Une belle mort sinon rien: Polar historique
Par Gilles Merlière
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À propos de ce livre électronique
Fils d’un général français, Achille voit progressivement sa vie lui échapper quand il prend part à la Seconde Guerre mondiale.
L’après-guerre lui apportera ses plus dures épreuves : contraint à une vie d’agent secret par le poids d’un crime, victime de son propre mariage, et atteint d’un mal qui détruit sa conscience, il doit reconstruire son passé pour se retrouver.
Ce polar historique emmène le lecteur dans l'après 1945 et montre les dégâts qu'a laissés la guerre sur l'existence humaine.
EXTRAIT
Mercredi 21 février.
Je ne suis plus qu’un intrus, un voyageur précaire, un genre de mystificateur. À quoi bon m’acharner si mon ticket n’est plus valable ? Kelly, je descends à la prochaine et je voulais te dire adieu. Je vais maintenant passer par profits et pertes, ce corps qui m’a trahi, lâchement abandonné.
Vais-je passer une épreuve ? Un passage escarpé tout au plus. Je ne me plains pas, dans quelques heures, j’aurai tout oublié ; mes malheurs, ceux des autres… le mal que j’ai pu faire. Je serai l’ensemble vide que je fus avant de naître, un retour au néant dans lequel je vais plonger, m’engloutir à jamais.
Cette pensée me rassure. Vois-tu, je ne suis pas friand d’éternité.
Je t’embrasse.
Achille.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Gilles Merlière a grandi à Angoulême avant de faire ses études à Bordeaux. Chirurgien-dentiste aujourd’hui retraité, il vit à Agadir au Maroc avec son épouse et se consacre à l’écriture entre quelques rencontres de bridge et de golf avec ses amis. À 68 ans, Une belle mort sinon rien est son deuxième roman, après Zones de turbulences.
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Aperçu du livre
Une belle mort sinon rien - Gilles Merlière
Préambule.
Mercredi 21 février.
Je ne suis plus qu’un intrus, un voyageur précaire, un genre de mystificateur. À quoi bon m’acharner si mon ticket n’est plus valable ? Kelly, je descends à la prochaine et je voulais te dire adieu. Je vais maintenant passer par profits et pertes, ce corps qui m’a trahi, lâchement abandonné.
Vais-je passer une épreuve ? Un passage escarpé tout au plus. Je ne me plains pas, dans quelques heures, j’aurai tout oublié ; mes malheurs, ceux des autres… le mal que j’ai pu faire. Je serai l’ensemble vide que je fus avant de naître, un retour au néant dans lequel je vais plonger, m’engloutir à jamais.
Cette pensée me rassure. Vois-tu, je ne suis pas friand d’éternité.
Je t’embrasse.
Achille.
L’auteur de la lettre a détaché la page de son carnet puis l’a glissée dans une enveloppe. Celle-ci ne parviendra jamais à sa destinataire.
Depuis trois ans, un obscur désordre chamboule son cerveau. Grave blessure. Les tous premiers symptômes ne l’avaient pas convaincu d’aller se faire soigner… mais il a rechuté ! Sa femme lui suggéra de consulter un médecin. Pourquoi pas le sien, le Docteur Chantre… excellent soi-disant ? Achille l’a écoutée. Avec le temps, les épreuves et Charlotte au milieu, les deux hommes ont fini par se lier d’amitié jusqu’à ce que l’autre lui balance une gifle magistrale : la médecine était impuissante, aucun médicament n’allait jamais le guérir. En désespoir de cause Achille a balayé ses préjugés et livré ses souvenirs dans un carnet trouvé là par hasard, qu’il qualifia d’intime.
Il s’est mis à écrire, à raconter sa vie, évoquer son passé avec pour objectif de terrasser son mal. Il a décrit ses joies, sa jeunesse et ses peines, tout ce qu’il pouvait en dire. Il a traqué des rires, des cris, des odeurs, le vent dans la ramure, un brouillard d’automne… Il a renoué enfin avec des évènements qu’il croyait disparus. Des mots, des phrases ont pris forme et le tandem de l’homme et du carnet a initié un long voyage. Bientôt le simple carnet fourre-tout s’est imposé à son esprit ; un genre d’addiction. Achille n’a plus pensé qu’à son histoire. Il est allé fouiller jusqu’aux tréfonds de son âme. Le jour, la nuit, sa plume dansait sur les pages blanches, jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus et perde le fil de ses souvenirs. Alors il fourrait le carnet dans sa veste, juste à hauteur du cœur, comme une mère l’aurait fait avec son enfant.
Parfois il l’abandonnait… le laissait seul des jours, des semaines. Avec les mauvais traitements, la couverture est devenue sale, les bords se sont écornés… Achille ne prend pas toujours soin des choses qu’il aime.
Ce calepin, il l’avait acheté à l’époque, pour y noter des courses, des listes de commissions… il ne l’a pas ouvert. Cette fois pourtant il allait lui confier ses secrets ; des pages crues et brutales, presque insoutenables… mais il fallait qu’il se libère. Qu’importe s’il n’en a plus été maître, il voulait guérir ! Aucune pudeur aucune échappatoire permise !
Tout en l’encourageant, le docteur Chantre l’a mis en garde quelque part :
–Ne pas laisser traîner vos notes, Achille ! Des malfaisants pourraient vouloir les lire… colporter vos secrets.
Une chance, Achille possédait un vieux meuble, une écritoire affectée d’une cachette, un double tiroir auquel on accède par un mécanisme astucieux… enfin assez pour tromper un novice. Achille y a fourré son carnet avec l’idée que dans cent ans ou plus, un antiquaire un peu fouineur jaugerait son meuble. Il finirait bien par trouver la cachette et il en sortirait un vieux grimoire aux pages un peu fripées. Curieux, il voudra lire… et sombrera dans le glauque, la fange, le sordide. Peut-être vomira-t-il ?
Pas grave ; Achille, lui, sera loin.
Ah s’il savait le bougre ! Rien ne se passera comme prévu. Amis, ennemis, indifférents, tous vont lire son histoire… ce qu’ils découvriront les glacera jusqu’au sang. Seulement peuvent-ils être objectifs, ceux qui n’ont pas connu l’enfer ?
Ce sont bien des aveux spontanés qu’Achille va livrer aux gendarmes. Tout sera transmis aux juges. Certains penseront qu’il n’a pas tout écrit. Pourtant chaque mot chaque ligne ne reflète que la pure vérité. Achille n’a transgressé aucun souvenir. Tout au plus, a-t-il cherché à protéger la mémoire d’un collègue, à moins qu’il n’ait manqué d’objectivité…
Au lecteur seul de juger.
Chapitre 1.
Carnet intime, page 1.
Angoulême, 20 mars 1953.
Mon nom : Achille Flandin.
Naissance à Brest, Finistère, le 21 septembre 1922.
Ce nom de Flandin comme il se doit, c’est mon père qui me l’a fourgué en guise de bienvenue, seulement je n’aime pas ! Il sonne mal, les gens me demandent de répéter ; alors j’épelle… double peine. Moi j’aurais préféré un nom à particule, de ceux qui vous posent un homme ! J’aurais pu aussi bien, me bricoler un nom double avec un tiret au milieu, du genre Flandin-Chose ou Flandin-Machin. Seulement je n’ai jamais pris la peine de me renseigner…
Avec le temps, Achille s’est bien réconcilié avec son patronyme mais son vrai drame est ailleurs. Encore une faute de son père ! N’eut-il pas dû réfléchir avant d’affubler son fils du drolatique prénom d’Achille ?
Achille, quelle idée ! Il eut sûrement préféré s’appeler Gilles, Paul ou Jacques, un prénom simple et gouleyant mais un surtout qu’il n’aurait pas volé. Tout cela parce qu’un jour, sa mère lui apprit l’existence d’un frère dont le cœur n’a battu que deux heures et trente minutes. Il se rappelle lorsqu’il lui a demandé :
–Comment s’appelait le garçon, maman ?
–Achille, comme toi mon chéri ; il est mort cinq ans avant ta naissance.
Ce fut un choc ! Ainsi quelqu’un s’était approprié son nom ! Il avait donc un double, un avatar qui désormais, lui polluerait la vie. Achille à l’école, Achille à la ville, Achille partout… Est-ce moi ou mon frère que vous interpelez ? Ah non, vous faites erreur. Lui, il est mort. Moi, je suis l’autre… Enfin je veux dire, je ne l’ai pas tué. Sans le faire exprès, j’ai pris son nom…
Depuis, Achille s’est renfermé sur lui-même, tentant de cacher son boulet de recéleur, de rester anonyme aux yeux du monde entier. Aussi l’a-t-on rarement appelé par son prénom. Seules quelques femmes s’y essaieront… avant de ne plus l’appeler du tout.
Achille ce jour-là, a encore questionné sa mère :
–Pourquoi suis-je né à Brest, cette ville du bout du monde où le soleil se noie chaque soir dans l’océan ?
–La ville n’y fut pour rien, mon chéri ; tu fus seulement victime des circonstances… Ton père rendait visite à un copain, un camarade de promotion et j’ai voulu l’accompagner quand vers dix heures, j’ai ressenti les premières contractions.
Achille a-t-il poussé trop fort, trop précipitamment ? À midi trente, il a émis son premier cri, respiré son premier bol d’air. Il est resté sept jours dans une clinique avant qu’on ne l’exfiltre. Il ne reviendra jamais dans la cité brestoise.
Il n’a par contre aucune angoisse à évoquer son âge. Trente ans cette année. À la mort tout compte fait, il préfère ressentir les premiers dommages du temps. Récemment il a déniché au fond d’un tiroir, une vieille photo de lui. À califourchon sur la tourelle d’un char, un petit gavroche aux mèches blondes et frisées, salue fier et droit, le photographe. Achille ne se serait pas reconnu si l’on n’avait écrit son nom au dos du tirage. Aujourd’hui le cliché fait office d’arrêt sur images ; Achille compare avec sa gueule du jour : un guignol au visage d’insomniaque… c’est du moins ce qu’il pense. De ses grands yeux qui jouaient à l’étonné, seul le bleu est resté mais il les cache désormais sous des sourcils en broussaille. Sans le connaître, on lui prêterait une vie de baroudeur, d’aventurier d’Afrique, de chercheur d’or… seulement il n’a jamais quitté la France !
Carnet intime ; suite.
Je n’ai pas souvenir que mes parents se soient intéressés à moi. Ils n’ont pas vu grandir le petit garçon qui vivait à l’écart dans sa chambre, sur fond de spleen et de mélancolie. Probablement ne me suis-je pas assez plaint, trop renfermé dans les silences et les non-dits… Le temps s’étire, les heures défilent ; je m’ennuie. Pas même un chien pour me comprendre.
Je dois avoir quatre ans lors de mon tout premier souvenir. Mes grands-parents viennent de mourir ; je suis seul dans mon lit, sans personne pour me lire une histoire. J’ai peur. Je me souviens avec effroi du petit Chaperon Rouge, ce conte où le loup mange une grand-mère ! La mienne n’aurait-elle pas fini comme cela, dans un estomac ?
Il existait chez mes parents, une petite porte au fond de la cuisine, dont le franchissement m’était interdit ; seulement j’avais trouvé la clé ! Bien sûr j’ai voulu voir derrière. Un long couloir y débouchait sur un escalier. Chouette, il y a sûrement un secret, tout en bas ! Une bougie à la main j’ai abordé la première marche… puis une deuxième. Soudain je fus happé par un boyau terrifiant, comme dans le ventre d’une baleine. Voilà j’étais perdu ! J’ai marché au hasard jusqu’à rejoindre une frêle barrière, censée me protéger d’un trou noir, un vide monstrueux qui me glace les sangs, comme ces absences auxquelles j’aurai plus tard à faire face. Cette tranchée du diable menait à coup sûr dans les entrailles de la terre. On avait raison de m’en interdire l’accès. Trop tard ! Je relâche la bougie… les ténèbres m’emportent et le cauchemar surgît…
Comment ai-je pu réchapper au danger ? Mystère… seulement j’avais l’esprit trop fertile. J’ai su depuis que l’escalier ne m’aurait pas envoyé en enfer, ni même vers ce néant d’où j’avais émergé quelques années plus tôt, mais plus prosaïquement dans la cave de l’immeuble… Ce lieu de vertige, existe-t-il encore ? Des engins de guerre, des bombes, un promoteur immobilier, l’ont à coup sûr détruit… Aucune importance. Rien n’existe vraiment, hors des souvenirs.
Chapitre 2.
En ce 19 avril 1953 il pleut des cordes sur Angoulême. Achille s’est résigné à ne pas sortir en ville. Dans moins d’une heure, Kelly son infirmière viendra injecter sa médecine. Comme d’habitude elle va lui faire un mal de chien avant de lui tendre en cascade, des gélules et cachets parfaitement inutiles à son sens. S’il se braque et refuse, maladroite elle va insister dans le genre :
–Achille, ne jouez pas à l’enfant ! Ce sont les consignes du Docteur.
Alors il se soumettra, plus respectueux du titre que de la fonction.
En attendant le bras armé de son médecin, il est allé exhumer son carnet du tiroir. Il a relu sa production de la veille avant de se mettre en quête de nouveaux souvenirs :
Carnet intime ; suite.
Je ne peux m’éviter de faire grise mine. Trop d’éreintements, de critiques acerbes. Je n’ai pas connu cette vie d’enfant martyre telle que décrite dans mon carnet. J’eus même droit à des jouets lors de certains Noëls. Qui peut en dire autant ? Pourtant je vais tout garder, les mots les phrases avec leurs maladresses. Pour espérer guérir, je ne dois rien occulter du passé.
Il n’empêche, j’aurais aimé avoir de vrais parents… des gens qui m’aiment et me le disent. Plus qu’un enfant solitaire, je fus un enfant meuble, qu’on a transbahuté de ville en ville au gré des mutations professionnelles de mon père ; toujours des allers simples entre deux garnisons. Je n’ai pas eu le temps de me forger des souvenirs, je ne pouvais rien emporter dans le camion de déménagement. Une fois sur place, ma nouvelle existence était le calque de la précédente. Mes camarades ? Les clones de ceux d’avant. L’intégration était facile mais à peine la cité entrevue, je repartais déjà vers d’autres horizons. Hormis l’escalier de mon enfance, ma madeleine à moi n’a jamais existé.
En fait il m’a surtout manqué l’odeur d’une maman ; enfin d’une qui m’aime et s’occupe de moi car je ne fus pour cette dame qu’un substrat, un principe accessoire. Je dois faire un effort pour me souvenir de la silhouette : une très jolie jeune femme, grande et distinguée mais dont je ne parviens pas à fixer tout à fait les contours du visage ; sans doute ne l’ai-je pas assez contemplée. Elle s’appelait Louise. Accaparée par les mondanités, sa vie d’épouse de général, elle était trop absente pour être une vraie maman.
Achille eut des nourrices en compensation ; il s’y est fait. Mieux encore, il ressentit chez certaines, quelques extases à leur contact… un baiser volé par exemple, une étreinte éphémère, de ces douceurs charnelles dont sa mère l’avait trop tôt sevré. Sur l’instant, il les a crues artificielles peut-être même interdites mais il s’est dit qu’un jour, il aimerait aller se perdre dans ces lieux de vertige qui méritaient sûrement plus qu’un vague sentiment d’euphorie.
À l’opposé, Achille considérait son père comme une icône inaccessible, un univers où la douceur, la bienveillance n’ont aucun droit de cité. Un jour qu’il se penchait sur les photos d’un magazine (Paris-Match peut-être ?), il reconnut Staline le dictateur, qui paradait sur la Place Rouge avec dans son dos, un escadron de généraux lugubres. Horreur, il a cru voir son géniteur chez l’un d’entre eux ! L’image lui est restée. Plus tard il ne fera pas toujours la différence entre ce père source d’angoisses et son sosie au garde-à-vous, juste derrière le tyran.
Achille voyait d’abord son inventeur à travers l’uniforme qu’il portait. Une poitrine bardée de médailles, un képi haut perché avec deux étoiles clouées sur le front. Le visage était accessoire ; un regard bleu acier, une fine moustache surplombant un menton volontaire qu’il arborait en étendard. Son père était général ; général de brigade. Après un classement honorable à sa sortie de Saint-Cyr en 1917, ses galons de capitaine le propulsèrent immédiatement sur les champs de bataille ; la Somme, l’Argonne… Pendant deux ans, il allait se révéler intraitable au combat sans connaître la moindre blessure. Officier clairvoyant, théoricien de la guerre de mouvement, il sut dérouler dans la paix qui suivit, une belle carrière dans l’artillerie, son corps de prédilection.
Carnet intime, page 4.
Oh ce ne fut pas la guerre entre mon père et moi ; plutôt l’évitement, la distance. Chacun avait son combat à mener ; lui son ennemi d’outre-Rhin qui le défiait toujours en dépit de la défaite et moi, mes notes à l’école. Deux mondes trop éloignés pour se rejoindre un jour. Seulement à dates fixes, je devais subir sa morgue et ses aigreurs à l’occasion de la remise de mes bulletins scolaires. C’était injuste. Aux sarcasmes du censeur, j’eus préféré quelques encouragements, un amical décryptage de mes problèmes de l’époque. Comment pouvais-je formaliser certains concepts comme le futur, le passé ? Je m’accordais sur la notion du jour ou de la semaine mais n’avais pas conscience de mon avenir sur une période plus vaste comme l’année par exemple.
Mes efforts à éclipses méritaient mieux qu’un éreintement systématique alors que tout semblait figé, tracé à jamais ; un monde de l’ordre, à la logique implacable et moi, petite chose imparfaite, j’allais devoir trouver ma place et ma fonction ! Voilà pourquoi je n’aimais pas qu’on me demande ce que je ferai plus tard. Les années ont filé, sans que je ne sache qu’elles étaient précieuses, à l’image de ces paons de nuit qui brulent leurs ailes aux lampes des réverbères et qu’on retrouve au matin disloqués, désailés, ridicules. Sûrement l’étais-je tout autant…
Le garçon était surtout bien nonchalant. « Peut mieux faire » disaient en chœur ses maîtres. À sa décharge il n’eut pas toujours droit aux conseils des anciens. Manque de repères, de sens critique, petits accommodements divers… Ombrageux, désinvolte, il prétendait conduire son destin, être à la barre de son esquif quand il n’avait que du sable entre les doigts. À qui voulait l’entendre, il disait : Je suis le maître de moi-même, en récusant parents et professeurs, cette nébuleuse tentaculaire qui restait à ses yeux, source inextricable d’ennuis.
Plus tard adolescent, il va devoir édulcorer ces prétentions absurdes mais il en sera contrarié. Du jour de ses quinze ans il est devenu méfiant, soupçonneux, agressif. Petit révolutionnaire de salon, il détestait cordialement cette société du travail et de l’effort. Il prétendait même vouloir la détruire, sans qu’il ne songe évidemment, à passer à l’acte. J’attends le grand soir, le réveil des consciences, disait-il dans un superbe élan… avant de plier comme les autres, devant l’autorité des grands.
Carnet intime, page 5 et 6.
Moi je voulais vivre en couleur, être libre ! En regardant les rues et les places de ma ville, cet univers de briques et de tuiles monochromes, je rêvais volontiers d’une maison. J’aurais construit une cabane dans le jardin et mis un chien à l’intérieur. Hélas, je n’ai eu que des casernes. Aussi la nuit par beau temps, j’ouvrais grand la fenêtre de ma chambre et je braquais fébrile, mes yeux vers le ciel. Quelle que fut la région, j’admirais les étoiles et autres lucioles. Les mêmes étaient toujours aux rendez-vous. Chacune me disait son histoire, me faisait les yeux doux.
Mon père lui, n’en voulait à personne… sauf à l’Allemagne, ce peuple de barbares qui lui donnait sa raison d’être. Cette guerre, c’est l’Arlésienne, éructait-il le regard noir, exaspéré par l’inertie des politiques.
Enfin l’Anschluss est arrivé ! Et le réarmement général de l’Europe avec lui. Mon père a oublié sa dépression. Il reprit sans tarder le chemin des casernes. Enfin il allait montrer ce qu’il savait le mieux faire de mieux : commander, planifier, structurer. Le soir dans son salon, il testait pour la circonstance, de beaux discours martiaux, sûrement imaginés le matin, lors d’une parade militaire. Il développait en famille, les thèses les plus subtiles, les analyses les plus fines en expliquant pourquoi la France ne pourrait jamais perdre.
J’aurais pu m’en aller, ignorer ses diatribes : seulement j’avais appris en classe de sixième l’incontournable fonction du père dans la conception des enfants. Le général était mon inventeur quelque part, un dieu à la quatrième personne. Ah la vacherie ! Impossible d’échapper au destin. J’avais comme dernier arrivant, une dette envers mon géniteur et quand bien même son mérite ne fût pas formellement établi, il me fallait lui obéir, écouter ses discours. Prérogative au vieux mâle !
J’aurais pu aussi bien ne jamais exister. C’eut été un gâchis, mais pas un drame. Je ne serais rien tout au plus ; le néant, un espace vide. Je n’aurais même pas appris mon inexistence. Seulement voilà… j’étais né ! D’ailleurs ce coït qui m’avait initié… mes parents s’en souvenaient-ils encore ? Parmi les milliers d’autres qu’ils ont dû partager, la saillie fut-elle ordinaire… voire mal interrompue, ou pire encore, faite par-dessus la jambe ? Grave blessure d’amour propre s’ils l’avaient bâclée pour me faire !
Bien sûr avec la puberté et la pousse des premiers duvets, j’ai fini par admettre que mon père n’avait fait qu’obéir à l’injonction d’une glande obscure dont moi-même commençais d’ailleurs à ressentir les premiers effets… Cela relativisait la grandeur de son geste. Pourtant il me parut incontestable qu’en héritant de mon géniteur j’avais acquis dans mon génome une part non négligeable du sien. Par la force des choses, ses qualités étaient aussi les miennes. J’ai décidé à mon tour, de faire carrière dans l’armée.
Je réussis mes deux bacs mais n’obtins que la mention passable. Insuffisant pour intégrer Saint-Cyr, Polytechnique ou Salon-de-Provence, ces marchepieds vers les étoiles du commandement. J’allais malheureusement devoir me contenter d’une petite école.
Cette époque du Front Populaire allait rester bien affligeante aux yeux d’Achille. Autour de lui, chacun parlait travail, reconstruction, congés payés. On pensait petitement et tentait par là même, d’oublier la Grande Guerre, ses miasmes et ses gueules cassées. Qui se souciait le moins du monde des idéologies sournoises qui progressaient à travers l’Europe ?
Enfin survint le 3 septembre. Ah quel beau jour ! Alliée à l’Angleterre pour la circonstance, sûre de son droit et de la valeur de ses armées, la France a déclaré la guerre à sa voisine du nord. Achille qui connaissait un peu l’histoire de son pays, a exulté séance tenante.
Évidemment j’ai dû faire avec mes contradictions. Moi j’étais anarchiste et pourtant j’exultais de vivre une belle période de gloire, comme en leur temps les révolutionnaires ou les soldats de l’an II… Enfin qu’importe, la victoire en chantant n’allait plus être un doux slogan !
J’étais inquiet aussi. Mon père dans ses discours, avait évoqué une croisade d’Outre-Rhin. Diantre une croisade ! En cours d’histoire j’avais appris celle des Pauvres Gens, celle de Saint-Louis et d’autres… elles s’étaient mal terminées. Celle-ci ferait-elle exception ? Pas grave, je voulais d’abord faire la guerre, prendre d’assaut Berlin, Francfort, Munich… et fort de mes certitudes, je suis allé frapper à la porte d’un centre de recrutement.
Était-ce Toul, Verdun, Bar-le-Duc ? Le jeune homme ne sait pas, si ce n’est qu’il demanda l’armée de l’air. Mauvaise pioche. Ayant omis de se faire recommander, on le propulsa illico vers un régiment d’infanterie légère où il dut faire ses classes comme un vulgaire fils de péquin. Le hasard l’a conduit à la frontière allemande, au Stormberge, un genre d’observatoire situé
