont débarrassé à tout jamais de ces dents de la chance et de ce nez qui me rappelait Papa à chaque instant.

    J’arrange mon col cheminée en dénudant une épaule. Un peu fragile et forte à la fois. Juste comme j’aime.

    Sur la table basse, une pile de feuillets à relire. Au boulot.

    Depuis l’adolescence, je n’arrive pas à me concentrer sur le travail quand j’ai un problème sentimental. Ça m’énerve. Rien n’a changé. Je me souviens de ces partiels catastrophiques quand mon copain de l’époque m’avait trompée. Je fliquais son Italienne dans les couloirs de la fac. Mon cerveau était démeublé de toute autre pensée que celle de mon amoureux en train d’enlacer cette fille que je prétendais vulgaire parce qu’elle était sublime. Comment s’appelait-elle encore? Giulia?

    C’est la troisième fois que je relis ce passage, il ne s’imprime pas, je ne comprends rien. Je ne fais que penser au futur; que vat-il m’arriver? Que vont-ils dire, tous, quand ils vont l’apprendre? Lui, le parangon de vertu, toujours au premier rang des manifestations pour la famille.

    Et vis-à-vis de lui, comment réagir? Impossible d’en parler aux parents. Je n’ai plus l’âge d’aller pleurer dans leurs jupes et puis, engoncés dans leur bourgeoisie provinciale, je sais qu’ils cracheraient leur mépris, à l’abri dans leur armure d’honnêteté jamais mise à l’épreuve. Ils le jugeraient sans appel, ni avocat. Est-il défendable?

    Pourquoi ne m’a-t-il rien dit? Quelle trahison. Pas la manière dont il a agi, je puis tout comprendre, mais de me l’avoir caché. Il doit savoir que la bombe va être lâchée. Il ne peut l’ignorer. Les gens parlent toujours et il existe tant de jaloux.

    Il aurait dû anticiper, il est impardonnable.

    Je ne pardonnerai pas.

    C’est étrange de tenir un journal. Surtout à mon âge. Mais bon, mon psy a beaucoup insisté. Il est persuadé que cela pourrait m’aider.

    D’un doigt, je rabats l’écran de l’ordinateur portable sur le clavier. La fermeture fait un bruit sec. Ces mails qui s’accumulent sont une plaie. Pourquoi suis-je en copie de tous ces détails qui ne me concernent pas? La diarrhée des copies à tous vents frappe ma messagerie depuis des années. C’est de pire en pire.

    Je n’en puis plus de leurs disputes d’égo professionnel. Comme si je n’avais pas assez de contrariétés. Je m’en occuperai une autre fois, quand je n’aurai pas la tête si lourde de soucis bien plus graves que leurs querelles de gamins quémandant l’affection. Mon crâne va exploser de migraine.

    Sur le mur d’en face, l’écran plat offert par Biggie l’année dernière. J’ai dû l’allumer deux fois en neuf mois. Je n’aime la télévision que quand elle parle de moi.

    Il est temps de m’habiller, je risque d’être en retard. J’espère qu’on ne me parlera pas de lui toute la soirée. J’ai réservé le taxi, à quelle heure déjà? Ah oui, vingt heures. Très bien. En baissant le regard vers mes vêtements, je surprends ma main caressant mon estomac. Qu’est-ce qu’elle fait là, celle-là? Elle joue sur mes abdos, flatte mon ventre plat, presque creux. La plus jolie partie de mon corps. Celle dont je suis la plus fière.

    Devant le miroir en pied du dressing, je pousse l’estomac au maximum en avant. Mes torsions ne changent presque rien. Malgré mes efforts idiots, impossible de gâcher ma silhouette de danseuse.

    C’est fou que, des années plus tard, il m’en reste quelque chose. Que ma morphologie reste modelée par mes efforts du passé. C’est d’ailleurs ce que Biggie me dit le plus souvent: quelle grâce, dans chacun de tes gestes.

    Il aimait me regarder marcher, m’asseoir, déposer mes bras sur le dos d’une chaise. Il prétendait que mes mains étaient comme deux papillons se posant sur une fleur. C’est comme ça que je lui ai plu. Il m’a répété si souvent que j’avais l’air d’une sylphide. J’aurais rêvé que cette illusion persiste…

    Béjart, le corps de ballet, la discipline de fou, le pauvre yaourt, seul dîner autorisé, la faim, la faim tout le temps, la beauté, la musique, les pieds en sang, les bandages, l’émotion. C’est si loin et terriblement proche à la fois.

    Mes pauvres orteils ne s’en remettront jamais tout à fait. Heureusement, dans des escarpins, personne ne s’en aperçoit jamais. Saurais-je encore faire des pointes? Je n’ose pas essayer, trop peur de tomber. De casser le joli nez qui m’a coûté mes premiers mois de salaire.

    Qu’est-ce qui m’a séduit chez lui?

    Je suis une incorrigible quarantenaire fleur bleue qui s’est emballée pour une virée dans une campagne perdue, une nuit dans un manoir presque en ruine doté d’une collection de bottes vertes dépareillées et, au petit matin, une voiture pleine de fleurs des champs qu’il avait cueillies juste pour moi, avant mon réveil. Empaquetée, la petite danseuse provinciale.

    J’ajuste ma gaine et vérifie en me tortillant comme une contorsionniste que ma robe fluide ne laisse transparaître aucune trace de sous-vêtements. Les tenues les plus flatteuses sont celles qui laissent croire que le corps par-dessous est nu, naturel dans sa perfection.

    Bien sûr tout cela est un mensonge. Les coussinets en silicones augmentent le volume de mes seins, l’huile pailletée donne un éclat juvénile. Les pendants d’oreilles allongent le cou. Tout est illusion, camouflage. Le nouvel éternel féminin.

    Ma carte de crédit racle le petit tas de poudre blanche écrasée sur la table basse. Une jolie trace fine, bien droite. J’en ai besoin ce soir. J’aspire avec délice. Picore du bout des doigts les grains restants. Me passe la langue sur les gencives. Dans une minute, j’irai mieux.

    Les diamants qui brillent à mon poignet et se perdent dans l’échancrure de la robe sont un prêt d’un ami diamantaire. J’adore être gâtée. Même si, dès demain, il me faudra les rendre, ce soir je serai magique. Et je vais chasser tous mes problèmes dans le flirt et le champagne. Quels problèmes d’ailleurs? Ils semblent si fugaces par rapport à la joie de la soirée qui se prépare. La douleur à la tête se dissipe, comme si je venais de dormir une nuit entière.

    Le taxi est arrivé. Le chauffeur est charmant. Ils le sont toujours. Il veut bavarder. Il adore Fogiel et se demande pourquoi il a été laminé. Je n’entre pas dans le débat. J’adorerais pourtant, mais j’essaie de respecter les quatre accords toltèques depuis quelques mois. L’un d’entre eux (le plus difficile à respecter) énonce que notre parole doit être irréprochable.

    Sonnerie du téléphone.

    Le taximan a tendu l’oreille durant toute la conversation téléphonique. J’ai été presque muette pour qu’il ne devine rien. Je déteste les indiscrets. J’ai dû paraître froide. C’était mon agent. Il n’a pas caché le drame de la situation. Le statu quo n’est plus une solution. Je dois me désolidariser, a-t-il exigé. Il n’y a plus rien à sauver. Si tu ne le quittes pas, tu couleras avec lui, prédit-il.

    Plus vite je coupe tout lien, moins je souffrirai. Peut-être. Je dois penser à ma carrière avant tout, répète mon agent. On dirait qu’il est inquiet de mon manque de réaction.

    Sauver ma carrière. D’accord. Les défis ne me font pas peur. Je garde le téléphone posé sur les genoux. Je réfléchis à toute vitesse. Les pensées défilent dans ma tête comme des boîtes mannequins sur un podium. Ce n’est pas au boulot que je pense mais à notre grand projet. Ce que je lui ai réclamé toutes ces années. Et Biggie avait enfin cédé.

    Ce grand projet est mort. Je ne dois pas me mentir, il faut que j’en fasse mon deuil. Jamais je ne serai la femme que j’avais imaginé devenir un jour. Il est trop tard. Je suis obligée désormais de donner du sens à ma vie autrement. Sans Lui. Surtout sans Lui.

    Après tout, je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même.

    Je vais m’en sortir. Un coup de fil à Alain. Il va gérer.

    Tout ira bien.

    CHAPITRE II

    PARIS, 7E ARRONDISSEMENT

    Où suis-je? Chaque matin, avant d’ouvrir les yeux, Jean-Baptiste savoure ces quelques secondes d’amnésie. Où ai-je passé la nuit? Il prolonge cette sensation le plus longtemps possible. Mais très vite, la mémoire revient.

    Les draps se froissent le long de ses jambes. Le crin de cheval est le secret d’un matelas de roi. Il n’a jamais aussi bien dormi depuis des semaines. Si ce n’étaient les rideaux mal joints, il dormirait encore.

    S’étirant avec bruit, Jean-Baptiste ignore à cet instant qu’il vit son ultime journée paisible. Son dernier matin avant de tomber nez à nez avec un cadavre de femme dans une baignoire.

    Premier geste machinal, il saisit sa Breitling sur la table de nuit. Neuf heures. Il quitte le lit tiède et attrape une serviette. La douche est aussi luxueuse que le sommier. Lavé et parfumé, il ferme les boutons de sa chemise blanche. Son rythme est rapide et maîtrisé. Il rince la salle de bains, essuie les gouttes d’eau sur les parois de verre à l’aide d’un drap de bain, récupère son savon, défait les draps et les plie avec soin dans un joli sac de cuir. Efficace et silencieux. Il embrasse les pièces d’un regard. Impeccable.

    Juste à temps. La sonnette retentit. Il vérifie son apparence dans le miroir de l’entrée et arrange ses mèches d’un geste expert juste avant d’ouvrir la porte.

    Un couple entre. Entre deux âges. Surtout lui. Elle a de jolies jambes. Jean-Baptiste leur souhaite la bienvenue sur l’île Saint-Louis et leur remet un petit dossier coloré.

    Son discours est bien rodé: quartier fabuleux, voisins discrets, écoles prestigieuses, moulures d’exception, état des sanitaires irréprochable. Les superlatifs s’enchaînent. Il ne craint pas les adverbes.

    Énormément de charme, superbement décoré, merveilleusement rénové.

    Les mots s’enchaînent sans même qu’il ait besoin d’y réfléchir. Avec les années c’est devenu un automatisme. Lui ne pense qu’à un croissant au beurre bien dodu. Et un peu à sa future commission aussi.

    « Oui, les rassure-t-il, en effet, il reste deux ou trois meubles, les propriétaires termineront leur déménagement dans la semaine. Je ne devrais pas vous le montrer ainsi en avantpremière, mais je m’en serais voulu de vous avoir fait passer à côté d’une telle opportunité. »

    Le couple n’est pas convaincu. « Je comprends », leur assuret-il. En réalité, il pense: mépriser un lieu aussi magnifique, quel manque de goût. Essayons quelque chose de moins cher. Il réfléchit vite.

    — Je crois que j’ai ce qu’il vous faut. Vous avez bien encore une demi-heure à me consacrer? Un appartement ravissant, allons-y, d’accord?

    Il empoigne son sac de voyage

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